Al-Ahram Hebdo
Hind Khoury:
« Il faut que l'Europe et les Etats-Unis s'entendent pour exiger
une paix globale »
Hind Khoury - Photo JPC AFPS Lille
Mercredi 29 juillet 2009
Hind Khoury,
ambassadrice de Palestine à Paris,
souligne que les médias français subissent des pressions
idéologiques, dont la peur que le conflit israélo-palestinien
ait des répercussions en France sur les communautés juive et
arabe. Al-Ahram Hebdo : Mme
l’ambassadrice, vous êtes en poste à Paris depuis quelque temps,
pouvez-vous nous donner une idée sur votre carrière avant
d’arriver à Paris ?
Hind Khoury :
C’est une carrière avant tout palestinienne, au service de mes
compatriotes. Ma formation économique m’a conduite à travailler
sur des questions liées au développement, dans le secteur privé,
mais aussi dans le secteur public. J’ai exercé des missions dans
le domaine humanitaire, comme coordinatrice des pays donateurs,
dans le tourisme, ou encore liées aux droits de l’Homme en
Palestine. Quant à mon engagement politique, il n’a cessé de
croître depuis la première intifada. Avant d’arriver à Paris,
j’ai été, en 2005, nommée ministre des Affaires de Jérusalem
dans le gouvernement Abbass.
— Comment jugez-vous la position des médias
en France vis-à-vis du processus de paix en général et de la
question palestinienne en particulier ?
— Les médias français ont une réelle
sympathie pour la cause palestinienne, mais pâtissent également
d’une certaine incompréhension liée sans doute à des pressions
idéologiques. L’une de ces pressions est la peur que le conflit
israélo-palestinien ait des répercussions en France entre les
communautés juives et arabes. Médias et politiques redoutent une
importation du conflit qui pourrait se manifester par des actes
racistes. En janvier dernier, l’attaque meurtrière menée contre
la Bande de Gaza a été largement couverte et dénoncée par les
médias français, mais force est de constater que depuis, plus
personne ne parle des conséquences de ce massacre. Actuellement
dans la presse française, les Iraniens sont devenus « les
agresseurs » et les Israéliens « les agressés ».
— Pensez-vous que le monde arabe manque de
stratégie de communication sur la question palestinienne en
particulier et sur l’ensemble de ses droits en général ?
— Il ne faut pas oublier que les pays arabes
ont adopté une stratégie commune sur la question palestinienne
que je qualifierais de pragmatique en 2002 (Plan de Beyrouth)
puis en 2007 (Plan de Riyad). Il y a donc une diplomatie active
ainsi qu’une réelle volonté de constituer un bloc stratégique et
géopolitique homogène. Bien sûr, des divisions trop nombreuses
sont à déplorer et paralysent l’action sur le terrain. En terme
de communication, je crois qu’il faut saluer l’essor des médias
privés qui ont su fédérer les pays arabes autour de journaux et
surtout de chaînes de télévisions qui sont regardées dans le
monde entier. Au-delà des informations et de la liberté que nous
apportent ces médias, je trouve que c’est une véritable fierté
pour le monde arabe d’avoir de tels relais culturels et
politiques communs.
— Comment jugez-vous le discours de Barack
Obama du 4 juin passé à l’Université du Caire ?
— Pour moi, c’est le premier véritable
discours post-colonial. Obama ne s’est pas adressé aux
gouvernements, mais aux peuples dont il a mesuré les déceptions
passées et les aspirations. Ce discours du Caire témoignait de
l’importance du respect de l’autre, de la dignité, mais aussi
d’un réel besoin de changement. Obama a compris que le monde a
changé et qu’une nouvelle diplomatie doit voir le jour. J’ai été
très émue par la terminologie employée par le président
américain. Pour la première fois, il a parlé « d’occupation » et
de « résistance », mais a aussi très bien distingué le combat
des Palestiniens d’un certain « extrémisme » musulman : c’était
un discours clair et équilibré. Certes, Obama n’est pas venu
avec des solutions ou un calendrier. Il n’a pas non plus abordé
la question de Jérusalem ni les frontières de 1967, mais c’est
un premier pas qu’il faut saluer en attendant de véritables
actions sur le terrain.
— Ne pensez-vous pas que la France et
l’Europe, qui étaient toujours en avance sur la position
américaine quant au conflit israélo-arabe, sont prises de court
par cette extrême ouverture du président américain ?
— Les positions européennes restent bonnes et
nous devons continuer à saluer les efforts, en particulier sur
le plan financier, qui sont ceux de l’UE. En revanche, comment
ne pas souligner certaines contradictions dans la politique
européenne qui d’un côté condamne Israël, et de l’autre,
continue d’être son premier partenaire économique ? L’Europe
aurait véritablement les moyens d’agir et ne le fait pas. L’un
des problèmes majeurs n’est autre que la division et
l’hétérogénéité entre les pays européens qui ne parlent pas de
la même voix et, de ce fait, se contentent de déclarations de
principe. Dans ce domaine, il faut tout de même saluer la France
qui reste un allié dynamique et indéfectible. Enfin, je crois
qu’il faut noter que le changement de cap des Etats-Unis est
très important dans la mesure où ce pays est le soutien
traditionnel d’Israël. Il faut maintenant que l’Europe et les EU
arrivent à s’entendre pour exiger une paix globale en Palestine
et au Moyen-Orient.
— Comment peut-on décrire la situation à Gaza
et dans les Territoires au lendemain de l’agression israélienne
sur Gaza ? Autrement dit, comment expliquer à l’opinion publique
occidentale ce schisme politique palestinien qui empêche une
visibilité plus positive de la cause palestinienne en Occident ?
— Depuis le massacre de janvier, la situation
n’a pas changé dans la Bande de Gaza. Le territoire est toujours
paralysé par le blocus de l’armée israélienne et la misère ne
cesse de s’étendre. L’opinion publique occidentale commence à
comprendre que les divisions entre Palestiniens ont pour cause
l’occupation et la colonisation israélienne. Ce chaos, provoqué
par les gouvernements israéliens successifs, a conduit à
détruire le tissu politique palestinien qui n’a plus de vision
commune. Comment voulez-vous parler de démocratie, d’espoir et
de paix à un peuple qui n’a connu que la violence et les
injustices de la politique israélienne ? Je reste convaincue que
si demain la communauté internationale s’engage clairement pour
la création d’un Etat palestinien, nos compatriotes vont se
rassembler et se réconcilier.
— Quel est votre plan de travail vis-à-vis
des médias, mais aussi de la société civile française dans la
période à venir ?
— Je vais vous répondre que je vais continuer
à faire ce que je fais depuis 3 ans. Dans leur grande majorité,
les Français sont très engagés en faveur de la cause
palestinienne. Je me déplace en moyenne deux fois par semaine en
province, et à chaque fois, je suis bien accueillie par des
personnes qui connaissent très bien la situation en Palestine.
Lors de ces déplacements, je participe à des conférences,
rencontre les réseaux de solidarité, les ONG, les associations
de soutien, la presse locale, les militants politiques, les
universités ou encore les élus des communes françaises qui
souvent sont jumelées avec des villes ou des camps palestiniens.
A Paris, mon activité reste plutôt centrée autour de
l’administration de la Délégation de Palestine, à laquelle nous
voulons donner la même importance que les autres ambassades
étrangères. Je suis aussi proche des réseaux politiques et
diplomatiques français. Régulièrement, les médias nationaux me
sollicitent pour répondre à des interviews ou m’invitent à des
débats. Enfin, mon activité et celle de la Délégation consistent
aussi à faire « vivre » la Palestine au travers d’événements
culturels. En ce moment, nous organisons avec l’Institut du
monde arabe une exposition d’art palestinien qui s’intitule « La
Palestine dans tous ses états » et qui rencontre un franc
succès. Mon rôle en France consiste aussi à véhiculer une autre
image plus positive de la Palestine que celle de la guerre.
Propos recueillis par Ahmed
Youssef
Droits de reproduction et de diffusion
réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 31 juillet 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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