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Opinion
Tunis, Le Caire,
mais pas Moscou
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 2 mars 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Le président Medvedev a déclaré à Vladikavkaz ce 22 février
2011 que: "La situation dans le monde Arabe, qui est secoué par
des révoltes populaires risque d'aboutir à la désintégration de
certains Etats (...) Un scénario analogue a également été conçu
pour la Russie, mais il a échoué".
Beaucoup de lecteurs m'ont demandé à quel scénario le
président faisait allusion, en me renvoyant aux propos de
l’opposant Boris Nemtsov qui, interrogé par la presse française,
affirme tout simplement que
"Poutine finira comme Ben-Ali".
Quelques années après la désintégration de l’union
soviétique, le morcellement de la Russie en trois entités
nationales distinctes a été envisagé par quelques idéologues
américains parmi lesquels
Zbigniew Brzezinski. Dans son livre "le grand échiquier",
publié en 1997, Brzezinski décrit un projet de management
général de la planète par l’hyper puissance américaine.
Conformément aux thèses géopolitiques Anglo-saxonnes des maitres
géopolitiques que sont
Mackinder ou
Spykman, Brzezinski considère c’est dans le Heartland
(partie centrale de l’Eurasie) que se trouve la clé du pouvoir
mondial.
Il imagine donc de faire de l’Asie centrale, autour d’une
"nouvelle route de la soie", un protectorat américain, en
écartant la Russie et en s’appuyant sur la Turquie, pion
essentiel de l’OTAN dans cette région. Il imagine ainsi une
mainmise américaine sur les ressources énergétiques de cette
zone, le remodelage de tous les projets d’oléoducs de la région
Asie centrale Caucase, et parallèlement, un élargissement massif
de l’OTAN en Europe orientale et balkanique, jusqu’au frontières
ouest et sud de la Russie. Dans ce projet, l’union européenne
devient une simple tête de pont américaine en Eurasie, la
puissance et le territoire russes sont réduits au minimum, et la
culture dominante américaine dirige un monde unipolaire.
Je recommande la lecture de ce livre hystérique qui aurait pu
être sous titré : "Docteur Folamour: le retour" ou "Prologue
pour une troisième guerre mondiale". Bien sur les temps ont
changé, mais pas réellement les obsessions de ce stratège
démocrate, puisqu’une version à jour du grand échiquier est
sortie en 2004 intitulée: "le vrai choix".
C’est peut être à ce projet d’asphyxie de la Russie que le
président Medvedev a voulu faire allusion dans sa déclaration de
Vladikavkaz. Une partie des projets envisagés dans l’ouvrage de
Zbigniew Brzezinski s’est concrétisée dans les évènements qui
ont frappé certains pays de la zone postsoviétique, notamment la
Serbie en 2000, la Géorgie en 2003 et l’Ukraine en 2004. A
l'époque, on a parlé de
"révolutions de couleurs" pour décrire ces évènements qui
furent présentés comme des manifestations populaires
démocratiques et spontanées. On sait maintenant que les
révolutions de couleurs ne furent en fait que des coups d’états
démocratiques, spontanés en apparence seulement, organisés de
l’extérieur pour faire tomber des régimes jugés fragiles, via
une armée de révolutionnaires non-violents regroupés au sein de
mouvements de jeunesse financés par une kyrielle d'ONG nées aux
USA.
Néanmoins on peut constater que ces révolutions de couleur
ont toutes eu lieu dans des pays ou le pouvoir contesté n'était
plus en position de force, et ou le gap générationnel/politique
entre pans de la population était marqué, ce qui était le cas en
l'Ukraine (scindée culturellement en deux entre Est et Ouest),
en Serbie (scindée entre pro et anti union européenne) ou encore
en Géorgie ou une partie naïve de l’opinion imaginait qu’une
adhésion a l’OTAN déboucherait rapidement sur une adhésion à
l’union européenne et sur une pluie de subventions. On
sait aussi ce qu'il advint, ces révolutions de couleurs
échouèrent toutes sur le moyen terme. Ces révolutions ont amené
au pouvoir des régimes qui ont aggravé considérablement la
situation économique et politique des états concernés, et qui
n’ont pas survécu aux élections après leur premier mandat. Les
projets d’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ont
échoué du même coup.
Certains rares commentateurs imaginent maintenant que des
évènements du type "printemps arabe" pourraient se produire en
Russie. Tout en soulignant les différences fondamentales entre
la Russie et les pays du "printemps arabe", ils mettent donc en
garde le pouvoir russe contre des évènements sociaux pouvant
dégénérer, voire aboutir à une révolution à l’Égyptienne.
Pourtant la Russie à sans doute déjà vécu sa révolution
démocratique lorsqu’en 1993, le Congrès annule le projet de
référendum visant à adopter le nouveau projet de constitution,
préparé par Boris Eltsine et qui visait à permettre la poursuite
des difficiles et contestées réformes libérales. La tension
politique aboutit à un conflit armé de 10 jours dans les rues de
la capitale opposant les communistes et les nationalistes, aux
progressistes soutenant Boris Eltsine. On connait la
suite, l’armée restée fidèle au président donna finalement
l’assaut de la maison blanche et mis au pas la rébellion. Ces
évènements furent la vraie rupture avec le passé Soviétique.
Boris Eltsine dirigea le pays 6 années de plus, jusqu’en 1999 ou
il laissa la place à Vladimir Poutine.
Il faut en outre beaucoup d’imagination pour trouver des
points communs entre la situation dans l’Egypte du régime
Moubarak, et la situation actuelle en Russie. Même à l’époque
des révolutions de couleur, alors que le redressement de
l’économie Russe était embryonnaire et rencontrait bien des
difficultés, la Russie est restée politiquement stable et n'a
pas connu l'embryon d'un tel mouvement. Il y a des raisons à
cela: l’immédiate solidité politique de l'état Russe, le solide
ancrage populaire du pouvoir et l'absence de substance ou de
volume d'une quelconque opposition. Les pays qui vivent ou se
préparent à vivre des révoltes populaires dans le monde arabe
présentent des points communs: Misère populaire, surpeuplement
des villes, tensions religieuses, tensions à propos du droit des
femmes, chômage endémique, surtout des jeunes, illettrisme
important.
Ce ne sont pas les caractéristiques de la Russie d’aujourd’hui.
L’amélioration de la situation en Russie sur la dernière
décennie laisse objectivement peu de place à une révolution de
ce type. La Russie est maintenant la 9ème économie mondiale et
elle est au 6ième rang mondial pour le PIB à parité de pouvoir
d’achat. La croissance économique est soutenue, l’endettement
public est très faible, les réserves de change sont importantes,
le rouble est stable et le niveau de vie de la population
augmente régulièrement. Le pays se réindustrialise
progressivement et retrouve son statut de grande puissance.
Manifestement, les conditions ne sont pas du tout réunies pour
une quelconque révolution sociale.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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