Opinion
Un axe
russo-chinois contre le terrorisme ?
Alexandre Latsa
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Alexandre Latsa
Mercredi 14 août 2013
Source:
RIA Novosti
Début juillet, les forces navales russes
et chinoises ont mené un exercice commun
relativement important ("Coopération
maritime 2013") dans les eaux de la baie
de Pierre le Grand, en mer du Japon.
Pékin y a envoyé quatre destroyers, cinq
frégates et un navire de ravitaillement,
tandis que la Russie a elle mobilisé
onze navires de surface et un
sous-marin. Il s’agissait de la plus
importante manœuvre militaire navale
chinoise de son histoire en coopération
avec une puissance étrangère.
En juin, les plus importantes
manœuvres militaires russes depuis la
chute de l’URSS ont eu lieu en extrême
orient russe. Ces manœuvres, qui ont
mobilisé 160.000 hommes, 1.500 blindés,
plus de 130 avions et hélicoptères ainsi
que 70 navires de guerre et sous-marins
de la Flotte du Pacifique, simulaient
une opération défensive de grande
ampleur avec un déplacement vers
l'Extrême-Orient de forces
complémentaires depuis les parties
centrales et occidentales de Russie.
Actuellement et jusqu’au 15 août, la
Russie et la Chine mènent au cœur de
l’Oural méridional et dans le double
cadre de la coopération bilatérale et de
l’Organisation de Coopération de
Shanghai, des exercices
antiterroristes destinés à améliorer
la coordination militaire entres les
armées chinoises et russes. Ces
exercices du nom de "Mission de paix
2013" avaient pour objectif de
mettre au point des tactiques
opérationnelles visant à éradiquer une
menace terroriste éventuelle.
Le terrorisme sous ses différentes
formes est en effet à ce jour
l’inquiétude principale des deux géants
d’Eurasie. Le départ d’Afghanistan des
troupes de l’Otan en 2014 fait craindre
à Moscou une éventuelle détérioration de
la stabilité régionale qui pourrait
amener à une recrudescence du
terrorisme dans les pays voisins et
donc au sein de certains territoires
russes. De toute évidence, cette
inquiétude est aussi ressentie à Pékin.
Cela explique en partie la volonté
ferme de Moscou de renforcer sa présence
en Asie centrale et son soutien
croissant aux gouvernements
centrasiatiques. Il y a eu les
négociations avec le Tadjikistan,
qui héberge une
base russe ou encore le renforcement
de la base russe du Kirghizstan,
accompagnée de la livraison d’armes et
de matériel militaire à ce pays.
Moscou a en effet clairement défini
la zone russophone d’Asie centrale comme
une priorité géostratégique
indirectement imbriquée dans la
constitution de l’Union Eurasiatique et
prend donc très au sérieux la nécessité
de maintenir la sécurité régionale au
sud de sa plus grande frontière. De son
côté, Pékin concentre son attention sur
l'Ouest de la Chine, région frontalière
avec l’Asie centrale, et plus
particulièrement sur la région chinoise
du Xinyang.
Dans cette région, en
avril dernier, des affrontements
armés avaient déjà fait 21 morts dans la
localité de Serikbuya, près de Kashgar.
Selon Pékin, des terroristes ont tué 15
policiers et agents municipaux avant que
la police ne contre attaque, tuant six
terroristes, tous Ouïghours. Le mois
dernier de violents incidents ont de
nouveau éclaté dans la même région. Des
émeutiers ont attaqué des postes de
police et des bâtiments officiels à
Lukqiu, près des oasis de Turfan (à 250
kilomètres d'Urumqi), tuant et égorgeant
24 personnes, pendant que onze des
assaillants auraient été abattus par la
police. Les incidents
intercommunautaires se multiplient alors
que la région va commémorer
l’anniversaire des émeutes de 2009 qui
avaient vu de très violents
affrontements entre séparatistes
ouighours et population chinoise vivant
dans la région.
Mais Chine et Russie se retrouvent
également sur un autre dossier, sans
doute encore plus important: la Syrie.
Ce n'est plus un mystère, plusieurs
centaines (plusieurs milliers selon
certaines sources) de combattants issus
du Caucase, d’Asie centrale et même de
Chine combattent aujourd’hui en
Syrie, au sein de la nébuleuse radicale
et terroriste opposée au gouvernement de
Bashar Al Assad. Si Moscou s’inquiète
des possibles conséquences du retour de
ces terroristes en Eurasie, cette
inquiétude est bien évidemment partagée
par Pékin qui voit dans le retour
possible de ces combattants au Xinyang
un risque important de déstabilisation.
Les choses vont très vite, cette
nouvelle alliance russo-chinoise semble
se consolider rapidement, pendant que le
reflux de l’influence américaine en Asie
centrale se confirme tout aussi
rapidement. Si le retrait américain
d’Afghanistan s’accompagne de la
fermeture de la base américaine de Manas
au Kirghizstan, la présence Taliban est
importante dans la région instable du
Haut-Badakhchan, frontalière avec la
Chine de l’ouest. On peut donc se
demander si l’assaut salafiste sur la
Chine ne devrait pas commencer dans les
prochains mois comme le pense par
exemple
Iouri Tavrovskii, professeur à
l’université de l’amitié des peuples à
Moscou.
De façon assez surprenante, le
premier juillet dernier, le journal
chinois "Le quotidien du peuple" a
ouvertement
accusé les Etats-Unis de soutenir
indirectement le terrorisme en Chine en
accusant notamment les américains
d’avoir "une approche biaisée du
problème du Xinjiang et de la lutte
contre le terrorisme en trouvant des
excuses aux émeutiers et donc en
confinant à l’incitation et à la
complicité" et notamment les "médias
américains qui présentent la situation
uniquement comme une question ethnique
ou religieuse, d’avoir une
responsabilité dans les violences au
Xinjiang".
Une rhétorique étonnamment
similaire à celle que l’on avait
l’habitude d’entendre concernant le
Caucase russe, le Main Stream médiatique
occidental n’ayant finalement que
très récemment cessé de présenter les
combattants islamistes du Caucase, dont
une grande partie combat aujourd’hui en
Syrie, comme des combattants de la
liberté.
Le Xinjiang pourrait il devenir
demain le Caucase chinois?
L’opinion exprimée dans cet
article ne coïncide pas forcément avec
la position de la rédaction, l'auteur
étant extérieur à RIA Novosti.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
© 2013
RIA Novosti
Publié
le 14 août 2013
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