Sommet arabe
|
La discorde s'affiche
à Damas
Ahmed Loutfi
|
Sommet
Arabe. Aucun résultat
spectaculaire ne s’est dégagé de cette réunion sur le dossier
libanais qui était en tête de liste. La question palestinienne a
été quasiment reléguée au second plan. Les divisions
interarabes n’ont jamis été aussi claires.
Photo Al-Ahram
Mercredi 2 avril 2008
On
s’y attendait bien, le sommet arabe de Damas est loin d’avoir
été un succès, il s’est achevé dimanche sans percée sur la
crise politique libanaise, consacrant les divisions entre la
Syrie, accusée d’empêcher l’élection d’un nouveau président
au Liban, et les ténors du monde arabe comme l’Egypte,
l’Arabie saoudite, la Jordanie, accusés d’être des alliés
de Washington, et qui ont boudé la réunion.
Un
bilan négatif à l’heure où la région arabe est en
effervescence avec des affrontements sanglants en Iraq, une cause
palestinienne quasiment abandonnée, du moins classée au deuxième
plan. Un échec qui ne devrait guère surprendre parce qu’il ne
constitue pas une exception dans l’histoire de ces réunions
arabes. C’est de toute façon ce qu’affirme avec son
franc-parler habituel le leader libyen Mouammar Kadhafi. « Aucun
développement notable n’a été enregistré lors de ce sommet,
comme cela a toujours été le cas lors des précédents sommets
», a-t-il affirmé. Seul constat positif pour lui le fait que les
Arabes aient reconnu leurs divisions. « Le plus important dans ce
sommet, c’est le fait que nous avons reconnu l’existence de
divisions, des problèmes et une haine entre les pays arabes et
qu’il faut trouver un mécanisme pour les surmonter », a-t-il
ajouté.
Sur
le fond, les dirigeants arabes se sont contentés en effet de « réitérer
leur attachement à l’initiative arabe pour le règlement de la
crise libanaise » et d’appeler les dirigeants libanais à élire
à la présidence « le candidat consensuel, le général Michel
Sleimane, à la date convenue », selon les résolutions adoptées
par le sommet.
Après
17 reports depuis septembre, une nouvelle séance parlementaire
est programmée le 22 avril pour élire le président libanais.
Ils ont aussi exhorté la majorité et l’opposition au Liban à
s’entendre « le plus vite possible » sur un gouvernement
d’union nationale, selon le plan adopté par la Ligue arabe début
janvier pour sortir le Liban de la crise.
Cette
initiative se heurte toutefois à des querelles entre la majorité
et l’opposition sur le partage du pouvoir au sein de ce
gouvernement.
Et là
où le bât blesse c’est que les divisions arabes attisent le
feu de la discorde. La Syrie soutient l’opposition libanaise
emmenée par le mouvement chiite Hezbollah, tandis que l’Arabie
saoudite, mais aussi Washington, appuient la majorité
antisyrienne au pouvoir. Dans ce contexte, le sommet a été marqué
par l’absence des chefs d’Etat des principaux alliés arabes
de Washington, l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Jordanie,
pour protester contre le rôle syrien dans la crise libanaise.
Beyrouth l’a boycotté ? Une absence symbolique dans la mesure où
le cas libanais était omniprésent. Damas a tenté de calmer le
jeu mais sans le moindre résultat. La Syrie s’est défendue de
toute ingérence dans la crise politique qui secoue le Liban en
accueillant un sommet arabe boycotté par ces principaux alliés
de Washington.
«
Nous sommes attachés à la stabilité, la souveraineté et
l’indépendance du Liban », a assuré le président syrien
Bachar Al-Assad en ouvrant le sommet de deux jours.
«
Je voudrais faire une mise au point sur ce qui se dit à propos
d’une ingérence syrienne au Liban. C’est le contraire qui est
vrai car des pressions sont exercées sur la Syrie depuis plus
d’un an pour qu’elle s’ingère dans les affaires internes du
Liban », a-t-il affirmé.
«
Notre réponse fut claire. (...) la clef d’un règlement est aux
mains des Libanais eux-mêmes ».
De
son côté, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid
Mouallem, a déclaré : « La simple tenue du sommet à Damas est
un succès si l’on tient compte des pressions » exercées selon
lui par les Etats-Unis sur les pays arabes afin qu’ils n’y
participent pas. Onze des 22 membres de la Ligue arabe étaient
représentés par des chefs d’Etat.
Le
chef de la délégation saoudienne au sommet, Ahmad Qattan, réagissant
à un appel lancé jeudi par M. Mouallem à l’Arabie d’« user
de sa forte influence » sur la majorité antisyrienne, a accusé
l’opposition de chercher « à contrôler tous les appareils de
l’Etat » au Liban. « Personne ne peut mettre en doute le rôle
positif joué par l’Arabie saoudite au Liban afin de préserver
sa stabilité et sa souveraineté et le mettre à l’abri des ingérences
étrangères », a-t-il ajouté. Un jeu de mots ? Quoi qu’il en
soit la Syrie a empêché tous les participants n’ayant pas rang
de chef d’Etat de parler au sommet. Ainsi, les absents n’ont
pu s’expliquer en quelque sorte.
D’où
le fait que le président Hosni Moubarak a fait publier son
allocution adressée au sommet. Le chef de l’Etat n’a pas
manqué de s’attaquer à Damas. « Nous souhaitions des progrès
au niveau des relations interarabes pour surmonter les difficultés
et les obstacles, mais cela ne s’est pas produit », a dit M.
Moubarak, en référence aux relations tendues entre Le Caire et
Riyad d’un côté et Damas de l’autre. « Il est nécessaire
de redoubler d’efforts pour assainir les relations interarabes.
Il est normal que la présidence en exercice du sommet (assurée
par la Syrie) fasse ces efforts ».
Le
facteur Washington
Autre
argument en outre mis en avant par la Syrie est cette crainte de
voir Washington, qui aurait fait pression pour que les choses en
viennent là, recourir à la force contre elle. Ainsi, le chef de
la diplomatie syrienne a souligné que son pays se préparait à
tous les cas de figure, y compris un possible recours à la force
par Washington, si ses tentatives diplomatiques d’isoler Damas
devaient échouer.
«
Nous espérons que cela ne se produira pas. Nous souhaitons un
dialogue et une entente pour éviter à la région de nouvelles
destructions et aux Américains davantage de tués », a-t-il dit.
Et sur ce plan aussi, Kadhafi n’a pas manqué de faire des mises
en garde. Le fantasque dirigeant libyen a averti ses pairs
qu’ils pourraient connaître un sort similaire à celui de
l’ancien président iraqien Saddam Hussein, pendu en 2006 après
l’invasion de son pays par l’armée américaine trois ans plus
tôt. « Comment peut-on exécuter un prisonnier de guerre et le
président d’un pays arabe membre de la Ligue arabe ? »,
s’est-il interrogé. Il a affirmé que Saddam Hussein était «
l’ami » des Etats-Unis lorsque Bagdad était en guerre contre
l’Iran de l’imam Khomeiyni, dans les années 1980, « avant
qu’ils ne se retournent contre lui et l’exécutent ». Il a
lancé ensuite devant des dirigeants médusés : « Vous pourriez
tous connaître le même sort. Même vous. Même nous qui sommes
considérés comme les amis de l’Amérique, un jour, elle
pourrait donner son feu vert à notre pendaison ».
Beaucoup
de passions, donc, mais qui ne font que concrétiser un hiatus qui
s’approfondit de plus en plus.
Et
sur l’essentiel, si l’on peut dire ? L’affaire palestinienne
? Les dirigeants arabes ont relégué au second plan la question.
Les dirigeants arabes ont juste renouvelé leur appel à Israël
d’accepter leur plan de paix lancé en 2002 et resté lettre
morte. Il prévoit une normalisation de leurs relations avec Israël
en échange du retrait israélien des territoires arabes occupés.
Le sommet a aussi apporté son soutien à une initiative du Yémen
pour une réconciliation entre le président palestinien Mahmoud
Abbass et le Hamas qui l’a chassé du pouvoir à Gaza en juin.
Enfin, il a été décidé que le prochain sommet arabe se
tiendrait en 2009 au Qatar.
Le
mot de la fin : le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr
Moussa, a affirmé qu’il « poursuivra dans les semaines à
venir » sa mission pour une solution de la crise libanaise, et
souligné l’importance de l’élection du général Michel
Sleimane à la présidence au Liban. « L’élection d’un président
de la République au Liban (...) et l’entente entre les deux
pays voisins et frères, la Syrie et le Liban, sont essentielles
pour le retour du calme et de la stabilité dans la région », a
lancé Amr Moussa. « L’initiative arabe a fait des progrès
(...) suffisants pour l’élection d’un président au Liban ».
Moussa reprendra donc son bâton de pèlerin. Somme toute, il
semble être l’un des rares à croire toujours en l’unité
arabe.
Ahmed Loutfi (avec agences)
Droits de
reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 3
avril 2008 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
|