Des
journalistes aux ordres.
En 2003, la France s’oppose à la
seconde guerre d’Irak, les
journalistes de la radio nationale
soutiennent alors la décision de
leur gouvernement. Ils défendent la
légitimité morale de ne pas attaquer
un pays souverain.
En 2011, le pouvoir en France a
changé de mains et dès l’annonce de
la résolution du Conseil de Sécurité
de l’Onu, les journalistes de
France-Inter se sont mis en rang
derrière la coalition occidentale et
l’Otan. Ils ont systématiquement
rapporté et commenté les événements
depuis la perspective des
« rebelles ». Leurs experts en tous
genres entendus à l’antenne
renforcent régulièrement ce
parti-pris.
Pourtant à leur corps défendant, les
mensonges se dévoilent parfois
d’eux-mêmes. Ainsi « Le téléphone
sonne » du lundi 22 août, animé de
façon enjouée par le journaliste et
ses invités alors que Tripoli est
sous les bombes de l’Otan, commence
par évoquer la nécessité de
« protéger les civils » en Libye
pour en venir somme toute assez vite
à la véritable nécessité : l’Europe
doit se rendre maître des moyens de
sa puissance si elle veut encore
exister entre les États-Unis et la
Chine.
« Radio-Paris ment, Radio-Paris
ment, Radio-Paris lalala.... »
« France-Inter en dit tant,
France-Inter en fait tant,
France-Inter est pour l’Otan ! »
Un langage
désobligeant, violent et indécent.
Puisqu’officiellement, il n’y a pas
de guerre en Libye, que l’Otan est
venu au secours d’un peuple qui
lutte pour la démocratie, il ne
reste qu’un seul personnage à
abattre, le Colonel Kadhafi et les
« quelques fidèles qu’il compte
encore »...
La Libye demeure néanmoins pour
l’heure un État souverain. Un État
qui n’a violé aucune résolution de
l’Onu, qui n’a menacé ni attaqué
aucun autre État, proche ou
lointain.
Les journalistes vont alors
docilement jouer le rôle qu’ils ont
accepté de jouer : ridiculiser,
discréditer et diaboliser le
dirigeant de la Libye et ignorer les
nombreux Libyens qui ne sont pas
d’accord de voir leur pays détruit
par des envahisseurs étrangers. Ces
journalistes n’ont aucun problème à
répéter que Kadhafi est « un
criminel », « un tyran » détesté,
« un dictateur » redouté, qu’il
amuse parfois la galerie avec ses
« bouffonneries ». Ses déclarations
ne sont que des « diatribes », il
« harangue ses partisans » qui sont
des gens « impitoyables », « le
numéro 1 libyen est-il fou ? »,
etc..., etc...etc.
L’arrestation non vérifiée de deux
de ses fils est annoncée comme une
nouvelle réjouissante. Les mauvais
traitements que subissent les
prisonniers ne les dérangent pas.
Alors que des images permettent de
comprendre que les rebelles se
conduisent en barbares et procèdent
à des exécutions sommaires, les
journalistes les suivent comme s’ils
étaient des héros, ils vont même
jusqu’à les trouver
« sympathiques », et ils présentent
leurs actes de barbarie comme des
victoires !
Le sommet de l’indécence est atteint
quand les rédactions des différents
journaux acceptent d’annoncer une
fois encore d’un ton plaisant que
« la tête de Kadhafi est mise à prix
à .... de $ » ! Quelle barbarie !
Auditrice de France-Inter à qui une
telle information est destinée, je
suis remplie d’effroi : comment
est-il possible de diffuser de tels
messages piétinant toutes les règles
du droit national et international ?
Tous les droits humains
fondamentaux ? Comment la radio
nationale publique peut-elle se
faire complice d’une incitation au
meurtre pur et simple d’un être
humain en dehors de tout tribunal ?
Des reportages
de perroquet.
Pourquoi avoir des « envoyé,e,s
spéciaux » s’ils sont « embedded » ?
Pour faire illusion sur
l’authenticité et la réalité des
enquêtes sur place ? Au fil des
comptes rendus et des entretiens
avec « les correspondant,e,s », on
est fixé sur le manque de sérieux et
l’objectivité de leur travail.
Ainsi, les journalistes envoyés en
Libye nous abreuvent de témoignages
individuels d’ « insurgés »
s’exprimant souvent en anglais, sans
intérêt parce qu’ils n’éclairent
rien et n’apportent aucune
information sur ce qui se passe
réellement, sur ce que ressent la
population que l’on ne voit pas. Ou
encore, de leur propre aveu, ils
rapportent des rumeurs. Quand il y
en a, les communiqués lacunaires de
l’Otan sont fidèlement répétés,
ponctués de ce commentaire puéril :
« On n’en saura pas plus » !
A
Paris, à la rédaction de
France-Inter, on entend des
journalistes connus, qui ont des
années de métier, dont les
commentaires se situent
invariablement du côté des rebelles
et des forces de l’Otan ; leurs
analyses se bornent à évaluer ou à
vanter les moyens d’action aérien,
naval, et terrestre de la plus
puissante organisation militaire du
monde contre un petit pays de 6
millions d’habitants.
Par ailleurs, bien qu’il soit établi
que les membres du Conseil de
transition soient pour la plupart
d’anciens hauts responsables du
gouvernement de Kadhafi qui, lui,
doit être liquidé, les journalistes
de France-Inter évitent
soigneusement de parler de leur
activité passée et de mener des
enquêtes à leur sujet.
La
responsabilité du « crime contre la
paix ».
Le contrôle de l’information
constitue le premier acte de la
guerre. Un journaliste qui se met au
service d’un camp renonce de facto à
exercer son métier. Ridiculiser,
diaboliser, répandre sans
vérification des informations
incitant au mépris, à la haine et au
meurtre contre le camp des perdants,
engage la responsabilité de celles
et ceux qui contribuent ainsi à la
guerre. Ils prennent de graves
responsabilités car ils devront
répondre de « crime contre la
paix », tel que définit par la
Charte des Nations Unies en 1948. En
plus de devoir rendre des comptes à
leur conscience, ils pourraient un
jour avoir à rendre des comptes
publiquement.
Dans un article récent, Thierry
Meyssan, actuellement en danger à
Tripoli sous la férule des
« démocrates » du Conseil de
transition (*), rappelle
précieusement « qu’au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale,
l’Assemblée générale des Nations
Unies a par quatre fois légiféré
pour interdire et condamner ce type
de pratique .
La Résolution 110, du 3 novembre
1947, relative aux « mesures à
prendre contre la propagande en
faveur d’une nouvelle guerre et
contre ceux qui y incitent »,
sanctionne « la propagande de nature
à provoquer ou à encourager toute
menace à la paix, rupture de la
paix, ou tout acte d’agression ».
La Résolution 381, du 17 novembre
1950, consolide cette condamnation
en condamnant la censure des
informations contradictoires comme
partie intégrante de la propagande
contre la paix.
Enfin, la Résolution 819, du 11
décembre 1954, sur « la suppression
des obstacles au libre échange des
informations et des idées », pose la
responsabilité des gouvernements à
supprimer les obstacles qui
entravent le libre-échange des
informations et des idées.
Ce faisant, l’Assemblée générale a
élaboré sa propre doctrine en
matière de liberté d’expression :
elle a condamné les mensonges qui
conduisent à la guerre et a érigé la
libre-circulation des informations
et des idées et le débat critique en
armes au service de paix. »
Michelle
Verrier
Philosophe
Courrier adressé à radio France
Inter par Mme Michelle Verrier le 28
août 2011
(*)
Il est fait
allusion ici à la tentative
d’arrestation par les rebelles à
Tripoli.http://www.voltairenet.org/Les-journalistes-du-Reseau