Tribune
Quelques
réflexions sur
l'élection municipale anticipée de
Moscou
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 4 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Le 8 septembre aura lieu l’élection
municipale à Moscou. Il s’agit d’une
élection de première importance pour la
Russie tant sur le plan intérieur que
pour l'image de la Russie à l’étranger.
Moscou, capitale politique et
économique du pays, est entrée dans la
difficile période de transition qui a
suivi la période soviétique en étant
gouvernée de 1992 à 2010 par le célèbre
Iouri Loujkov, figure politique de la
période Eltsinienne. Nommé par Boris
Eltsine en 1992 suite à la démission du
maire de l’époque dont il était
l’adjoint, Iouri Loujkov sera élu en
1996 (95 % des suffrages) et réélu en
1999 (69,9 % des suffrages). A cette
époque, beaucoup pensent que Iouri
Loujkov, très proche du premier ministre
de l’époque Evgueny Primakov, pourrait
remplacer le président Eltsine, ce qui
n’arrivera finalement pas. En 2003, il
est encore réélu à la tête de Moscou
avec 75 % des suffrages et il s’éloigne
totalement de la vie politique fédérale
pour se concentrer sur son royaume
qu’est devenu la capitale Moscovite.
En 2004, le président russe Vladimir
Poutine avait supprimé les élections aux
postes de gouverneurs de région et les
élections à la mairie de Moscou et de
Saint-Pétersbourg pour accentuer le
contrôle de l’état, et donc la sécurité
nationale. Pendant cette période le pays
était visé par de nombreuses attaques
terroristes que l’on pense par exemple
aux deux avions détruits par des
commandos suicides (à Toula et Rostov),
aux attentats dans les stations de métro
de Kashirskoe Shossee et Rijskaya à
Moscou, aux attaques en Ingouchie, au
terrible attentat de Beslan ou encore
aux prises d’otages de Mineralnye Vody
ou à l’assassinat du président
Tchétchène, Kadyrov père.
Iouri Loujkov avait conservé son
poste de maire de Moscou mais suite à
des accusations de corruption le
concernant ainsi que sa célèbre épouse
spécialisée dans le domaine de la
construction, il sera démis de ses
fonctions par le président Medvedev en
2010 avant de fuir la Russie par peur de
devoir rendre des comptes à la justice
russe sur le fonctionnement du système
Loujkov.
Il sera remplacé par Serguey
Sobianine, qui a été gouverneur de
l'oblast de Tioumen de 2000 à 2005, chef
de l'Administration de la Présidence de
la Fédération de Russie de 2005 à 2008,
puis directeur de cabinet de Vladimir
Poutine à la présidence du gouvernement
russe de 2008 à 2010. Le premier geste
du nouveau maire sera de procéder à un
grand nettoyage: 98 % du personnel de la
mairie et 50 % des dirigeants des
organes du pouvoir exécutif seront
remplacés dès 2010.
Après le retour au système des
élections, pour les postes de
gouverneurs et de maires des deux
grandes villes du pays,
ordonné par le président russe en
2012, Serguey Sobianine a
démissionné deux ans avant la fin de
son mandat, dans le but de légitimer sa
position de maire de Moscou par le
suffrage universel.
Ce poste de maire de Moscou est
stratégique car la ville a été le moteur
de la contestation des marais qui est
apparue fin 2011 suite aux élections
législatives. Des dizaines de milliers
de moscovites sont descendus dans les
rues durant l’hiver afin de crier leur
souhait de nouvelles élections
législatives mais aussi la démission du
président Vladimir Poutine. Cette
opposition de rue a été à la fois
observée et appuyée de l’extérieur de la
Russie et beaucoup ont pensé y voir les
signes annonciateurs d’un mouvement de
plus grande ampleur qui aurait pu
entrainer la fin du régime ou signifier
le début de son déclin.
18 mois plus tard, force est de
constater que le mouvement n'a débouché
sur rien. La nébuleuse d'opposition
n’ayant réussi à choisir ni un programme
commun ni un candidat représentatif
parmi les deux visages qui étaient
apparus comme les leaders de ces
mouvements de contestation: Michael
Prokhorov et Alexey Navalny.
Le premier avait en effet obtenu 7,8%
des voix à la présidentielle et un peu
plus de 20% à Moscou, Vladimir Poutine
n’obtenant que 46% des voix dans la
capitale contre 63% au niveau fédéral.
Pourtant Michael Prokhorov ne se
présente pas a l’élection municipale et
ne soutient aucun des candidats, même
pas le candidat de l’opposition de rue
Alexey Navalny, que la presse française
ne cesse de vouloir nous présenter comme
l’opposant principal à Vladimir Poutine.
Dans les sondages, Navalny, n’est
pourtant crédité à ce jour que de 10 à
15% des voix, sur ce réservoir potentiel
de 20 ou 25% de l’opposition de rue,
bien loin derrière Serguey Sobianine,
dont le bilan a été détaillé
ici, et qui est lui crédité de 55 et
61%.
La Campagne d’Alexey Navalny, si elle
est provocatrice, n’en reste pas moins
un modèle d’organisation et témoigne
d’une rupture nette avec les habitudes
locales. Celui-ci va à la rencontre des
électeurs de façon très régulière, et
ses quelques centaines de militants
profitent d’une clémente fin d’été pour
distribuer prospectus et tracts à
la sortie des stations de métro ou même
dans le métro et surtout engager le
dialogue avec le nouveau cœur de cible
du candidat: les retraités et les
habitants des quartiers périphériques.
Cette campagne de terrain à l’Américaine
(Navalny
s’inspire d’Obama) explique
probablement sa remontée dans les
sondages entre le début et cette fin de
campagne.
Un point mérite d’être relevé dans la
rhétorique de campagne du candidat de
l’opposition de rue Alexey Navalny.
Celui-ci s’est clairement
prononcé pour la tenue d’une
Gaypride à Moscou en affirmant que:
"chacun avait le droit de manifester
librement dans la ville et qu’on devait
prendre exemple sur Jérusalem ou la
gaypride était autorisée malgré
l’ultra-conservatisme de la population
de la ville".
Cette proposition surprenante
d’Alexey Navalny devrait lui faire
perdre nombre de soutiens électoraux au
sein de la mouvance nationaliste russe
et ressemble à vrai dire au suicide
politique d’un candidat qui sait que
tout est perdu. Celui ci s’est par
contre assuré le
soutien de
Nikolaï Aleksey, figure du mouvement
LGBT en Russie. Par contre, lorsque l’on
prend en compte l’hystérie qui règne
autour de la Russie et des JO de Sotchi,
dans le cadre des lois contre la
promotion de l’homosexualité qui ont été
votées en Russie, on peut se demander si
le but recherché n’est pas d’envoyer un
signal clair et fort à certains milieux
en se différenciant ainsi clairement du
maire actuel qui lui affirme que:
"Moscou n’a absolument pas besoin de
cela, et je n’en suis pas partisan".
On peut aussi envisager qu’il
s’agisse du début d’une grande campagne
d’agit-prop et de provocations dirigée
contre Moscou jusqu’aux JO de Sotchi au
nom de la pseudo-homophobie de lois qui
ne font finalement qu’interdire la
promotion de l’homosexualité au mineurs
russes et non interdire l’homosexualité.
Il faut rappeler que l’homosexualité en
Russie avait été dépénalisée par la
révolution de 1917, puis interdite par
Staline et enfin de nouveau dépénalisée
en 1993. A titre de comparaison la
dépénalisation en France date de 1982,
en Allemagne de 1994 et aux Etats-Unis
de 2003.
On peut donc imaginer que le
Mainstream médiatique attend ces
élections municipales avec impatience et
il est possible et plausible que les
résultats entrainent de vagues
protestations, notamment des partisans
d’Aleksey Navalny, ainsi qu’une semaine
d’agitation médiatique comme c’est un
peu obsessionnellement le cas en
occident à chaque élection russe. Mais
malgré cela il est quasiment certain que
le résultat de cette élection semble
déjà connu et les moscovites devaient
élire leur maire comme les russes ont
élu leur président: au premier tour.
Les Moscovites sont irrités il est
vrai par des problèmes essentiels que
sont les bouchons, le manque de places
de parking, les difficultés de logement,
l’inflation des prix des produits
alimentaires ou encore et peut être
surtout par l’immigration et la
criminalité ethnique qui est devenue le
thème central des élections.
En outre, contrairement à ce que
laissent à penser les manifestations de
fin 2011, qui ont au maximum vu défiler
50 ou 60.000 personnes sur une
population de 15 millions, les
moscovites sont à l’image de leurs
compatriotes: relativement
conservateurs. On estime en effet que 70
à 80% des habitants de la capitale ne
souhaitaient pas d’élections
anticipées.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
© 2013
RIA Novosti
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