Opinion
Turquie :
l'imprévisible soulèvement
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 5 juin
2013
Les Etats
de l'Alliance atlantique, les Etats-Unis
en tête, ne s'attendaient pas à ça. L'un
des pivots de leur stratégie
moyen-orientale et méditerranéenne est
en train de traverser une crise dont ils
ignorent l'issue. S'ils ont réagi en
donneurs de leçons à l'égard du
gouvernement Erdogan, c'est qu'ils ne
pouvaient faire autrement. Il y a
d'abord cette arrogance traditionnelle
vis-à-vis des pays qui ne font pas
partie du camp occidental, même membre
de l'OTAN. Ensuite, il y a cette
tentative de marquer le coup, au cas où
le soulèvement populaire pourrait
renverser le système en place. Mais, il
y a surtout une profonde inquiétude, car
pour la première fois, c'est l'échiquier
atlantiste qui risque d'être bousculé.
De plus, la réaction imprévisible du
peuple turc a pris au dépourvu la
Maison-Blanche qui, de toute évidence,
n'a aucun moyen de «contrôle» sur le
développement de la situation, elle qui
n'a pas entièrement statué sur la nature
exacte de l'AKP et qui manifeste une
prudence marquée quant aux intentions
d'Ankara dans le dossier syrien. Les
Etats-Unis ayant opté pour sa prise en
main conjointement avec la Russie,
larguant les autres parties intéressées
et les Turcs faisant mine d'obéir à
Obama tout en «complotant» avec les
Français, dépités que leur
jusqu'au-boutisme soit abandonné. Sur le
terrain, ce dossier est au cœur d'une
bonne partie de la contestation, qui se
dresse contre la politique syrienne du
gouvernement à plusieurs égards, à
commencer par l'impact direct sur les
échanges régionaux, à cause de la
fermeture des couloirs commerciaux avec
la Syrie et l'Iran et par l'insécurité
grandissante qui touche les zones
frontalières. D'autres motifs de
révolte, circonscrits, sont d'ordre
communautaire, social (consécutivement
aux mesures néolibérales) ou
démocratiques (liberté de la presse,
liberté d'opinion, libertés
religieuses…), nationaliste (Kurdes).
Convergent et fusionnent, ainsi, des
colères contenues ou qui s'exprimaient
déjà dans un formidable maelstrom
populaire, dans une coalescence dont
bien malin sera celui qui déterminera
l'orientation finale. Toujours est-il
que les choses se compliquent davantage
pour les stratèges d'une «révolution»,
dont ils voulaient récupérer le maximum
de dividendes avant la débandade finale.
Les auspices de Genève II se présentent
donc assez mal pour l'axe occidentalo-wahhabite.
Sans préjudice d'une reconfiguration du
champ politique turc au détriment d'un
atlantisme en mal de redéploiement. Sur
ce registre, le ministre français des
Affaires étrangères a beau rappeler
«qu'on a affaire à un gouvernement qui a
été démocratiquement élu», il n'en
demeure pas moins que l'irruption des
masses populaires sur la scène politique
peut chambouler bien des données. A ce
titre, la remise en cause de la
politique en vigueur est patente. Car,
quelle que soit l'issue de la
confrontation entre le pouvoir et le
peuple, tout laisse à penser qu'un débat
de fond sera nécessairement ouvert sur
les orientations futures de la Turquie.
Et démocratiquement élu ou pas, le
gouvernement d'Erdogan, s'il n'est pas
destitué, devra tenir compte des
revendications des multitudes qui sont
en train d'exprimer leur mécontentement.
Article publié sur
Les Débats
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