Al Quds Al Arabi
Retournement de la France contre
les Arabes
Éditorial d'Abdel Bari Atwan
19 mai 2007
Il
parait désormais clair, à la lecture de la composition du
nouveau gouvernement français, que le président Nicolas
Sarkozy veut brader l'héritage politique gaulliste et rallier
l'axe anglo saxon sous le leadership américain mettant un terme
à l'identité de ce pays et à sa politique indépendante non
seulement en Europe mais également en direction du Monde arabe.
Le choix de Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères
de même que les critiques qu'il avait adressées, à tort,
contre l'ancien gouvernement (Chirac-Villepin) lui reprochant de
ne pas s'être engagé dans le conflit irakien, donnent à
penser que Sarkozy cherche à être l'allie privilégié de
l'actuelle administration américaine, entrant en compétition,
pour ce faire, avec la chancelière allemande Angela Merkel et même
avec le futur premier ministre britannique Gordon Brown.
Nous
aurions parfaitement compris la position française (les
critiques tant de Sarkozy et que de Kouchner) si l'Amérique
avait gagné en Irak et instaurer un état démocratique stable
et prospère en Irak. Mais ce ne fut pas le cas.
L'administration
républicaine n'a pas vaincu en Irak et l'Amérique est
dans une impasse tragique, car le retrait des troupes américaines
pose problème, de même que le maintien des troupes.
Kouchner
aurait pu regretter que la France ne se soit pas rangée du côté
de l'Amérique si celle-ci avait triomphé, car cela aurait eu
pour effet de priver la France des bénéfices de la guerre (les
butins de guerre).
En quoi la France a eu tort de s'opposer à la guerre, elle dont
la claire vision des choses lui a fait gagner un respect
international, alors que l'administration Bush a été sanctionnée
aux récentes élections par le triomphe des Démocrates au
congrès américain et que l'Espagne et le Royaume uni ont été
la cible d'attentats meurtriers sur le territoire du fait de
leur participation à la guerre d'Irak.
Le plus étrange est que Sarkozy cherche à accrocher les wagons
de la France derrière la locomotive americaine au moment ou les
alliés de l'Amérique dans la guerre cherchent à s'en détacher.
Aznar a été sanctionné en Espagne, Berlusconi en Italie et
les Anglais viennent d'infliger une sévère défaite aux
travaillistes lors des dernières élections municipales .
La politique hostile menée par Sarkozy contre les Arabes et les
Musulmans, du moins telle qu'elle découle de ses prises de
positions, peut satisfaire la communauté juive française
proisraelienne qui a voté en faveur du candidat de la droite, ainsi
qu'Israel et les neo conservateurs américains.
Mais
une telle politique déplait à la majorité du peuple français
et interpelle les quatre millions de français de la communauté
immigrée issue des pays arabes et musulmans, qui sont souvent
des citoyens de seconde zone, subissant quotidiennement les
vexations de l'extrême droite française.
Nous
ne parvenons pas à saisir la sagesse de cette déviation d'une
diplomatie qui a protégé la France du terrorisme, renforcé
son indépendance, conféré crédit à la France et servi ses
intérêts dans le monde. en particulier le monde arabe et le
monde musulman.
La politique de substitution prônée par Sarkozy vise à
dynamiter d'un seul coup les anciennes réalisations
diplomatiques de la France, sans véritable contrepartie, allant
même jusqu'à faire peser des risques sur ses intérêts économiques
et sa sécurité nationale.
Le
plus inquiétant est que les prémisses d'une telle politique
servent les intérêts des groupements islamistes, qui pourront
menacer la stabilité de la France, en attisant la fibre
vindicative par le rappel du passé
colonialiste de la France toujours vivace dans les mémoires.
Le
communiqué publié par les brigades d'Aboul Fahs al Masri, qui
passe pour être rattaché à "Al Qaïda", menaçant
de frapper la France après l'élection du nouveau président,
sont éloquentes à ce sujet.
Nous
ne contestons pas à Sarkozy le droit de ne pas se soumettre à
de telles menaces. Ce qui fait débat est que sa
politique ne confirme pas les fondements et les principes d'une
politique qui a fait de la France l'amie
de 350 millions d'arabes et de un milliard cinq cent millions de
musulmans dans le Monde;
Sarkozy
doit toujours se rappeler qu'au sein du bassin méditerranéen,
il est riverain d'un monde arabe qui recèle un réservoir
considérable d'extrémisme, apte à tout moment à exploser,
attisé par les privations et la corruption, l'accumulation de
richesses sans répartition, l'absence de
gouvernements démocratiques. Un réservoir prêt à s'enflammer
à la moindre étincelle.
L'Amérique dont Sarkozy veut se faire l'allié, n'a gagné
aucune des guerres qu'elle a menées que soit en Afghanistan ou
en Irak, notamment la guerre contre le terrorisme. Alors que le
monde combattait "Al-Qaïda" juste dans l'Emirat de
Tora-Bora (Afghanistan), le voilà qu'il doit faire face à
quatre organisations jumelles surgies par effet de clonage, la
première en Irak, la deuxième en Arabie saoudite, la troisième
en Somalie et la quatrième enfin au Maghreb, à un jet de
pierre de la France.
Il reste encore un peu de temps au nouveau ministre des Affaires
étrangères français (Kouchner) et à son président (Sarkozy)
pour méditer et réfléchir avant de se lancer dans une
politique précipitée et dangereuse, avec l'espoir qu'il s'arme
de sagesse et tire profit des erreurs de l'administration
américaine, de ces guerres destructrices et de sa politique en
faillite, avant de se choisir ses nouveaux alliés et sa
nouvelle politique
Traduction René Naba
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