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Les blogs du Diplo
Quand Bernard Kouchner défend « les
barbares afghans »
Alain Gresh
Jeudi 2 octobre 2008 Nous
l’avons entendu à plusieurs reprises, le retour des taliban en
Afghanistan marquerait le triomphe de la barbarie. Le président
de la République l’a expliqué à plusieurs reprises. Le chef de
l’Etat a expliqué le 20 août 2008 à Kaboul : « "Je suis venu
vous dire que le travail que vous faites ici, il est
indispensable", lance-t-il aux militaires, "parce qu’ici se joue
une partie de la liberté du monde, parce qu’ici se mène le
combat contre le terrorisme". »
En avril 2008, au sommet de l’OTAN, pour justifier l’envoi de
troupes françaises, Nicolas
Sarkozy avait ressorti l’argument des femmes afghanes :
« Quand on sait ce que les talibans ont fait aux Afghans,
surtout aux femmes afghanes… »(Libération, 4 avril,
« Otan et défense européenne : le pas de deux de Sarkozy »).
En visite à Kaboul en juillet 2008, le ministre français de
la défense Hervé Morin
déclarait :
« “Il n’y a pas d’autre choix” que la présence militaire
internationale. “Partir serait une idée folle, il ne faut pas
oublier ce qu’était le régime des talibans, un joug abominable”,
a ajouté M. Morin. »
Dans une tribune libre « Afghanistan :
le sens de notre engagement » publiée dans le quotidien
Le Monde après la mort de dix soldats français en
Afghanistan, MM. Bernard Kouchner et Hervé Morin écrivaient :
« Ce qui est en jeu, ce sont d’abord nos valeurs. De 1996
à 2001, une dictature barbare, le régime des talibans, coupait
l’Afghanistan du reste du monde. La dignité de la femme y était
bafouée, les Droits de l’Homme inexistants, l’obscurantisme et
la terreur omniprésents. Sous ce régime, les femmes n’étaient ni
scolarisées ni soignées, les opposants étaient pendus dans les
stades, la culture et la civilisation du pays reniées. »
« Nous nous battons pour offrir au peuple afghan des
conditions de vie acceptables : égalité, justice, recul de
l’arbitraire et de la violence. Nous voulons leur apporter cette
sécurité nécessaire au développement et permettre aux enfants
d’avoir un avenir - c’est-à-dire d’être éduqués et soignés. »
La France se bat donc, comme ses partenaires, pour le
triomphe des valeurs occidentales de liberté, de démocratie,
d’égalité hommes-femmes. Nous nous battons donc pour nos
valeurs, sur lesquelles nous ne sommes pas prêts à transiger.
Quelle ne fut donc notre stupéfaction de lire les
déclarations du ministre des affaires étrangères après l’annonce
par le président afghan Hamid Karzaï en faveur d’un dialogue
avec les talibans, et pour leur participation au pouvoir à
Kaboul.
Selon une dépêche de l’Agence France-Presse du 1er octobre
intitulée « Négociations avec les talibans : Paris favorable à
la démarche de Karzaï », Bernard Kouchner a déclaré : « "Ce
que dit le président Karzaï, c’est qu’il y a des talibans
nationalistes, avec lesquels toutes les familles afghanes ont
des contacts, qui doivent se présenter à la négociation -et
localement cela a déjà été fait-, et que quelque chose s’arrange
entre Afghans", a expliqué le ministre. M. Kouchner a toutefois
ajouté que "ce que veut dire le président Karzaï, même s’il en
appelle au mollah Omar, c’est que localement dans les régions il
faut nouer des contacts". "Il y a d’autres talibans, partisans
du jihad global, de l’insurrection généralisée au nom de
l’extrémisme et au nom de l’assassinat : regardez le dernier
assassinat au Pakistan devant l’hôtel Marriott, c’est quand même
effrayant et ignoble", a souligné le ministre. "Ceux-là, on ne
peut pas parler avec eux, on les combat", a-t-il précisé ».
Si l’on comprend bien, les talibans, à condition qu’ils
soient des nationalistes, et même s’ils ne sont pas des adeptes
fervents de la démocratie et du droit des femmes, pourront être
associés demain au pouvoir. Et les valeurs pour lesquelles nous
nous battrions, où sont-elles ?
Si nous les abandonnons, il reste l’argument que nous nous
battons là-bas contre le terrorisme international. Mais si
c’était le contraire ? Si, comme l’explique un responsable
britannique au numéro 2 de l’ambassade de France à Kaboul,
« la présence, notamment militaire, de la coalition est partie
du problème, non sa solution. Les forces étrangères assurent la
survie d’un régime qui, sans elles, s’effondrerait rapidement ».
(cité dans Claude Angeli, L« a réalité afghane que Sarko décide
d’ignorer », Le Canard enchaîné, 1er octobre 2008). Tout
le monde le reconnaît, la présence occidentale fait affluer
là-bas des volontaires du monde musulman en nombre...
Et si la seule solution était
le
retrait des troupes françaises, et de toutes troupes
étrangères,
selon des modalités à étudier..
D’autant que la guerre est sans doute déjà perdue. Selon un
décompte de l’AFP, 221 soldats de la coalition ont été tués en
2008 en Afghanistan (contre 219 durant toute l’année 2007). Et
le Center for Strategic & International Studies de Washington
publie une étude de Anthony H. Cordesman, « Follow
the money : Why the US is losing the war in Afrghanistan ».
Ce texte, malgré ses vues assez simplistes, offre de nombreuses
données sur une guerre sans perspectives...
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