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Ha'aretz
Vivre la vie
des autres
Akiva Eldar
[Il y a 40 ans, Israël était
un tout petit pays. Mais depuis, en s'étendant, il s'est mêlé
de la "vie des autres". Et, comme dans le film sur la
Stasi, il en paye le prix, en termes de valeurs, de démocratie et
peut-être de survie]
Ha'aretz, 4 juin 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/866548.html
Il y a 40 ans, les citoyens d'Israël vécurent leur dernier jour
en tant que peuple libre sur sa terre. Ce fut le dernier jour que
vécûmes sans vivre la vie des autres. Après quoi, nous commençâmes
à payer le prix pour vivre la vie des autres.
Le réalisateur allemand Florian Henckel von Donnersmarck a récemment
traité de ce prix qu'il y a à payer dans son film "La Vie
des Autres", sur le mode opératoire de la Stasi.
La menace qui planait sur Israël le 4 juin 1967 avait à voir
avec sa survie. Alors, notre vie était différente, et nous
l'avons oublié. 40 ans d'annexion rampante et 20 ans de
confrontation violente ont contribué à cette amnésie.
Ainsi, notre victoire sur le champ de bataille, censée améliorer
et sécuriser notre vie, rend notre vie et celle d'autres
insupportable. L'année 1966 fut celle d'un chapitre important
dans la courte vie d'Israël. Elle constitua aussi un point
important dans la guérison des Juifs du sentiment d'être assiégés.
Début décembre, en effet, le gouvernement de Levi Eshkol
annulait le régime militaire pratiqué en Israël, qui se fondait
sur les
règles en vigueur sous le Mandat britannique.
En agissant ainsi, le gouvernement se débarrassait du principal
obstacle qui empêchait la population arabe d'Israël de mener une
vie normale. Mais six petits mois plus tard, le gouvernement, en
faisant de la ligne Verte une ligne indistincte, brouillait la
distinction entre Israël proprement dit et les territoires récemment
conquis.
Par la suite, de nombreux Juifs se mirent à considérer les
Arabes de villes comme Baka al-Garbiyeh, du côté israélien de
la ligne Verte, à peu près comme ceux de Baka al-Sharkiyeh, qui
se trouvait du côté jordanien.
Récemment, des plaies soignées ont été rouvertes, et le
sentiment d'identité qui naissait a commencé à se fragmenter.
La nécessité d'exercer son autorité sur la population des
territoires, nombreuse et étrangère, a forcé le gouvernement à
remettre en vigueur le régime militaire qu'il venait d'abolir,
cette fois pour l'employer dans les
territoires, mêmes tactiques et mêmes méthodes.
Le professeur Yeshayahou Leibowitz n'a pas eu besoin de 40 ans
pour se rendre compte que cela transformerait Israël en un Etat
de police secrète, et Tsahal en une "armée
d'occupation". Dès le printemps 1968, il prévenait des
effets de l'occupation sur l'éducation, la liberté d'expression
et de pensée, et sur la nature démocratique du gouvernement.
Leibowitz prédit que la corruption qui caractérise tout régime
colonialiste n'épargnerait pas Israël. Il prévint aussi d'un
effondrement possible des structures sociales et de la corruption
de l'homme, arabe comme juif.
Mais même le prophète d'apocalypse qu'il était ne pouvait prévoir
l'ampleur de la corruption des valeurs que l'entreprise de
colonisation allait générer, ni l'étendue des règles
d'apartheid qui allaient permettre et encourager le vol de la
terre.
Personne n'aurait pu prédire que cette entreprise allait tant
nuire à la cohésion d'Israël, ni combien la position d'Israël
allait être compromise aux yeux du monde libre.
En juin 1967, une minuscule Jérusalem abritait 13 ambassades étrangères.
En 1980, après le vote de la loi fondamentale sur Jérusalem
capitale réunifiée d'Israël, toutes les ambassades étaient
parties.
Il a été dit que les territoires palestiniens agrandissaient la
marge de sécurité dont disposait le "petit" Israël.
Mais qui se souvient qu'au milieu des années 60, plusieurs mois
avant la guerre, le gouvernement avait jugé
bon de raccourcir le service militaire obligatoire pour les hommes
de deux mois? Très peu de soldats ont bénéficié de cette
mesure, car les problèmes de sécurité liés à l'occupation
forcèrent le gouvernement à le rallonger de 14 mois, ce qui le
mit à 3 ans.
Mais ce n'est pas tout. Pendant la deuxième guerre du Liban, les
citoyens d'Israël proprement dit, à l'intérieur de la ligne
Verte, ont payé le prix de la détérioration des capacités de
Tsahal : résultat de son emploi en tant
que force de police dans les territoires conquis en 1967. Emploi
qui a consisté aussi à protéger les biens des voleurs de terres
juifs.
A mesure que les années passèrent, des politiciens israéliens
à courte vue et des leaders religieux ont transformé le
"combat pour notre maison" en un "combat pour la
maison des autres".
Il est vrai qu'il fut un temps où l'autre côté ne voulait
discuter de rien, pas même des frontières de 1967. Mais
aujourd'hui, les 22 Etats membres de la Ligue arabe déclarent
qu'ils considèrent cette frontière comme une base pour faire la
paix : chose dont personne n'aurait rêvé il y a 40 ans.
Et ainsi, Israël est en train de manquer cette occasion de faire
de sa victoire militaire la plus grande réussite de son histoire.
Il est en train de perdre la guerre pour son indépendance, et ce
pour avoir voulu contrôler la vie des autres.
Trad. : Gérard
pour
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