Actualité
Il est temps de renoncer à la résolution
Maillard
Bertrand Heilbronn, président de l’AFPS
Jeudi 28 novembre 2019
Ensemble contre
l’antisémitisme et toutes les autres
formes de racisme, refusons toute
manipulation.
Après 6 mois de
report, une proposition de résolution
« pour lutter contre l’antisémitisme »
a été mise à l’ordre du jour de
l’Assemblée nationale pour le 3 décembre
prochain. Peu différente de celle qui
avait déjà été reportée le 29 mai, cette
nouvelle « proposition de résolution
Maillard » a recueilli un accueil
plus que mitigé, y compris dans les
rangs de la majorité. Les médias s’en
sont fait l’écho.
Comment pourrait-il
en être autrement, dès lors que les
députés se sont correctement informés de
la nature de ce qu’on leur propose ?
Comment accepter en effet qu’un sujet
qui devrait rassembler, - la lutte
contre l’antisémitisme et toutes les
autres formes de racisme -, soit
manipulé et transformé en sujet de
division, pour assurer l’impunité de
l’État d’Israël et tenter de faire taire
les critiques qui lui sont adressées ?
Si la résolution fait autant polémique,
c’est en effet parce qu’elle n’est pas
ce qu’elle prétend être. La Plateforme
des ONG pour la Palestine, forte de ses
39 organisations, en a assuré le
décryptage dans
une brochure qui a été envoyée à
tous les députés.
S’il faut lutter de
manière résolue contre l’antisémitisme
comme contre toute autre forme de
racisme, les voies proposées par la
résolution sont pour le moins
contestables. En contradiction avec les
études publiées sur le sujet, elle fait
d’abord de l’antisionisme la cause
principale de l’accroissement des
signalements d’actes antisémites et une
« expression moderne de
l’antisémitisme ». C’est oublier un peu
vite que l’antisionisme est une opinion
politique, longtemps majoritaire dans
les communautés juives européennes. Si
le terme de « sioniste » peut parfois
masquer des expressions antisémites, les
tribunaux savent l’apprécier sur la base
des lois existantes, et il est
objectivement impossible d’aller plus
loin sauf à vouloir contrôler les
pensées de chaque citoyen !
C’est là
qu’intervient la « définition IHRA de
l’antisémitisme », dont l’adoption est
au cœur de la « résolution Maillard »,
ainsi que les exemples associés à cette
définition, qui ont pour unique objet de
faire planer le soupçon d’antisémitisme
contre toute critique de l’État d’Israël
et de sa politique, alors que celle-ci
est largement condamnée par la
communauté internationale.
Ces « exemples »
n’ont jamais été adoptés par les
organismes internationaux, qui en ont
très vite compris les dangers.
L’assemblée plénière de l’Alliance
internationale pour la Mémoire de
l’Holocauste, qui a dû adopter cette
« définition » en mai 2016, a cependant
pris soin d’en exclure les exemples,
seulement présentés « à titre
d’illustration » et « pouvant aider
l’IHRA dans son travail ». La
déclaration du Conseil de l’Union
européenne du 6 décembre 2018, élaborée
sous une pression constante de Benyamin
Netanyahou, n’a été adoptée qu’en
retirant toute référence aux exemples,
comme l’a rappelé officiellement le
représentant permanent de la France
auprès de l’Union européenne le 19
décembre 2018.
Nos députés se
retrouvent donc avec entre les mains un
objet tendancieux et franchement
dangereux, promu par les lobbys de
l’extrême-droite israélienne, avec des
« exemples » problématiques censés faire
l’éducation de nos professeurs, de nos
magistrats et de nos policiers ! Partout
où elle a été adoptée, notamment au
Royaume-Uni en décembre 2016, cette
« définition IHRA » a été utilisée
conformément à sa finalité : non pas
pour combattre l’antisémitisme, mais
pour intimider et tenter de faire taire
toute expression ou action critique
vis-à-vis de l’État d’Israël et de sa
politique : annulation de débats dans
des universités, pressions sur des
professeurs d’université et sur des
responsables politiques, annulation
d’événements comme en août dernier pour
un rallye cycliste caritatif dans une
commune du Grand Londres.
Devant la décision
récente de la Cour de Justice de l’Union
européenne, confirmant l’obligation d’un
étiquetage conforme des produits issus
des colonies israéliennes, les
masques tombent : le gouvernement
israélien qualifie cette mesure
d’antisémite et discriminatoire, et son
porte-parole évoque à ce sujet la
définition de l’IHRA, alors que Donald
Trump affirme que la colonisation de la
Cisjordanie n’est pas illégale.
Est-ce vraiment l’intention de
l’Assemblée nationale d’adresser au
gouvernement israélien un nouveau signal
d’impunité dans de telles
circonstances ?
C’est ici et
maintenant qu’il faut marquer un
coup d’arrêt. Ici, parce que la
France a une longue tradition de lutte
inclusive contre toutes les formes de
racisme, portée par de grandes
associations de la société civile et un
organisme consultatif de l’État, la
Commission nationale consultative des
droits de l’Homme, qui a marqué son
opposition constante à l’adoption de
cette définition. Ici, aussi,
parce que nos député.e.s sauront exercer
librement leur mandat, en refusant les
injonctions, les pressions ou les propos
injurieux.
Maintenant,
parce qu’il serait irresponsable de
diviser la France sur une cause
nationale, en y mêlant les intérêts
particuliers d’un État tiers dont les
pratiques contraires aux droits humains
sont largement condamnées. Il ne devrait
pas être question d’instrumentaliser un
sujet aussi important que la lutte
contre l’antisémitisme pour accorder un
supplément d’impunité à l’État d’Israël,
qui s’apprête à pousser une loi
d’annexion de la Vallée du Jourdain. Ce
n’est pas le moment non plus de se
lancer dans une concurrence victimaire
entre les différentes formes de racisme,
qui toutes, doivent être condamnées dans
un même élan républicain.
Il est temps, il
est grand temps d’abandonner la
« proposition de résolution Maillard »
et d’arrêter de diviser la France au
profit de l’impunité d’un État tiers. Il
est temps au contraire de mobiliser
notre pays au service des valeurs
largement partagées que sont l’égalité,
la liberté, la justice, et le refus
absolu du racisme sous toutes ses
formes.
Paris, le 22
novembre 2019
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