Entretien
L’ICAHD Royaume-Uni s’entretient avec le
Dr Haidar Eid, de Gaza, qui croit en un
État démocratique
Dimanche 30 août 2020 ICAHD UK (Comité
israélien contre la démolition de
maisons – Royaume Uni) 27 août 2020
Haidar, vous
résidez à Gaza où les deux tiers de la
population qui y vivent sont issus de
familles de réfugiés, est-ce aussi votre
cas ?
Oui, mes parents
sont originaires du village de Zarnouqa,
dans le district de Ramla, qui a subi un
nettoyage ethnique par les gangs
sionistes en 1948. Je suis né dans un
camp de réfugiés dans Gaza, et puis j’ai
vécu dans la ville de Gaza où j’ai
grandi. Mon père travaillait pour
l’UNRWA et ma mère était à la maison.
Mes parents sont décédés en 2005, mais
toute leur vie, ils ont rêvé de
retourner dans leur village.
En
grandissant, avez-vous été en mesure de
quitter Gaza pour faire l’expérience
d’une vie en d’autres pays ?
Bien sûr, il a
toujours été difficile de voyager, même
avant 1993, l’année de la signature des
Accords d’Oslo, Israël contrôlait le
passage de Rafah et il fallait demander
une autorisation pour voyager. Beaucoup
de jeunes gens se sont rendus à
l’étranger pour y étudier et même
travailler.
J’ai pu voyager
dans de nombreux pays. J’ai obtenu mon
premier et mon deuxième diplôme
universitaire à l’Université de la
Méditerranée orientale à Chypre, et mon
doctorat à l’Université de Johannesbourg,
en Afrique du Sud, où je suis resté
environ 6 ans. J’ai eu de la chance car
j’avais le soutien de mon père et
j’avais aussi réussi à obtenir des
bourses de mes propres universités grâce
à mes performances.
Je tiens à ajouter
que j’ai beaucoup appris sur la lutte
anti-apartheid et les sacrifices de la
majorité noire pendant mon séjour en
Afrique du Sud. Je suis arrivé là-bas en
1997, trois ans après l’effondrement du
régime raciste. Les similitudes entre
les deux régimes d’apartheid (Afrique du
Sud et Israël) étaient si évidentes pour
moi que je me suis senti chez moi
pendant tout le temps que je suis resté
à Joburg.
Avez-vous
toujours aspiré à être un universitaire
à Gaza, instruisant et motivant les
futures générations ?
Oui, cela a été mon
objectif tout au long. C’est l’une des
raisons pour lesquelles j’ai choisi de
faire ma maîtrise en études
postcoloniales, où j’ai étudié les
œuvres de Ghassan Kanafani, Edward Saïd,
Aimé Césaire, Frantz Fanon, Ngugi Wa
Thiong’o – entre autres penseurs et
auteurs anticoloniaux. Cela m’a aidé à
contextualiser ce que j’enseigne ici en
Palestine, comme professeur associé de
littérature postcoloniale et
postmoderne, à l’Université Al-Aqsa de
Gaza. Mes cours englobent la littérature
sur la résistance et j’inclus donc les
romans et les nouvelles de Ghassan
Kanfani, les théories d’Edward Saïd et
de Fanon, les œuvres racistes de V.S
Naipaul, les nouvelles de NJabulu
Ndebele, les œuvres féministes de Nawas
Saddawi, les récits des femmes
égyptiennes d’Ahdaf Soueif, les
merveilleuses histoires des
Afro-américains d’Alice Walker, les
brillantes nouvelles d’Anton Tchekhov.
Mais aussi les œuvres postmodernes et
modernes, de James Joyce à Don Delillo.
Il y a
plusieurs années, le Bureau de la
coordination des affaires humanitaires
des Nations-Unies a déclaré que d’ici
2020, Gaza serait inhabitable après les
trois bombardements israéliens sur Gaza
et le siège israélien en cours qui vous
confine dans une prison à ciel ouvert.
Pour s’y opposer, en mars 2018, les
Palestiniens de Gaza se sont unis pour
les manifestations hebdomadaires de la
Grande Marche du Retour, chaque vendredi
à la frontière. Bien sûr, avec le Covid-19,
elle a dû s’arrêter, mais avec le recul,
est-ce que la Grande Marche du Retour a
permis d’obtenir quelque chose ?
D’abord, la GMR
n’était pas seulement une réponse au
blocus médiéval de la bande de Gaza par
Israël. Permettez-moi de commencer par
dire que la conclusion à laquelle les
Gazaouis sont parvenus est qu’Israël a
l’intention de détruire Gaza, parce que
les organismes officiels et les
dirigeants du monde ont choisi de ne
rien dire et de ne rien faire. Et comme
si les 13 années de blocus, interrompus
par trois guerres génocidaires,
n’étaient pas suffisantes ! Jamais
auparavant, une population ne s’était vu
refuser les conditions de base pour sa
survie par une politique délibérée de
colonisation, occupation et apartheid.
Mais c’est ce qu’Israël nous fait
aujourd’hui, à nous, peuple de Gaza :
deux millions de personnes doivent vivre
sans approvisionnement assuré en eau,
nourriture, électricité, médicaments,
dont près de la moitié sont des enfants
de moins de 15 ans. Nous, les victimes
d’un système à plusieurs niveaux
d’oppression, d’occupation, de
colonisation et d’apartheid, nous
luttons au nom de la communauté
internationale pour l’état de droit. À
savoir que nous nous battons pour
l’application de la Résolution 194 des
Nations-Unies, qui demande le droit au
retour dans les villes et villages dont
nous avons chassés en 1948 dans un
nettoyage ethnique. C’est pourquoi nous
avons rejoint la GMR qui vise à
l’application de la Résolution 194 des
Nations-Unis en plus de la levée du
siège meurtrier. A-t-elle permis
d’obtenir quelque chose ? Oui, elle a
ramené le droit au retour à l’attention
de la communauté internationale après
des décennies où celle-ci réduisait le
peuple palestinien aux seuls habitants
de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza. Il fait partie intégrante de la
stratégie de la résistance populaire que
nous avons longtemps approuvée, en plus
du BDS.
Avez-vous
jamais cru que les Accords d’Oslo
allaient permettre un État palestinien
vraiment indépendant sur 22 % de la
Palestine historique ?
JAMAIS ! Dès le
premier jour, j’ai pensé que c’était une
forme de capitulation et qu’ils
accordaient tout à l’Israël de
l’apartheid, en ne nous offrant
absolument rien si ce n’est une
amélioration des conditions de notre
oppression. Ils ne sont jamais occupés
de la cause palestinienne comme nous la
connaissons, à savoir le droit au
retour, sans parler de l’égalité pour
ceux qui sont considérés comme des
citoyens de seconde zone en Israël même.
Ils n’ont pas non plus résolus le
problème des colonies dispersées en
Cisjordanie, et dans la bande de Gaza à
l’époque. Nous savons maintenant
qu’Israël ne cherchait qu’à gagner du
temps. Le slogan que nous avions
l’habitude de scander pendant les
manifestations, était « Pas de
justice, pas de paix » et là-dessus
aussi, Oslo a failli. Ils ont également
été signés avec l’illusion qu’ils
conduiraient à un État palestinien
indépendant sur les frontières de 1967,
ce qui était une illusion qui faisait
oublier qu’avec l’Israël de l’apartheid
créant des faits sur le terrain, cet «
État »/bantoustan était impossible. En
d’autres termes, Israël ne faisait
simplement que gagner du temps, et nous
l’y avons aidé.
Donc, vous
n’avez jamais abandonné votre vision de
la libération de toute la Palestine
historique. Que doivent faire maintenant
les Palestiniens qui ouvrent les yeux
sur la réalité qu’Israël n’a aucune
intention de créer un jour un État
palestinien indépendant ?
Les Palestiniens
doivent faire savoir très clairement
qu’ils n’abandonneront jamais leurs
droits fondamentaux issus du droit
international, à savoir la liberté
d’occupation (1967), le retour des
réfugiés dans les villes et villages, et
l’égalité pour tous les citoyens
palestiniens de seconde classe en
Israël. Mais ce n’est pas une solution
politique, plutôt une approche fondée
sur le droit. D’où ma croyance en un
État laïque, démocratique, après le
retour des réfugiés, où TOUS les
citoyens sont égaux devant la loi,
quelle que soit leur identité ethnique,
religieuse ou nationale. C’est une
solution à l’image de l’Afrique du Sud.
En fait, nous devons décoloniser la
Palestine en tant qu’étape nécessaire
pour parvenir à cette solution. Israël a
créé de facto un État d’apartheid
entre le Jourdain et la Méditerranée. La
solution à deux États ne concerne que
les droits du tiers du peuple
palestinien, les habitants de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza,
laissant les sept millions de réfugiés
et les 1,6 million de citoyens
palestiniens d’Israël livrés à
eux-mêmes, comme s’ils n’étaient pas des
Palestiniens !
Nous devons
transformer notre lutte afin qu’elle
puisse faire face à cette réalité et
changer notre discours de celui
d’ « indépendance » à celui
de « libération ».
Aujourd’hui,
les gouvernements, et notamment l’Union
européenne, continuent de demander qu’un
État palestinien soit établi. Que
voulez-vous que nous disions à nos
représentants politiques et à tous ceux
qui font campagne pour la liberté et la
justice pour les Palestiniens ?
En fait, je veux
réitérer ce que nous disons depuis 2005.
Nous, les natifs de Palestine, avons
décidé d’envoyer un message clair : ça
suffit. Pour cela, nous avons payé le
prix fort : nos enfants sont abattus
devant des caméras, en plein jour. La
seule fenêtre d’espoir que nous avons,
c’est la campagne pour le BDS (Boycott,
Désinvestissement, et Sanctions) qui
vise Israël pour protester contre ses
lois d’apartheid envers les
Palestiniens. Nous vous appelons à
promouvoir une culture de boycott
d’Israël, semblable à celle que vous
avez menez contre le système inhumain de
l’apartheid en Afrique du Sud. Vous
n’avez jamais envisagé que des
demi-solutions quand il est question
d’apartheid ; c’était très clair : une
personne, une voix. Vous n’avez jamais
reconnu aucun des infâmes bantoustans
d’Afrique du Sud. De même, nous avons
besoin de votre soutien pour la liberté,
la justice, et l’égalité en Palestine.
On ne peut pas y parvenir par des
solutions racistes basées sur une
séparation nationale, religieuse, et
ethnique, mais plutôt par des solutions
INCLUSIVES à l’image de l’Afrique du
Sud.
https://icahd.org/2020/08/27/icahd-uk-interview-with-dr-haidar-eid/
Traduction : BP
pour BDS France Montpellier
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