Opinion
Bataille pour la
survie de l'Europe
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 19 octobre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
"Ce siècle doit être un siècle
américain. Dans un siècle américain,
l’Amérique a la plus forte économie et
la plus forte armée du monde. Dieu n’a
pas créé ce pays pour être une nation de
suiveurs. L’Amérique n’est pas destinée
à être sur un pied d’égalité avec
plusieurs puissances mondiales
d’importance comparable. L’Amérique doit
guider le monde, ou quelqu’un d’autre le
fera."
Ces propos agressifs et militaristes
n’ont pas été tenus par un pasteur
évangéliste extrémiste, ni par un élu
d’un parti d’extrême droite marginal sur
la scène politique américaine, mais
par Mitt Romney, l’un des principaux
candidats à l’investiture républicaine
pour l’élection présidentielle
américaine de 2012. Dans le même
discours, Mitt Romney a parlé de la
Chine, qui veut devenir une
"superpuissance" et de la Russie,
"dirigée par un homme qui croit que
l'Union soviétique était le bien et non
le mal". Mitt Romney n’en reste pas là,
il souhaite aussi "intensifier les
relations des États-Unis avec leurs
alliés, dont Israël et la
Grande-Bretagne, renforcer l’opposition
américaine à l’arme nucléaire iranienne,
renouer avec la défense antimissile,
accélérer la construction de navires de
guerre, pour passer de 9 bâtiments
par an à 15, et intensifier les efforts
diplomatiques au Moyen-Orient".
Tout un programme pour ne rien
changer! Si des propos équivalents
avaient été tenus par Vladimir Poutine
ou par le président Chinois Hu-Jintao,
peut on imaginer quelle aurait été
l’hystérie du Main-Stream médiatique
occidental? Se rappelle-t-on par exemple
de l’hystérie qui a suivi et poursuit
encore Vladimir Poutine pour une phrase
mal interprétée (volontairement?) sur
les conséquences tragiques pour des
millions de russes de la chute de
l’Union Soviétique?
Il est intéressant de comparer par
ailleurs ces principes inchangés de la
droite américaine avec d’autres courants
d’idées à propos du patriotisme, en
Russie et au sein de l’Union Européenne.
La Russie au contraire de l’Amérique ne
verse pas dans la désignation d’ennemis
planétaires, mais comme dans tous les
pays a forte croissance du monde
d’aujourd’hui (comme la Chine, l’Inde,
le Brésil ou l’Afrique du sud...)
l’identité nationale et le patriotisme
n’y sont ni bannis, ni même mal vus. En
Russie le patriotisme est le socle
fondamental du maintien de l’unité du
pays et désormais presque tous les
partis politiques de Russie jouent la
carte patriotique pour rester en accord
avec la pensée populaire dominante. J’ai
souvent souligné le fait que
Russie Unie était un parti politique
centriste et conservateur, qui insiste
sur l’identité multiple du peuple russe
et sur l’unité des Russies dans une
fédération solide.
Récemment, le nationaliste Dimitri
Rogozine (ambassadeur de Russie auprès
de l’Otan) a également
pris position pour Vladimir Poutine.
De même, le parti libéral-démocratique
et nationaliste de Vladimir Jirinovski
est depuis une quinzaine d’années un
acteur majeur de la scène politique
russe. Enfin, plus récemment
encore, c’est le puissant parti
communiste de Russie qui a pris des
positions nationalistes assez
inattendues, en publiant un
programme axé sur la renaissance de
la Russie, de l’âme russe et des
traditions russes. Cette effervescence
patriotique traduit bien une tendance
lourde en Russie: "le patriotisme est
l’idéologie de base actuellement en
Russie", comme le rapportait
l’ambassadeur de France Jean de
Gliniasty lors d’une
audition au sénat français en
octobre dernier.
L’Union Européenne est sur ce sujet
aux antipodes de l’Amérique républicaine
ou de la Russie de Russie-Unie. En son
sein, il y a beaucoup d’hésitations sur
ces sujets. L’Union Européenne fait
figure de grand corps mou, sans réel
organe politique souverain, et qui
dénonce de façon un peu obsessionnelle
tous les partis jugés populistes,
c'est-à-dire qui auraient des
prétentions politiques, comprenez une
volonté de préservation des identités
nationales, ou des idées de souveraineté
et d’indépendance vis-à-vis de la
tutelle américaine et de la logique
militaire de l’Otan. Ainsi, dans l’Union
Européenne de 2012, le patriotisme et la
religion (refus d’inscription dans la
constitution européenne de l’héritage
chrétien comme fondement historique et
culturel de l’Europe) sont vus avec
méfiance, et l’union reste avant tout
économique et commerciale. L’idée d’un
patriotisme européen à inventer est
fortement contrariée par l’idéologie
dominante, mondialiste, qui interdit
pour l’instant toute réelle souveraineté
politique européenne et par la même
probablement toute capacité à répondre
énergiquement à la crise actuelle.
Les situations de ces trois blocs
liés par des intérêts économiques
croisés sont donc très différentes. Les
Etats-Unis sont encore et toujours
l’hyper-puissance dominante, mais une
hyper-puissance qui se trouve, selon
Erik Kraus, "au bord du chaos et
dans une situation similaire à l’empire
romain au 4ème siècle, ou à l’URSS de
1989". La Russie vit elle son printemps
post soviétique. Elle se
reconstruit, elle est déjà un acteur
actif du monde actuel et elle essaie de
contribuer activement à la construction
d’un monde multipolaire car il est
désormais fort probable que le monde
unipolaire et américano-centré qui a
émergé après la chute de l’URSS va céder
la place à une structure multipolaire.
De son côté, l’Union Européenne
s’interroge sur son endettement et se
cherche un avenir.
Or la question de la transition et
surtout de l’architecture du monde après
la chute de l’hyper-puissance est
désormais posée et est cruciale pour les
vieilles nations européennes de l’ouest,
empêtrées dans une situation sociale et
économique plus qu’instable. Empêcher le
démembrement de la monnaie européenne,
revenir à des politiques budgétaires
raisonnables, créer une direction
politique, donner à l’Union Européenne
une souveraineté dans le monde qui se
dessine, c’est la tache des dirigeants
européens et de plus en plus de citoyens
doutent foncièrement que ceux-ci
puissent y parvenir.
En parallèle, une autre Europe semble
émerger plus à l’est, en Eurasie, avec
l’union économique et politique de la
Russie, du Kazakhstan et de la
Biélorussie. Ce bloc euro-eurasien (que
devrait sans doute à court terme
rejoindre une Ukraine dont on ne peut
que douter qu’elle n’intègre une
Union-Européenne exsangue) pourrait
constituer un nouveau pôle de puissance.
Pour une Europe occidentale dynamique,
ce pourrait être dans l’idéal un
partenaire vital tant sur le plan
politique qu’économique et un tremplin
vers l’Asie. Mais il faudrait sans doute
pour cela que les dirigeants de l’Union
Européenne prennent rapidement les
mesures nécessaires pour éviter le
naufrage, comme les élites russes surent
le faire à un moment ou le pays était
proche d’une faillite économique totale,
il y a de cela seulement 14 ans.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur RIA Novosti
Le sommaire d'Alexandre Latsa
Les dernières mises à jour
|