On aurait pu croire, naïvement, que la volonté
politique était de s'adresser d'une même voix à toutes les
victimes du racisme dans un souci d'égalité, et de mettre en œuvre
une politique qui garantisse à tous sécurité et respect.
Le rapport Rufin distingue l'antisémitisme des
autres formes de racisme, il en fait une catégorie hors norme, et
lui accorde une prépondérance absolue.
Ce faisant il contribue à isoler les juifs du
collectif national et les désigne comme un groupe privilégié bénéficiant
d'une protection spéciale : une distinction éminemment
dangereuse, parce que créatrice d'antisémitisme. L'antisémitisme
commence toujours par distinguer -exclure- les juifs du corps
social en leur conférant des travers ou des vertus particuliers.
On aurait pu croire, naïvement, que pour désamorcer
l'infernale stratégie antisémite qui consiste à assimiler juif,
israélien et sioniste - C'est la stratégie notamment de l'extrême
droite révisionniste, mais visiblement cette dernière n'intéresse
guère J.C. Rufin, ni le gouvernement malgré sa progression
certaine et ses actions antisémites récentes - il fallait précisément
définir ces notions et les séparer.
Non seulement le rapport choisit en assimilant
clairement antisémitisme et antisionisme de renforcer ce lien qui
associe inexorablement le sort des Juifs qui sont Français et
choisissent tous les jours de le rester à celui des Israéliens,
mais il crée en outre un nouveau concept « l'antisionisme
radical » apanage dit-il des courants d'extrême gauche et
alter mondialistes. Sans doute s'inspire-t-il des déclarations de
R. Cukierman, président du Crif qui dénonçait lui, les
alliances « vert brun rouge ».
Ainsi tous ceux qui ont besoin d'asseoir leur
antisémitisme sur de nouvelles bases pourraient en s'appuyant sur
les termes de ce rapport se déclarer antisémites en arguant de
la conduite de l'armée israélienne dans les territoires occupés ?
Beau travail !
Rufin pousse l'amalgame jusqu'à expliquer la
situation politique israélo-palestinienne d'aujourd'hui, par le
comportement exclusif des Palestiniens et de leur direction et
conclut ainsi : « la thématique nouvelle du « droit
au retour » des réfugiés palestiniens remet en question la
survie même d'un Etat où les juifs du monde
entier puissent trouver la sécurité »
Sans nul doute notre rapporteur a pris des cours
du soir au CRIF , mais surtout comment ne pas lire dans ces
derniers mots surlignés par nos soins qu'il ne prétend plus que
la république puisse garantir être le lieu ultime où ses
citoyens juifs puissent trouver la sécurité, et que le choix de
vivre en Israël pour certains des juifs français pourrait un
jour ne plus en être un, mais une obligation ! Tout un
programme inscrit en filigrane de ce texte…
Enfin le rapport propose une loi qui
sanctionnerait « ceux qui porteraient sans
fondement à l'encontre de groupes, institutions ou Etats, des
accusations de racisme, et utiliseraient à leur propos des
comparaisons injustifiées avec l'apartheid ou le nazisme ».
Les ridicules atours d'objectivité dont cette
prose se pare cherchent à peine à dissimuler de quels Etat ou
Institutions il est question. (Une autre loi récente d'ailleurs
procède de la sorte, visant un public très particulier en se
donnant l'apparence de sanctionner les signes religieux
ostensibles en général.) Il s'agit en fait d'un costume taillé
sur mesure pour les juifs de France, utilisés dans un combat
global d'une ampleur qui les dépasse largement.
En effet dans le monde qui est devenu le nôtre
depuis le 11 septembre, l'ennemi a été désigné clairement :
l'Islam, et sont clairement nommées les forces du bien :
l'Occident et ses valeurs dont le leader est l'Amérique.
L'idéologie bushienne dominante est celle du
clash des civilisations assorti de la recolonisation du monde. Cet
affrontement se joue aussi, bien sûr, en Europe et en France. Et
sur un plan extérieur le gouvernement français, s'il a certes
pris ses distances avec la guerre d'Irak n'échappe pas cependant
à la dérive qui le rapproche des Etats-Unis que ce soit dans le
traitement de la question palestinienne progressivement abandonnée
aux mains de Sharon et celui de la Tchétchénie : motus et
bouche cousue..
La dérive est sensible aussi sur un versant intérieur
et social où le mode de confrontation est progressivement organisé
en termes ethnico religieux autour de cet axe :
Le
gouvernement ultra libéral qui est le nôtre s'applique avec la détermination
et la brutalité que l'on sait à casser tous les systèmes
sociaux français : droit du travail, santé, éducation,
logement, privatisation et disparition progressive des services
publics ce qui frappe prioritairement les périphéries
aujourd'hui largement arabo-musulmanes et largement abandonnées
à leur sort (où sont passées les réformes sociales pour les
banlieues, annoncées comme le corollaire obligé de la loi contre
les signes religieux ostensibles ?)
Il
s'applique aussi à redéfinir les rapports sociaux en France en
termes communautaires ethniques et religieux, et non plus
citoyens, cultivant le particulier et non plus l'universel. Ainsi
le rapport accompagne cette dérive, et positionne les
antagonistes : Au cœur d'un centre occidental blanc et judéo
chrétien, les juifs, victimes d'un antisémitisme défini comme
un racisme unique et fondé aujourd'hui sur une analyse politique
partisane et imposée du conflit du moyen orient :
Page 16 :
Néanmoins ce problème reste posé : les
Juifs sont admirablement intégrés dans la société française ;
la République a su sécréter quand il le fallait les anticorps nécessaires
pour combattre l'antisémitisme. Cela ne signifie pas pour autant
que les préjugés aient disparu. La nouveauté est que ces préjugés
n'ont plus à s'exprimer directement par des propos, des écrits
ou des actes. Il suffit de laisser agir les jeunes irresponsables
des banlieues difficiles ».
Dans les périphéries, un magma trouble informel
constitué par tous les autres, immigrés, pauvres et se battant
entre eux. Les victimes des autres racismes sont elles tout à
fait marginalisées et relativisées, dangereuses parce qu'arabo-musulmanes,
menaçantes pour un centre respectable occidental et judéo chrétien
parce que susceptibles de rejoindre l'axe du mal, elles sont
d'ailleurs à peine présentes dans ce rapport et n'existent que
par leur relégation au second plan, ou leurs responsabilités évoquées
dans l'antisémitisme.
Page 19 :
« Lorsqu'on aborde la question du racisme
" général ", on entre dans un domaine plus vaste et
plus mal défini que celui de l'antisémitisme. La première cause
de ce flou tient d'abord à la grande variété des groupes
concernés, chacun héritant d'une histoire particulière. L'élargissement
mondial des sources de migration a ces dernières années multiplié
les origines et les communautés, complexifiant d'autant plus la
question de leurs relations. »
Enfin il définit l'enjeu de cet affrontement et
le rôle attribué aux juifs dans ce qu'il appelle : « la
bataille d'Europe »
Page 15 :
« Il ne faut évidemment pas mettre sur
le même plan des insultes ou des agressions mineures et les
attentats suicides de grande envergure qui se multiplient sous
l'impulsion de mouvements islamistes radicaux. Entre les deux, il
y a toute la différence entre criminalité organisée et délinquance
désorganisée. On sait cependant qu'il est possible de passer de
l'un à l'autre. Les parcours de certains jeunes Français
d'origine arabe arrêtés en Afghanistan en sont la vivante démonstration.
Il y a tout lieu de penser que cette influence est encore rare.
Pourtant, ce sujet est au coeur
de notre avenir le plus immédiat. C'est ce que Gilles Kepel
appelle la bataille d'Europe . Soit les
jeunes issus de l'immigration font le choix des valeurs républicaines
et "participent pleinement à la vie citoyenne, à travers
les instruments éducatifs et culturels, qui favorisent
l'ascension sociale et accompagnent l'émergence de nouvelles élites"23,
soit ils rejoignent divers mouvements radicaux qui prêchent la
guerre contre l'Occident et le rejet de ses valeurs. L'antisémitisme
nous fournit un baromètre de ces évolutions. »
Dans ce modèle d'affrontement il semblerait que
les juifs soient placés -instrumentalisés avec la participation
de certains d'entre eux, mais pas tous, loin de là- en première
ligne et servent de bélier, …avant de pouvoir servir de bouc émissaire.