Rapport
‘La caméra est notre arme pacifique’:
Conversation
avec les très jeunes
militants d’Hébron
CPI
Photo :
CPI
Mercredi 4 juillet 2018
Par ISM
Abdullah et Saleh
vivent avec leurs familles dans le
secteur Tel Rumeida d’Hébron occupée,
sous contrôle israélien. Ils ont 12 ans,
et cela fait environ quatre ans qu’ils
sont meilleurs amis. Ils sont les plus
jeunes membres de Human Rights Defenders
(HRD), un collectif de militants
palestiniens qui utilisent le
journalisme et la vidéo pour dénoncer
les crimes quotidiens commis par les
forces d'occupation israéliennes et les
colons sionistes à Al-Khalil. Nous leur
avons parlé de leur travail, de leur
motivation et de leur expérience. Comment en
êtes-vous venus à vous impliquer dans
Human Rights Defenders ?
Abdullah : J’aime
faire ça. J'avais la plupart du temps
mon appareil avec moi pour filmer mes
amis, mais j'ai commencé à tourner pour
HRD il y a environ un an. Nos pères
[Badee Dweik et Imad Abu-Shamsiya, deux
éminents membres de HDR et activistes
locaux] nous ont appris à capter en
vidéo la violence de l'armée et
l'humiliation des Palestiniens par des
soldats et des colons.
Saleh : Je
documente les crimes de l'occupation
depuis l'âge de huit ans. Pas à pas,
j'ai appris à utiliser la caméra en
filmant les soldats. Nos pères nous ont
aidés pour les aspects techniques comme
le montage, ils nous ont donné des idées
sur la façon de faire des films ou d'où
filmer, et nous ont appris à nous
protéger l’un l’autre.
Et comment vous
protégez-vous l’un l’autre ?
Saleh : L'un
d'entre nous filme toujours l'autre. En
février, nous filmions des soldats qui
détenaient des Palestiniens près de la
mosquée d'Ibrahimi, les raillant et les
humiliant. Puis ils ont arrêté Abdullah,
mais j'ai réussi à m'échapper et j'ai
veillé à tout filmer. Cela a aidé pour
l'arrestation parce que nous savions où
ils avaient emmené Abdullah, et nous
avions la preuve qu'il n'avait rien fait
de mal. Il n'y avait pas de médias -
j'étais le seul là-bas, donc si je
n'avais pas filmé, nous ne savons pas ce
qui aurait pu se passer.
Abdullah : Avant
cela, en octobre, j'ai été arrêté et les
soldats m’ont gardé pendant une journée,
et Saleh a filmé ça aussi. J’allais
rendre visite à mes grands-parents quand
ils ont arrêté 18 enfants dont moi parce
qu'ils disaient que nous avions lancé
des pierres. Mon père était en Irlande à
ce moment-là, et il ne l’a appris que
quand il a vu la vidéo où les soldats
m’emmènent sur notre page Facebook.
Saleh : Nous
utilisons les vidéos comme preuve -
preuve que ce sont les soldats qui
commettent les crimes, pas nous. Nous
filmons pour dénoncer les violations du
droit international par l'occupation.
Faites-vous faire
face à d'autres problèmes lorsque vous
filmez ?
Abdullah : En
décembre, mon oncle était malade et
avait besoin d'un traitement à
l'hôpital, alors mon autre oncle est
allé avec lui. Au rond-point de Zaher,
l'armée ne les a pas laissés passer et
s’est mise à frapper mon oncle malade.
Quand mon autre oncle a essayé de le
protéger, les soldats l'ont aussi frappé
mais il a réussi à s'enfuir. Puis ils
ont emmené mon oncle malade au poste de
contrôle militaire, et je suis allé
filmer la situation. Ils m'ont dit de
partir mais j'ai refusé - je ne faisais
rien d'illégal. Alors ils m'ont arrêté
et m'ont gardé pendant sept heures.
Saleh : La dernière
fois qu'ils ont arrêté Abdullah, c’était
en février, quand il a été pris pendant
trois heures. Tous les adultes
traversaient le souk à pied jusqu'à la
mosquée d'Ibrahimi, et Abdullah et moi y
sommes allés pour représenter HRD. Nous
avons filmé les gens en train de se
faire humilier, fouiller et arrêter. Les
soldats nous ont dit de partir mais nous
sommes restés pour continuer à filmer,
alors ils nous ont suivis et ont arrêté
Abdullah, ce que j'ai filmé.
Abdullah : Mon père
a demandé aux soldats pourquoi ils
m'avaient arrêté. Ils lui ont dit que
c'était parce que je les filmais, et mon
père a dit : 'Je lui ai appris à le
faire'.
Saleh : Nous
utilisons ces petites caméras vidéo
Panasonic, comme tous les membres HRD,
car elles sont moins visibles. Mais les
soldats et la police les confisquent ou
les cassent souvent, ce qui est un autre
problème auquel nous sommes confrontés.
Votre travail peut
être dangereux. Nous vous avons vu
suffoquer dans les nuages de gaz
lacrymogènes lors de manifestations à
diverses reprises par le passé, par
exemple. Comment faites-vous face à cela
?
Abdullah : C'est
effrayant. Oui, j'ai peur quand ils
tirent du gaz lacrymogène qui nous fait
pleurer, et quand ils lancent des
grenades assourdissantes, des balles
caoutchouc-acier et des balles réelles
sur le peuple palestinien qui n'a rien
pour se protéger.
Saleh : C'est
dangereux mais nous essayons de nous
protéger en gardant une distance entre
nous et les soldats, et en utilisant le
zoom sur les caméras. Nous essayons
également de protéger les volontaires de
l'ISM en les filmant.
Dites-nous en plus
sur ce que vous avez vu et capturé grâce
à la caméra.
Saleh : Un jour,
les soldats ont humilié des étudiants
qui se rendaient à l'école dans le
quartier de Jaber, au checkpoint Mafia.
Amir [un autre jeune membre de Human
Rights Defenders dont le père, Aref
Jaber, est aussi un activiste local et
fait partie de HRD] filmait la scène à
distance. Quand les soldats ont vu
qu'ils étaient enregistrés, ils ont
libéré le garçon qu’ils détenaient et
fouillaient.
Abdullah : Le fait
que des enfants soient capables de
documenter les crimes des forces
d'occupation israéliennes les effraie
vraiment. La nouvelle loi [la Knesset
envisage actuellement une loi
interdisant de photographier ou de
filmer de soldats en fonction , sous
peine de 10 ans de prison) prouve que ce
que nous faisons fonctionne, que cela
fait une différence. Un enfant peut
briser l'image d'Israël juste avec une
caméra.
Saleh : La caméra
est notre arme pacifique.
Que voulez-vous
faire quand vous serez plus âgés ?
Saleh : Nous
voulons tous les deux être journalistes,
pour pouvoir continuer à montrer les
crimes de l'occupation israélienne. Je
veux travailler avec les médias
internationaux, comme Al-Jazeera, parce
que cela touche plus de monde.
Abdullah : Moi
aussi. Nous voulons montrer au monde
entier - les Arabes, les Israéliens et
la communauté internationale - les
méfaits de l'occupation.
Saleh : Je veux
aussi continuer de travailler pour HRD.
Abdullah : Mais HRD
n'est pas international, tu sais.
Saleh : Je ferai
les deux!
Comment
obtenez-vous les meilleurs clichés ?
Saleh : Il faut
tenir le poignet qui filme avec l’autre
main et garder votre bras qui tient
l'appareil près du corps, pour
l'empêcher de trembler.
Abdullah : Il faut
se souvenir de la règle des tiers -
utiliser la grille sur la caméra pour
équilibrer ce qui est dans le cadre et
laisser un espace au-dessus de la tête
de la personne que vous filmez pour
montrer où l'incident se produit. Nous
pouvons également escalader les murs et
les toits pour avoir une meilleure vue
car nous sommes plus petits que les
autres - ce qui peut être un avantage !
Saleh : La
principale chose à retenir est de rester
en sécurité : se tenir à l'écart des
soldats et de la violence.
Vous êtes parmi les
plus jeunes militants de toute la
Palestine ! Pouvez-vous nous en dire
plus à ce sujet ?
Abdullah : Nous
estimons qu'il est de notre
responsabilité de montrer à la
communauté internationale la réalité
ici, et un jour nous espérons aller à
l'étranger pour dire au monde ce qui se
passe. J'aime faire ça.
Saleh : Moi aussi.
C'est un message important que nous
voulons dire au monde - il y a des
enfants ici qui essaient de vous montrer
ce qui se passe. L'occupation n'est pas
seulement un problème pour les adultes,
mais aussi quelque chose dont les
enfants souffrent dès leur naissance.
Nous documentons les injustices
quotidiennes commises par les forces
israéliennes, ce qui prouve que même les
enfants peuvent utiliser la résistance
non-violente pour combattre
l'occupation.
Abdullah : Nous
enregistrons des exemples de ce que les
enfants doivent subir sous cette
occupation militaire de notre propre
point de vue, comme l'arrestation
d'enfants. Nos vidéos peuvent être
utilisées par la Cour pénale
internationale. Nous téléchargeons notre
matériel sur YouTube et ensuite nous
pouvons réaliser des documentaires, que
de nombreuses plateformes médiatiques
utilisent.
Y a-t-il autre
chose que vous voulez dire aux gens qui
liront votre entretien ?
Saleh : Nous
aimerions encourager plus d'enfants en
Palestine à s'impliquer en apprenant à
documenter l'occupation brutale et à
exposer la violence qui se produit
chaque jour.
Abdullah : Nous
voulons demander aux enfants du monde
entier de prendre une caméra comme une
arme pacifique à utiliser contre toute
injustice, même minime.
ooOOoo
Toutes les vidéos
présentées ont été filmées par Abdullah
ou Saleh pour Human Rights Defenders.
* Retrouvez Human
Rights Defenders et leur travail sur
leur page Facebook.
* Signez la
pétition demandant au parlement
israélien de s'opposer au projet de loi
criminalisant la documentation des
soldats
ici.
Source :
Palsolidarity
Traduction : MR
pour ISM
Copyright © 2018 Le Centre Palestinien
D'Information
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dossier Hamas
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