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Par Fériel Berraies Guigny
Note
de lecture
Festin de Mensonges
Amin Zaoui
Paris, éditions Fayard, 2007, 199 p. (coll.
« Littérature française »)
16 €
Écrit sur le ton d’une
fable érotique, le dernier roman d’Amin Zaoui,
Festin de Mensonges
nous dresse dans un langage cru et sans détour les turpitudes de
la société musulmane sur fond d’autopsie d’une enfance malmenée
et incomprise. Ou les incertitudes d’un petit garçon qui grandit
au fil de ses aventures sexuelles dans une Algérie de la
Tourmente. Car l’heure est grave dans les années 60 ; la trame
de l’histoire se déroule du 19 juin 1965, jour du putsch de
Houari Boumediene contre Ben Bella, à la guerre des Six Jours,
en juin 1967. Voyage initiatique pour l’enfant dans le monde des
sens et de l’interdit, alors que le narrateur nous dépeint la
montée des plus importants courants de la géopolitique arabe :
montée du Nassérisme, glorification du panarabisme et grandes
désillusions de l’Oumma, suite à la défaite arabe contre Israël.
Enfant, Koussaila assiste spectateur aux plus grandes mutations
de l’histoire de son pays, enfermé dans cette lutte manichéenne
entre le bien et le mal, la foi et l’impiété. À l’image d’une
société algérienne qui se cherche
«…notre histoire est composée de défaites, de manipulations, de
tromperies et de pleurs. ». (p.
197)
Un miroir, qui met à nu
une certaine culture du non-dit. À travers la recherche
idéalisée de la mère nourricière et castratrice, et au fil de
ses conquêtes charnelles avec des femmes mûres « Les
mamans sont séduisantes, à l’image du péché capital » (p.
113)
Zaoui nous conte la difficulté à passer le cap de l’enfance,
avec un père absent, « …il était le
vide, le vent »
(p. 38) et le déterminisme écrasant
du pêcher originel, « La peur ou la
chair » ? (p. 165)
Complexe d’Oedipe non
dépassé, Koussaila
devient chasseur,
« Pour
moi, toutes les femmes étaient des pute. »
(p 90) et convoite le mensonge
« les
femmes aiment écouter les mensonges ».
(p. 191) Comme pour mieux s’enfermer dans cette recherche
éternelle et absolue de
l’universalité humaine, c’est dans les écrits occidentaux
«illicites », (Miller, Baudelaire, Flaubert, ou encore Gibran et
Adjnoun) que le héros se réfugie. Désenchanté, Koussaila,
« vomit » tout ce qui caractérise sa culture, « Tous
les discours incendiaires des arabes, comme leurs prêches,
étaient vides et mensongers ». (p.
188)
Parce qu’il est né
libre dans sa tête et dans son corps, il ne peut se résoudre à
sa «prison ». Avec ce marchandage entre religion et interdit, à
la recherche d’une rédemption qu’il ne trouvera jamais, « …
j’aime la vérité des mensonges… »
(p 35), « Le mensonge est mon
royaume ». (p. 166)
Comédie de mœurs,
Festin de Mensonge
dresse un tableau réaliste et sans complaisance des maux et
travers de la société arabe et musulmane où tout se fait dans
l’intolérance et le secret. Dans le «Douar» ou bourg perdu
dans l’Ouest Oranais, la bigoterie est à son comble sur fond
d’hypocrisie sociale, de croyance et de superstitions.
Sont alors mis à nus le
poids des traditions, l’hermétisme de la religion et sa
discrimination par rapport aux autres, le mythe du père blanc
qui ont longtemps entretenu la
défiance entre le Nord et le Sud. Dans une Algérie qui cherche
son émancipation du roumi,
l’homme blanc et sa culture « Eloignes
toi de cette langue du roumi. Protéges toi de cette langue de
Satan » (p. 64)
Manichéisme pour une
Algéronostalgie qui n’a plus sa raison d’être, car en fin de
compte,
« Les beaux
mensonges disent eux aussi la vérité. »
(p. 50)
L’Histoire est aussi celle des perdants,
même si on préfère l’occulter « Les
révolutionnaires du Tiers Monde n’ont pas de mémoire quand ils
sont vaincus. » (p. 197)
Crédits :
Cette note de lecture est la propriété
exclusive de la Revue Cultures Sud Notre Librairie. N167 octobre
décembre 2007
Article de presse
Courtesy of F.B.G Communication
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Publié le 28 avril 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies
Guigny
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