Actualité
A la manif parmi les casseurs.
Témoignage
Photo:
D.R.
Vendredi 29 avril 2016
J’ai pensé à
Renaud, Renaud le mec d’aujourd’hui tout
attendri pour un flic qui pleure. Moi
aussi j’ai vu un flic pleurer. Je vous
raconterai. Et puis moi aussi j’ai
pleuré mais je ne laisserai le mystère :
j’ai pris du gaz plein la gueule, les
yeux, la gorge. 3 fois !
J’ai tout vu, pont
d’Austerlitz, j’étais devant sur le
trottoir face aux “black block”. J’étais
là parce que j’ai retrouvé 3 mecs supers
! Je les avais connu sales mômes à
l’adolescence. Des mômes de banlieue, de
Villetaneuse, chiant et attachants.
Maintenant ce sont de super trentenaires
et ils participent à la révolte de la
jeunesse. Vraiment des mecs bien, des
mecs conscients... Et donc, ils
m’entrainent devant.
Les “black block”
sont une cinquantaine et paraissent très
jeunes pour la majorité. Ils ont des
slogans pas sympas pour la “flicaille”,
ça c’est sûr mais jusqu’au pont
d’Austerlitz rien de plus grave. Autour,
à quelques pas, autant de policiers
(CRS, Gendarmes ? oublié de vérifier)
bien casqués. Et puis ceux en civil (une
bonne dizaine). Pourquoi en civil alors
qu’ils ont tous le même sac à dos, un
casque léger dès que ça chauffe ? Et
puis quelques autres flics en civil,
plus discrets avec des autocollants
syndicaux mais une proximité et une
attitude qui fait qu’ils sont vite
repérés.
Jusqu’au pont
d’Austerlitz, pas de casse, nada...
Pourtant la tension est forte, la police
est à 2 pas des “black block”. Et au
pont tout dégénère. La police entre dans
la manif, lâche les gaz, un nuage. La
baston peut commencer.
Saloperie de gaz !
Qu’est-ce que ça pique cette saloperie !
D’abord les yeux, puis la gorge lorsque
j’ai parlé pour expliquer à une personne
qu’elle devait rebrousser chemin, ça
devenait irrespirable. Plein de monde
sort les masques (papier, tissus,
quelques uns plus sophistiqués). Les
lunettes de piscine, de ski sont
géniales, j’ai regretté de ne pas en
avoir). Je croise une inconnue qui me
pulvérise un liquide dans les yeux (j’ai
oublié de lui dire merci, elle en
méritait 1000 !)
Quel ordre ont reçu
les flics ? C’est infâme. Ca ne peut
qu’être volontaire. Sûr, ça plombe
l’ambiance de la manif ! C’était le
premier but. La manipulation des infos
également. BFM s’est régalé. Mais ce
n’est pas fini. Ce n’était que le
premier gazage.
Enfin on passe le
pont. On a fait peut être 100m et
blocage à nouveau. Blocage devant.
Blocage sur les côtés avec interdiction
de passer (pour quelle raison de
sécurité ?). Et blocage derrière à
nouveau sur le pont. Derrière ça pète
fort. Grenade assourdissantes, nuage de
gaz. Et nous dans la sourricière.
C’était prévu, j’avais vu les flics
mettre le masque à gaz. J’avais cherché
un abri. A ce moment j’étais avec un
vieil ami, ancien prof de fac, 70 ans.
Il n’y a pas d’âge pour prendre sa dose
de gaz. J’ai eu peur pour lui.
Et la colère prend
ce vieil ami. Il va invectiver ces flics
en armure, ces hommes aux ordres de la
honte. Il y a de la colère, plein de
colère. Et arrive d’autres hommes, eux
aussi les cheveux gris, eux aussi de
l’âge avancé. Et là, comme ça, se crie
notre écoeurement, notre indignation. Je
me souviens avoir dit que c’était une
honte pour la République, que le flic
français qui avait arrêté mon père pour
les nazis était leur digne père. Et
purée, surprise, ils étaient mal ces
flics, que ce qu’ils faisaient était une
honte pour leur uniforme. Oui, mal. Il
restait un peu de conscience humaine
sous ces têtes casquées. Le plus jeune
ne pouvait plus nous regarder. Il
montrait une réelle émotion. J’ai vu des
tarés après, bien heureux de montrer
leur virile force, leur mépris... Mais
ce n’est pas tous...
Et la manif
reprend. Il fallait en vouloir, être
décidé. On repart. On arrive place de la
Nation. Je ne me souviens plus pourquoi
mais je ne suis plus tout à fait dans la
tête de la manif. Quelques traces ici
aussi des échauffourées mais les
musiques retentissent, les tam tam et
les danses de fin de manif qui annoncent
que la place va rester à la manif encore
un bout de temps. Il fait soleil et
beaucoup de monde est assis autour de la
place. C’est agréable. La rue vers l’hopital
des Diaconesses est bloquée par la
Police mais nous n’y faisons pas
attention. Je m’assois également et je
rédige quelques commentaires destinés à
ma page Facebook. Les manifestants de
Sud Rail arrivent. Je regarde si mon
voisin s’y trouve. Et là, tout d’un
coup, une pluie de grenades. Ca fume de
partout autour de moi, autour de nous.
Pourquoi cet énorme déclenchement ? Il y
avait encore des manifestants qui
passaient entre la Police et la place.
Ca ne laissait pas beaucoup de
possibilité de provoquer les flics ! Du
gaz partout. Il faut se tirer, marcher,
et les yeux brulent et ne demandent qu’à
se fermer. Vers la statue centrale c’est
un peu moins exposé. Un type doit calmer
ses chiens et leur met un vêtement sur
la tête. Il y a des gamins parmi nous...
Des gamins ! Leurs parents se croyaient
dans un pays libre... Je vois des
jeunes, lunettes et écharpes sur la
bouche, donner des coups de pieds dans
les grenades de gaz (petites, plates et
lachant leurs gaz au milieu de nous).
Ces attaques à la
grenade sont coordonnées. Je découvre du
centre que toutes les rues sont barrées
par la police casquée. Et voila qu’à
tour de rôle ça part de toutes les
issues (sauf la rue de l’arrivée de la
manif par où je finirai par repartir).
Et j’ai vu des CRS sourire, méprisants
devant nos galères à sortir de cet
enfermement. J’ai vu un jeune homme (la
trentaine) protester de ne pouvoir
passer pour partir et ce faire alpaguer
comme pas possible : projeté contre un
mur, insulté. Courageux homme qui ne
lâche pas, que j’entends crier “vas y
frappe, j’ai pas peur. Frappe”...
Malaise. Ce n’est pas prévu dans les
manuels de CRS qu’un type est pret à se
faire frapper pour garder sa dignité...
Je reste à regarder, s’il faut
témoigner. Je cris juste “c’est une
honte”... Au bout d’un temps qui me
parait très long, le type peut partir
libre.
Je veux prendre le
Métro. Les grilles sont tirées !
Impossible ! Les premiers crient
“collabos”. Dedans aussi des
manifestants protestent. Dégueulasse !
Hé Renaud, arrête
de chialer avec un flic. En tout cas pas
quand il est en uniforme, pas quand il
est aux ordres. Seulement lorsqu’il
redevient homme.
Serge Grossvak
le 28/04/2016 avec
un gout persistant de gaz dans la gorge.
Les dernières mises à jour
|