Opinion
Egypte, sanglante
répression contre les coptes
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Lundi 10 octobre
2011
Le premier ministre égyptien
Essam Charaf a affirmé que
« la nation est en danger »
après les affrontements qui ont
fait au moins trente-cinq morts
dans la soirée de dimanche et
dont les victimes principales
ont été les coptes. « Ces
événements nous ont fait revenir
en arrière (...) au lieu d’aller
de l’avant pour construire un
Etat moderne sur des bases
démocratiques saines. (...) La
chose la plus dangereuse qui
puisse menacer la sécurité de la
nation, c’est de jouer avec la
question de l’unité nationale et
de provoquer la sédition entre
chrétiens et musulmans (...), et
aussi entre le peuple et
l’armée. » Le gouvernement
devait se réunir d’urgence et le
cheikh d’Al-Azhar a appelé au
dialogue interreligieux. Les
militaires ont demandé au
gouvernement de créer une
commission d’enquête.
C’est l’épisode le plus
sanglant survenu en Egypte
depuis le renversement du
président Moubarak, en février
dernier. A l’origine de ces
incidents, l’incendie d’une
église à Assouan, en
Haute-Egypte, le vendredi
30 septembre. Cet incendie est
intervenu après des déclarations
du gouverneur Mostafa el-Sayyed
selon lesquelles l’édifice
aurait été construit sans avoir
obtenu l’approbation des
autorités. Après quelques jours
d’affrontements à Assouan, les
coptes ont décidé de manifester
au Caire le dimanche 10 octobre.
Tous les témoignages publiés
par la presse confirment que ce
sont des manifestants pacifiques
qui ont été attaqués, d’abord
par des bandes armées et ensuite
par les forces armées
elles-mêmes. Sarah Carr, dans le
quotidien Al-Masry Al-Youm
(« A
firsthand account : Marching
from Shubra to deaths at Maspiro »),
raconte comment les
manifestants, au nombre de dix
mille, sont partis du quartier
populaire de Choubrah (au
Caire). Ils ont été attaqués à
coups de pierres par des
éléments non identifiés, avant
d’atteindre le centre de la
capitale et l’immeuble Maspiro,
qui abrite la radio-télévision,
à quelques centaines de mètres
de la place Tahrir. C’est là
qu’ils ont été attaqués par des
soldats montés sur deux
véhicules blindés, attaque qui
fera de nombreux morts. Pendant
ce temps, la télévision d’Etat
diffuse des informations selon
lesquelles les coptes auraient
volé des armes et tiré sur
l’armée ; elle affirme qu’ils
sont manipulés par l’étranger.
On peut noter que la chaîne
Al-Jazira a développé le même
type d’arguments et a soutenu la
propagande des militaires : lire
Angry Arab (10 octobre).
Ce compte-rendu est confirmé
par les correspondants d’Ahram
Online (« Protest
against persecution of Copts in
Egypt attacked with bloody
force »). Le rôle de groupes
non identifiés pour réprimer les
manifestants fait craindre le
pire, dans la mesure où ces
mêmes groupes ont servi le
régime Moubarak durant les
journées de la révolution.
Selon le correspondant du
New York Times David
Kirkpatrick (« Church
Protests in Cairo Turn Deadly »),
un certain nombre de musulmans
sont venus au secours des
chrétiens.
Le ministre de l’information
a déclaré le 11 octobre qu’il
n’y avait pas de preuve que les
manifestants aient attaqué
l’armée. Il a aussi critiqué la
couverture des événements par la
télévision d’Etat (« Information
Minister : We are not sure army
soldiers were attacked by
protesters », Al-Masry
Al-Youm). Un changement
complet de la télévision d’Etat
reste l’un des objectifs
importants de la révolution.
Beaucoup récusent une lecture
purement confessionnelle des
incidents (lire Rudolf El-Kareh,
« Multiples visages des
chrétiens d’Orient »), mais
y voient la confirmation que le
Conseil supérieur des forces
armées (CSFA), qui assume le
pouvoir, veut maintenir l’ancien
régime et utilise tous les
moyens contre toute forme de
contestation, que ce soit celle
des coptes, les grèves ouvrières
ou les manifestations de défense
des droits humains. S’il est
vrai que l’autoritarisme du CSFA
n’est plus à démontrer, il
paraît pourtant peu probable
qu’il veuille se maintenir au
pouvoir. Les élections
débuteront à la fin novembre, et
le CSFA a dû tenir compte de la
demande des forces politiques
sur la loi électorale, étendre
l’interdiction faite aux membres
de l’ancien parti au pouvoir de
se présenter aux élections, etc.
Notons aussi les avancées du
mouvement démocratique :
dissolution du parti unique,
mise sous tutelle du syndicat
officiel, création de syndicats
libres, élections à la tête des
universités, procès d’anciens
responsables, etc.
Mais il est vrai que la
longueur de la transition (le
dernier tour des élections
législatives aura lieu en
janvier ; il sera suivi par le
scrutin pour le majliss
al-choura (le Sénat) et le
Parlement ne se réunira qu’en
mars) favorise toutes les
instabilités, ainsi que les
manœuvres des tenants de
l’ancien régime.
Les réactions des Frères
musulmans égyptiens et de leur
parti ont été plus que
prudentes : ils s’en sont tenus
à des généralités et à la
présentation de condoléances (« MB
Extends Condolences to Egyptians
over Maspero Killings »).
Les analyses d'Alain Gresh
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