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Attentisme
Hicham Mourad
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France
. La victoire au second tour des présidentielles de
Nicolas Sarkozy, qualifié de pro-israélien et partisan de «
l’immigration choisie », suscite des craintes dans le monde
arabe et en Afrique.
Photo Al-Ahram
Les
Français ont élu président Nicolas Sarkozy, lui offrant
dimanche 6 mai une large victoire face à la socialiste Ségolène
Royal et portant ainsi au pouvoir pour cinq ans le candidat de
droite qui leur a promis de changer le pays en profondeur. Sarkozy
a obtenu 53,06 % des voix contre 46,94 % pour Royal. A 52 ans, il
succède à la présidence de la République à Jacques Chirac,
qui a dirigé la France pendant 12 ans.
L’élection
de Sarkozy semble laisser présager une politique française au
Proche-Orient a priori plus pragmatique et moins personnalisée
que celle de Jacques Chirac. Mais, la tâche sera d’autant plus
rude qu’il succède à un homme, Jacques Chirac, dont la geste
diplomatique envers le monde arabe était surtout empreinte de
considérations affectives et personnelles, et parfois d’un
certain paternalisme bienveillant pour ses dirigeants.
La
victoire de Sarkozy suscite donc certaines appréhensions dans un
monde arabe qui redoute des positions alignées sur celles des
Etats-Unis et une politique « moins équilibrée » en faveur
d’Israël. Le nouveau président est souvent présenté dans la
presse comme étant plus pro-israélien et pro-américain que ses
prédécesseurs. Il a cependant assuré que sa politique sera
marquée par la « continuité ». Il dit vouloir « la sécurité
» pour Israël et un Etat pour les Palestiniens. Il prône des «
relations confiantes » avec les gouvernements arabes. Des
intentions qui restent à tester, poussant les responsables arabes
à adopter une attitude attentiste.
Pour
l’heure, la victoire de Nicolas Sarkozy a suscité une grande
satisfaction en Israël, au sein des organisations juives aux
Etats-Unis et dans le monde. Alors que la presse américaine
saluait en lui « un ami des Américains », le premier ministre
Ehud Olmert s’est « déclaré convaincu que les relations entre
Israël et la France (allaient) se développer et se resserrer »
durant le mandat de Sarkozy. Proche « ami » de Sarkozy, le chef
de l’opposition israélienne Benyamin Netanyahu a estimé que le
prochain président français — contrairement à son prédécesseur
Jacques Chirac, qualifié d’« ami des Arabes » — est « un
homme qui voit les intérêts de la France sous un autre angle ».
Les médias israéliens ont de leur côté salué une victoire qui
prélude à « une ère nouvelle dans les relations franco-israéliennes
», comme l’écrit en Une le quotidien populaire Yediot Aharonot
à gros tirage. Le quotidien indépendant Maariv a rappelé que
Sarkozy a entamé sa campagne électorale à l’étranger en
visitant Yad Vashem (le Mémorial de la Shoah) à Jérusalem.
Ces
réactions tranchent avec les commentaires plutôt sobres dans le
monde arabe, à l’exception du Hezbollah libanais, allié de Téhéran
et de Damas, qui s’est aussitôt mis en position d’ouvrir un
dialogue avec la France. Le parti chiite — qualifié de «
terroriste » par Nicolas Sarkozy en septembre, alors qu’il était
ministre de l’Intérieur — a rapidement félicité Sarkozy,
l’invitant toutefois à mener une politique « plus équilibrée
» au Liban et dans la région.
Le
président syrien Bachar Al-Assad, allié de l’Iran, a félicité
lundi Sarkozy, souhaitant que les relations entre les deux pays «
évoluent » positivement. « On ne peut exclure de parler avec la
Syrie, c’est une évidence. Mais la question est de savoir si la
Syrie est prête à devenir une puissance constructive, qui
participe à la recherche de solutions dans les crises de la région,
plutôt que de les rendre plus complexes encore », avait récemment
déclaré Sarkozy. A Beyrouth, le président libanais Emile Lahoud,
boycotté par Jacques Chirac, a souhaité un « renouvellement et
une intensification des relations libano-françaises ». Durant sa
campagne, Sarkozy a affirmé que la création d’un tribunal
international pour juger les assassins du dirigeant libanais Rafiq
Hariri « est une nécessité », une position que Lahoud, allié
de Damas, voit d’un mauvais œil.
Inquiétudes
en Afrique
L’élection
de Nicolas Sarkozy suscite également de nombreuses inquiétudes
en Afrique, essentiellement liées à sa lutte contre
l’immigration clandestine. Dimanche soir, juste après sa
victoire, il a appelé les Africains à « décider ensemble
d’une politique d’immigration maîtrisée et d’une politique
de développement ambitieuse ».
L’élu
de droite préconise une « immigration choisie », c’est-à-dire
la venue en France des « meilleurs étudiants, chercheurs, ingénieurs,
travailleurs qualifiés, artistes et intellectuels, ainsi que les
personnes dont les compétences sont recherchées par notre économie,
grâce à un système de points, en distinguant les flux provenant
de pays émergents et ceux provenant de pays en développement,
notamment africains ».
Il
réclame aussi la création d’un ministère de l’Immigration
et de l’Identité nationale. Ce projet d’immigration choisie a
non seulement suscité le rejet catégorique de la gauche, mais
aussi des réserves dans son propre camp de droite. Ce message,
que Sarkozy a voulu faire passer lui-même en Afrique, se heurte
également à la méfiance de nombreux Africains, même si des
pays comme le Mali ou le Sénégal se déclarent prêts à
examiner avec l’Union européenne les moyens de contrôler
l’exode de leurs populations, notamment les jeunes, prêts à
risquer leurs vies pour rejoindre ce qu’ils considèrent comme
des eldorados.
Parallèlement,
le nouveau président français préconise un partenariat
euro-africain liant l’aide au développement et la maîtrise des
flux migratoires, une agence européenne du co-développement
permettant de mobiliser vers des projets structurants dans leurs
pays d’origine l’épargne des 12 millions de migrants en
Europe.
Les
« masses populaires africaines considèrent (Sarkozy) comme le ténor
d’une France (...) retranchée derrière ses barricades,
opposant sans cesse un refus crispé au continent noir », a écrit
le quotidien pro-gouvernemental sénégalais Le Soleil. A Kinshasa
(République démocratique du Congo), Le Potentiel (indépendant)
renchérit : Sarkozy « ne voit en l’Afrique que l’immigration
qui fait mal à la France » et « ignore tout ce que l’Afrique
apporte à la France et à la francophonie ». « L’élection de
Sarkozy n’a pas suscité un grand enthousiasme en Afrique »,
relève de son côté Alioune Tine, le secrétaire exécutif de la
Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho),
une ONG basée à Dakar (Sénégal). « Il a tenté de séduire
l’électorat lepéniste avec les thèmes de l’extrême droite.
Il a heurté de front la sensibilité des Africains, à l’intérieur
comme à l’extérieur », a-t-il souligné. Le nouveau président
rejoint en effet certaines thèses de l’extrême droite en liant
insécurité et chômage à l’afflux d’étrangers en situation
régulière ou clandestine, thèse réfutée par les candidats de
gauche à la présidentielle mais aussi par le centriste François
Bayrou.
Mais
l’élection du candidat de droite soulève également l’espoir
d’une nouvelle relation entre la France et le continent
africain, loin des réseaux de la « Françafrique ». « Nous
comptons sur lui pour la modernisation des relations entre la
France et les pays africains », a déclaré l’ancien premier
ministre et opposant ivoirien, Alassane Ouattara. Pour Le Forum
des As (journal proche du pouvoir de Kinshasa), « Nicolas Sarkozy
est étranger aux fameux réseaux qui fondent la Françafrique »
et « devrait avoir les coudées d’autant plus franches que sa génération
n’a aucun compte colonial ou néo-colonial à solder avec les
dirigeants africains ». En mai 2006, lors d’une visite au Bénin,
Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait affirmé que la
France devait « construire une relation nouvelle » avec l’Afrique,
« débarrassée des scories du passé », sans « réseaux d’un
autre temps » ni « émissaires officieux ».
Hicham Mourad
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