Opinion
Guerre de
l'information:
vers la bataille des blogueurs ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 7 août 2013
Source:
RIA Novosti Récemment une
nouvelle a fait du bruit dans la presse
française: le Kremlin aurait décidé
d'engager des blogueurs en Russie pour
contrer l'opposition sur les réseaux
sociaux et aussi afin de contrôler et
canaliser certaines discussions sur
Internet. Pour beaucoup de lecteurs une
telle nouvelle devrait vraisemblablement
signifier le contrôle accru du pouvoir
russe sur Internet (le Runet) mais aussi
une façon d’étouffer l’opposition dans
le seul terrain médiatique qui lui
reste: Internet.
Pourtant cette nouvelle n’en est pas
vraiment une.
On sait depuis plusieurs années que
les réseaux sociaux jouent un rôle
essentiel dans la mobilisation mais
aussi la manipulation des masses et même
le déclenchement et l’exécution de
révolutions pacifiques, surtout dans les
pays ou la population est connectée. On
a parlé de
révolution Twitter en Moldavie en
2009 tant l’instantanéité des
publications et des appels à
manifestations étaient remarquables.
Plus tard, il sera prouvé que moins
d’une centaine d’activistes Twitter
étaient derrière cette révolution
Moldave, activistes qui se sont
mystérieusement retirés de Twitter après
les évènements.
Même scénario lors des révolutions
dans les pays arabes (comme on peut le
voir
ici ou
la) ou encore par exemple en
Iran. Twitter et Facebook jouent le
rôle de nouveaux médias dans lesquels
toute information peut, si elle est
correctement distribuée, créer le Buzz
et faire le tour de la planète internet,
même sans avoir été vérifiée. Si les
réseaux sociaux sont en train de
remplacer la télévision pour la
communication et l’information, les
bloggeurs, eux, sont devenus les
présentateurs de ces nouveaux médias,
remplaçant au passage les journalistes
des agences de presse privées ou
étatiques.
La volonté des autorités russes
d’encadrer les discussions sur Internet
est due au fait que la Russie a
récemment fait l’expérience de ces
fausses informations, informations qui
ont porté atteinte à l’équilibre du
pays, notamment sur des sujets sensibles
en Russie comme la corruption mais aussi
et surtout le nationalisme. On se
souvient des faux messages mais vraies
provocations qui ont
abreuvé internet durant fin 2010
pour appeler à l’affrontement
intercommunautaire à Moscou, ou encore
plus récemment des provocations
organisées toujours sur Internet visant
à aggraver la perception de la situation
à Pougatchev (messages faisant croire
que l’armée était intervenue dans la
ville) suite au
meurtre d’un résident de la ville.
Ces provocations ont été volontairement
organisées par des activistes
travaillant pour des ONGs étrangères qui
ont ainsi mené en quelque sorte une
cyber-guerre locale et reprises par
certains blogueurs professionnels comme
Alexey Navalny ou des opposants
politiques comme le député Gudkov.
Fin 2008 un
sommet a eu lieu à New-York, animé
notamment par le très influent
Jared Cohen, cadre de Google et
conseiller du département d’état
américain. Le sommet a donné naissance à
une
organisation dédiée à l’aide aux
jeunes activistes d’Amérique latine,
d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie
dans leur usage des médias sociaux. Le
sommet a abouti à la création
d’une plate-forme en ligne dédiée au
cyber-activisme et à la
cyber-dissidence. Le site comprend même
en page d’accueil un
tutoriel vidéo anti-censure.
Début 2010, l’Otan a réalisé un
exercice de manœuvres virtuelles sous
l’égide du
CCDCOE, basé à Tallinn (Estonie).
Cette organisation regroupe déjà
l’Allemagne, l’Italie, la Slovaquie,
l’Espagne, les Etats-Unis et les trois
pays Baltes. La localisation de ce
centre de cyber-guerres dans la capitale
ou ont eu lieu les émeutes de 2009
(opposants russes contre estoniens)
avait beaucoup
préoccupé Moscou. On se souvient que
ces incidents de 2009 en Estonie
avaient été accompagnés d'une solide
guerre de l'information.
Le mois dernier, le vice ministre
russe Dimitri Rogozine a donné une
conférence
expliquant que les réseaux sociaux
étaient devenus l’un des éléments clefs
de la
Cyber guerre en cours et que le
département d’état américain s'en
servait pour analyser les tendances et
ficher les individus par leurs "Like"
sur Facebook notamment mais aussi par
leurs
comportements sur les réseaux
sociaux.
L’utilisation des blogueurs pour
orienter les débats, promouvoir des
idées ou diffuser de l’information n’est
donc pas une technique nouvelle, C'est
une technique qui est déjà utilisée par
beaucoup de pays dans la guerre de
l’information au sein de ces réseaux
sociaux.
En Israël par exemple, peu après la
fin de l’opération Plomb durci (raids de
l'armée israélienne sur Gaza en décembre
2008) l'état a créé une armada
d’internautes, payés pour donner une
meilleure image de leur pays et répondre
sans relâche aux opinions hostiles à
Israël, via des réactions et
commentaires postés sur les sites
internet, les forums, les blogs, et
autres réseaux sociaux comme Twitter et
Facebook.
L’agitation internet qui a frappé
l’Arabie saoudite lors du printemps
arabe a été efficacement contenue
puisque le royaume a mis en place sa
propre armée de blogueurs professionnels
pour organiser une contre-agitation et
une contre propagande massive.
Plus récemment c’est l’Union
Européenne qui a créé de véritables
patrouilles de blogueurs afin de
traquer méthodiquement des conversations
avant les élections européennes de juin
2014 et pour lutter contre
l’Euroscepticisme croissant au sein des
28 états de l’Union.
Le pouvoir russe, qui vient de rendre
public sa
stratégie pour lutter contre la
cyber-anarchie affirme lui sa volonté de
lutter contre l’utilisation du web en
tant qu’"arme informationnelle
employée pour des raisons
politico-militaires, terroristes ou
criminelles" ainsi que pour des
tentatives "d’ingérences dans les
affaires intérieures des autres États".
La Russie ne fait donc que rentrer
dans ce processus essentiel pour mener
la bataille de l’information à laquelle
aujourd’hui, au cœur d’une cyber-guerre
désormais globalisée, aucun pays ne peut
échapper.
L’opinion exprimée dans cet
article ne coïncide pas forcément avec
la position de la rédaction, l'auteur
étant extérieur à RIA Novosti.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
© 2013
RIA Novosti
Publié
le 7 août 2013
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