Vous avez été libéré après avoir purgé la totalité de votre
peine (6 mois). Racontez-nous les conditions de votre détention…
J’étais dans une prison préhistorique, dans le Far West
tunisien, la prison de Siliana, près de la frontière algérienne.
Cette prison est réservée aux détenus turbulents. Même les
matons qui y sont envoyés sont des gardiens de prison punis par
leur hiérarchie. Il y avait de nombreux Algériens dans cette
prison, la plupart étaient des trafiquants de drogue. J’étais
dans une cellule de 60 m2 aux côtés de 19 autres détenus, tous
analphabètes. La consigne était claire : m’isoler de tout. Je
n’avais droit ni aux livres, ni au stylo, ni au papier…
Ce sont les raisons pour lesquelles vous aviez décidé
d’entamer une grève de la faim ?
La grève de la faim, je l’ai décidée après l’interdiction de
recevoir les visites de ma famille et de mes avocats. Mais les
autorités étaient assez pernicieuses. Huit matons m’ont tenu et
m’ont enfoncé un entonnoir dans la bouche. Ils y versaient du
lait afin de rompre ma grève de la faim. Nous avions le droit à
une promenade dans un endroit très exigu et aucun contact
n’était possible avec les autres prisonniers. Ben Ali voulait me
casser afin que je demande pardon au tsar de Tunisie. Mais je le
répète, même si j’ai une santé fragile, j’ai une âme plus tannée
qu’une crosse de fusil !
Et aujourd’hui, quel est votre état d’esprit ? Vous
poursuivez toujours votre combat...
Je n’ai pas le choix. Je ne sais qu’écrire sur Ben Ali. Si vous
me demandez d’écrire sur Bouteflika ou M6 ou sur Djerba et
Hammamet, je ne saurais pas le faire. Ben Ali, c’est mon dada.
Il a passé un quart de siècle au palais de Carthage, j’ai passé
un quart de siècle à le lorgner.
Vous allez fêter votre sortie de prison en France auprès de
vos amis pour la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Mais les autorités occidentales ne sont-elles pas complices du
système Ben Ali avec leur silence sur la situation des droits de
l’homme en Tunisie ?
On s’en fout ! La France a besoin de vendre sa camelote, comme
pour le Maroc et l’Algérie. Paris a besoin d’être amie avec la
Tunisie. Nicolas Sarkozy n’a pas l’étoffe d’un Chirac qui, en
2000, avait insisté sur la nécessité de défendre les droits de
l’homme en Tunisie. Sarkozy veut protéger son machin, l’Union
pour la Méditerranée, et ne veut pas qu’un sombre Ben Brik fasse
tout capoter. Mais des hommes politiques comme Bernard Kouchner
et Bertrand Delanoe ont sermonné Ben Ali sur mon cas. Il s’est
senti humilié. Pour revenir à votre question, je vais en France,
car c’est là où j’ai tissé tout mon réseau de soutien : des
journalistes du Monde, du Nouvel observateur, il y en a aussi en
Algérie et je remercie à l’occasion Omar Belhouchet pour son
soutien.
Fondamentalement, votre combat n’est-il pas perdu d’avance ?
Un écrivain contre tout un système politique en Tunisie ?
Moi je n’ai rien à perdre, je ne gagne rien si ce n’est le
plaisir de m’occuper de Ben Ali. S’il n’existait pas, il
faudrait l’inventer. Comparé aux oranges ou à Djerba, Ben Ali
est le seul objet qui fasse vendre en Tunisie. Vous savez,
l’Union des syndicats de journalistes arabes vient de décerner
au président tunisien un « bouclier », une légion d’honneur,
gage de son amitié pour les journalistes arabes, un comble. Moi
je n’ai ni l’arsenal de Ben Ali (bagne, police, banque), j’ai
juste le calame, c’est-à-dire le mot qui scintille comme un
diamant et la plume qui pique comme un dard.