On pourrait penser que c’est Gerald Ford (dont on disait qu’il
était incapable de marcher et de mâcher un chewing-gum en même
temps) qui mène au score à la présidentielle américaine. Sinon,
comment expliquer pourquoi la gauche craint (et que la droite
espère) que Barack Obama (ou peut-être John McCain) soit à ce
point plongé jusqu’au cou dans la crise économique pendant des
mois qu’il ne puisse pas se tremper dans le bourbier du
Moyen-Orient. Pendant ce temps, le Likoud aura constitué un
gouvernement du refus, ou peut-être d’unité nationale,
c’est-à-dire un gouvernement de la paralysie. L’AIPAC fera en
sorte qu’Obama n’embête pas Netanyahou (ou peut-être, après
tout, sera-ce Livni) sur des broutilles comme Jérusalem et les
colonies de Cisjordanie. Et Sion aura son sauveur.
Or, les soins intensifs dont a besoin le
conflit israélo-arabe ne sont pas nécessairement contradictoires
avec le sauvetage de l’économie. En fait, la stabilité politique
de cette région sensible pourrait contribuer à apaiser les
marchés. Et la décision de repousser à des jours meilleurs le
traitement de la crise régionale fait le jeu des éléments qui
exploiteront la stagnation pour s’assurer que les jours à venir
seront encore pires. "Notre" conflit ressemble à une voiture
dont l’arbre de transmission n’offre que les options marche
avant ou arrière. Car nos dirigeants nous enseigné, après tout,
qu’une trêve permet aux mouvements terroristes de s’organiser et
s’armer en prévision du prochain round.
Dans le jeu à somme nulle entre le Fatah et
le Hamas, tout arrêt des pourparlers diplomatiques avant la fin
de l’occupation renforce ceux qui sont en faveur de
l’alternative de la violence armée. Une décision du président
américain de rester à l’écart finira de décrédibiliser les
partisans d’une solution à deux Etats.
Le slogan d’Obama, "Nous avons besoin de
changement", convient aussi à la politique américaine au
Moyen-Orient. Le nouveau menu attend depuis décembre 2006 un
président américain qui saura tirer les leçons de "l’axe du Mal"
et de la "démocratisation du Moyen-Orient". Cela apparaît en
détail dans le rapport remis au Congrès et à l’actuel président
par James Baker (ancien secrétaire d’Etat et chef de cabinet de
Bush père) et Lee Hamilton (président de la commission des
Affaires étrangères du Congrès, pour les Démocrates). L’équipe
d’experts qu’ils ont dirigée montre un lien direct entre le
conflit israélo-arabe et d’autres problèmes au Moyen-Orient,
comme les relations avec les régimes iranien et syrien. Les
Etats-Unis ne peuvent atteindre leurs objectifs au Moyen-Orient
sans s’occuper directement du conflit israélo-arabe,
affirment-ils. Ils recommandent de créer un cadre régional pour
soutenir la stabilisation en Irak, qui comprendrait les pays
arabes voisins. Autre recommandation : que les Etats-Unis
trouvent un moyen d’entamer un dialogue avec la Syrie, et même
avec l’Iran, à cause de leur statut de pays frontalier de
l’Irak.
Obama trouvera à sa disposition un outil très
important pour appliquer le changement demandé : le président
palestinien Mahmoud Abbas a raconté qu’après s’être fait
expliquer l’initiative de paix arabe de 2002 [1],
Obama a dit que c’était pure folie de la part d’Israël d’avoir
manqué cette occasion. De fait, il est difficile d’imaginer un
événement qui pourrait plus isoler l’Iran et mettre le Hamas
dans l’embarras qu’un accord de paix régional et deux ambassades
américaines à Jérusalem, l’une à l’ouest pour Israël, l’autre à
l’est pour la Palestine. Récemment, cette initiative arabe a
trouvé des échos favorables chez des personnalités de premier
plan en Israël, dont le président et au sein des dirigeants de
Kadima et des travaillistes. Mais elle n’attendra pas
éternellement un partenaire israélien.
Le changement doit aussi s’incarner dans la
composition de l’équipe américaine chargée de formuler les
accords de paix d’une manière qui insiste sur les anciens
engagements. Le recyclage de conseillers comme Dennis Ross
reviendrait à refaire la même chose. Son collaborateur, Aaron
Miller, a écrit dans son dernier ouvrage que Ross se plaignait
de ce que les Israéliens le percevaient comme l’avocat des
Palestiniens. D’après Miller, aucun des fonctionnaires
américains ayant eu affaire aux négociations n’a jamais été
désireux, ni capable, de présenter le point de vue palestinien,
ni encore moins de le défendre.
Le nouveau président prendra ses fonctions
peu avant que les citoyens israéliens n’aillent aux urnes. Ils
ont le droit de savoir à quelle politique moyen-orientale leur
nouveau premier ministre aura affaire quand il (ou elle) ira à
la Maison-Blanche. Cela les aidera à choisir la direction du
changement qu’ils veulent voir chez eux.