Opinion
Egypte : l'agenda
populaire
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 29 juin 2013
Qu'il est loin le temps où les Frères
étaient confinés dans l'opposition,
immaculée Confrérie qui portait les
notions de justice sociale et de
probité, contre les tyrans et les
sionistes. Dès qu'ils ont eu le pouvoir,
il a suffi de quelques semaines pour que
tout change. Ils sont devenus eux-mêmes
les tyrans et il n'y a pas que ceux
qu'ils qualifient de «laïcs» qui le
disent. Dans leur propre camp, les
salafistes leur font un pied de nez,
même s'ils ne rejoindront pas la grande
marche d'aujourd'hui. «Si nous
comprenons la colère des manifestants,
nous ne descendrons pas dans la rue ce
dimanche 30 juin, par crainte du chaos»
a dit leur porte-parole. Et en plus
savoureux il y a ce clin d'œil assassin
aux Frères : «Ce que les Égyptiens
attendaient, c'est qu'une fois au
pouvoir les Frères musulmans s'inspirent
de leur expérience en matière
d'activités caritatives pour venir en
aide à la population dans un cadre cette
fois-ci officiel.» L'Histoire ne
pardonne toujours pas, mais pour les
Frères elle n'a pas été tendre, elle a
été même impitoyable, elle a connu une
accélération qui ne leur a pas laissé le
temps de souffler. Même s'ils sont
responsables de ce qui leur arrive. Car
avoir menti durant des dizaines d'années
à un peuple exsangue se paie cash. De
plus, ce peuple est toujours en
mouvement. Ce qu'ils n'ont pas compris,
au point de croire qu'ils pouvaient
procéder impunément de la même manière
que le régime de Hosni Moubarak. Leur
grand chef, Mohamed Morsi, ne s'est pas
arrêté un instant pour réfléchir, devant
la colère qui gonfle. Ce faisant, il
aura fait mieux que son prédécesseur
déchu en termes de nombre d'opposants.
L'Egypte entière est en ébullition et
vibre à l'unisson. Lui ne bronche pas,
comptant certainement sur les
Etats-Unis, ou leur obéissant, en
attendant que se dessine une alternative
qui remplacera avantageusement les
Frères, eu égard à la préservation de
l'ordre établi et des intérêts de
l'entité sioniste. Leur ambassadrice en
Egypte, Anne Patterson, s'en prend en
vain à l'opposition, qui ne l'écoute pas
et pour cause, elle considère que la
démocratie est menacée par la contesta
et que «Mohamed Morsi n'est pas Hosni
Moubarak». Un gros mensonge qui n'a que
du mépris pour une population qui sait
ce que pensait la Maison-Blanche de
Moubarak, avant qu'elle-même, ne le
pousse à s'en aller. Ainsi, le temps
presse. Surtout que les Mohamed Baradai,
les Amr Moussa et consorts ne semblent
pas, pour le moment, être en mesure de
prendre en main un mouvement radicalisé
par les effroyables mesures d'austérité,
dictées par la finance internationale,
et plus dur à illusionner de nouveau par
des discours ronflants sur la démocratie
et ce qui lui ressemble dans le lexique
en vigueur. Ce qui fait que la panique
s'empare du département d'Etat qui a, le
28 juin, selon un communiqué «autorisé
un nombre limité d'employés
gouvernementaux et leurs familles à
quitter l'Egypte en raison des troubles
politiques et sociaux qui s'y
déroulent». Signe manifeste
d'incertitude sur l'avenir de leurs
alliés Frères musulmans et d'inquiétude
devant la montée de ce qui semble bien
être une révolution.
Article publié sur
Les Débats
© 2013 Les Debats
Le sommaire d'Ahmed Halfaoui
Les dernières mises à jour
|