Opinion
Les douleurs et
les droits humains
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 18 septembre 2013
Toutes les
douleurs humaines ne sont pas égales. A
la limite des possibles, il y a celles
des plus nombreux, des multitudes.
Celles des exclus du pouvoir de l'argent
qui les enferme dans les angoisses d'une
impuissance insoutenable. Celles-là sont
indicibles. Celle de ce père qui ne peut
se rendre au chevet de sa fille
souffrante, qui ne peut acheter le
billet d'avion et couvrir les frais pour
le faire. Celle de cette mère qui ne
peut payer les soins de son fils, malade
d'une affection rare dont le traitement
est hors de prix ou le manteau de celui
qui va à l'école par les matins froids
et pluvieux. Et puis toutes les autres
innombrables, toutes aussi
insupportables les unes que les autres,
qu'une simple redistribution des
richesses que produit le monde pourrait
supprimer. La bonne conscience inscrite
dans la morale universelle aura inventé
la charité humaine, qui apaisera ici et
là quelques souffrances, qui consacrera
ce faisant l'ordre des choses, qui
inscrit ce fait accompli que le malheur
n'a pas de recours en dehors de la
magnanimité des riches. Parfois, à plus
grande échelle, à celle des grandes
tragédies, ce sont des millions de
personnes qui n'ont même pas de quoi
manger. Là, la charité prend, parfois,
la mesure d'une mobilisation des nations
qui organisent en grande pompe
l'acheminement et la distribution des
rations alimentaires, nécessaires à la
survie. La vie en elle-même devenant
secondaire en de pareilles
circonstances. Il arrive même que la
survie, elle-même, n'intéresse pas. Des
centaines de milliers d'enfants, de
femmes et d'hommes peuvent mourir, sans
que la moindre caméra soit déplacée pour
les montrer aux gardiens de la morale
mondiale. Comme cela s'est passé
récemment dans certaines régions du
monde. Il faut dire, à juste titre, que
les caméras ne fonctionnent plus guère
que sous l'impulsion de ces gardiens. Et
pour cause le droit à l'alimentation ne
figure pas dans la liste des droits
humains pour les Etats-Unis. Surtout pas
comme le définissent ses promoteurs, aux
Nations Unies, comme n'étant pas le
droit à " une ration minimum de
calories, protéines et autres nutriments
spécifiques, ni un droit à être nourri".
Mais en tant que " garantie du droit à
se nourrir, qui ne requiert pas
seulement que la nourriture soit
disponible, que le ratio de production
soit suffisant pour la population, mais
aussi qu'elle soit accessible ". Des
définitions qui ne sont pas des
euphémismes, qui ont pourtant la
prudence de ne pas trop creuser la
problématique qui voudrait que soient
ainsi, si les droits humains sont
sélectifs au point de nier ce droit de
base, il ne faut pas chercher loin pour
comprendre que l'ordre qui est en place
intègre bien, dans sa conception que les
hommes ne doivent pas espérer au même
statut en ce monde. Et si on en est là,
les douleurs dispersées, par milliards,
compteront encore beaucoup moins et ne
sont pas près de trouver leur fin. Elles
feront le bonheur des bonnes âmes à la
recherche des gestes qui les
béatifieront, qui leur donneront le
paradis peut-être.
Article publié sur
Les Débats
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