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L’Amérique, le 11 septembre,
l’Europe et l’Islam
Akram Belkaïd
Mardi
11 septembre 2007
Ne dites surtout pas que les Américains - ou, si
vous préférez, les Etasuniens - vont « encore »
parler des attentats du 11 septembre 2001 et cela pour la bonne
raison qu’ils n’ont jamais cessé de le faire. C’est ainsi,
les attaques contre New York et Washington font toujours partie du
quotidien au pays de l’Oncle Sam. On en parle dans les émissions
matinales ou celles du soir. On y fait référence dans les
discours et de nombreuses créations artistiques s’en inspirent
ouvertement.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet
événement est à toutes les sauces. Prenez n’importe quel
journal, quotidien national ou gazette locale, feuilletez-le avec
soin et vous aurez neuf chances sur dix d’y trouver, été comme
hiver, une mention à propos du « nine-eleven ». Plus
que jamais, le 11 septembre est un référentiel incontournable.
C’est, par exemple, une question omniprésente
dans le débat à propos de l’Irak. Partisans et adversaires
d’un retrait des troupes américaines l’évoquent mais pour
des raisons différentes. Les premiers estiment qu’il est urgent
de les redéployer en Afghanistan, non seulement pour capturer Ben
Laden mais aussi pour endiguer le retour des Talibans.
A l’inverse, les seconds, parmi lesquels le
dernier carré des néoconservateurs, continuent d’affirmer que
la chute de Saddam Hussein a rendu le monde plus sûr et qu’un départ
d’Irak signifierait de nouveaux « 11 septembre » sur
le sol américain...
Si faire le lien entre les attentats de 2001 et la
guerre en Irak n’est pas quelque chose de totalement absurde, on
peut se demander, à l’inverse, ce que vient faire ce thème
dans un débat à propos de la réforme de l’assurance-maladie
ou de la réhabilitation des milliers de ponts routiers qui
tombent en ruines aux quatre coins des Etats-Unis. A suivre les
interventions au Congrès américain on réalise que c’est
pourtant le cas et cela traduit bien une obsession qui a tendance
à détourner l’Amérique de ses véritables problèmes.
Citons le cas de la criminalité. Chaque année,
en moyenne, 16.000 Américains sont victimes d’un meurtre, soit
trois fois plus que le bilan humain des attentats du 11 septembre.
Ce chiffre effarant est à rapprocher avec une autre statistique
selon laquelle il y a, aux Etats-Unis, 90 armes à feu pour 100
habitants, ce qui constitue un record mondial (Sur 8 millions
d’armes automatiques individuelles fabriquées chaque année
dans la planète, il s’en vend 4,5 millions aux Etats-Unis).
Pourtant, on parle plus du 11 septembre que des ravages des armes
à feu et quand une tuerie ensanglante un campus, il se trouve même
des voix pour clamer qu’un citoyen armé est la meilleure des
protections contre de nouvelles attaques terroristes ( !).
C’est peu dire qu’il y a beaucoup de
propagande et de marketing politique autour de ces attentats dont
les Etats-Unis vont commémorer le sixième anniversaire dans
quelques jours. On peut effectivement accuser l’administration
Bush d’avoir exploité en permanence le filon de la peur d’un
nouvel « nine-eleven » pour imposer son agenda
politique.
Mais il est nécessaire de pousser plus loin la réflexion
pour comprendre pourquoi le 11 septembre prend une telle place
dans la vie quotidienne américaine. Voici une première
explication : si la peur a plus ou moins disparu, la « peur
de la peur » est toujours présente. Ce que les Américains
ne veulent pas revivre, ce n’est pas simplement une attaque
contre leur sol mais c’est aussi toute cette période qui a
suivi les attentats. Une période faite de rumeurs folles et
alarmistes où les gens n’ouvraient plus leur courrier et
restaient terrés chez eux.
Et c’est cette réalité qui amène une seconde
hypothèse. Si le 11 septembre est aussi omniprésent aux
Etats-Unis, c’est de par son unicité. C’est un événement
qui a bouleversé notre monde, mais en même temps, il ne s’est
pas répété car depuis l’effondrement des tours jumelles, l’Amérique
n’a plus été attaquée même si elle vit au rythme des alertes
et des complots déjoués, qu’ils soient réels ou inventés.
Avec ces attentats, les Etats-Unis ont reçu un coup traumatisant
mais ni le second ni le troisième n’ont suivi, ce qui donne au
premier toute sa dimension exceptionnelle et angoissante.
N’allez pas croire que j’insinue que l’Amérique
devrait subir de nouveaux attentats pour se guérir de la « peur
de la peur ». Loin de là. Simplement, on comprend mieux le
ramdam autour du 11 septembre en prenant conscience du fait que
les Etasuniens ne sont pas « habitués » à la
violence terroriste, contrairement à d’autres peuples qui la
subissent régulièrement.
Parlons maintenant de l’Islam aux Etats-Unis. Il
est probable que les commémorations autour de ces attaques vont
aviver les critiques des musulmans à l’encontre de l’islamophobie
qui règne dans ce pays. C’est vrai que « l’islam-bashing »,
souvent doublé d’un « arabs-bashing », est une
constante, qu’il s’agisse de certains networks de télévision
ou même de cercles universitaires influents.
De plus, on ne le dira jamais assez, les grands
perdants des attentats du 11 septembre, sont, outre leurs victimes
immédiates, les Irakiens et les Palestiniens, ces derniers étant
désormais incapables de faire entendre leur voix sans être
submergés par des accusations d’affiliation à l’hydre
terroriste.
Mais là aussi, il faut être prudent et se garder
de céder à un antiaméricanisme primaire. C’est bien en
Europe, et non aux Etats-Unis, que l’extrême droite européenne
a cherché à organiser, le 11 septembre prochain à Bruxelles,
une manifestation contre les musulmans qui vivent sur le vieux
continent. La Mairie de Bruxelles a certes interdit cette marche
mais voilà une initiative qui fait froid dans le dos. Et ce
n’est pas tout.
Quand on entend les discours haineux en Allemagne
contre la construction de mosquées (c’est le cas notamment à
Cologne) ou même en Suisse - où les Conservateurs veulent
amender la Constitution pour y inscrire l’interdiction des mosquées
sur le sol helvète — on se dit que l’islamophobie la plus
virulente n’est pas nécessairement américaine. Et l’on est
alors plus enclin à donner du crédit à l’affirmation, très
en vogue actuellement, selon laquelle, 11 septembre ou pas, il est
plus aisé d’être musulman aux Etats-Unis qu’en Europe.
Le Quotidien d’Oran, jeudi 6 septembre 2007.
Akram Belkaïd, journaliste à la rubrique
internationale du quotidien la Tribune, Akram Belkaïd est
l’auteur du livre « Un regard calme sur l’Algérie »
aux éditions du Seuil.
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