Tribune
Vers l'Eurasie !
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 26 octobre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
La semaine dernière, j’ai écrit
une tribune dans laquelle je
soutenais que l’Europe de l’ouest aurait
intérêt à sortir du giron atlantiste
pour construire une alliance économique
et politique avec le bloc euro-oriental
en création autour de l’alliance
douanière Russie/Biélorussie/Kazakhstan.
Il me semble que pour une union
européenne endettée, en panne
d’élargissement, et très dépendante sur
le plan énergétique, cette orientation
pourrait apporter de nouveaux marchés à
l’exportation, la sécurité énergétique,
un potentiel de croissance économique
important et aussi une vision politique
nouvelle.
Suite a la publication de ce texte,
un de mes lecteurs, David, m’a envoyé le
commentaire suivant : "j'ai du mal à
saisir ce que ton union eurasienne
pourrait faire avec l'UE (…) Tu vois
l'Europe aller jusqu'au Kazakhstan"?
La question de David est
fondamentale, à mon avis. La première
réponse que j’ai envie de lui faire est
la suivante: L’Europe n’est pas que
l’UE, dont la dernière vague
d’élargissement date de 2004, et sachant
qu’aucune autre vague d’élargissement
n’est à ce jour sérieusement envisagée.
L’espace européen compte 51 états, et
l’UE n’en est qu’à 27 membres.
L’UE n’est à mon avis en rien une
finalité, mais une étape dans la
construction d’une grande Europe
continentale,
allant de Lisbonne a Vladivostok,
une Europe par nature eurasiatique
puisqu’étalée géographiquement en Europe
et en Asie.
Les discussions sur les limites de
l’élargissement de l’UE ont amené à des
contradictions: La Russie ne serait pas
européenne peut on souvent lire, alors
que généralement pour les mêmes
commentateurs, l’Ukraine, la Biélorussie
ou la Turquie devraient à contrario
intégrer l’Europe. Il faudrait en effet
expliquer en quoi la Russie ne serait
pas européenne, si l’Ukraine, la
Biélorussie ou encore la Turquie le
sont. Aujourd’hui, ni l’UE à 27 en état
de quasi banqueroute, ni la Russie seule
n’ont cependant la force et les moyens
de pouvoir faire face aux géants que
sont l’Amérique sur le déclin, ou les
deux grands de demain, l’Inde et surtout
la Chine, quasi-assurée de devenir la
première puissance mondiale au milieu de
ce siècle. La Russie comme les états
européens de l’ouest sont donc
aujourd’hui et chacun de leur côté
engagés dans une politique de création
d’alliances afin de renforcer leurs
positions régionales, et leur influence
globale.
Après l’effondrement de l’Union
Soviétique, l’extension vers l’est de
l’union européenne semblait inévitable.
Cette extension, accompagnée d’un
élargissement de l’OTAN, s’est faite
dans un esprit de confrontation avec le
monde post soviétique. Mais la
renaissance de la Russie ces dernières
années et le choc financier de 2008 ont
lourdement modifié la situation. La
crise financière terrible que connaît
l’union européenne est sans doute la
garantie la plus absolue que l’UE ne
s’agrandira plus, laissant certains
états européens sur le seuil de la
porte, Ukraine en tête. Andrei
Fediachine le
rappelait il y a quelques jours: "En
cette période de crise, peu de
puissances européennes veulent penser à
une éventuelle adhésion à l’UE d’un
autre pays pauvre de la périphérie
orientale (…l’Ukraine…) Qui plus est
l’extension à un pays de près de 46
millions d’habitants qui connaît
constamment une crise politique et
économique".
Quand à la Russie, membre à part de
la famille européenne, il serait bien
naïf de penser que sa reconstruction ne
se fasse pas via une consolidation
maximale des relations avec les états de
son étranger proche, c'est-à-dire dans
l’espace post soviétique, et dans une
logique eurasiatique.
Alors que l’Europe de l’ouest sert
actuellement de tête de pont à
l’Amérique, qui lui impose un réel
bouclier de Damoclès avec le
bouclier anti-missile, il est grand
temps d’envisager une collaboration
entre l’Europe et l’espace post
soviétique et de s’intéresser à ce qui
se passe à l’est, autour de cette
nouvelle union douanière animée par la
Russie. La semaine dernière a d’ailleurs
été riche en événements de très grande
importance. La récente condamnation de
l’égérie de la révolution orange à sept
ans de prison a sans doute contribué à
éloigner un peu plus l’Ukraine de
l’union européenne et la rapprocher un
peu plus de l’union douanière animée par
la Russie. Pendant que le président
russe
se trouvait la semaine dernière en
Ukraine, l’union européenne
annulait une rencontre avec le
président ukrainien alors même que les
discussions concernant la création d’une
zone de libre échange avec l’Ukraine
étaient en cours. Au même moment les 11
états de la CEI (l’Arménie,
l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, le
Kazakhstan, le Kirghizstan, la Moldavie,
l'Ouzbékistan, la Russie, le
Tadjikistan, le Turkménistan et donc
l'Ukraine) ont signé un accord sur la
création d’une
zone de libre échange. Le même jour
le Premier ministre Mykola Azarov a
affirmé que l’Ukraine réfléchissait
désormais a une adhésion à l'Union
douanière Russie-Bélarus-Kazakhstan, ne
jugeant pas
contradictoire la potentielle
appartenance a ces deux zones de libre
échange.
Plus à l’est, c’est de Moscou qu’est
venu la plus forte onde de choc puisque
le premier ministre Vladimir Poutine a
annoncé la plausible constitution d’une
union eurasienne a l’horizon 2015.
Le premier ministre a du reste rappelé
que la coopération dans le cadre de la
Communauté économique eurasiatique
(CEEA) était
la priorité absolue pour la Russie.
Ce projet d’union eurasienne s’appuie
sur l’Union douanière en vigueur avec la
Biélorussie et le Kazakhstan, et a
laquelle peuvent adhérer tous les Etats
membres de la Communauté économique
euro-asiatique. Le
Kirghizstan (union douanière) et
l’Arménie (union eurasienne) ont du
reste déjà affirmé leur soutien à ces
projets d’intégration eurasiatique.
L’organisation en cours, au centre du
continent eurasiatique n’est pas
qu’économique ou politique, mais
également militaire, avec la création en
2001 d’une structure de collaboration
militaire eurasiatique: l’organisation
de la coopération de Shanghai. Cette
organisation comprend 6 membres
permanents que sont la Russie, la Chine,
le Kazakhstan, le Kirghizistan, le
Tadjikistan et l'Ouzbékistan. L’Inde,
l’Iran, la Mongolie et le Pakistan sont
des membres observateurs, tandis que le
Sri Lanka et la Biélorussie ont le
statut de partenaires. L’OCS rassemble
donc aujourd’hui 2,7 milliards
d’habitants.
Cette année, c’est l’Afghanistan qui
a
demandé le statut d’observateur
tandis que la Turquie (seconde puissance
militaire de l’OTAN) à demandé elle à
adhérer complètement a
l’organisation. Des états arabes comme
la Syrie ont l’année dernière également
manifesté leur intérêt envers la
structure. On peut aujourd’hui
légitimement se demander quand est ce
que des états européens choisiront
d’adhérer à l’OCS, pour compléter cette
intégration continentale.
Cette évolution globale traduit le
glissement inéluctable vers un monde
multipolaire qui ne sera plus sous
domination occidentale. Pour les
européens de l’ouest, il est temps de
regarder vers l’est et leur continent.
Le nouveau pôle eurasiatique, qui
s’organise autour de la Russie, est
probablement le plus prometteur.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur RIA Novosti
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