L’interview a été
enregistrée le 29 mai à Paris lors de la
visite du Président russe en France.
Transcription
:
Journaliste
(question retraduite): Monsieur le
Président, bien le bonjour. Merci
beaucoup d’avoir accepté de répondre aux
questions du Figaro. Je voudrais
également vous remercier de nous
rencontrer ici, dans une salle de classe
du Centre culturel russe. Encore une
fois, merci de nousavoir accordé cette
interview.
Vous êtes venu en France pour ouvrir une
exposition qui marque 300 ans depuis la
création de relations diplomatiques
entre la Russie et la France. Il y a eu
des hauts et des bas dans les relations
entre les deux pays. Quelle est votre
perspective sur l’état actuel de ces
relations ?
Vladimir Poutine : Il est vrai
que le Président Macron m’a invité à
participer à l’ouverture de
l’exposition. Cependant, permettez-moi
de vous dire tout de suite que les
relations entre la Russie et la France
ont une histoire bien plus ancienne et
des racines beaucoup plus profondes,
comme le Président français et moi-même
l’avons mentionné à plusieurs reprises
aujourd’hui. De fait, la plus jeune
fille de Yaroslav le Sage et une des
grandes princesses russes, Anna, est
venue au 11ème siècle pour épouser le
roi de France Henri Ier.
Elle s’appelait en fait Anna de Rus,
Reine de France. Son fils Philippe Ier
de France a été le fondateur de deux
maisons royales européennes, les Valois
et les Bourbons, et ce dernier règne en
Espagne jusqu’à ce jour.
Cela veut dire que les racines de nos
relations sont beaucoup plus profondes,
même si, au cours des 300 dernières
années, elles ont accéléré. C’est vrai.
J’espère vraiment que l’événement
d’aujourd’hui, l’exposition et mes
entretiens avec le Président Macron
donneront un nouvel élan à ces
relations.
Journaliste : Monsieur le
Président, quelle est votre vision de
Pierre le Grand, qui est venu à
Versailles en 1717 pour établir des
relations diplomatiques ?
Vladimir Poutine : Comme je l’ai
dit aujourd’hui à mon collègue français
et à nos amis français, Pierre le Grand
était avant tout un réformateur, un
homme qui non seulement a mis en œuvre
les meilleures pratiques et les plus
modernes, mais qui était aussi sans
aucun doute un patriote, qui a lutté
pour assurer à la Russie la place
qu’elle mérite dans les affaires
internationales.
Mais surtout, il était déterminé à
réformer son pays, le rendant moderne,
résilient et tourné vers l’avenir. Il a
réussi dans beaucoup de ses entreprises,
sinon dans toutes. Il s’est concentré
sur la recherche, l’éducation, la
culture, les affaires militaires et
l’Etat, laissant un héritage immense sur
lequel la Russie a compté jusqu’à
aujourd’hui, sans parler du fait qu’il a
fondé ma ville natale,
Saint-Pétersbourg, qui était la capitale
de la Russie durant de nombreuses
années.
Journaliste : Vous avez récemment
rencontré M. Macron. Aviez-vous des
attentes pour cette première réunion ?
Vous avez dit qu’il était important de
surmonter le stade de la méfiance.
Est-ce fini maintenant ?
En ce qui concerne le problème
principal, les sanctions, pouvez-vous
dire que vous avez atteint un quelconque
type d’accord ?
Vladimir Poutine : Lors de toute
réunion, dans tous les contacts, à tout
événement de ce niveau, surtout s’il
s’agit du premier contact, il y a
toujours des attentes. S’il n’y a pas
d’attentes, il est inutile de tenir des
réunions de ce genre. J’avais
certainement des attentes cette fois-ci.
Je voulais voir de plus près, apprendre
de première main quelle était la
position du nouveau Président de la
République française sur les questions
clés de l’agenda international et sur le
développement des relations bilatérales.
À mesure que le nouveau Président élu
prend ses fonctions, il a certainement
sa propre vision des choses, des
relations bilatérales, de la politique
internationale. Dans l’ensemble, je
dirais que c’est une vision très
pragmatique. Nous avons certainement des
points de rapprochement, pour un travail
en commun dans des domaines clés.
Journaliste : La mise en œuvre
des Accords de Minsk en l’Ukraine semble
avoir atteint une impasse. Avez-vous
réussi à progresser avec le Président
Macron en vue de la résolution de ce
conflit ?
Vladimir Poutine : Des progrès
dans la résolution de tout conflit, y
compris le conflit dans le sud-est de
l’Ukraine, peuvent être atteints avant
tout par les parties en conflit. Ce
conflit est interne – un conflit
ukrainien principalement. Il s’est
produit après une saisie
inconstitutionnelle de pouvoir par la
force à Kiev en 2014.
C’est la source de tous les problèmes.
La chose la plus importante à faire est
de trouver la force de négocier avec
toutes les parties en conflit, et
surtout, je suis convaincu que, comme on
dit, la balle est dans le camp des
autorités officielles de Kiev. Tout
d’abord, ils doivent s’occuper de mettre
en œuvre les accords de Minsk.
Journaliste : Qu’est-ce qui
pourrait contribuer à réaliser des
progrès dans ce domaine ? La Russie
peut-elle proposer une initiative qui
apportera la paix ?
Vladimir Poutine : C’est ce dont
nous ne cessons de parler. Nous
considérons que la principale condition
est de retirer les forces armées de la
ligne de contact. C’est la première
chose à faire. Le retrait a été achevé
dans deux zones, mais cet objectif n’a
pas été atteint dans la troisième zone.
Les autorités
ukrainiennes disent que cela ne peut pas
être fait en raison des échanges de tirs
là-bas. Mais les tirs ne s’arrêteront
pas à moins que les troupes et les armes
lourdes ne se retirent. Les armes
lourdes doivent être retirées. C’est une
priorité clé.
Le deuxième objectif dans le domaine
politique est de mettre en pratique,
enfin, la loi sur le statut spécial de
ces régions, que le parlement ukrainien
a adoptée. La loi a été adoptée mais
n’est pas entrée en vigueur.
La loi sur l’amnistie a été adoptée,
mais le président Porochenko ne l’a pas
signée. Les accords de Minsk stipulent
la réhabilitation sociale et économique
dans les républiques autoproclamées. Au
lieu de faire cela, Kiev a soumis ces
territoires à un blocus. Le blocus a été
initié par les radicaux qui ont bloqué
les lignes de chemin de fer.
Au début, le Président ukrainien a
dénoncé ses actions et a déclaré qu’il
rétablirait l’ordre. Cependant, il a
échoué. Au lieu de poursuivre ses
efforts, il a officiellement rejoint le
blocus et a émis un ordre exécutif à cet
effet. Peut-on parler de changements
pour le mieux dans cette situation ?
Malheureusement, nous n’en avons pas
encore vu un seul jusqu’à présent.
Journaliste : Oublions l’Europe
de l’Est une minute et parlons du
Moyen-Orient, principalement de la
Syrie. Après l’intervention militaire de
la Russie en septembre 2015, quelles
sont d’après vous les principales
solutions pour que la Syrie puisse
sortir de cette guerre à long terme ?
Vladimir Poutine : Tout d’abord,
j’aimerais souligner l’approche
constructive de la Turquie et de l’Iran,
et bien sûr, du gouvernement syrien qui,
avec la Russie, ont réussi à obtenir un
cessez-le-feu. Le cessez-le-feu n’aurait
pas été possible sans la soi-disant
opposition armée syrienne. C’était la
première et très importante étape vers
la paix.
Une autre étape, qui n’est pas moins
importante, est l’accord sur
l’établissement des zones dites de
désescalade. Actuellement, il existe
quatre zones de ce genre. Nous croyons
que c’est une étape extrêmement
importante sur le chemin de la paix, si
je peux le formuler de cette façon, car
il est impossible de parler d’un
règlement politique sans mettre fin à
l’épanchement de sang.
Maintenant, à mon avis, nous sommes tous
confrontés à une tâche différente, qui
est techniquement et je dirais même
technologiquement de finaliser la
création de ces zones de désescalade, de
se mettre d’accord sur leurs limites et
la façon dont les organes
gouvernementaux fonctionneront là-bas,
ainsi que sur la façon dont ces zones de
désescalade communiqueront avec le monde
extérieur.
De fait, le Président Macron l’a
mentionné lorsqu’il a parlé de convois
d’aide humanitaire. En général, je crois
que le Président français a raison et
c’est l’un des points de contact où nous
pouvons coopérer avec nos collègues
français. Une fois que les zones de
désescalade seront formalisées, j’espère
qu’au moins certains éléments de
coopération commenceront entre le
gouvernement et les gens qui
contrôleront les zones de désescalade.
J’espère vraiment (et ce que vais dire
est très important) que ces zones ne
deviendront pas un prototype pour la
future division territoriale de la
Syrie. Au contraire, je m’attends à ce
que ces zones de désescalade, si la paix
est établie, et les personnes qui les
contrôlent, coopéreront avec les
autorités syriennes officielles.
C’est ainsi qu’un environnement
d’interaction et de coopération de base
peut et doit être construit. La
prochaine étape est une réconciliation
purement politique et, si possible,
l’élaboration de régulations
constitutionnelles, d’une Constitution
et la tenue d’élections.
Journaliste : En effet, la Russie
et les autres parties diffèrent sur la
question syrienne concernant
principalement le sort de Bachar al-Assad,
que les pays occidentaux ont accusé
d’utiliser des armes chimiques contre
son propre peuple.
Monsieur le Président, pouvez-vous
envisager le futur politique de la Syrie
sans Bachar al-Assad ?
Vladimir Poutine : Je ne pense
pas avoir le droit de déterminer
l’avenir politique de la Syrie, que ce
soit avec ou sans al-Assad. C’est aux
Syriens eux-mêmes d’en décider. Personne
n’a le droit de s’arroger les droits qui
appartiennent au peuple d’un autre pays.
C’est la première chose que je veux
dire.
Avez-vous une question complémentaire ?
Journaliste : Oui. Vous dites que
ce n’est pas à vous d’en décider.
Cependant, cela ne signifie pas que
l’avenir de la Syrie est possible sans
al-Assad, n’est-ce pas?
Vladimir Poutine : Comme je l’ai
dit, il appartient au peuple syrien d’en
décider. Vous avez mentionné des
allégations concernant l’utilisation
d’armes chimiques par le gouvernement
syrien. Lorsque l’attaque s’est
produite, nous avons appelé nos
partenaires américains – et tous ceux
qui considèrent que cela est opportun –
d’envoyer des inspecteurs dans
l’aérodrome à partir duquel les avions
qui ont prétendument largué des bombes
chimiques auraient décollé.
Si des armes chimiques ont été utilisées
par les agences officielles du Président
al-Assad, des équipements de
vérification modernes en trouveraient
certainement des traces dans
l’aérodrome. C’est certain. Ces traces
se trouveraient dans l’avion et dans
l’aérodrome. Cependant, tout le monde a
refusé de procéder à une telle
inspection.
Nous avons
également proposé d’envoyer des
inspecteurs sur le site de l’attaque
chimique présumée. Mais ils ont
également refusé, affirmant que c’était
dangereux. Pourquoi est-ce dangereux si
l’attaque a été lancée dans une zone où
vivent des civils pacifiques et où la
partie saine de l’opposition armée est
déployée ?
À mon avis, les accusations ont été
faites dans le seul but de justifier
l’utilisation de mesures
supplémentaires, y compris militaires,
contre al-Assad. C’est tout. Il n’y a
aucune preuve que’al-Assad ait utilisé
des armes chimiques. Nous croyons
fermement que c’est une provocation. Le
Président al-Assad n’a pas utilisé
d’armes chimiques.
Journaliste : Vous souvenez-vous
de ce que le Président Macron a dit au
sujet des lignes rouges concernant les
armes chimiques ? Êtes-vous d’accord
avec lui ?
Vladimir Poutine : Oui.
De plus, j’estime que cette question
devrait être abordée à plus grande
échelle. Le Président Macron partage ce
point de vue. Peu importe qui utilise
des armes chimiques contre des personnes
et des organisations, la communauté
internationale doit formuler une
politique commune et trouver une
solution qui rendrait impossible
l’utilisation de ces armes pour
quiconque.
Journaliste : Après que Donald
Trump ait été élu Président des
États-Unis, beaucoup de gens ont parlé
d’une ère nouvelle dans les relations
russes-américaines. Cependant, ces
relations ne semblent pas avoir pris un
nouveau départ. Les dirigeants de l’OTAN
ont parlé de la menace russe lors de
leur sommet la semaine dernière.
Êtes-vous déçu par l’attitude américaine
?
Vladimir Poutine : Non, je ne le
suis pas. Nous n’avions aucune attente
particulière. Le Président américain
mène une politique américaine
traditionnelle. Bien sûr, nous nous
rappelons que lors de sa campagne
électorale, et aussi après avoir été élu
et pris ses fonctions, le Président
Trump a parlé de son intention de
normaliser les relations avec la Russie
et a déclaré qu’elles ne pouvaient pas
être pires. Nous nous en souvenons.
Cependant, nous voyons également et
réalisons que la situation politique aux
États-Unis est influencée par ceux qui
ont perdu les élections mais refusent
d’accepter leur défaite, et qui
continuent d’utiliser la carte
anti-Russie et diverses allégations plus
activement dans les luttes politiques.
C’est pourquoi nous ne sommes pas
pressés, nous sommes prêts à attendre,
mais nous espérons vivement que les
relations entre la Russie et les
États-Unis deviendront normales à
nouveau dans le futur.
En ce qui concerne l’augmentation...
Journaliste : Dans un monde
parfait, qu’attendriez-vous des
États-Unis pour améliorer les relations
avec la Russie ?
Vladimir Poutine : Il n’y a pas
de monde parfait, et il n’y a pas
d’humeur au subjonctif en politique.
J’aimerais répondre à la deuxième partie
de votre question. Au sujet des plans
visant à augmenter les dépenses
militaires de 2% ou plus, c’est un fait
que le budget de la défense des
États-Unis est supérieur aux budgets de
défense de tous les autres pays réunis.
C’est pourquoi je comprends le Président
américain lorsqu’il dit que ses alliés
de l’OTAN devraient prendre en charge
une partie de ce fardeau. C’est une
approche pragmatique et compréhensible.
Cependant, ce qui a attiré mon
attention, c’est que les dirigeants de
l’OTAN ont parlé lors de leur sommet de
la volonté d’améliorer les relations
avec la Russie. Alors pourquoi
augmentent-ils leurs dépenses militaires
? Contre qui ont-ils l’intention de
combattre ? Je vois là une contradiction
interne, bien que ce ne soit pas nos
affaires.
Laissez l’OTAN décider qui va payer et
combien. Nous devons nous occuper de
notre propre défense, et nous
travaillons à l’assurer de manière
fiable et en vue de l’avenir. Nous
sommes confiants.
Journaliste : Cependant, en ce
qui concerne l’OTAN, certains de vos
voisins veulent assurer leur sécurité
par l’intermédiaire de l’OTAN. Est-ce un
signe de méfiance envers vous, quelque
chose qui cause une attitude scandaleuse
?
Vladimir Poutine : Pour nous,
c’est un signe que nos partenaires en
Europe et aux États-Unis, pardonnez-moi,
poursuivent une politique à court terme.
Ils n’ont pas l’habitude de regarder un
pas en avant. Nos partenaires
occidentaux ont perdu cette habitude.
Lorsque l’Union soviétique a cessé
d’exister, les politiciens occidentaux
nous ont dit (pas sur papier, mais cela
a été déclaré clairement) que l’OTAN ne
s’étendrait pas vers l’Est. Certains
politiciens allemands à l’époque ont
même proposé de créer un nouveau système
de sécurité en Europe qui impliquerait
les États-Unis et, de fait, la Russie.
Si cela avait été fait, nous n’aurions
pas les problèmes que nous avons eu ces
dernières années, à savoir l’expansion
de l’OTAN vers l’Est jusqu’à nos
frontières, l’avancée de
l’infrastructure militaire à nos
frontières. Peut-être que les États-Unis
ne se seraient pas retirés
unilatéralement du Traité anti-missiles
balistiques (ABM).
Ce traité était une pierre angulaire de
la sécurité actuelle et future. Les
installations de défense antimissiles en
Europe – en Pologne et en Roumanie –
n’auraient pas été construites, ce qui,
sans aucun doute, crée une menace pour
nos forces nucléaires stratégiques et
perturbe l’équilibre stratégique – un
développement extrêmement dangereux pour
la sécurité internationale. Peut-être
que tout cela n’aurait pas eu lieu. Mais
cela s’est produit, et nous ne pouvons
pas rembobiner l’histoire, ce n’est pas
un film.
Nous devons partir
de la situation actuelle. À cet égard,
nous devons réfléchir à ce que nous
voulons pour l’avenir. Je pense que nous
voulons tous la sécurité, la paix, la
sûreté et la coopération. Par
conséquent, nous ne devrions pas
accumuler des tensions ou inventer des
menaces fictives de la Russie, des
guerres hybrides, etc.
Vous avez inventé ces choses vous-même
et maintenant, vous vous faites peur
avec elles et vous les utilisez même
pour planifier vos politiques futures.
Ces politiques n’ont pas de perspective
d’avenir. Le seul avenir possible est
dans la coopération dans tous les
domaines, y compris les problèmes de
sécurité.
Quel est le principal problème de
sécurité aujourd’hui ? Le terrorisme. Il
y a des attentats en Europe, à Paris, en
Russie, en Belgique. Il y a une guerre
au Moyen-Orient. C’est la principale
préoccupation. Mais non, continuons
plutôt à spéculer sur la menace russe.
Journaliste : Vous dites que plus
de choses pourraient être faites en ce
qui concerne le terrorisme et
l’islamisme. Mais qu’est-ce qui doit
être fait exactement et que peut faire
la Russie ? Et pourquoi est-il si
difficile de travailler avec l’Europe
pour atteindre ces objectifs ?
Vladimir Poutine : Demandez à
l’Europe. Nous sommes prêts à coopérer,
comme je l’ai dit il y a quelque temps
au 70e anniversaire des Nations Unies,
lorsque j’ai appelé tous les pays à unir
leurs efforts pour lutter contre le
terrorisme. Cependant, il s’agit d’une
question très complexe.
Vous voyez, après l’attaque terroriste à
Paris, un événement sanglant et
horrible, le Président Hollande est venu
en Russie et nous nous sommes mis
d’accord sur des actions de coopération.
Le porte-avions Charles de Gaulle s’est
approché de la côte syrienne. Puis,
François est allé à Washington, tandis
que Charles de Gaulle partit pour le
canal de Suez [au lieu de la Syrie].
Donc la véritable coopération avec la
France s’est terminée avant même qu’elle
ne commence. La France est impliquée
dans les opérations là-bas, mais elle
agit au sein de la coalition dirigée par
les États-Unis. Allez comprendre qui
donne les ordres, qui ne les donne pas,
qui a son mot à dire, et quel est
l’agenda. La Russie est ouverte à la
coopération.
Il était également très difficile de
s’entendre sur ces questions avec les
États-Unis. De fait, nous avons assisté
à quelques changements dernièrement; et
il y a des résultats réels. J’ai parlé
au Président Trump par téléphone, et il
a soutenu l’idée, en général, de créer
des zones de désescalade.
Nous envisageons maintenant comment les
intérêts de tous les pays du sud de la
Syrie peuvent être servis au mieux,
compte tenu des préoccupations de tous
les pays confrontés à des problèmes dans
cette région. Je parle de la Jordanie,
d’Israël et de la Syrie elle-même. Bien
sûr, la Russie est prête à tenir compte
de ce que les États-Unis et nos
partenaires européens ont à dire.
Cependant, ce dont nous avons besoin,
c’est que le dialogue soit spécifique et
concis, au lieu de discussions vides sur
les réclamations et les menaces
mutuelles. Il faut un effort réel.
Journaliste : Vous dites que
c’est eux qui doivent décider et agir,
n’est-ce pas ?
Vladimir Poutine : C’est
exactement ça.
Journaliste : Vous avez mentionné
les États-Unis. Les allégations
d’ingérence de la Russie dans l’élection
présidentielle aux États-Unis ont
soulevé une tempête politique à
Washington. Des allégations similaires
ont également été exprimées en France.
Quelle est votre réponse, surtout dans
le contexte des développements récents
aux États-Unis ?
Vladimir Poutine : J’ai déjà
commenté cette question plusieurs fois.
Il y a eu une question d’un de vos
collègues à ce sujet aujourd’hui. Il l’a
dit avec beaucoup de précaution à la
conférence de presse, disant que « il y
a des allégations selon lesquelles des
pirates russes... » Qui est l’auteur de
ces allégations ? Sur quoi se
basent-elles ? Si ce ne sont que des
allégations, alors ces pirates
pourraient être de n’importe où ailleurs
et pas nécessairement de Russie.
Comme l’a dit le Président Trump, et je
pense qu’il avait tout à fait raison
lorsqu’il a dit cela, ça aurait pu être
quelqu’un qui était assis sur son lit
(un particulier) ou peut-être que
quelqu’un a intentionnellement inséré
une clé USB avec le nom d’un
ressortissant russe ou quelque chose
comme ça. Tout est possible dans ce
monde virtuel. La Russie ne s’engage
jamais dans des activités de ce genre,
et nous n’en avons pas besoin. Cela
n’aurait pour nous aucun sens de faire
de telles choses. A quoi bon ?
J’ai déjà parlé à trois Présidents
américains. Ils vont et viennent, mais
la politique reste la même en tout
temps. Vous savez pourquoi ? A cause de
la puissante bureaucratie. Lorsqu’une
personne est élue, elle peut avoir
certaines idées. Ensuite, des gens avec
des mallettes arrivent, bien habillés,
portant des costumes foncés, tout comme
le mien, à l’exception de la cravate
rouge, puisqu’ils portent des cravates
noires ou bleu foncé. Ces personnes
commencent à expliquer comment les
choses se font. Et instantanément, tout
change. C’est ce qui se passe avec
chaque administration.
Changer les choses n’est pas facile, et
je le dis sans ironie. Ce n’est pas que
la personne ne veut pas le faire, mais
parce qu’il est très difficile de le
faire. Prenez Obama, un homme qui voit
loin, un libéral, un démocrate.
N’avait-il pas promis, avant son
élection, de fermer Guantanamo ? Mais
l’a-t-il fait? Non, il ne l’a pas fait.
Et puis-je demander pourquoi ? Ne
voulait-il pas le faire ? Il le voulait,
j’en suis sûr, mais cela n’a pas
fonctionné. Il a sincèrement voulu le
faire, mais n’a pas réussi, car cela
s’est révélé très compliqué.
Ce n’est pas le
problème principal, cependant, même s’il
est important, car il est difficile de
comprendre que des gens ont marché [à
Guantanamo] dans des chaînes depuis des
décennies sans procès ni enquête.
Pouvez-vous imaginer la France ou la
Russie agir de cette façon ? Ce serait
une catastrophe. Mais c’est possible aux
États-Unis et ça continue à ce jour. Il
s’agit de la question de la démocratie,
soit dit en passant.
Je me suis référé à cet exemple
seulement pour montrer que ce n’est pas
aussi simple qu’il le parait. Cela dit,
je suis prudemment optimiste et je pense
que nous pouvons et devrions être à même
de parvenir à des accords sur des
questions clés.
Journaliste : Vous dites qu’à
l’heure actuelle, la tempête politique à
Washington repose sur des allégations
absolument infondées.
Vladimir Poutine : Ce n’est pas
fondé sur des allégations, mais sur le
désir de ceux qui ont perdu les
élections aux États-Unis d’au moins
améliorer leur position par des attaques
anti-russes, en accusant la Russie
d’ingérence. Les personnes qui ont perdu
les élections ne veulent pas admettre
qu’elles ont vraiment perdu, que celui
qui a gagné était plus proche du peuple
et a mieux compris ce que les électeurs
ordinaires veulent.
Ils sont absolument réticents à admettre
cela, et préfèrent se raconter des
histoires à eux-mêmes et aux autres en
pensant que ce n’était pas leur faute,
que leur politique était correcte,
qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait,
mais que quelqu’un de l’extérieur les a
contrecarrés. Mais ce n’est pas ce qui
s’est passé. Ils ont juste perdu et ils
doivent l’admettre.
Quand ils le feront, je pense qu’il nous
sera plus facile de travailler.
Cependant, le fait que cela soit fait en
utilisant des outils anti-russes n’est
pas bon, car ça entraîne de la discorde
dans les affaires internationales.
Laissez-les débattre entre eux, pour
qu’ils puissent prouver qui est le plus
fort, qui est le meilleur, qui est le
plus intelligent, qui est le plus fiable
et qui définit une meilleure politique
pour le pays. Mais pourquoi impliquer
des pays tiers ? C’est vraiment triste
et pénible. Mais ça passera, tout passe,
et ça passera aussi.
Journaliste : Monsieur le
Président, nous arrivons à la fin de
notre entretien. Surtout, je voudrais
vous poser une question sur 2018. C’est
l’année des élections en Russie : les
élections présidentielles et les
élections à l’Assemblée fédérale.
Pourriez-vous nous dire si vous avez
l’intention de vous présenter, ou
peut-être que l’opposition serait en
mesure de nominer quelqu’un dans une
procédure démocratique ? Comment
voyez-vous le développement de cette
situation ? Vous voulez bien que la
campagne de l’année prochaine se déroule
dans un environnement vraiment
démocratique, n’est-ce pas ? Je parle de
2018.
Vladimir Poutine : Toutes les
récentes campagnes électorales en Russie
ont été strictement conformes à la
Constitution russe, en pleine
conformité. Et je ferai tout mon
possible pour que les campagnes
électorales de 2018 se déroulent de la
même manière, je le répète, en pleine
conformité à la loi et à la
Constitution.
Ainsi, quiconque a le droit de se
présenter, toute personne qui remplit
les procédures adéquates prescrites par
la loi, peut et participera, s’il le
souhaite, aux élections à tous les
niveaux – aux assemblées législatives,
au parlement et aux élections
présidentielles.
Quant aux candidats, il est encore trop
tôt pour en parler.
Journaliste : Merci. J’espère que
nous vous reverrons bientôt. Merci
beaucoup d’avoir partagé vos points de
vue avec Le Figaro.
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