Libye
La Libye, les
bandits-révolutionnaires et l'ONU
Alexander Mezyaev
Lynn
Pascoe (à gauche) – Secrétaire général
adjoint aux affaires politiques discute
avant l’assemblée du Conseil sur la
situation en Libye avec les membres du
Conseil de Sécurité parmi lesquels (de
droite à gauche) : Susan Rice – USA,
Gérard Araud – France, Peter Wittig –
Allemagne, Mark Loyal Grant –
Royaume-Unis (29 février 2012).
Mardi 17 avril 2012
La Mission
d’appui des Nations Unies en Libye a
présenté les conclusions de son premier
rapport. Pour Alexandre Mezyayev,
celles-ci trahissent le fait que l’ONU,
loin d’encourager la paix comme elle est
supposée le faire en accord avec sa
Charte, est désormais largement au
service de la politique de remodelage du
Grand Moyen-Orient et de l’Afrique du
Nord. Alors que la mission d’observation
des bérets bleus débute en Syrie, il
convient d’être particulièrement
attentif à ce que l’organisation et son
secrétaire général Ban ki Moon se
remettent au service du droit
international et non plus d’intérêts
partisans.
Le Conseil de
Sécurité de l’ONU a présenté [1]
pour la première fois ses conclusions
sur l’activité de la Mission d’appui des
Nations Unies en Libye (MANUL) depuis la
création de celle-ci en septembre de
l’année dernière. À cette occasion a été
présenté un compte-rendu du Secrétaire
Général de l’ONU sur la situation dans
le pays qui avait pour but de persuader
les membres du Conseil de la nécessité
de prolonger le travail de la Mission.
Ce qui fut fait : le Conseil de Sécurité
de l’ONU a rallongé de 12 mois le
travail de la MANUL et mis à jour son
mandat. D’après le nouveau mandat, la
Mission reçoit pour objectif d’apporter
de l’aide aux pouvoirs libyens dans la
définitions des besoins nationaux et des
priorités sur tout le territoire de la
Libye, dans la mise en place de la
respect de la loi et des Droits de
l’Homme, dans la restauration de la
sécurité des citoyens, dans la lutte
contre la vente illégale de toutes
sortes d’armes et de toutes sortes de
matériels liés à l’armement (a été
évoqué notamment le cas des
lance-missile sol-air portables).
Malgré les efforts du Secrétaire
Général de l’ONU pour présenter l’action
du nouveau pouvoir en place en Libye de
la façon la plus positive possible, il a
été impossible d’ignorer totalement la
réalité des évènements actuels dans le
pays. Le rapport de Ban Ki-moon contient
des informations sur l’activité des
forces militaires loyales à la
Jamahiriya Arabe libyenne qui continue
de s’opposer aux occupants OTAN-ONU et
ses collaborateurs locaux. La résistance
à lieu dans les plus grandes villes du
pays : Tripoli, Bani-Walid, Kufra etc. [2]
Le secrétaire général de l’ONU, essayant
d’amoindrir l’aspect inquiétant de la
situation, présente les coups d’éclats
de l’opposition comme de simples «
altercations », et ça n’est pas la seule
maladresse de son rapport qui, non
seulement ne permet en rien de
comprendre ce qui se passe réellement,
mais qui rend la situation encore un peu
plus confuse.
Sensé de
part sa fonction être « le plus
indépendant possible », Ban Ki Moon
s’est illustré en qualifiant de «
catastrophique » le double véto Russe et
Chinois au Conseil de Sécurité et en
reprenant sans vérification les données
fantaisistes fournies par l’auto-proclamé
Observatoire Syrien des Droits de
l’Homme basé à Londres. En Libye, il
fait assurer le service après guerre de
l’OTAN par l’ONU et déclare que les
forces de la coalition ont suivi «
strictement le cadre politique et
juridique donné par le Conseil de
sécurité » alors que des faits de crimes
de guerre sont désormais avérés.
Ainsi, en plus du nouveau pouvoir en
place en Libye et des « partisans de
l’ancien régime » surgit de nulle part
une troisième partie : de soi-disant «
brigades révolutionnaires ». De qui
sont-elles composées, quels territoires
contrôlent-elles, qui se trouvent à leur
tête – le rapport de Ban Ki-moon n’en
dit mot. Néanmoins, à partir du rapport
nous arrivons à comprendre de quoi
s’occupent ces brigades : « les Brigades
révolutionnaires » assurent les
arrestations de personnes suspectées de
complicité avec l’ancien régime, les
interrogatoires dans des endroits
inconnus ainsi que le contrôle des
centres de détention connu. Elles
pratiquent la torture et maltraitent les
prisonniers, ce qui a entraîné la mort
de certains d’entre eux. Ces faits ont
lieu en particulier dans les villes de
Tripoli, Mistrata, Zintan et Gariane. [3]
Désormais tout est clair : le nouveau
pouvoir libyen n’y est pour rien dans le
désordre. Sont responsables de
soi-disant « brigades » dont l’existence
reste à prouver. Alors apparaît une
question : si ces « brigades »
s’approvisionnent en armes à Tripoli
même, comment arrivent-elles à échapper
au contrôle du « gouvernement » ?
Le rapport du Représentant spécial à
l’ONU Ian Martin est lui aussi assez
pitoyable. Se trouvant en Libye, M
Martin était invité à l’assemblée du
Conseil de Sécurité justement pour
éclaircir la situation sur place.
Néanmoins, il a lui aussi affirmé que
certaines « brigades armées » existent
dans le pays, mais qui sont-elles et qui
les dirige demeurent des questions sans
réponses. [4]
Le représentant de la Libye à l’ONU
Abdel Rahman Shalgham a été bien plus
honnête, reconnaissant qu’« il existe
des territoires sur lesquels le
gouvernement n’a pas réussi à avoir le
contrôle », où « il n’y a ni
police ni tribunal » et ajoutant
que, selon lui, le nouveau pouvoir ne
peut porter la responsabilité des
évènements se déroulants sur ces
territoires. Seulement voila, pour une
quelconque raison A.R. Shalgham n’a pas
précisé où se trouvent ces territoires
qui échappent au contrôle du «
gouvernement ».
D’après le droit international, un
pouvoir en place est considéré
juridiquement comme « gouvernement »
s’il a le contrôle du territoire entier
du pays. Ce sont les textes. En réalité,
on considère de façon non-officielle que
le gouvernement doit contrôler ne
serait-ce que la majeur partie du pays.
Ce qui n’est justement pas le cas du
Conseil National de Transition. C’est
pourquoi les instances internationales
se trouvent obligés d’inventer des
rapports proches du ridicule.
Les dirigeants au pouvoir de la «
nouvelle Libye » savent qu’ils peuvent
se faire éjecter en un clin d’œil. C’est
pourquoi le représentant de la Libye au
Conseil de Sécurité à l’ONU a tiré la
sonnette d’alarme : « Nous savons que
certains anciens leaders du régime de
Kadhafi préparent un renversement. Au
cours de ces derniers jours ont été
arrêtés des membres de groupes armés.
Ils avaient mis au point un plan de
sabotage ainsi que des explosions de
bombes à Tripoli. Les agents de Kadhafi
envoient du matériel en Libye afin
d’organiser des actes de sabotage ».
[5]
A.R. Shalgham a déclaré avoir envoyé au
Conseil de Sécurité ainsi qu’à la Cour
Pénale Internationale des
enregistrements téléphoniques dans
lesquels l’ancien premier ministre
libyen Baghdadi Mahmoudi (qui se trouve
actuellement à Tunis) donne ses
instructions personnelles pour la
réalisation du sabotage. Une semaine
après, le « premier ministre » libyen
Abdel Rahim Al-Kib a pris la parole au
Conseil de Sécurité en suppliant
d’annuler l’embargo sur la livraison
d’armes en Libye.
Eh oui, le « gouvernement » se sent
menacé ! Afin de sauver le régime
actuel, le Conseil de Sécurité a annulé
l’embargo sur les livraisons d’armes en
Libye en accord avec le paragraphe 14 de
la résolution 1973, mais le Conseil n’a
pas annulé les paragraphes 9 et 10 de la
résolution 1970 (contenant les
modifications apportées par la
résolution 2009).
Malgré tout, le peuple continue de
s’opposer au pouvoir nouvellement mis en
place. Mais voila, les « démocraties
occidentales », celles-là même qui se
sont appropriées les ressources
financières de la Libye, n’ont pas
daignés répondre à la supplication de
restituer les fonds. La résolution a
seulement chargé le Comité des sanctions
de « faire l’énumération des mesures
restantes stipulées dans les résolutions
1970, 1973 et 2009 » et ce,
uniquement en rapport avec la Gestion
des investissements libyens et avec le
portefeuille d’investissements africain
de Libye. La résolution a également émis
l’hypothèse que le Comité puisse annuler
ces sanctions, mais seulement lorsque «
le moment sera opportun ». [6]
En ce moment même, et sous la
protection de la Mission de l’ONU et de
son chef Ian Martin, se déroule le
transfert vers la Libye de brigands de «
l’opposition » syrienne par les forces
spéciales. Étant donné que ce fait a été
rendu public [7],
Ian Martin s’est efforcé de présenter
les évènements comme s’il ne s’agissait
pas de combattants mais de « réfugiés »
fuyant le régime sanguinaire de Bachar
Assad. N’importe qui connaissant sa
géographie comprendra que pour « fuir »
de la Syrie vers la Libye, il faut
traverser la Jordanie ou Israël, puis
ensuite le territoire égyptien. Et tout
ça pour offrir à ces réfugiés le pays
d’accueil « idéal » ! Ce ne sont pas des
réfugiés mais coureurs de marathon ! Et
à nouveau nous est donné une explication
dénuée de sens. Mais personne ne se
soucie de l’authenticité de ces
explications. Les assemblées du Conseil
de Sécurité sont devenues depuis
longtemps des modèles de cynisme et
d’hypocrisie, telle une scène où se
répand le mensonge face au monde entier
et dont le but est de faire soutenir par
l’opinion publique les crimes les plus
lâches et monstrueux.
Après la
chute de l’État libyen, les mercenaires
« musulmenteurs » d’Al-Qaïda avaient été
convoyés en Syrie pour tenter de
reproduire la même stratégie contre le
gouvernement de Damas. La résistance au
régime mis en place par David Cameron,
Nicolas Sarkosy et Bernard Henry Levy
s’intensifiant, il est désormais
nécessaire de les faire sortir du pays
et de les rapatrier d’urgence en Libye.
Ce flux permanent de combattants est
assuré par la Mission de l’ONU de Ian
Martin sous couvert « d’aide aux
réfugiés ».
Le 9 mars à Genève, lors de la
session du Conseil des droits de l’homme
a été présentée officiellement une
enquête de la Commission internationale
sur les violations des droits de l’homme
en Libye. Son président Philippe Kirsch
(ancien président de la Cour pénal
internationale) a annoncé qu’en Libye
ont été commis des crimes contre
l’Humanité ainsi que des crimes de
guerre. Il a ajouté qu’il était
nécessaire de mener des enquêtes
complémentaires sur l’action de l’OTAN
en Libye ainsi que sur les circonstances
le la mort de Muammar Kadhafi et de son
fils Mouatassim.
Le représentant russe au Conseil de
l’ONU pour les droits de l’homme a
souligné le « manque d’équilibre
» du rapport de la commission
internationale. Il s’agit bien sûr d’une
approche diplomatique. Le fait qu’à
l’issue d’actions militaires de l’OTAN
en Libye beaucoup de crimes aient été
commis se trouve être un fait rendu
public appuyé par des documents.
Nous pouvons rappeler par exemple les
bombardements de Zliten le 9 avril 2011
qui ont conduit à la mort de plus de 80
personnes parmi lesquels 30 enfants. Ou
encore les bombardements du centre de
télévision de Tripoli en juin 2011. Il
est étrange que le rapport de la
Commission n’évoque pas ces évènements
ainsi que de beaucoup d’autres (de
grandes importances) pendant lesquels la
population a été tuée sous les bombes de
l’OTAN.
Bien que le rapport contienne un
chapitre spécial intitulé « Mort de
Mouammar Kadhafi et de son fils
Mouatassim », les conclusions faites par
les juristes paraissent étranges. Ainsi,
la Commission affirme que malgré ses
demandes répétées, elle n’a jamais reçu
de rapport d’autopsie mais seulement des
photographies du corps qui ne permettent
pas d’établir les raisons de la mort.
Cela a permis à la Commission d’émettre
la conclusion qu’« il est impossible
de qualifier de crime de guerre la mort
de Kadhafi » [8].
Les membres de la Commission – des
juristes dont les noms sont connus- ont
fait semblant d’être des petits nouveaux
dans la jurisprudence et n’ont vu ni
enregistrements vidéos de Kadhafi ni
preuves de son meurtre. Le fait
important qu’une fois fait prisonnier il
ait été tué ne porte apparemment aucun
sens juridique du point de vue de ces
avocats expérimentés.
L’étude de la situation en Libye par
le Conseil de Sécurité de l’ONU en mars
ainsi que les résultats de la Commission
d’enquête ont montré que l’on continue
de transformer la Libye en une « zone
d’ombre » de la politique mondiale, une
sorte de mélange à mi-chemin entre
l’Irak et la Somalie, où les armes
passent de mains en mains échappant à
tout contrôle, où l’on peut puiser à
volonté les ressources pétrolières du
pays et organiser des camps
d’entraînements pour les combattants des
nouvelles révolutions. Mais n’oublions
pas une chose : tant que les forces
d’opposition de la Jamahiriya libyenne
restent debout, ce plan peut encore
échouer.
[1]
«
Rapport du
Secrétaire général sur la Mission
d’appui des Nations Unies en Libye
(MANUL)
»,// UN doc : S/2012/129, 1er mars 2012.
[2]
« [Rapport du Secrétaire général sur la
Mission d’appui des Nations Unies en
Libye (MANUL) », paragraphe 9-12.
[3]
« Rapport du Secrétaire général sur la
Mission d’appui des Nations Unies en
Libye (MANUL) », paragraphe 24.
[4]
Rapport de I. Martin à la session 6728
du Conseil de Sécurité de l’ONU, 29
février 2012,// Document ONU S/PV.6728,
p.3
[5]
Rapport de M Shalkam Représentant de la
Libye au Conseil de Sécurité de l’ONU à
la session 6728 du Conseil de Sécurité
de l’ONU, 29 février 2012, //UN Document
: S/PV.6728, p.9-10.
[6]
Résolution du Conseil de Sécurité de
l’ONU N 2040 (2012), 12 mars 2012,
paragraphe 9.
[7]
Par exemple, M Vitaly I. Churkin,
Représentant Permanent de la Fédération
de Russie à l’ONU, à déclaré lors de la
session du Conseil le 7 mars 2012 : «
Nous nous
sommes exprimés sur la prolifération
incontrôlée des armes libyennes dans la
région. Cependant, ce ne sont pas
seulement les armes qui traversent les
frontières. Des informations indiquent
qu’il existe en Libye un centre
d’entrainement spécial soutenu par les
autorités pour les soi disant
révolutionnaires en Syrie. Ceux-ci sont
envoyés en Syrie pour attaquer le
gouvernement légitime. Ceci est
complètement inacceptable et n’a aucune
légitimité
». (UN Document S/PV.6731, p. 8)
[8]
Rapport de la Commission Internationale
d’Enquête en Libye, // UN Doc. :
A/HRC/19/68. Para 33-34.
Alexander
Mezyaev, Titulaire de la Chaire
de Droit International à l’Académie de
Kazan (Tatarstan, Russie).
Traduction
Julia
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Article sous licence creative
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