Palestine
Lettre ouverte au président Macron et à
chaque être humain possédant encore une
once d'humanité en lui
Manon Mlr
Dimanche 21 janvier 2018
Je ne compte plus le nombre de fois où
l'on me dit que ce que je fais ne sert à
rien. "Tes voyages, tes reportages
n'intéresseront personne, on s'en fiche
de ce qu'il se passe dans le monde." Ce
que vous ignorez, c'est que votre mépris
ainsi que votre indifférence me poussent
à crier plus fort, à répandre davantage
la vérité. Même si seulement dix
personnes me liront, même si une seule
d'entre elles me rejoindra sur place, JE
NE ME TAIRAI PAS. Je ne me tairai pas
car les opprimés attendent une
réaction,un soulèvement des autres
nations et nous ne pouvons plus
qu'espérer une prise de conscience de
celles-ci.
Si demain la France
venait à se faire coloniser, si demain
un mur se construisait au milieu de
Paris, si des milliers de soldats se
mettaient à tirer sans raison sur des
civils, combien de nations se
réveilleraient ? Le monde entier.
Aujourd'hui j'en ai assez de cette
indifférence permanente, j'en ai assez
qu'on me dise de rester bien sagement
dans mon studio étudiant et mon amphi en
fermant les yeux sur le reste du monde.
J'en ai assez de tout cet individualisme
qui rempli nos si belles démocraties.
Chaque soir lorsqu'en France les
étudiants s'éclataient, ici en Palestine
les missiles et coups de feu éclataient
à la figure des innocents, chaque soir
les mêmes cris, les mêmes rafles.
Monsieur Macron,
j'aimerai vous poser des questions en
toute honnêteté.
Monsieur Macron, je
refuse la jeunesse que vous me proposez.
Je refuse de fermer les yeux, de me
saouler en discothèque ou de passer mes
soirées à fumer des pilons en prétendant
que c'est ainsi qu'il faut être jeune.
Je refuse de ne penser qu'à mon confort
et mon avenir. On me dit souvent que je
ne suis pas réaliste et que je ne peux
pas passer ma vie sur les routes à
filmer les horreurs de ce monde. Mais ce
que je vis C'EST LA RÉALITÉ ! Mes
voyages me font changer ma manière de
vivre et de penser.
Monsieur Macron,
savez-vous ce qu'il se passe réellement
sur le terrain ? Permettez-moi de tout
raconter dans la suite de cet article.
Comment pouvez-vous, vous, vos
prédécesseurs et alliés, prétendre
renverser des dictateurs au nom de la
démocratie ? Pendant que depuis soixante
ans, vous soutenez un gouvernement
sioniste qui s'étend en éliminant la
population se trouvant sur son passage,
un gouvernement de terreur et de
torture, que l'on appelle Israël.
Monsieur Macron,
pourquoi les plus grandes démocraties de
ce monde soutiennent l'oppression et la
ségrégation ?
Monsieur Macron, où
est passée la liberté et la fraternité
lorsqu'ils bâtissent des murs de
plusieurs centaines de kilomètres
séparant les peuples ? Lorsqu'ils
enseignent dans les écoles qu'il faut
détester les arabes et l'Islam ? Lorsque
des israéliens à la peau noire ont
interdiction de travailler dans certains
secteurs d’activité ou de louer des
appartements ?
Monsieur Macron, où
se cache la justice lorsque des
franco-israéliens abattent des
palestiniens d'une balle dans la tête
sans raison, et reviennent sur le sol
français en toute impunité?
Monsieur Macron,
que ressentez-vous avant de dormir, et
le matin lorsque vous vous regardez dans
le miroir ? Comment vous sentez-vous
pendant que le reste du monde pleure ?
Il n'existe plus un soir sans que je
lutte pour faire disparaitre ces bruits
de coups de feu de ma tête, il n'existe
plus une nuit sans que je veuille la
cogner contre le mur tellement les
images qui l'envahissent sont
insoutenables. Mais ce que je ressens
actuellement, ne représente pas un
centième de ce que ressentent les
Palestiniens, j'ai fait le choix d'être
choquée et traumatisée dans le but de
réveiller des consciences en occident,
aussi peu nombreuses sont-elles.
Monsieur Macron, comment pouvez-vous
continuer à marcher la tête haute en
étant le complice des bourreaux du
Moyen-Orient ? Comment pouvez-vous
encore rêver, pendant qu'une mère fait
ses Adieux à son fils de 17 ans, enfermé
pour avoir résisté ?
Laissez-moi vous parler des tortures en
prison,
Laissez-moi vous parler des enfants
tués,
Laissez-moi vous parler des bébés
coincés sous les décombres,
Laissez-moi vous parler des orphelins de
Gaza,
Laissez-moi vous parler de la
reconstruction d'une maison après que
les bombes l'ai emportée,
Laissez-moi vous parler du jour de Noel
en Palestine,
Vous ne savez rien, vous ne savez pas de
quoi il s'agit.
Monsieur Macron, vous n'êtes jamais venu
faire un tour sur le terrain avec moi.
Laissez-moi vous
raconter l'histoire de Ahmad, Amjad,
Kifah, Mohammad, Mahmoud, Ali, Salah, et
celle de millions de palestiniens. Je
suis tout de même consciente que ces
prénoms vous laisseront indifférent car
ils ne sonnent pas français.
Il est trois heures
du matin lorsqu'ils forcent la porte et
cassent tout sur leur passage. Les cris
des enfants réveillés se font de plus en
plus forts, ils ne comprennent pas
pourquoi leur papa et leur grand frère
sont tout à coup menottés et emmenés
loin, très loin. Arrêtés au hasard ou
pour avoir résisté, arrêté pour avoir
commis le crime d'être nés de l'autre
côté du mur. On les appelle les soldats
israéliens, ils rient et boivent des
bières devant la détresse de la mère qui
les supplie de lui rendre son fils, ils
alignent tout le monde contre un mur et
s'amusent à tirer lorsqu'ils
n'obtiennent pas les réponses qu'ils
veulent. Parfois, ils pointent le laser
de la mitraillette sur le visage d'un
bébé juste pour le plaisir de voir la
maman hurler. Et c'est ainsi que se
déroulent les arrestations, chaque nuit
en Palestine. Le motif ? Leur
nationalité et leur religion suffisent.
Les soldats israéliens ne se justifient
jamais, mais forcent les palestiniens à
avouer des fautes qu'ils n'ont jamais
commise. C'est sous la torture qu'ils
les forcent à dénoncer des amis ou de la
famille, exactement comme ce que les
nazis faisaient subir à leurs
grands-parents en Europe.
En prison, il y a
énormément de jeunes hommes âgés d'à
peine 17 ans, derrière les barreaux. Ils
sont d'emblée torturés et mis à nu afin
d'être humiliés. Les soldats israéliens
les rendent malades, les privent de
nourriture, d'eau ainsi que de soins et
de douches. Ils sont plus d'une
trentaine dans une toute petite pièce et
doivent se relayer pour pouvoir
s'allonger et dormir une heure ou deux.
Ils sont par ailleurs forcés à boire
leur urine ou à se mettre nu devant tout
le monde lorsqu'il fait froid dehors.
Parfois, ils les placent sous le soleil
tapant les mains liées et les yeux
bandés, afin de leur étaler de la
confiture sur le visage dans le but
qu'ils se fassent envahir par des
insectes. Un médecin les examine, non
pour les soigner mais pour repérer tous
leurs endroits sensibles, afin de s'en
servir lors des séances de torture. Il y
a également plusieurs cas de castration
des hommes en prison. Oui, vous avez
bien lu, ils castrent les palestiniens.
Je déborde tellement d'horreurs que je
suis incapable de tout vous écrire sans
larmes. Monsieur Macron, je suis une
jeune française brisée par ce que j'ai
vu, je ne serai plus jamais la même et
pourtant je n'y suis restée qu'une
courte période mais ça donne déjà un
premier aperçu de ce que la population
vit depuis des décennies. Mohammad
m'expliquait comment les soldats ont
plongé son pied dans une solution
chimique qui l'a donc brûlé, en guise de
torture. Kifah est maman d'un prisonnier
de dix-sept ans, elle raconte à quel
point il est horrible de ne pas pouvoir
prendre son fils dans ses bras et de le
voir de plus en plus malade à chaque
visite.
Il est minuit
lorsque plusieurs dizaines de chars
entrent à Naplouse, autour du camp
d'Askar. Askar est un camp de réfugiés
palestiniens, oui, ils sont réfugiés
dans leur propre pays. Les soldats ont
commencé à tout incendier et à tirer sur
la moindre personne se trouvant à
l'extérieur. C'est une véritable
boucherie humaine. La raison ? Je ne la
connais pas moi-même, il n'y avait
jamais de raison, sachez-le. On nous
ment sans cesse en occident. Le feu
prend de plus en plus d'ampleur, les
cris se font de plus en plus forts pour
finalement laisser place à un
insupportable silence. Mohammad a été
blessé au bras et à la jambe et supplie
son ami d'aller poser un drapeau blanc
devant les soldats afin qu'ils cessent
ces horreurs. "Nous avons besoin d'aide,
nous allons mourir, cessez je vous en
supplie, nous avons besoin de médecins
!" Mais rien n'y fait, une seule
ambulance arrive après sept heures, une
seule ambulance pour des centaines de
blessés et de morts. Des membres de
corps humains sont retrouvés un peu
partout, les palestiniens s'effondrent
en découvrant parfois qu'il s'agit de
leur père, de leur petit frère, de leur
meilleur ami. Ils ont tout détruit : les
écoles, les supermarchés, les mosquées,
les pharmacies, et surtout l'enfance.
Les enfants ne sont plus des enfants,
ils dessinent des couteaux ensanglantés
ou un corps gisant sur le sol lorsque
nous leur demandons de dessiner la vie
quotidienne.
Il est vingt-trois
heures trente lorsque des camions de
l'armée israélienne entrent dans la
ville. Ce jour fut celui où j'ai vu ma
mort arriver de très près. Ils éteignent
les lampadaires et se cagoulent avant de
tabasser et de tirer sur tout ce qui
bouge. Les balles ne cessaient de me
frôler, c'est alors que j'ai trouvé
refuge sous le siège d'un bus. Je me
souviens avoir demandé à Dieu de
pardonner tous mes péchés et de m'ouvrir
les portes du Paradis. Je ne voulais pas
mourir maintenant, j'avais encore trop
de choses à apprendre de ce bas monde,
j'avais trop de regrets et de remords
pour m'en aller. Je repensais à tous ces
gens que j'aimais, ma famille et mes
amis, je prenais conscience que
certaines personnes qui me paraissaient
insignifiantes en France occupaient à
cet instant, une grande place dans mon
cœur. Je repensais à chaque moment de
joie et de douceur qui précédait mon
arrivée en Palestine, je repensais à ces
multiples nuits où je discutais de ce
conflit sans imaginer un instant qu'un
jour j'y serai en ayant peur d'y perdre
la vie. Les missiles m'assourdissaient,
le gaz m'étouffait, j'étais comme ces
gens qui envoient les derniers messages
d'amour à leurs proches lorsqu'ils se
retrouvent coincés dans un attentat.
C'est à ce moment précis que j'ai pu
réellement prendre conscience de l'enfer
que vivent les palestiniens depuis trop
longtemps. Cette incessante peur de
mourir. Des silhouettes s’effondraient
dans un dernier "Allahu Akbar",
Je me souviens
m'être réveillée avec des tonnes de " Tu
es vivante, dis-moi que tu es vivante."
En Palestine, les
colons sont armés et ont le droit de
tirer. Il s'agit de familles
israéliennes installées en Palestine
dans les colonies. Souvent, elles se
trouvent au sommet des montagnes ou
autour de la ville comme c'est le cas à
Hébron. On appelle ça les "Settlements".
Lorsque les israéliens veulent gagner du
terrain, ils détruisent les habitations
des palestiniens, parfois des gens se
trouvent encore à l'intérieur et se font
écraser par les grues. Ils ne
préviennent pas, ils ne demandent aucun
avis, c'est ainsi qu'ils ne cessent de
violer le droit international. Ainsi va
la vie en Palestine.
J'ai tellement de choses à vous dire,
j'aurai besoin de plusieurs centaines de
pages et heures de conférence , il y a
trop à dire sur ce conflit. Mais
j'espère que ces quelques exemples
donneront déjà un aperçu de la situation
et permettront une prise de conscience,
aussi petite soit-elle.
Cette population
souffre, sous le silence des médias et
des nations du monde. Ce silence est de
plus en plus insupportable et je demande
à chacun d'entre vous de lire
attentivement mon témoignage. Je vous
demande d'imaginer votre famille se
trouvant dans ces situations qui ne
représentent même pas la moitié de ce
qu'il se passe. Je demande à toutes les
mamans d'imaginer leur enfant dans cette
situation. Il n'est pas normal d'être
obligé de vivre avec ça, il n'est pas
normal d'être enfant et d'avoir peur de
s'endormir. Il n'est pas normal qu'Ali
se fasse tirer dessus sans raison le
jour de mon retour en France, il n'est
pas normal de monter dans l'avion
direction l'occident et le confort en me
disant qu'un jeune homme vient de perdre
la vie et que personne n'en parlera,
juste parce que son prénom est Ali et
qu'il est né de l'autre côté du mur. Je
demande à tous les croyants de ne jamais
oublier les opprimés dans leurs prières.
Je vous demande à toutes et à tous de
réfléchir deux fois avant de dire qu'on
ne pourra rien faire.
Personne au monde ne choisit sa vie.
Personne au monde ne choisit son lieu de
naissance.
« Je ne plierai
pas, je ne m’en irai pas en silence. Je
ne me soumettrai pas. Je ne me
retournerai pas. Je ne me conformerai
pas. Je ne me coucherai pas. Je ne me
tairai pas. Le courage, c’est de
chercher la vérité et de la dire ; ce
n’est pas subir la loi du mensonge
triomphant » (Jean Jaurès).
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