Opinion
Tunisie : la bombe
de Moncef Marzouki
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mardi 2 avril
2013
Ceux qui disent que la crise tunisienne
est exemplaire ont raison à plus d'un
titre. L'évolution de la situation, nous
pouvons le constater, est pleine
d'enseignement. Après le refus du
mouvement populaire de croire qu'il y a
eu une révolution et qu'il fallait qu'il
se démobilise, il y a eu l'épreuve de
l'exercice du pouvoir par les Frères
musulmans avec le désenchantement qui en
a découlé. Les deux phénomènes sont liés
au fait que la réalité des problèmes
soit occultée, alors que les Tunisiens
la vivaient dans leur chair. Elle ne
l'est plus et se fait mettre au-devant
de la scène et dans le discours. Qu'il y
ait eu concertation ou pas au sommet de
l'Etat importe peu, le président Moncef
Marzouki a mis les pieds dans le plat.
Il a même osé le blasphème. Ecoutons-le
: «Croire que l'économie de marché,
libérale ou néolibérale, est à même
d'affranchir les Tunisiens de la
pauvreté, dès le départ, est une idée
fausse et périmée.» Rien que ça ! Une
bombe politique, même si son auteur peut
se dédire. Car, non seulement, il remet
en cause le système qui gouverne la
planète, mais suggère d'abandonner
jusqu'à son évocation. Ce qui est d'une
radicalité inattendue. Comme ce n'est
pas Nicolás Maduro, le successeur de
Hugo Chavez, ni Evo Morales qui ont dit
cette «énormité», il y a lieu de
s'interroger sur ce qui a bien pu se
passer pour que soient franchies toutes
les limites qui bridaient, jusqu'ici, un
pouvoir entièrement soumis au bon
vouloir de la spéculation financière
internationale et aux citadelles
capitalistes. Peut-être en écho au
propos de M. Marzouki, peut-être par pur
hasard, un expert militant néolibéral a
commis un long texte dans la presse
tunisienne pour défendre le FMI. Selon
lui : «Le FMI d'aujourd'hui n'est pas
celui des années antérieures… Il est à
la page des préoccupations
révolutionnaires des Tunisiens.» On peut
demander à l'expert comment le Fonds,
qui a classé le régime de Zine El
Abidine Ben Ali parmi ses meilleurs
élèves, peut se transformer en
révolutionnaire. Mais comme il apporte
une preuve supplémentaire de
l'inconséquence de la bien-pensance
qu'il représente, le citer suffit à la
peine. Le Président, très impliqué, dit
que «l'objectif est d'affranchir de la
pauvreté deux millions de Tunisiens au
cours des cinq prochaines années». Ce
qui l'a certainement fait beaucoup
réfléchir et amené à comprendre et à
admettre que ce qui est à l'œuvre en
Espagne, en Grèce, au Portugal et un peu
partout où règne la libre-entreprise ne
peut pas faire de miracles en Tunisie,
en inversant sa dynamique de destruction
d'emplois. Il conclut, en conséquence,
qu'il faut «une nouvelle approche en
rupture avec l'ancien modèle de
développement». Nous n'en sauront pas
plus. M. Marzouki ne dit rien sur la
«nouvelle approche». Il gardera son idée
pour ces élections qui n'en finissent
pas d'être repoussées ou en fera part
une fois qu'il l'aura bien mûrie. Reste
la réaction des Frères qui doivent bien
en avoir une, ne serait-ce que par le
fait qu'ils sont politiquement et
légalement engagés. Ce serait encore
plus spectaculaire qu'ils soient
d'accord.
Article
publié sur
Les Débats
Copyright ©
2001-2011- MAHMOUDI INFO Sarl - Tous
droits réservés.
Reçu de l'auteur pour publication
Les analyses d'Ahmed Halfaoui
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|