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Opinion
Far-Est ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 23 février 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Lorsque j’ai décidé d’émigrer en Russie, les nombreux
français de ma génération tentés par l’expatriation pensaient en
général à des destinations plus classiques, comme le Canada
francophone, l’Angleterre et l’Irlande, alors en plein boom
économique, ou encore l’Australie et surtout les USA, parce
qu’on pense toujours qu’en Amérique, tout est possible. Bien
sur, la situation n’est pas encore catastrophique en France mais
nous sommes nombreux à pressentir qu’il n’y aura pas
d’améliorations dans les années à venir. Je fais partie d’une
génération de Français dont un très grand nombre c’est vrai est
parti s’installer à l’étranger. Je ne parle la pas des retraités
qui pensent avant tout à leur confort de vie et à partir dans
des régions ensoleillées et bon marché, chaudes et peu chères,
comme le Maroc par exemple, mais des jeunes diplômés, dont
l’émigration est à finalité économique, professionnelle.
La crise financière de 2008 a cependant modifié les choses en
profondeur. L’Angleterre et l’Irlande ont perdu leur
attractivité, les USA sont en pleine crise économique et
sociale, et les Français sont de plus en plus nombreux à
s’aventurer dans des régions moins habituelles, mais présentant
de réelles opportunités économiques, que ce soit par exemple le
Brésil, la Chine ou encore la Russie. C’est un signe de
confiance dans l’avenir du pays et les sociétés françaises du
CAC 40 s’installent les unes après l’autre en Russie.
Pourtant, même si la présence française en Russie augmente, elle
reste encore relativement faible par rapport à d’autres pays
Européens comme l’Allemagne. Que l’on en juge par le nombre de
sociétés présentes, en Russie:
environ 600 pour la France et 6.000 pour l’Allemagne. Il y a
une logique à ce fort attrait économique qui se traduit dans les
chiffres d’immigration et qui démontre bien l’influence
croissante de la Russie, par ailleurs seul pays européen du
groupe BRIC, dans la région Eurasie. La Russie est en effet le
second pays au monde accueillant le plus grand nombre
d’étrangers juste après les Etats-Unis. En 2010, il était estimé
que la Russie comptait 12 millions d’étrangers sur une
population de 142 millions d’habitants. Bien sur les
gaustarbeiters d’Asie centrale (main d’œuvre à faible coût)
représentent le gros de ces migrants, mais selon l’AEB
(l’Association of European Business) près de
500.000 ressortissants de l’Union Européenne vivent ou
travaillent en Russie, tout du moins occasionnellement.
Désormais les nouveaux arrivants d’Europe de l’ouest sont de
moins en moins nombreux à arriver mutés au sein d’une société,
mais plus nombreux à venir en Russie individuellement pour une
courte période, que ce soit un stage ou un échange étudiant.
Certains choisissent de rester pour chercher du travail,
voire commencer une nouvelle vie. D’un point de vue
professionnel, la forte croissance et le dynamisme du marché
intérieur de la Russie sont une mine d’or pour les entreprises
étrangères et cette bonne santé économique permet de trouver des
débouchés en tant que salarié bien plus facilement que dans
nombre de pays d’Europe de l’ouest. Pour autant la Russie n’est
pas encore la destination qui fait rêver et elle n’est vraiment
pas non plus le pays le plus simple dans lequel émigrer, même
pour les jeunes spécialistes. Les difficultés de la langue
russe, la dureté du climat (si l’on pense à la Russie Européenne
et donc aux pôles économiques que sont Moscou et aussi
Saint-Pétersbourg) ou surtout les nombreuses difficultés
administratives (visas, démarches diverses..) n’ont il est vrai
rien pour faciliter la tâche. En outre, la grande méconnaissance
qu’ont encore la majorité des Français par exemple de ce pays et
le tableau noir qu’en font nos médias coupent toute envie d’y
aller pour travailler, ne parlons pas de s’y installer.
Malgré tout à Moscou, j’ai rencontré de nombreux français qui
ont eux aussi choisi la Russie, certains depuis peu, et d’autres
depuis 10 ans voire plus. Dans des discussions sur la vie en
Russie, sur la dureté du climat, ou sur les difficultés de la
langue russe, j’ai été étonné d’entendre souvent la même phrase:
"Je ne souhaite pas repartir". C’est vrai que mes premières
impressions, à titre personnel, ont aussi été assez rapidement
plutôt positives. En Russie, il n’y a pas ces grèves à
répétition qui empêchent de vivre normalement et de se déplacer.
Dans les villes, les magasins, les bars, les restaurants sont
souvent ouverts 24/24, ce qui confère une sensation de liberté
importante. Le pays est réellement multiculturel et
multiconfessionnel mais contrairement aux sociétés occidentales,
les tensions ethniques, religieuses et sociales se ressentent
très faiblement, et n’empoisonnent pas la vie de tous les jours,
comme par exemple en France. On peut ressentir à Moscou
l’énergie qui se dégage de la ville et la vitalité des gens,
dans les rues, dans le métro, dans les magasins. Il y a dans
cette ville quelque chose de vibrant, de positif et d’attachant.
La sensation d’être dans un pays ou l’impression de déclin
(omniprésente en France) ne se fait pas sentir, est fort
plaisante, il faut bien l’avouer. Je pense que c’est une des
clefs pour comprendre l’attrait que la Russie procure sur les
étrangers. En Russie, cette sensation de "c’est possible"
existe encore, alors qu’elle semble avoir disparu dans bien
d’autres pays. La Russie, Far-Est du 21ème siècle, saura-t-elle
être l’eldorado des Européens, comme les Etats-Unis l’ont été au
cours du siècle précédent? Il est difficile de prévoir
l’avenir, néanmoins il y a deux décennies, si les Européens
migraient d’est en ouest, aujourd’hui il n’est pas impossible
que nous assistions au début d’un mouvement inverse, d’ouest
vers l’est, vers les immenses espaces par delà l’Oural.
Ce mouvement devrait selon moi sensiblement s’accélérer dans la
prochaine décennie, au vu des prévisions économiques solides en
Eurasie (Russie, Biélorussie et Kazakhstan, les 3 pays de la
nouvelle union douanière) et relativement faibles en Europe de
l’ouest. Déjà la Russie se classe
devant la France et juste derrière l’Allemagne selon le FMI,
dans le classement des pays selon leur PIB à parité de pouvoir
d’achat. Pour ma part, en tant que Français d’Eurasie, c’est
décidé depuis longtemps, je reste vivre en Russie!
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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