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TLAXCALA
Comment le Hezbollah a-t-il vaincu Israël ?
Alastair
Crooke et Mark Perry
in Asian Times, 12 octobre 2006
http://www.atimes.com
Traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau
de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction,
à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner
sources et auteurs.
[La
victoire du Hezbollah dans son récent conflit avec Israël est
beaucoup plus significative que bien des analystes, tant aux
Etats-Unis qu’en Europe, ne semblent en avoir pris conscience.
La victoire du Hezbollah est en effet un renversement total de la
guerre de 1967, qui avait vu une défaite écrasante de l’Egypte,
de la Syrie et de la Jordanie redistribuer totalement les cartes
dans la région, installant des régimes se consacrant entièrement
à déterminer leur politique étrangère en fonction d’un
unique objectif : tenir tête à la puissance israélo-américaine.
Cette puissance ayant été bafouée et renversée, ce à quoi
nous assistons, c’est à l’émergence d’un leadership entièrement
nouveau.]
INTRODUCTION
Ecrivant
cinq années après les attentats du 11 septembre 2001, l’expert
militaire états-unien Anthony Cordesman a publié un rapport sur
le conflit entre le Hezbollah et Israël. Ce rapport, intitulé
« Preliminary Lessons of the Israeli-Hezbollah War »
[Les premières leçons à tirer de la guerre entre Israël et le
Hezbollah], a suscité un intense intérêt au Pentagone, où il a
été étudié par les stratèges de l’état-major uni des trois
armées. Plus largement, il a circulé de main en main chez les
experts militaires à Washington. Cordesman n’a pas fait de
cachotteries sur ses modestes conclusions ; il a reconnu,
honnêtement, que non seulement son étude était « préliminaire »,
mais qu’elle ne tenait aucun compte de la manière dont le
Hezbollah avait mené la guerre et dont il en évaluait l’issue.
Ainsi,
Cordesman a fait observer que « Cette analyse était…
limitée, du fait qu’aucune visite d’étude n’avait été
effectuée dans ce cadre au Liban, le Hezbollah n’ayant a
fortiori pas été rencontré. » Mais, aussi imparfaite
qu’ait été son étude, Cordesman a satisfait à deux demandes :
il a apporté une base permettant de comprendre la guerre du point
de vue israélien et il a soulevé les bonnes questions sur la
manière dont le Hezbollah a combattu, ainsi que sur le degré de
succès qu’il a atteint. Près de deux mois après la fin du
conflit entre Israël et le Hezbollah, il est désormais possible
de compléter certaines des lignes laissées en pointillés par
Cordesman.
La
description que nous présentons ici est elle-même limitée. Les
responsables du Hezbollah ne s’expriment bien entendu ni
publiquement, ni « for the record » sur la manière
dont ils ont combattu ; ils n’exposent pas en détail leurs
déploiements, et ils ne sont pas enclins à débattre avec
quiconque de leur stratégie future. Mais cela n’empêche que
les leçons de la guerre, du point de vue du Hezbollah, commencent
aujourd’hui à émerger et que quelques modestes leçons sont en
train d’en être retirées par les planificateurs stratégiques
états-uniens et israéliens. Nos conclusions sont fondées sur
les évaluations effectuées sur le terrain au cours de la guerre,
sur des interviews d’experts militaires israéliens, états-uniens
et européens, sur les compréhensions du conflit émergeant au
cours de discussions avec des stratégistes militaires, ainsi que
sur un réseau de hauts responsables au Moyen-Orient, intensément
intéressés par l’issue du conflit, et avec lesquels nous avons
échangé. Notre conclusion générale contredit le point de vue
que certains responsables de la Maison Blanche et d’Israël
essaient de vendre aujourd’hui, et qui voudrait que
l’offensive israélienne au Liban ait considérablement endommagé
la capacité militaire du Hezbollah, qu’Israël ait réussi à
porter atteinte à la capacité du Hezbollah de l’emporter dans
un éventuel conflit à venir et que l’armée israélienne, après
son déploiement massif au Sud Liban, ait été capable de
s’imposer à ses ennemis et de dicter un arrangement favorable
à l’establishment politique israélien.
La
réalité est l’exact contraire. Dès le début du conflit et
jusqu’à ses dernières opérations, les commandants du
Hezbollah ont réussi à pénétrer le cycle de prise de décision
stratégique et tactique d’Israël, grâce à un ensemble d’opérations
de renseignement, d’opérations militaire et d’opérations
politiques, avec pour résultat le fait que le Hezbollah a
enregistré une victoire décisive et complète dans sa guerre
contre Israël.
PREMIERE
PARTIE : LA GUERRE DU
RENSEIGNEMENT
Au
lendemain du conflit, le secrétaire général du Hezbollah Hassan
Nasrallah a reconnu que la réplique militaire d’Israël à
l’enlèvement de deux de ses soldats et à la perte de huit
autres, le 12 juillet au matin – précisément, à 9 heures 4
minutes – a surpris la direction du Hezbollah.
Ce
commentaire de Nasrallah mit fin à des rumeurs journalistiques
selon lesquelles le Hezbollah aurait délibérément provoqué une
guerre avec Israël et que ces enlèvement auraient fait partie
d’un plan approuvé conjointement par le Hezbollah et l’Iran.
Le Hezbollah ayant répété, depuis plusieurs années, qu’il
avait l’intention d’enlever des militaires israéliens, il y
avait de bonnes raisons de supposer qu’il ne le ferait pas au
plus fort de l’été – c’est-à-dire en une saison où un
grand nombre de familles chiites aisées de la diaspora ont
l’habitude de venir au Liban (dépenser leur argent dans la
communauté chiite), et où les Arabes des pays du Golfe étaient
attendus en grand nombre dans le pays, comme chaque année.
Il
n’est pas exact non plus, comme cela a été dit au début du
conflit, que le Hezbollah ait coordonné son action avec celle du
Hamas. Le Hamas a été pris par surprise par les enlèvements, et
même si le leadership du Hamas a défendu l’action du
Hezbollah, il est facile de subodorer, avec un peu d’intuition,
qu’elle n’a pas dû vraiment lui plaire : pendant même
le conflit au Liban, Israël a en effet lancé de nombreuses opérations
militaires contre le Hamas, à Gaza, tuant des dizaines de
combattants et des centaines de civils. Cette offensive est passée
largement inaperçue en Occident, remettant en circulation le
vieil adage qui veut que « quand le Moyen-Orient brûle, on
oublie les Palestiniens… »
En
vérité, l’enlèvement des deux militaires israéliens,
accompagné de la mort de huit autres, a pris le leadership du
Hezbollah par surprise ; il n’a été effectué que parce
que les unités du Hezbollah déployées le long de la frontière
libano-israélienne avaient des ordres permanents d’exploiter
les faiblesses militaires d’Israël. Nasrallah avait lui-même
signalé depuis longtemps l’intention du Hezbollah de kidnapper
des soldats israéliens, après que l’ex-Premier ministre israélien
Ariel Sharon eut renié son engagement à libérer tous les
prisonniers du Hezbollah – au total, trois – au cours du
dernier échange de prisonniers du Hezbollah contre des
prisonniers israéliens.
Ces
enlèvement, furent, en réalité, plus que tentants : des
militaires israéliens, à proximité de la frontière, ont
apparemment violé des procédures opérationnelles en vigueur,
laissant leurs véhicules à la vue de positions du Hezbollah, et
cela, alors qu’ils n’étaient plus au contact de leurs
commandants, et hors couverture.
Nous
relevons qu’alors que les médias occidentaux ont déformé de
manière constante les événements survenus à la frontière israélo-libanaise,
le quotidien israélien Ha’aretz a confirmé substantiellement
ce déroulé des événements : « Une force composée
de tanks et de transports de troupes blindés a été immédiatement
envoyée à l’intérieur du Liban afin de pourchasser les
assaillants [du Hezbollah]. C’est au cours de cette poursuite,
à environ 11 heures du matin, qu’un tank Merkava a roulé sur
une mine de forte puissance, renfermant sans doute de 200 à 300
kg d’explosifs, à environ 70 mètres au nord de la barrière
frontalière [en territoire libanais, donc, ndt]. Le tank a été
presque entièrement détruit, et les quatre membres de l’équipage
ont été tués sur le coup. Durant les heures suivantes, les
militaires israéliens ont mené des combats acharnés contre des
tirailleurs du Hezbollah… Au cours de cette bataille, à environ
3 heures de l’après-midi, un autre militaire israélien a été
tué et deux autres légèrement blessés. »
Les
enlèvements donnèrent le signal du début d’une série de
bobards de l’armée israélienne, à base de commandants
agissant en violation de leurs procédures frontalières normales.
Des membres de la patrouille en cause étaient dans les derniers
jours de leur déploiement au nord et leur garde était amoindrie.
Il n’est pas vrai non plus que les combattants du Hezbollah
aient tué les huit Israéliens au cours de leur opération
d’enlèvement des deux soldats israéliens. Les huit soldats ont
été tués du fait qu’un commandant garde-frontière de l’armée
israélienne, apparemment gêné d’avoir enfreint les procédures
en vigueur, a donné l’ordre à des véhicules blindés de
pourchasser les kidnappeurs. Les deux véhicules blindés ont pénétré
à l’intérieur d’un réseau de mines anti-tanks du Hezbollah,
et c’est la raison de leur destruction. Les huit militaires israéliens
ont été tués au cours de cette opération, ou au cours
d’actions de combat qui l’ont immédiatement suivie.
Le
fait qu’une unité de l’armée israélienne ait pu errer si près
de la frontière sans être couverte par l’artillerie et
qu’elle ai pu ainsi s’exposer à une attaque du Hezbollah a
conduit des officiers israéliens à se poser la question de
savoir si cette unité n’aurait pas agi, par hasard, en-dehors
de la chaîne de commandement. Une commission d’enquête interne
a été apparemment convoquée par des hauts gradés de l’armée
israélienne, immédiatement après l’incident, afin d’établir
les faits et de reconsidérer les procédures relatives au
commandement d’unités agissant au long de la frontière nord
[d’Israël]. Les résultats des constats de cette commission
n’ont toujours pas été annoncés.
Bien
que surpris par la réplique israélienne, les combattants du
Hezbollah au Sud-Liban ont été placés en état d’alerte
maximale durant les minutes qui ont suivi les enlèvements et des
commandants de l’arsenal ont été mis en alerte par leurs supérieurs.
Les défenses du Hezbollah, particulièrement robustes et encore
renforcées étaient le résultat de six années de travaux acharnés,
entrepris dès le retrait israélien de la région, en 2000.
Beaucoup des bunkers de commandement dessinés et construits par
les ingénieurs du génie du Hezbollah étaient fortifiés, et
certains d’entre eux disposaient même d’une installation
d’air conditionné.
Le
creusement des dépôts d’armes, au cours des années précédentes,
s’était accompagné d’un programme d’installation de
leurres, certains bunkers étant construits à l’air libre, à
la vue des observations des drones israéliens et au vu et au su
de civils libanais fortement liés aux Israéliens. A de rares
exceptions près, ces bunkers étaient des leurres. La
construction des véritables bunkers se poursuivait, sur ces
entrefaites, dans des zones interdites à la population libanaise.
Les bunkers de commandement et d’entreposage d’armes les plus
importants étaient creusés à l’intérieur des collines
rocheuses du Liban, à un profondeur atteignant jusqu’à
quarante mètres. Près de 600 bunkers d’entreposage d’armes
et de munitions furent ainsi creusés en des positions stratégiques
au Sud de la rivière Litani.
Pour
des raisons de sécurité, aucun commandant ne connaissait à lui
seul la localisation de chacun de ces bunkers, et chaque unité
distincte de la milice du Hezbollah se voyait affecter seulement
trois bunkers – un bunker de munitions de première intention et
deux bunkers de munitions de secours, au cas où ce premier bunker
aurait été détruit. Des points séparés de commandement du
front et de l’arrière avaient été également assignés à
chaque unité combattante, les unités combattantes ayant été
chargées de s’armer, de se ravitailler et de combattre à
l’intérieur de zones de combat spécifiques et précisément délimitées.
Les protocoles de sécurité concernant le commandement des
troupes étaient observés avec une diligence extrême. Aucun
membre du Hezbollah n’avait individuellement connaissance de
l’ensemble de la structure des bunkers.
Les
arsenaux de première intention et les points de commandement du
Hezbollah ont été pris pour cibles par l’aviation israélienne
durant les 72 premières heures du conflit. Les commandants israéliens
avaient identifié ces bunkers grâce à un recoupement de
rapports des services de renseignement – interceptions de
signaux de communications du Hezbollah, photos de reconnaissance
par satellite glanées grâce à des accords de coopération avec
l’armée états-unienne, analyses de clichés réalisés au
cours des survols de la région par l’aviation israélienne,
photos prises par les drones déployés au-dessus du Sud Liban et,
surtout, réseau de sources humaines de renseignement, recrutées
par des officiers du renseignement israélien vivant au Sud Liban,
dont un certain nombre de « nationaux » étrangers
(non-libanais), enregistrés en tant que coopérants dans le pays.
L’attaque
initiale contre les points de commandement et les principaux
complexes de bunkers du Hezbollah, au cours des 72 premières
heures de la guerre, échoua. Le 15 juillet, l’aviation israélienne
s’en prenait [donc] au QG de la direction du Hezbollah, à
Beyrouth. Cette attaque fut elle aussi un échec. A aucun moment
de la guerre, aucune personnalité majeure du Hezbollah n’a été
tuée, en dépit de l’insistance constante d’Israël sur
l’information selon laquelle le commandement de cette
organisation aurait essuyé des pertes.
Selon
un responsable états-unien qui a suivi la guerre de très près,
l’offensive de l’aviation israélienne n’a détruit,
« tout au plus, que 7 % » des ressources militaires
dont les combattants du Hezbollah disposaient durant les trois
premiers jours de combats, ajoutant qu’à son avis, les attaques
aériennes israéliennes contre les dirigeants du Hezbollah étaient
« absolument futiles ».
Des
informations selon lesquelles la haute hiérarchie du Hezbollah
auraient trouvé refuge à l’ambassade d’Iran à Beyrouth (qui
n’a pas été atteinte par l’offensive aérienne israélienne)
ne sont pas véridiques, même si on ne sait pas précisément où
les dirigeants du Hezbollah se sont réfugiés. « Je ne
savais pas, moi-même, où je me trouvais », a dit à un de
ses associés le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Même en
tenant compte de tous ces éléments, il n’est pas avéré que
les plans de l’armée israélienne visant à détruire la
totalité de l’infrastructure libanaise auraient résulté de
l’incapacité de l’aviation israélienne à dégrader les
capacités militaires du Hezbollah durant les premiers jours du
conflit.
Les
plans de l’armée israélienne prônaient un bombardement précoce
et soutenu des principales autoroutes et des principaux ports du
Liban, en sus de ses projets de détruire les atouts militaires et
politiques du Hezbollah. Le gouvernement israélien n’a
absolument pas caché son intention, à savoir saper le soutien
dont bénéficiait le Hezbollah auprès des communautés
libanaises chrétiennes, sunnite et druze. Cette idée de punir le
Liban pour avoir donné asile au Hezbollah, de façon à retourner
le peuple libanais contre cette milice, faisait partie du plan
d’Israël depuis le retrait israélien du Sud Liban, en 2000.
Contrairement
aux responsables de l’armée israélienne, annonçant tant en
privé que publiquement le succès de son offensive, ses hauts
commandants recommandaient au Premier ministre Ehud Olmert de
donner le feu vert à une intensification des raids aériens
contre des caches potentielles du Hezbollah, dans des zones cibles
marginales, à la fin de la première semaine des bombardements.
Olmert approuva ces attaques, bien qu’il sût pertinemment
qu’en présentant une telle requête, ses hauts officiers
n’avaient fait que reconnaître que leurs évaluations initiales
des dommages infligés au Hezbollah avaient été manifestement
exagérément optimistes.
Le
résultat de l’approbation par Olmert de « l’élargissement
de l’ampleur de la cible » fut [le massacre] de Qana. Un
expert militaire israélien ayant suivi le conflit de très près
a fait ce commentaire, après le bombardement de Qana : « Les
choses ne sont pas aussi complexes qu’on se plaît à le dire.
Après l’échec de la campagne initiale, les officiers
planificateurs de l’aviation ont repris leurs fichiers de cibles
afin de voir s’ils n’avaient pas raté quelque chose
d’important. Ayant décidé que ça n’était pas le cas,
quelqu’un s’est probablement levé pour passer dans la pièce
attenante, après quoi il en est revenu avec de nouvelles
enveloppes de cibles dans des zones densément peuplées, disant : «
Eh, les mecs, qu’est-ce que vous pensez de ces nouvelles zones
à cibler ? » Et c’est ainsi qu’ils en convinrent. »
C’est-à-dire, que le bombardement de cibles « très
rapprochées » des zones du Sud-Liban densément peuplées a
été résultat de l’échec des Israéliens dans la manière de
mener leur guerre – et absolument pas de leur succès.
L’ « extension
des cibles visées » n’a cessé de connaître une escalade
tout au long du conflit ; frustrés par leur incapacité à
identifier et détruire les principaux atouts militaires du
Hezbollah, l’aviation israélienne entreprit de se venger en
s’en prenant aux écoles, aux centres communautaires et aux
mosquées – croyant que leur incapacité à identifier et à
frapper d’interdit les bunkers du Hezbollah était la conséquence
d’une volonté délibérée du Hezbollah de dissimuler ses
principaux atouts stratégiques à l’intérieur des
concentrations de civils.
Des
officiers de l’aviation arguèrent aussi du fait que la capacité
du Hezbollah à poursuivre inlassablement ses attaques par
roquettes contre Israël signifiait que cette milice étaient réapprovisionnée
en continu. Qana est un carrefour de communication, cinq
autoroutes s’y croisent et, cela, au cœur du territoire du
Hezbollah. Supprimer la chaîne d’approvisionnement du
Hezbollah, voilà qui allait fournir à l’aviation israélienne
l’opportunité d’apporter la preuve que, si le Hezbollah était
en mesure de poursuivre ses opérations, c’était en raison de
sa dépendance en un approvisionnement que lui fournissaient, précisément,
ces villes – nœuds routiers. Toutefois, en réalité, les hauts
dirigeants de l’armée de l’air savaient que l’élargissement
du nombre des cibles [des bombardements] au Liban allait s’avérer
très peu efficace en terme de dégradation des capacités du
Hezbollah, parce que celui-ci poursuivait ses attaques en
l’absence de tout espoir en un quelconque réapprovisionnement,
ainsi qu’en raison de la possibilité qui était la sienne de
s’approvisionner à partir de caches contenant des armes et des
roquettes, qui avaient été fortifiées au point de les rendre
inexpugnables par les Israéliens. Au lendemain du massacre de
Qana, dans lequel vingt-huit civils furent tués, Israël concéda
un cessez-le-feu de 48 heures.
Ce
cessez-le-feu fut la première preuve que le Hezbollah avait
soutenu avec succès les attaques aériennes israéliennes et
qu’il envisageait une défense soutenue et prolongée du Sud
Liban. Les commandants du Hezbollah respectèrent le
cessez-le-feu, sur les ordres de leur hiérarchie politique. A
deux ou trois exceptions près, il n’y eut aucun tir de
roquettes contre Israël durant cette période de cessez-le-feu.
Bien que la capacité du Hezbollah d’effectivement faire
« cesser le feu » a été largement ignorée par
les experts ès renseignement israéliens et occidentaux, la
capacité du Hezbollah à imposer sa discipline sur les
commandants de terrain a provoqué une surprise sidérante pour
les hauts gradés de l’armée israélienne, qui en tirèrent la
conclusion que les capacités de communication du Hezbollah
avaient survécu au blitz aérien israélien, que le Hezbollah était
au contact de ses commandants sur le terrain des opérations et
que ces commandants étaient en mesure de maintenir un réseau
robustes de communications, en dépit des efforts déployés par
les Israéliens pour les mettre hors d’usage.
Plus
simplement, la capacité du Hezbollah à faire respecter un
cessez-le-feu signifiait que l’objectif consistant, pour Israël,
à couper les combattants du Hezbollah de leur structure de
commandement (considéré comme une nécessité absolue par les
armées modernes menant une guerre sur un champ de bataille high
tech) n’avait pas été atteint. Les hauts commandants de
l’armée israélienne ne purent en tirer qu’une seule
conclusion : ses renseignements antérieurs à la guerre sur
les atouts stratégiques du Hezbollah étaient fâcheusement
incomplets, voire mortellement erronés.
De
fait, durant deux années, les responsables du renseignement du
Hezbollah avaient réussi à édifier une importante capacité
d’émettre des signaux de contre-renseignement. Tout au long de
la guerre, les commandants du Hezbollah ont été en mesure de prédire
où et quand les combattants et les bombardiers israéliens
allaient frapper. De plus, le Hezbollah avait identifié les
atouts humains clés en matière de renseignement au Liban
[c’est-à-dire les espions israéliens, ndt]. Un mois avant
l’encerclement de la patrouille frontalière israélienne et
l’attaque qui s’en est ensuivie, les responsables libanais du
renseignement avaient réussi à démanteler un réseau
d’espionnage israélien opérant à l’intérieur du pays.
Les
responsables du renseignement tant libanais qu’hezbollahis
avaient en effet arrêté au minimum 16 espions israéliens au
Liban, bien qu’ils n’aient pas été en mesure de trouver, ni
a fortiori d’arrêter, le chef du réseau. De plus, pendant deux
ans, depuis 2004 jusqu’à la veille de la guerre, le Hezbollah
avait réussi à « retourner » un certain nombre
d’agents israéliens libanais chargés de donner aux services de
renseignement d’Israël des indications sur les principales
caches d’armes du Hezbollah au Sud Liban. Dans un petit nombre
d’une particulière importance, les hauts responsables du
renseignement hezbollahi ont été capable de « renvoyer »
de la fausse information sur leurs plus importants emplacements de
la milice du Hezbollah vers Israël – ce qui eut pour effet que
les dossiers d’identification de cibles potentielles d’Israël
comportaient des emplacements qui, de fait, étaient vides…
Enfin,
l’aptitude du Hezbollah à intercepter et à « lire »
les actions israéliennes a eu un impact décisif sur
l’offensive terrestre qui allait se produire à la fin de la
guerre. Les responsables du renseignement hezbollahi avaient
perfectionné leur capacité à déchiffrer les signaux ennemis à
un tel point qu’ils étaient en mesure d’intercepter les
communications terrestres entre commandants israéliens. Israël,
se fiant à un ensemble hautement sophistiqué de techniques de
« sauts de fréquences » censé permettre à ses
commandants de communiquer entre eux, a sous-estimé la capacité
du Hezbollah à maîtriser les technologies des contre-signaux. Le
résultat allait avoir un impact crucial sur les Israéliens, qui
escomptaient que l’effet de surprise allait à lui seul ménager
une marge permettant à ses soldats de gagner la guerre. Il est
aujourd’hui évident que l’establishment politique israélien
a été choqué par l’échec rencontré par ses forces armées
à remplir ses objectifs primordiaux, dans cette guerre, dont
notamment la destruction d’un nombre suffisant d’arsenaux du
Hezbollah, ainsi que celle de ses capacités opérationnelles de
commandement.
Mais
l’establishment politique israélien n’avait pratiquement rien
fait afin de se préparer au pire : la première réunion du
cabinet de sécurité israélien, au lendemain de l’enlèvement
des deux militaires, le 12 juillet, ne dura que trois heures. Et
si Olmert et son cabinet de sécurité ont demandé des détails
précis sur le plan de l’armée israélienne prévu pour les
trois premiers jours de la guerre, ses membre ont été incapables
de formuler des objectifs politiques clairs en ce qui concerne
l’après-conflit, ni d’esquisser une stratégie politique de
sortie, au cas où l’offensive échouerait. Olmert et son
cabinet de sécurité ont violé le premier principe s’imposant
lors de toute guerre : ils ont montré du mépris pour leur
ennemi. A bien des égards, Olmert et son cabinet étaient
prisonniers d’une confiance absolue dans l’efficacité de la
dissuasion israélienne. A l’instar de l’opinion publique israélienne,
ils voyaient dans toute interrogation quant aux capacités de
l’armée israélienne un sacrilège.
L’échec
du renseignement israélien en cours de conflit a été
catastrophique. Il a eu pour conséquence qu’après l’échec
de la campagne aérienne israélienne visant à détruire de manière
significative les atouts du Hezbollah au cours des trois premiers
jours de conflit, la chance, pour Israël de remporter une
victoire décisive contre le Hezbollah était devenue de plus en
plus, pour finir par hautement, improbable.
« Israël
a perdu la guerre durant les trois premiers jours », a dit
un expert militaire états-unien. « Si vous êtes confronté
à ce type de surprise et que vous disposez de ce niveau de
puissance de feu, vous avez intérêt à gagner ! Sinon, vous
êtes cuits, et durablement. »
Les
hauts responsables de l’armée israélienne ont conclu qu’en
raison de l’échec de la campagne aérienne, ils n’avaient
donc plus qu’une seule option : envahir le Liban au moyen
de troupes terrestres, dans l’espoir de détruire la volonté de
victoire du Hezbollah.
DEUXIEME
PARTIE : REMPORTER
L’OFFENSIVE TERRESTRE
13
octobre 2006
La
décision prise par Israël de lancer une offensive terrestre afin
d’accomplir ce que son aviation avait été incapable de réaliser
a été prise de manière hésitante et hasardeuse. Tandis que des
unités de l’armée israélienne opérait des percées à
l’intérieur du territoire du Sud Liban, durant la deuxième
semaine de la guerre, le commandement demeurait indécis sur la
question de savoir quand et où – et même si – il devait déployer
ses unités terrestres.
Pour
partie, le degré d’indécision de l’armée quant à la
question de savoir où ?, quand ? et si ? elle
devait déployer ses principales unités terrestres dépendait des
affirmations de victoire de l’aviation. L’aviation israélienne
continuait en effet à clamer qu’elle allait réussir, depuis
les airs – seulement une journée de plus… et puis encore une
autre… Cette indécision s’est reflétée dans l’incertitude
occidentale quand à la question de savoir quand une campagne
terrestre allait avoir lieu – voire même s’il allait en être
question.
De
hauts responsables israéliens continuaient à dire à leurs
contacts dans la presse que le timing d’une offensive terrestre
était rigoureusement gardé secret, alors qu’en réalité, ils
ne le connaissaient pas eux-mêmes… L’hésitation était aussi
la conséquence de l’expérience acquise par de petites unités
de l’armée israélienne, qui avaient d’ores et déjà pénétré
en territoire libanais. Des unités spéciales de l’armée israélienne
opérant au Sud Liban rapportaient à leurs commandants que, dès
le 18 juillet, des unités du Hezbollah se battaient avec ténacité
pour conserver leurs positions sur la première ligne de
fortifications dominant Israël depuis le haut d’une falaise.
C’est
à ce moment-là que le Premier ministre Ehud Olmert prit une décision
politique : il allait déployer toute la puissance de l’armée
israélienne afin de battre le Hezbollah, au moment même où ses
conseillers directs signifiaient qu’Israël était prêt à
accepter un cessez-le-feu et le déploiement de forces
internationales… Olmert était déterminé à ce qu’Israël ne
mette pas les pouces : Israël accepterait le déploiement
d’une force de l’Onu, mais seulement en dernier recours.
Tout
d’abord, décida Olmert, Israël dirait qu’il accepterait une
force de l’Otan. C’est conformément à cette stratégie que
les forces de réserve israéliennes furent réquisitionnées et
envoyées sur le front, le 21 juillet. La mobilisation surprise
(surprise, car l’armée israélienne était censée battre le
Hezbollah avec l’aviation, puis – en cas d’échec –
recourir à ses forces régulières, sans faire appel aux réservistes)
fut à l’origine du caractère prématuré et brouillon du déploiement
initial des bataillons de réservistes. (Il est vraisemblable,
encore une fois, qu’Israël ne pensait pas avoir à faire appel
à ses réservistes durant ce conflit, sinon, il les aurait
mobilisés bien plus tôt).
De
plus, la décision de faire appel aux réservistes a pris par
surprise y compris des officiers supérieurs de réserve, lesquels
sont généralement les premiers à être informés d’une
mobilisation imminente. La mobilisation des réservistes a été réalisée
de manière chaotique, le « train » du soutien
logistique ayant de vingt-quatre à quarante-huit heures de retard
sur le déploiement des unités de réserve.
Cette
mobilisation du 21 juillet a donné un signal patent aux
militaires du Pentagone que la guerre d’Israël ne se déroulait
pas comme sur des roulettes. Ceci explique aussi pourquoi les
troupes israéliennes de réserve sont arrivées sur le front sans
l’équipement indispensable, sans plan de bataille cohérent, et
sans même les munitions indispensables pour poursuivre le combat.
(Tout au long du conflit, Israël a eu du mal à apporter un
soutien logistique suffisant à ses réservistes : les
fournitures de nourriture, de munitions et même d’eau potable
ne parvenaient aux unités qu’après un délai minimum allant de
un à deux jours de retard sur l’arrivée d’une unité sur la
base de déploiement qui lui avait été désignée, dans le Nord
d’Israël).
L’effet
de cette désorganisation a été immédiatement perçu par les
observateurs militaires. « Les troupes israéliennes
semblaient non-prêtes, rétives et démoralisées », a
ainsi relevé un haut gradé états-unien. « Cela n’avait
rien à voir avec la flamboyante Tsahal que nous avions connue
lors de précédentes guerres. »
En
conformité avec le pli politique pris par Olmert, l’objectif de
destruction totale du Hezbollah que l’armée israélienne s’était
fixé était lui aussi considérablement diminué. « Il y a
une sorte de frontière entre nos objectifs militaires et nos
objectifs politiques », a ainsi déclaré le brigadier général
Ido Nehushtan, membre de l’état major israélien, au lendemain
de la mobilisation des réservistes. « L’objectif n’est
pas nécessairement d’éliminer jusqu’à la moindre roquette
du Hezbollah. Ce qu’il faut faire, c’est casser la logique
militaire du Hezbollah. J’aurais tendance à dire que cela
n’est toujours pas une question seulement de jours… »
C’était
décidément là une manière bien étrange de présenter une
stratégie militaire – mener une guerre à seule fin de « casser
la logique militaire » d’un ennemi, quel qu’il soit…
La déclaration de Nehushtan a fait l’effet d’une douche
froide sur les commandants des unités de l’armée israélienne
sur le terrain, qui se demandèrent quel pouvait bien être,
exactement, le but de cette guerre ? Mais d’autres
commandants avaient, quant à eux, le moral – même si
l’aviation israélienne n’était pas parvenue à arrêter les
attaques du Hezbollah contre les villes israéliennes, au moyen de
roquettes, ces tirs de roquettes n’avaient jamais diminué
autant, autour des 19, 20 et 21 juillet qu’à aucun moment (un
très petit nombre de roquettes a été enregistré le 19, et il
en est tombé au maximum une quarantaine, le 20 juillet, même
chose le 21, et une cinquantaine, le 22).
Ce
même 22 juillet vit aussi la première réponse militaire des
Etats-Unis au conflit. Tard dans la nuit du 21, la Maison Blanche
reçut une demande de fourniture de grandes quantités de
munitions téléguidées de haute précision, formulées par
Olmert et l’armée israélienne – signe supplémentaire révélateur
du fait que l’aviation avait échoué dans sa mission de
destruction des atouts militaires du Hezbollah de manière
significative au cours des premières phases de la guerre.
La
requête israélienne fut promptement approuvée [comme d’hab’,
ndt] et les munitions commencèrent à être chargées et expédiées
vers Israël dès l’aube du 22 juillet. De hauts responsables du
Pentagone étaient profondément inquiets de ces expéditions
d’armes, étant donné qu’elles signifiaient qu’Israël
avait employé la plupart de ses munitions au cours des dix
premiers jours de la guerre – ce qui représentait une énorme dépense
de tirs, suggérant qu’Israël avait abandonné l’option des
frappes stratégiques sur les atouts du Hezbollah et qu’il était
déterminé à s’attaquer à tout ce qui pouvait rester debout
en fait d’infrastructures libanaises, une stratégie qui
n’avait pas marché durant la Seconde guerre mondiale, quand les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne détruisirent les soixante-six
principales villes de l’Allemagne, sans aucun impact discernable
sur le moral des Allemands, ni sur leurs capacités militaires.
Mais
il y eut peu de rodomontades au Pentagone, même si un ex-officier
d’active a fait observer que la fourniture de munitions américaines
à Israël rappelait une requête similaire, formulée par Israël
en 1973 – au plus fort de la guerre d’Octobre. « Cela ne
peut signifier qu’une seule chose… », commenta alors cet
officier : « … Ils ont du fil à retordre ».
En
dépit de leur profonde déconvenue au sujet de la réplique israélienne
(et cette déconvenue, même si personne n’en a fait état, était
extrêmement profonde et grave – elle s’étendait jusqu’aux
échelons supérieurs de l’aviation américaine), des officiers
supérieurs de l’armée américaine n’ont pas fait état
publiquement de leurs opinions. Et il y avait, à cela, une très
bonne raison : des critiques à l’encontre de la requête
d’envoi d’armes formulée par Israël au plus fort de la
guerre de 1973 avaient en effet abouti à la démission du
responsables des états-majors unis des armées de l’époque, le
général George Brown. Brown était ulcéré que des armes et des
munitions soient expédiées en Israël au moment même où le
commandement de l’aviation israélienne au Vietnam protestaient
contre l’insuffisance des approvisionnements dont ils avaient
besoin pour mener leur guerre en Asie du Sud-Est…
Le
responsable actuel de cet état-major uni, Peter Pace, qui est
resté remarquablement silencieux durant la guerre entre Israël
et le Hezbollah, a bien compris la leçon données par
l’Histoire. Claquant les talons, il choisit de saluer et de
fermer sa gueule. Mais les commandants supérieurs de l’état
major uni et des différents corps d’armée n’étaient pas les
seuls responsables états-uniens à être profondément inquiets
en raison des piètres performances d’Israël. Tandis que les
nouvelles munitions américaines volaient vers Israël (via
Prestwick, en Ecosse), les responsables du renseignement procédaient
à de premières évaluations des premiers jours de la guerre, y
compris un d’entre eux, qui releva qu’en dépit de
l’offensive aérienne israélienne extraordinairement intensive,
la télévision Al-Manar continuait à émettre à Beyrouth, bien
que l’aviation israélienne ait détruit les émetteurs des
principales chaînes de télévision libanaises. (Cela allait
rester le cas durant toute la durée de la guerre – Al-Manar
n’a jamais connu d’interruption de programme supérieure à
quelques minutes…) Comment pouvait-on attribuer une quelconque
efficacité à une campagne aérienne israélienne, dès lors
qu’elle n’avait même pas réussi à interrompre les
transmissions d’une chaîne de télévision ?
La
mobilisation des réservistes était censée conforter des forces
d’ores et déjà au combat au Sud Liban, et ajouter du poids à
l’offensive terrestre. Le 22 juillet, les unités hezbollahies
de la Brigade Nasr ont livré des combats urbains contre les
forces israéliennes dans la ville de Maroun al-Ras. Bien que
l’armée israélienne ait clamé à la fin de la journée
qu’elle avait pris cette ville, ce n’était pas le cas. Les
combats avaient été sanglants, mais les combattants du Hezbollah
n’avaient nullement été délogés. De nombreux hommes de la
Brigade Nasr avaient passé des jours interminables à attendre
l’assaut israélien et, grâce à l’aptitude du Hezbollah à
intercepter les communications militaires israéliennes, les
soldats israéliens se sont cassé les dents contre des unités
hezbollahies puissamment retranchées.
Les
détachements israéliens n’ont été à aucun moment en mesure
de déborder les défenseurs, et ils ont même dû faire face à
des contre-offensives, à l’ouest de la ville. Des équipes spéciales
de la Brigade Nasr, composées de trois tirailleurs, ont détruit
plusieurs véhicules blindés israéliens au cours des combats, au
moyen de missiles légers anti-tanks portables. « Nous
savons qu’ils allaient faire ça… », a dit à ce
moment-là Ilay Talmor, un sous-lieutenant israélien épuisé.
« Ils disent que ce territoire leur appartient. Nous ferions
exactement la même chose, si quelqu’un envahissait Israël ! »
Tandis
que l’armée israélienne persistait à affirmer que ses
incursions seraient de « portée limitée », en dépit
du rappel de milliers de réservistes, les bataillons israéliens
commencèrent à se former au sud de la frontière. « Nous
ne sommes pas en train de préparer une invasion du Liban »,
déclara Avi Pazner, important porte-parole du gouvernement.
L’armée israélienne qualifia alors Maroun al-Ras de premier
« pied-à-terre » au Sud Liban. « Une
combinaison de pressions de l’aviation, de l’artillerie et de
nos forces terrestres mettra le Hezbollah hors d’état de nuire
sans qu’il soit besoin d’en arriver au point où nous aurions
à envahir et à occuper [le Liban], a dit Palmer.
La
différence entre « chasser » une force et envahir et
occuper une ville était dès lors établie, ce qui envoyait un
nouveau signal très clair, aux experts militaires américains,
que l’armée israélienne pouvait pénétrer dans une ville,
mais non l’occuper. Un officier américain formé dans une école
militaire des Etats-Unis compara l’incursion israélienne au Sud
Liban à l’attaque sanglante du commandant Robert E. Lee contre
des positions des Unionistes à Gettysburg, en Pennsylvanie,
durant la Guerre de Sécession des Etats-Unis. « Oh, certes,
je peux aller là-bas… le problème, ce sera d’y
rester… ! », avait-il dit.
Des
rapports de commandants du Hezbollah sur les combats sont venus
confirmer que les troupes israéliennes n’ont jamais totalement
sécurisé la zone frontalière et que la ville de Maroun al-Ras
n’a jamais été totalement prise. De même, le Hezbollah n’a
jamais éprouvé la nécessité de mobiliser ses réservistes,
comme l’a fait Israël. « Toute la guerre a été menée
par une seule brigade du Hezbollah, composée de 3 000 hommes, et
pas plus… » a indiqué un expert militaire spécialiste de
la région. « La Brigade Nasr a combattu du début de la
guerre jusqu’à la fin. Le Hezbollah n’a jamais éprouvé le
moindre besoin de la renforcer… »
Des
rapports émanant du Liban soulignent ce point. A leur grande
surprise, les commandants du Hezbollah ont constaté que les
troupes israéliennes étaient mal organisées et indisciplinées.
La seule unité israélienne qui se soit montrée à la hauteur
fut la Brigade Golani, d’après plusieurs observateurs libanais.
L’armée israélienne était « composée de bric et de
broc », « a motley assortment », a indiqué un
responsable officiel fortement versé dans l’argot américain.
« Mais c’est le genre de choses qui arrivent, quand vous
avez passé quarante ans à tirer des balles revêtues de
caoutchouc sur des femmes et des enfants, en Cisjordanie et à
Gaza… »
Les
commandants israéliens ont eux aussi été profondément perturbés
par les piètres performances de leurs troupes, et ils ont noté
un manque de discipline, y compris parmi leurs soldats d’active
les plus entraînés. Les réservistes étaient pires, et certains
commandants israéliens ont même hésité à les lancer dans la
bataille…
Le
25 juillet, la stratégie olmertienne consistant à en rabattre
sur un objectif initialement proclamé de détruire le Hezbollah
était dans toute sa vigueur. Le ministre israélien de la Défense,
Amir Péretz, fut chargé d’annoncer cette reculade, disant que
l’objectif israélien du moment consistait à créer une
« zone de sécurité » au Sud Liban. Ses propos
s’accompagnèrent, toutefois, d’une menace : « S’il
n’y a pas une force multinationale qui vienne contrôler la
frontière, nous continuerons à la contrôler par nos propres
moyens, en tirant sur quiconque s’approcherait de la zone de sécurité
définie, que ceux qui s’en aviseraient sachent qu’ils peuvent
être atteints ! »
Comme
par enchantement, on n’entendit plus parler de l’affirmation
israélienne, selon laquelle Israël allait détruire le
Hezbollah… Evanouie, aussi, l’affirmation que seul l’Otan
serait acceptable, comme unité de maintien de la paix sur la
frontière… Le 25 juillet, Israël fit savoir aussi qu’Abu
Jaafar, un commandant du « secteur central » du
Hezbollah, sur la frontière libanais, avait été tué « au
cours d’un échange de tirs » avec des soldats israéliens
près du village frontalier de Maroun al-Ras – lequel n’avait
pas encore pu être conquis. Or, cette information était fausse :
Abu Jaafar prit un malin plaisir à se répandre en déclarations
publiques, dès la guerre finie…
Plus
tard, dans la journée de ce même 25 juillet, pendant que la Secrétaire
d’Etat Condoleezza Rice était en visite à Jérusalem, l’armée
israélienne avançait vers Bint Jbeil, renommée « capitale
de la terreur du Hezbollah ». La bataille pour la conquête
de Bint Jbeil se poursuivit durant neuf jours. Mais cette ville
resta aux mains du Hezbollah jusqu’à la fin de la guerre…
Quand celle-ci arriva enfin, la ville était entièrement détruite,
les combattants du Hezbollah ayant été capables de survivre à
des bombardements constants, de l’aviation et de l’artillerie
israéliennes, en s’abritant dans leurs bunkers au plus fort des
bombardements, et n’en ré-émergeant qu’au moment où des
troupes israéliennes, au cours d’opérations terrestres ultérieures,
tentèrent de « pacifier » la ville…
La
tactique du Hezbollah n’était pas sans rappeler celle de
l’armée nord-vietnamienne durant les premiers jours du conflit
vietnamien – époque où les commandants de l’armée
nord-vietnamienne dirent à leurs hommes qu’ils devaient
« éviter les bombes », puis se battre contre les Américains
au cours d’engagements menés par de petites unités. « Vous
devez les attraper par la boucle de leur ceinture », avait
dit un commandant vietnamien afin de faire comprendre en quoi
consistait cette tactique.
Le
24 juillet, un signe supplémentaire, au cas où il en aurait été
besoin, de son échec annoncé au Liban, Israël déploya ses
premiers milliers de bombes à sous-munitions contre ce qu’il
qualifia d’ « emplacements du Hezbollah » au
Sud Liban. Les bombes à sous-munitions sont un moyen de combat
efficace – même s’il est particulièrement cruel – et les
pays qui en utilisent, dont tous les pays membres de l’Otan
(ainsi que la Russie et la Chine) ont toujours refusé de parapher
un accord international en interdisant l’utilisation.
Les
pays les plus responsables qui les utilisent, toutefois, « doublent
les détonateurs » de leurs munitions afin d’abaisser le
taux d’échec des « petites bombes », après
l’utilisation de bombes à sous-munitions. Durant
l’administration Clinton, le secrétaire d’Etat à la Défense,
William Cohen, a donné son feu vert au doublement des détonateurs
des sous-munitions de bombes à sous-munitions ainsi qu’à l’élimination
du « haut taux de long feu » des munitions stockées
dans les arsenaux américains, qui était prévue pour faire
passer le taux d’échec de ces munitions de 14 % (certains
experts donnent un chiffre encore supérieur) à moins de 3 %
(certaines estimations donnent un chiffre encore inférieur).
Même
si les enquêtes sur l’utilisation par Israël de ce type de
munitions n’en sont qu’à leur commencement, il semble
d’ores et déjà que l’armée israélienne ait eu recours à
des munitions à un seul détonateur. Des rapports récents, publiés
dans la presse israélienne, indiquent que les officiers
d’artillerie israéliens ont tapissé des dizaines de villages
de ces bombes miniatures – ce qui correspond à la définition
de ce qu’on entend par « indiscriminés » lorsque ce
terme est utiliser pour qualifier des tirs.
Les
munitions israéliennes en cause ont fort bien pu avoir été
achetées d’occasion à des entreposages d’armes américaines
d’un modèle tombé en désuétude, en particulier parce
qu’elles n’avaient pas de sous-détonateurs, ce qui serait de
nature à rendre les Etats-Unis complices de ces frappes
totalement arbitraires. Une telle conclusion semble correspondre
avec la date fixée pour le réapprovisionnement d’Israël en
munitions, le 22 juillet. L’armée israélienne a fort bien pu
être capable de décharger ces [chargements de] munitions et de
les avoir mises en œuvre suffisamment rapidement pour être
responsable de la création de la crise des sous-munitions de
bombes « à fragmentation » à laquelle nous assistons
au Liban, et qui continue à handicaper lourdement ce pays, ainsi
qu’elle l’a fait depuis son apparition, le 24 juillet.
Le
26 juillet, des responsables de l’armée israélienne concédaient
que les vingt-quatre heures précédentes de leur tentative de
conquérir Bint Jbeil avaient été « la journée la plus
difficile de tous les combats livrés par les nôtres au Sud Liban ».
Après avoir échoué à arracher la ville au Hezbollah dans la
matinée, des commandants de l’armée israélienne ont décidé
d’envoyer leur formation d’élite : la Brigade Golani. A
deux heures de l’après-midi, neuf soldats de cette brigade
avaient été tués et vingt-deux autres, blessés. Tard dans
l’après-midi, l’armée israélienne a déployé une autre
brigade d’élite, celle des Parachutistes, à Maroun al-Ras, où
les combats avec des éléments de la Brigade Nasr se
poursuivaient pour la troisième journée consécutive.
Le
27, afin de répondre à l’échec de ses unités à s’emparer
de ces villes, le gouvernement israélien donna son accord pour la
mobilisation de trois divisions supplémentaires de réservistes
– soit un total de 15 000 hommes. Le 28, toutefois, l’ampleur
de l’échec de l’armée israélienne, dans ses vaines
tentatives de mettre un terme aux attaques du Hezbollah au moyen
de roquettes tirées sur Israël, commença à devenir patente. Ce
jour-là, le Hezbollah eut recours à un nouveau type de roquette,
la Khaibar-1, qui frappa la ville portuaire d’Afula.
Le
28, la gravité des échecs du renseignement israélien finirent
par venir à la connaissance du public israélien. Ce jour-là,
des responsables du Mossad ont « laissé filtrer » des
informations selon lesquelles, à leur avis, le Hezbollah
n’avait pas subi de destructions significatives de ses capacités
militaires, et par conséquent, cette organisation pourrait être
en mesure de poursuivre le conflit durant encore plusieurs mois.
L’armée israélienne fit connaître son désaccord, affirmant
que le Hezbollah avait été fortement endommagé. De premières
fissures dans la communauté israélienne du renseignement commençaient
à apparaître.
Aux
Etats-Unis, les experts commençaient eux aussi à se poser des
questions quant à la stratégie et aux capacités d’Israël.
L’Institution Brookings, habituellement très prudente, publia
un commentaire de Philip H. Gordon (accusant le Hezbollah d’être
responsable de la crise), contenant notamment l’avis suivant : « La
question n’est pas de savoir si le Hezbollah est responsable, ou
non, de cette crise – car, responsable, il l’est – ni si
Israël a le droit de se défendre – car c’est le cas – mais
bien celle de savoir si cette stratégie particulière [consistant
essentiellement en une campagne de bombardements aériens intenses
et répétés va fonctionner ou non. Cela ne marchera pas. Cela
n’affaiblira pas le Hezbollah, car il est tout simplement
impossible d’éliminer des milliers de petits missiles, qui
sont, par surcroît, mobiles, bien cachés et aisément
renouvelable au moyen d’un éventuel pont aérien. »
Ce
commentaire de Gordan reflétait les vues d’un nombre croissant
d’officiers, qui s’afféraient à épousseter leurs propres
plans d’attaque aérienne au cas où leur parviendrait un ordre
de la Maison Blanche de viser des sites nucléaires iraniens.
« Il y a une impression erronée, selon laquelle
l’aviation américaine aurait été enthousiasmée par la manière
dont la guerre d’Israël a été menée au Liban », nous a
dit un expert ès Moyen-Orient ayant accès à de hauts
responsables du Pentagone. « Ils étaient frappés de stupéfaction.
Ils connaissent parfaitement les limites de leur propre puissance,
et ils savent comment on pourrait aussi en faire un mauvais usage. »
« Il
leur semblait [à ces officiers de l’aviation américaine] qu’Israël
avait jeté le manuel aux orties, au Liban : ça n’était
ni chirurgical, ni précis, et ce qu’il faisaient n’était
certainement pas intelligent ! Vous ne pouvez tout simplement
pas espérer l’emporter en recouvrant tout un pays d’éclats
de bombes ! »
Les
données chiffrées de la guerre, froides et impitoyables,
soulignent l’ineptie des offensives israéliennes, tant aérienne
que terrestre. Le Hezbollah avait emmagasiné jusqu’à 18 000
roquettes dans ses arsenaux, avant le déclenchement du conflit.
Ces sites étaient fortifiés contre les frappes aériennes israéliennes
et elles ont aisément survécu à la campagne de bombardements.
Les responsables du Hezbollah escomptaient qu’entre le moment où
ils tiraient, et celui où l’armée de l’air israélienne était
en mesure d’identifier l’origine des tirs et de déployer des
combattants pour s’emparer des missiles mobiles, il s’écoulait
environ une minute et demie. Après des années d’un entraînement
intensif, les équipes d’artilleurs du Hezbollah avaient appris
à se déployer, à tirer et à dissimuler leurs lanceurs mobiles
en moins d’une minute, ce qui a eu pour conséquence que les
avions et les hélicoptères de l’aviation israélienne (hélicoptères
dont l’armée israélienne dispose d’un bien moindre nombre
qu’elle ne le prétend) étaient incapables d’empêcher le
Hezbollah de poursuivre ses tirs de roquettes contre le territoire
israélien (« Israël n’en est plus qu’à trois hélicoptères
du désastre total », a commenté un officier américain.)
Le
Hezbollah a tiré quelque 4 000 roquettes contre Israël (un
chiffre plus précis, bien qu’incertain, circule : 4 180
roquettes tirées), ce qui a « réduit » son stock à
environ 14 000 roquettes – ce qui lui aurait permis de
poursuivre la guerre durant au moins encore trois mois.
De
surcroît, et de manière encore plus significative, les
combattants du Hezbollah ont apporté la démonstration qu’ils
étaient dévoués et disciplinés. En utilisant leurs atouts en
matière de renseignement pour clouer sur place les incursions de
l’infanterie israélienne, ils ont prouvé qu’ils étaient les
égaux des combattants des meilleurs unités israéliennes. Dans
certains cas, des unités israéliennes ont été vaincues sur le
champ de bataille, et contraintes à des retraits soudains ou
contraints à recourir à une couverture aérienne pour sauver
certains de leurs éléments d’un débordement inéluctable. Même
vers la fin de la guerre, le 9 août, l’armée israélienne a
annoncé que quinze de ses réservistes avaient été tués, et
quarante blessés, au cours de combats dans les villages de
Marjayoun, Khiam et Kila – ce qui représente un taux étonnamment
élevé de mortalité pour une parcelle marginale de biens
immobiliers.
La
robuste défense du Hezbollah infligeait également un lourd tribu
aux blindés israéliens. Israël ayant finalement accepté un
cessez-le-feu et commencé à se retirer de la zone frontalière,
il abandonna derrière lui sur le terrain quarante véhicules
blindés, presque tous détruits par des missiles anti-tanks AT-3
« Sagger », utilisés avec une grande expertise – il
s’agit du nom utilisé par l’Otan pour désigner un missile de
fabrication russe, lancé depuis un véhicule ou portable, guidé
par fil, le 9M14 Malyutka de deuxième génération (Malyutka
signifiant « Petit Bébé »…)
Atteignant
des cibles se situant jusqu’à une distance de trois kilomètres,
le Sagger (le Malyutka) s’est avéré extrêmement efficace dans
l’élimination des tanks israéliens, et cela n’a sans doute
pas manqué de donner des sueurs froides aux commandants des blindés
israéliens, dans une grande mesure parce que le missile Sagger
mis en œuvre par le Hezbollah est une version ancienne (mise au
point et diffusée en 1973) d’une version plus moderne, encore
plus aisée à dissimuler et à déployer, et porteur d’une tête
explosive plus importante. Si l’armée israélienne n’a pas été
capable de protéger ses blindés contre la version de « deuxième
génération » 1973, ses commandants doivent aujourd’hui
se demander comment ils pourront se protéger contre une version
plus moderne, encore plus sophistiquée et létale…
Avant
la mise en application du cessez-le-feu, l’establishment
politique israélien a décidé d’envoyer des parachutistes israéliens
en petites brigades isolées [« clear drop »] sur des
positions clés, près de la rivière Litani. Apparemment, cette décision
a été prise afin de convaincre la communauté internationale que
les règles d’engagement d’une force de l’Onu devrait s’étendre
dès le sud du Litani. Une telle prétention n’aurait pas pu être
faite si Israël s’était avéré incapable d’affirmer de manière
crédible qu’il avait été en mesure de nettoyer cette partie
du Liban située entre la frontière israélienne et le Litani.
Un
nombre significatif de parachutistes israéliens furent donc amenés
par avion au-dessus de zones clés, juste au sud du Litani, afin
de remplir cet objectif. Cette décision aurait fort bien pu
aboutir à un désastre. La plupart des forces israéliennes aéroportées
jusqu’à ces sites furent en effet immédiatement encerclées
par des unités du Hezbollah, et elles auraient très bien pu se
faire décimer si le cessez-le-feu ne leur avait pas sauvé la
mise. La décision des politiques a eu le don d’ulcérer des
officiers israéliens à la retraite, dont un d’entre eux a
accusé Olmert de « faire de la hasbara avec l’armée »
[« spinning the military »], c’est-à-dire
d’utiliser l’armée à des fins de relations publiques.
L’indice
le plus éloquent de l’échec militaire israélien est sans
aucun doute le bilan des morts et des blessés. Israël affirme
aujourd’hui avoir tué de 400 à 500 combattants du Hezbollah,
ses propres pertes étant très inférieures. Mais un décompte
plus précis montre que les pertes étaient sensiblement
comparables du côté israélien et du côté hizbollahi. Il est
impossible, pour des Chiites (et donc, pour le Hezbollah), de ne
pas autoriser à ce que ses martyrs soient enterrés de manière
digne, donc, du côté chiite, il est facile de connaître le
bilan des pertes : il suffit de compter les funérailles.
Moins de 180 enterrements de combattants du Hezbollah tués ont été
relevés – cela correspond pratiquement au nombre de tués du côté
israélien. Ce nombre doit être révisé à la hausse (mais très
faiblement, ndt) : nos informations les plus récentes en
provenance du Liban indiquent que le nombre des enterrements de
martyrs chiites [du Hezbollah] au Sud Liban s’établit
aujourd’hui très précisément à 184.
Mais
quelle que soit la méthode d’évaluation – soit le décompte
des roquettes, des véhicules blindés ou des morts et des blessés
– le combat du Hezbollah contre Israël ne saurait être qualifié
autrement que de victoire décisive, tant militairement que
politiquement. Même s’il en allait autrement (ce qui n’est,
à l’évidence, pas le cas), l’impact global de la guerre du
Hezbollah contre Israël, sur une période de 34 jours, en juillet
et en août, a causé un séisme politique dans l’ensemble de la
région.
La
défaite infligée par le Hezbollah à Israël a été décisive,
mais la défaite politique qu’il a infligée aux Etats-Unis –
qui ont incontestablement pris parti pour Israël durant le
conflit et qui ont refusé d’y mettre fin – est
catastrophique, et il aura un impact durable sur le prestige des
Etats-Unis dans la région.
TROISIEME
PARTIE : LA GUERRE POLITIQUE
14
octobre 2006
Au
lendemain du conflit entre Israël et le Hezbollah, un sondage
d’opinion a été effectué en Egypte : on a demandé à un
échantillon représentatif de la population égyptienne de citer
les deux dirigeants politiques les plus admirés. Un nombre écrasant
d’Egyptiens a cité Hassan Nasrallah, le président iranien
Mahmud Ahmadinejad arrivant immédiatement après…
Ce
sondage est une répudiation manifeste non seulement du président
égyptien Hosni Mubarak, qui avait exprimé sa désapprobation du
Hezbollah dès le début du conflit, mais également des
dirigeants sunnites, dont le roi d’Arabie saoudite Abdullah et
celui de Jordanie, Abdullah II, qui ont critiqué le mouvement
chiite, dans une tentative avouée de détourner le monde sunnite
de son soutien à l’Iran.
« Vers
la fin du conflit, ces types étaient en train de jouer des coudes
pour se frayer un chemin vers les issues de secours », a déclaré
un diplomate américain en poste dans la région, à la fin du
mois d’août. « On ne peut pas dire qu’on entende
beaucoup parler d’eux, ces derniers temps, vous ne trouvez pas ? »
Moubarak
et les deux Abdullah ne sont pas les seuls à se précipiter vers
la sortie – la politique étrangère des Etats-Unis au
Moyen-Orient, y compris à la lumière de ses énormes difficultés
en Irak, est en lambeaux. « Ce que cela signifie, c’est
que toutes les portes nous sont [désormais] fermées – au
Caire, à Amman, en Arabie saoudite », a confirmé un autre
diplomate américain. « Notre accès est désormais coupé.
Personne ne veut plus nous voir. Quand nous appelons, personne ne
soulève le combiné… »
Un
camée de cet effondrement peut être vu dans l’itinéraire
effectué par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, dont
l’incapacité à persuader le président George Deubeuliou Bush
de mettre fin au conflit et son commentaire au sujet du conflit
marquant selon elle « les douleurs de l’enfantement »
d’un Nouveau Moyen-Orient ont tout simplement détruit sa crédibilité.
Les
Etats-Unis ont fait savoir qu’ils allaient tenter de recouvrer
leur position en soutenant un [énième] plan de paix israélo-palestinien
non encore annoncé, mais l’étranglement en cours par l’Amérique
du gouvernement démocratiquement élu de l’Autorité
palestinienne a fait de cet engagement un programme politique
mort-né. La raison en est désormais parfaitement claire. Au beau
milieu de la guerre, un responsable européen en poste au Caire a
eu ce commentaire au sujet des émotions qui secouaient les
milieux politiques égyptiens : « Quand les Egyptiens
rencontrent dans la rue des dirigeants politiques, ils changent de
trottoir… »
L’échec
catastrophique des armes israéliennes a ravivé la revendication
iranienne du leadership du monde musulman dans plusieurs régions
cruciales du monde.
Primo,
la victoire du Hezbollah a démontré qu’Israël – et donc que
n’importe quelle armée occidentale moderne et sophistiquée –
peut être battue à plate couture, dès lors que c’est la bonne
tactique militaire qui est employée et poursuivie sur une période
prolongée. Le Hezbollah a donné le modèle de la mise en déroute
d’une armée moderne. La tactique est simple : laisser
passer la première vague de campagne aérienne occidentale, puis
déployer des forces équipées de roquettes visant des atouts clés,
tant militaires qu’économiques, chez l’ennemi, ensuite,
laisser passer une seconde campagne aérienne, plus intense et
dure à supporter, puis prolonger le conflit autant que possible.
A un moment ou à un autre, comme ce fut le cas avec l’offensive
d’Israël contre le Hezbollah, l’ennemi sera forcé
d’engager des forces terrestres pour finir ce que ses forces aériennes
n’auront pas pu achever. C’est durant cette ultime phase –
critique – qu’une force motivée, bien entraînée et bien
commandée pourra infliger des pertes extrêmement douloureuse à
un establishment militaire moderne, et le vaincre.
Secundo,
la victoire du Hezbollah a montré aux peuples musulmans que la
stratégie utilisée par les gouvernements arabes et musulmans
alliés des Occidentaux – en raison d’une politique
d’apaisement vis-à-vis des intérêts états-uniens, dans
l’espoir [souvent vain, ndt] d’obtenir des compensations
politiques substantielles (reconnaissance des droits des
Palestiniens, prix équitable pour les ressources importées du
Moyen-Orient, non-interférence dans les structures politiques
dans la région, élections libres, équitables et ouvertes) –
ne saurait fonctionner, et qu’elle ne fonctionnera jamais. La
victoire du Hezbollah apporte un autre modèle, différent,
consistant à faire voler en éclat l’hégémonie états-unienne
et à détruire son prestige dans la région. Des deux événements
récents les plus importants au Moyen-Orient – l’invasion de
l’Irak et la victoire remportée par le Hezbollah sur Israël
– le second est, de très loin, le plus important. Y compris des
formations [anti-américaines mais] par ailleurs anti-Hezbollah,
notamment celles qui sont liées aux mouvements de résistance révolutionnaire
sunnite, qui voient dans les chiites des apostats, se sentent
humbles devant le Hezbollah.
Tertio,
la victoire du Hezbollah a eu un impact terrible sur les alliés
de l’Amérique dans la région. Les responsables du
renseignement israélien ont calculé que le Hezbollah aurait été
en mesure de poursuivre sa guerre jusqu’à trois mois après sa
fin effective, à la mi-août. Les estimations du Hezbollah
correspondent au constat israélien, à ceci près que ni le
Hezbollah, ni les dirigeants iraniens n’avaient été en mesure
de prévoir quelle démarche adopter après une victoire du
Hezbollah… Pendant ce temps, les services de renseignement
jordaniens se consacraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre à
ce qu’il n’y ait aucune manifestation pro-Hezbollah en
Jordanie, et les services égyptiens tentaient de contrôler la
colère croissante de la population égyptienne devant les
bombardements israéliens au Liban.
Le
soutien ouvert au Hezbollah, dans l’ensemble du monde arabe (il
est piquant de noter que des portraits du chef du Hezbollah,
Hassan Nasrallah, ont été disposé dans certaines églises où
l’on célébra des messes de Te Deum) mettent en alarme les
dirigeants arabes les plus liés aux Etats-Unis :
l’accentuation de l’érosion de leur prestige pourrait leur
faire perdre leur emprise sur leurs propres sujets. Il semble
vraisemblable que cela amènera Mubarak et les deux Abdullah à ne
pas soutenir une initiative états-unienne prônant des sanctions
économiques, politiques, et a fortiori militaires, à
l’encontre de l’Iran. Une guerre future – éventuellement
une offensive armée des Etats-Unis contre les sites nucléaires
de l’Iran – pourrait fort bien ne pas ébranler le
gouvernement de Téhéran, mais au contraire ébranler les régimes
de l’Egypte, de la Jordanie, voire même éventuellement de l’Arabie
saoudite.
A
un moment clé du conflit, vers la fin de la guerre, les
dirigeants de partis islamistes d’un certain nombre de pays se
demandaient s’ils pourraient conserver leur contrôle sur leurs
mouvements respectifs, ou bien, comme ils le redoutaient, si
l’action politique ne risquait pas d’être récupérée par
des capitaines des rues et des révolutionnaires. Singulière
notion que celle qu’on rencontre aujourd’hui communément dans
les milieux du renseignement des Etats-Unis : c’est Israël
(et non le Hezbollah) qui recherchait désespérément, dès le 10
août, une porte de sortie du conflit !
Quarto,
la victoire du Hezbollah a dangereusement affaibli le gouvernement
israélien. Au lendemain de la dernière défaite israélienne, en
1973, le premier ministre d’alors, Menachem Begin, décida
d’accepter une proposition de paix du président égyptien Anwar
el-Sadate. L’avancée était, de fait, plutôt modeste, les deux
pays étant des alliés des Etats-Unis… Aucune percée de cette
nature ne se produira au lendemain de la guerre entre le Hezbollah
et Israël…
Israël
est convaincu d’avoir perdu ses capacités de dissuasion, et
qu’il doit les recouvrer. Certains responsables israéliens en
poste à Washington confirment aujourd’hui que la question posée
n’est pas de savoir « si », mais « quand »
Israël reprendra l’offensive. Il est néanmoins difficile de déterminer
de quelle façon Israël pourrait le faire. Pour se battre contre
le Hezbollah et l’emporter, Israël aura besoin de ré-équiper
et de ré-entraîner son armée. Comme les Etats-Unis après leur
débâcle au Vietnam, Israël devra restructurer sa hiérarchie
militaire et reconstruire ses atouts en matière de renseignement.
Cela prendra non pas quelques mois, mais des années.
Il
se peut qu’Israël opte, en cas de nouvelles opérations, pour
le déploiement d’armes de plus en plus puissantes contre des
cibles de plus en plus étendues. Mais compte tenu de ses [piètres]
performances au Liban, ce recours à des armes plus puissantes
risquerait de s’attirer une réponse encore plus cinglante. Néanmoins,
cela n’est nullement à exclure. Une attaque des installations
nucléaires par les Etats-Unis entraîneraient sans doute une
attaque iranienne par missiles contre les installations nucléaires
israéliennes – et contre les concentrations urbaines israéliennes.
Personne ne peut prédire de quelle manière Israël réagirait à
une attaque de cette nature, mais il est évident qu’à en juger
au parti adopté par Bush durant le récent conflit, les
Etats-Unis ne feraient rien pour l’arrêter. La « maison
de verre » qu’est la région du Golfe persique, si elle était
prise pour cible par des missiles iraniens, ne manquerait pas de
s’effondrer.
Quinto,
la victoire du Hezbollah marque la fin de tout espoir de résolution
du conflit israélo-palestinien, tout du moins à court et moyen
termes. Même des personnalités politiques israéliennes en
principe « progressistes » ont sapé leurs propres
prises de position politique [en matière de relations avec les
Palestiniens] en appelant de manière stridente à l’emploi
d’encore plus de force, d’encore plus de troupes et d’encore
plus de bombes. Lors de rencontres privées avec des alliés
politiques, le président palestinien Mahmoud Abbas a fustigé
ceux qui célébraient la victoire du Hezbollah, en les qualifiant
de « suppôts du Hamas » et d’ « ennemis
d’Israël » [sic ! ! !]. Abbas est dans
d’encore plus sales draps que Moubarak et les deux Abdullah –
son peuple continue à soutenir le Hamas, et lui continue à être
servilement d’accord avec George W. Bush, lequel lui a dit, en
marge de la réunion du Conseil de Sécurité de l’Onu, qu’il
devait mettre un terme à toute tentative de former un
gouvernement d’union nationale avec ses concitoyens.
Sexto,
la victoire du Hezbollah a eu la conséquence extrêmement fâcheuse
de rendre aveugle le leadership politique israélien aux réalités
de leur situation géostratégique. Au plus fort de la guerre au
Liban, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a adopté le
discours de Bush sur la « guerre contre la terreur »,
rappelant à ses administré que le Hezbollah faisait partie intégrante
de l’ « axe du mal ». Ses observations ont été
surenchéries par Bush, dont les commentaires devant l’Assemblée
générale de l’Onu n’ont comporté qu’une seule fois le mot
« Al-Qa’ida », mais cinq fois chacun le Hezbollah et
le Hamas !… Les Etats-Unis et Israël ont donc désormais
fait le lien entre des mouvements islamistes désireux de
participer au processus politique de leurs pays respectifs et des
takfiris et des salafistes entièrement voués à mettre la région
à feu et à sang…
Israël
ne peut plus non plus compter, désormais, sur ses soutiens les
plus puissants aux Etats-Unis, c’est-à-dire sur ce réseau de néoconservateurs
pour lesquels Israël est une île de stabilité et de démocratie
dans la région du Moyen-Orient. La désapprobation de la
contre-performance israélienne par les néoconservateurs américains
est presque palpable. Avec des ennemis tels ceux-ci, Israël
a-t-il encore besoin d’ennemis ? Ceci pour dire que le
conflit israélien au Liban reflète très exactement la position
des experts qui voient dans le conflit entre Israël et le
Hezbollah une guerre par procuration. Notre collègue Jeff Aronson
a relevé que « si cela ne tenait qu’aux Etats-Unis, Israël
se battrait encore », ajoutant : « Les
Etats-Unis mèneront la guerre au terrorisme jusqu’à la dernière
goutte de sang israélien ! »
La
faiblesse persistante du leadership politique israélien, alliée
au fait que ce leadership vit dans le déni de la profondeur de sa
défaite devrait représenter un sujet de grave préoccupation,
tant pour les Etats-Unis que pour tous les pays arabes. Israël a
montré qu’en temps de crise, il est capable de faire preuve de
stratégie diplomatique imaginative et de manœuvrer habilement
afin de recouvrer son prestige. Israël a également démontré
qu’au lendemain d’une défaite militaire, il est capable de
procéder à un auto-examen honnête, et dans la transparence. La
force d’Israël a, de tout temps, résidé dans sa capacité au
débat public, même si ce débat doit remettre en cause
l’institution la plus sacrée et intouchable : les Forces
Israéliennes de Défense [« Tsahal », ndt]. A des
moments clés de l’histoire d’Israël, la défaite a conduit
à une période de réflexion et non, comme cela semble
aujourd’hui malheureusement le plus vraisemblable, à une
offensive militaire sans cesse plus puissante contre le Hamas –
tête de turc favorite du Moyen-Orient – à seule fin de rouler
les mécaniques.
« Le
fait que le Moyen-Orient ait été radicalisé par la victoire du
Hezbollah offre une excellente opportunité pour tuer encore plus
de gens du Hamas », a récemment déclaré un responsable
israélien. Cette dérive ne peut conduire qu’au désastre. A la
lumière de l’incapacité des Etats-Unis à manœuvrer les
manettes du changement au Moyen-Orient, il y a un petit espoir,
chez certains analystes de Washington, qu’Olmert fera preuve de
suffisamment de courage politique pour entreprendre le long
processus vers une véritable paix. Ce processus sera douloureux,
il impliquera des discussions longues et difficiles, il peut même
signifier une rupture avec le programme des Etats-Unis pour cette
région du monde. Mais si les Etats-Unis ne sont pas contraints à
vivre au Moyen-Orient, c’est bien, en revanche, le cas, en ce
qui concerne Israël. Même si entretenir un dialogue politique
avec ses voisins peut lui paraître douloureux, cela sera toujours
moins douloureux que le fait de perdre une guerre, disons… au
Liban ? !
Septimo,
la position du Hezbollah au Liban est incommensurablement renforcée,
ainsi que celle de ses principaux alliés. Au plus fort du
conflit, des chrétiens libanais ont abrité des réfugiés
hezbollahis chez eux. La chef chrétien Michel Aoun a soutenu
ouvertement le combat du Hezbollah. Un dirigeant de cette
formation a dit : « Nous n’oublierons jamais ce que
cet homme a fait pour nous, notre génération, tout du moins ne
l’oubliera pas… » La position prise par Aoun est célébrée
chez les chiites, et sa propre position politique s’en trouve
renforcée.
Par
ailleurs, le leadership sunnite s’est lui-même sapé de manière
fatale, par sa position incertaine et son approche de propriétaire
absent vis-à-vis de sa propre communauté. Durant la première
semaine de la guerre, les actions du Hezbollah furent
accueillies [chez eux] par un très large scepticisme. A la
fin de la guerre, le soutien sunnite était très solide, et il
s’étendait à l’ensemble du spectre politique et du découpage
confessionnel du Liban. Aujourd’hui, le leadership libanais
sunnite a le choix : il peut former un gouvernement d’unité
nationale avec de nouveaux leaders, créant un gouvernement plus
représentatif, ou bien ils peuvent réclamer des élections.
Inutile d’être un génie politique pour comprendre quel choix
fera Saad Hariri, chef de la majorité au Parlement libanais.
Octavo,
la position de l’Iran en Irak est ressortie considérablement
renforcée. Au beau milieu du conflit au Liban, le secrétaire
d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld a exprimé en privé sa
crainte que l’offensive israélienne n’ait des conséquences
redoutables pour la présence militaire états-unienne en Irak,
laquelle est confronté à une hostilité croissante des
dirigeants politiques chiites ainsi que de la population irakienne
chiite, de manière générale. La déclaration faite par Rice,
selon laquelle les manifestations pro-Hezbollah organisées à
Bagdad avaient été ourdies par Téhéran, a révélé son
ignorance des faits politiques les plus fondamentales de la région.
Les secrétaires d’Etat et à la Défense étaient tout
simplement et de manière totalement irresponsable inconscients du
fait que les Sadr de Bagdad sont liés à ceux du Liban. Le fait
que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki ne critique pas le
Hezbollah et prenne pas fait et cause pour Israël dans le dernier
conflit – au beau milieu d’une visite officielle à
Washington, de surcroît – a été considéré choquant par
l’establishment politique de Washington, alors même que le
« Hezbollah d’Irak » est un des partis de l’actuel
gouvernement de coalition nationale irakien !
On
nous dit que ni le Pentagone ni le Département d’Etat ne
comprennent toujours pas de quelle manière la guerre au Liban
pourrait affecter la position américaine en Irak, étant donné
que ni le Pentagone, ni le Département d’Etat n’ont été
convoqués pour un briefing sur la question par les services du
renseignement américains. Les Etats-Unis dépensent des milliards
de dollars, annuellement, afin de collecter du renseignement et
d’analyser les activités ennemies. Autant parler d’argent jeté
par les fenêtres…
Nono,
la position de la Syrie ressort renforcée du conflit et le
programme américano-français pour le Liban a échoué. Il n’y
a aucune indication que le Liban va former un gouvernement qui
soit ouvertement pro-américain ou anti-syrien. Le fait que le président
syrien Bashar el-Assad ait pu, au lendemain de la guerre, suggérer
un arrangement politique avec Israël, démontre sa force, et non
sa faiblesse. Le fait qu’il ait été en mesure de tirer les
bonnes conclusions du conflit et qu’il pense que lui aussi, il
en en mesure de s’opposer à Israël avec succès, est également
possible.
Mais,
ces éventualités mises à part, l’histoire récente montre que
ces milliers d’étudiants et de patriotes libanais qui protestèrent
contre l’implication de la Syrie au Liban après la mort de
Rafiq Hariri ont vu toute l’ironie inhérente au fait qu’ils
sont allés se mettre à l’abri des bombardements israéliens
dans des camps de toile dressés spécialement à leur intention
par le gouvernement syrien… Rice a raison en une seule chose :
le désir de la Syrie de donner asile à des réfugiés libanais
était effectivement un acte de cynisme politique à l’état pur
– un acte que les Etats-Unis semblent totalement incapables
d’imiter. Désormais, la Syrie a confiance en sa position
politique. A une ère antérieure, c’est une confidence de cette
nature qui avait permis à Israël d’esquisser une ouverture
politique en direction de ses ennemis politiques les plus
intransigeants.
Decimo,
et c’est sans doute le point le plus important, il est désormais
parfaitement clair qu’une attaque des Etats-Unis contre des
installations nucléaires iraniennes ne seraient pratiquement pas
soutenue dans le monde musulman. Elle provoquerait même une réplique
militaire qui finirait de faire s’écrouler les derniers
vestiges de la puissance politique américaine dans la région. Ce
dont on pensait qu’il s’agissait d’une « donnée »,
voici seulement quelques courtes semaines, s’est avéré peu
vraisemblable. L’Iran ne sera pas avili. Si les Etats-Unis
lancent une campagne militaire contre le gouvernement de Téhéran,
il est vraisemblable que les amis des Etats-Unis verseront dans le
fossé, que les pays du Golfe arabique trembleront de peur, que
les 138 000 soldats américains en Irak deviendront les otages
d’une population chiite ulcérée et que l’Iran répliquera
par une attaque contre Israël. Nous devons maintenant dire l’évidence :
si, et quand une attaque de cette nature se produira, les
Etats-Unis seront défaits.
CONCLUSION
La
victoire remportée par le Hezbollah lors de son récent conflit
contre Israël est beaucoup plus lourde de sens que bien des
analystes tant aux Etats-Unis qu’en Europe n’en ont pris
conscience. La victoire du Hezbollah renverse en effet totalement
la vague de 1967 ; il s’était alors agi d’une défaite
cataclysmique pour l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, qui avait
totalement redistribué les cartes politiques au Moyen-Orient,
mettant en place des régimes entièrement voués à chambouler de
fond en comble leur propre politique étrangère afin de refléter
la puissance israélienne et états-unienne. Cette puissance vient
d’être humiliée et renversée, et un nouveau leadership est en
train d’émerger dans la région.
La
leçon particulièrement singulière de ce conflit est très
vraisemblablement hors d’atteinte pour les échelons supérieurs
des élites politiques de Washington et de Londres, ces élites
pro-israéliennes, pro-valeurs fondamentales, qui s’imaginent
« combattre afin de défendre la civilisation », mais
elle n’est pas perdue pour tout le monde : dans les rues du
Caire, d’Amman, de Ramallah, de Bagdad, de Damas ou de Téhéran,
on l’a parfaitement assimilée. Il ne faudrait pas que le
leadership politique israélien, à Jérusalem, passe à côté.
Les armées arabes, en 1967, ont combattu durant six jours, avant
d’être vaincues. La milice du Hezbollah, au Liban, s’est
battu durant trente-quatre jours, et elle a vaincu. Nous avons vu
cela de nos propres yeux en nous rendant dans les cafés du Caire
et d’Amman, où de modestes boutiquiers, paysans et manœuvres,
scotchés devant les postes de télévision, sirotaient leur thé,
en savourant en eux-mêmes [les pertes israéliennes] :
« sept », « huit », « neuf »…
Notes
Alastair
Crooke et Mark Perry sont les codirecteurs de Conflicts
Forum, une association sise à Londres et se consacrant à
fournir une ouverture à un Islam politique. Crooke est un ancien
conseiller en matière de politique moyen-orientale auprès du
Haut Représentant de l’Union européenne, Javier Solana, et il
a travaillé au sein de la Commission Mitchell chargée d’enquêter
sur les causes de la deuxième intifada. Perry est un consultant
politique de Washington, District of Columbia ; il est
l’auteur de six ouvrages consacrés à l’histoire des
Etats-Unis. Enfin, il a été un des conseillers personnels de
Yasser Arafat.
Les
recherches nécessitées par cet article ont été effectuées par
Madeleine Perry.
(Copyright 2006 Asia
Times Online Ltd. All rights reserved. Please contact us about sales,
syndication and republishing .)
Traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau
de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction,
à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner
sources et auteurs.
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