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Opinion
Le rôle de la Russie
dans la journée de la femme
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 9 mars 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
J’ai déjà évoqué lors d’une
précédente tribune l’émancipation des femmes en Russie,
l’importance de leur rôle actuel dans tous les domaines de la
société et même dans l’armée. Arriver à l’égalité de
droits civiques entre hommes et femmes, ne pas tomber dans
l’opposition entre revendications féministes et féminité,
obtenir un statut solide pour les mères de famille pose encore
beaucoup de problèmes dans de nombreux pays.
Dans ces domaines, la société russe a pris de l’avance depuis
presque un siècle. Aujourd’hui dans de nombreux pays, les droits
civiques des femmes sont encore presque inexistants, et dans
d’autres pays un peu moins archaïques, les mouvements féministes
qui luttent pour l’égalité des droits entre femmes et hommes
rencontrent encore de grandes difficultés. Hier mardi 8 mars
c’était la journée de la femme en Russie comme dans de nombreux
autres pays du monde. C’est l’occasion de revenir aux sources.
Pour la sociologue française Françoise Picq, le mouvement
d’émancipation des femmes en Europe trouve son origine dans la
lutte des classes, et dans une volonté de contrecarrer
l’influence du féminisme petit bourgeois sur les femmes du
peuple. Pour cette raison sans doute, le concept d’une journée
de la femme est né en 1910 à Copenhague, lors de la deuxième
conférence de l'Internationale socialiste des femmes. L’idée
d'une telle journée est adoptée, sur une proposition de Clara
Zetkin, représentante du Parti socialiste Allemand.
Cette idée s’inscrivait alors dans une perspective
socialiste, internationaliste et révolutionnaire. En Russie, dès
1913, les femmes russes ont commencé à célébrer leur première
Journée internationale de l’ouvrière et ce en organisant par
exemple des rassemblements clandestins. C’est seulement quatre
ans plus tard, le 8 mars 1917 (selon le calendrier Julien qui
n’était pas encore en vigueur) que commence en Russie la
contestation sociale à laquelle les femmes participeront
activement. A Saint-Pétersbourg (Petrograd à l’époque) elles
manifesteront aux cris de: “du pain, de la chaleur“, traduisant
leur souhait de voir leurs maris revenir du front mais aussi
leur contestation face à la misère et à la hausse du prix du
pain. Ces émeutes de la faim sont une étape importante de la
révolution bolchevique et contribueront à l’écroulement du
régime impérial russe, en moins d’une semaine.
Dès 1919, le statut de la femme soviétique sera matérialisé dans
un “Code de la famille“ qui prône l’émancipation des
femmes par le “travail et la maternité“ et qui garantit un grand
nombre de droits nouveaux, notamment pour les femmes, comme
l’accès aux soins et au marché du travail, ainsi que des aides à
l’éducation et à la garde des enfants. Plus tard, en 1921,
Lénine déclare que le 8 mars sera la "Journée internationale des
femmes". Lénine rappelle à cette occasion que l’égalité
homme/femme est une condition nécessaire à l’avènement d’une
société nouvelle. En Russie, l’avortement avait été légalisé en
1917, et les femmes ont eu le droit de vote en 1918. A
titre de comparaison, les femmes françaises n’obtiendront le
droit de vote qu’en 1944, le droit à l’avortement en 1975
et ce n’est qu’en 1982 que la journée de la femme sera
officiellement décrétée dans l’hexagone.
A l'époque de l'URSS, les femmes seront régulièrement
mentionnées et mises en valeur par la propagande d’état. Elles
seront d’ailleurs appelées à lutter contre le fascisme durant le
second conflit mondial, confirmant leur rôle de citoyennes à
l’égal des hommes, puisqu’elles sont aptes à défendre le pays en
prenant les armes. Durant ce conflit meurtrier près de 800.000
femmes ont fait partie des troupes combattantes (médecins,
infirmières, pilotes d’avion de bombardement ou snipers au
front) et beaucoup d’entre elles ont été faites héroïnes de
l’Union Soviétique. Pendant cette période, la phraséologie de
l’idéologie communiste mythifie le rôle de la femme. Elle est
associée à toutes les facettes de la société en marche.
Elle est mise en valeur par des textes, des images, par des
films ou des monuments qui la montrent tour à tour ouvrière,
paysanne, mère ou héroïne.
A la fin de l’URSS, en 1991, l’Institut allemand de la jeunesse
coordonne une enquête sociologique sur la condition de la femme
notamment en Russie. Il en ressort que en 1991, les femmes
"représentaient 53 % de la population active et prédominaient
parmi les spécialistes ayant une instruction secondaire ou
supérieure". Egalement, il ressort de cette étude qu’une
"majorité écrasante de femmes russes s'est orientée vers une
combinaison de leurs rôles familial et professionnel, mais que
seule une infime minorité d'entre elles a pensé à une véritable
carrière professionnelle". Ce cumul des rôles est l’une des
manifestations de la place qu’à la femme comme pilier de la
société en Russie. L’effondrement de l’URSS et l’anarchie qui
s’installera entraineront un renouveau provisoire du féminisme
politique et revendicatif en Russie. Aux élections législatives
de 1993, un mouvement politique des femmes de Russie obtiendra
même 8% des voix, mais le phénomène ne durera pas car
l’émancipation des femmes est il est vrai déjà totale et dès la
fin du chaos libéral des années 90, l’état est revenu à sa
conception de la femme en tant que mère, pilier de la famille et
de la société. C’est tout le sens des mesures prises par le
pouvoir russe dans les années 2000, pour relancer une natalité
en chute libre.
La journée de la femme en Russie, le 8 mars n’a donc rien d’une
journée de revendications, c’est au contraire une fête.
L’atmosphère de la journée est toute en fleurs et charme, les
hommes offrant des bouquets et des cadeaux aux représentantes de
la gent féminine. Illustration de l’ambiance: les femmes qui
travaillent au ministère de la défense (elles sont près de
40.000) ont cette année organisé un
concours de beauté à l’occasion de cette journée, histoire
de rappeler qu’elles sont avant tout des femmes. Car comme l’a
dit le premier ministre russe
l’année dernière à l’occasion de la journée de la femme:
“nous estimerons toujours dans la femme ce qui fait qu'elle est
unique: sa douceur, son élégance et son charme“.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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