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Interview

Thomas S. Harrington : « Un nouvel avenir ne sort jamais d’un air raréfié »

Mohsen Abdelmoumen


Dr. Thomas S. Harrington. DR.

Dimanche 3 mai 2015

English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2015/05/02/thomas-s-harrington-no-new-future-ever-comes-out-of-thin-air/

Dans des sociétés sous la domination totale de l’ultralibéralisme et des banques comme Goldman Sachs et autres, peut-on encore parler de démocratie et de justice sociale ?

Bien que je ne puisse pas dire que c’est impossible, c’est certainement très, très difficile de le faire dans le contexte présent.

La défaite américaine au Vietnam, suivie peu après par le Watergate, a vraiment effrayé les élites américaines. Elles ont réalisé que si l’attente d’une véritable démocratie – enracinée dans l’idée simple que le gouvernement devrait être responsable devant les citoyens – devait continuer à croître dans la majorité de la population du pays, comme elle l’a fait dans les années 60 et au début des années 70, leur capacité à poursuivre le projet de dominer l’économie et les ressources de la planète dans le monde serait fortement diminuée.

Elles se donc regroupées, centrant leurs efforts sur le contrôle de la perception de la réalité qu’ont les citoyens américains, s’assurant qu’elles ne reviendraient jamais au « face-à-face », comme  elles l’avaient connu dans le cas du Vietnam, devant les résultats de leur gouvernement brutal et leurs attaques constantes contre ceux dans le monde qui n’avait rien fait de plus que de défier ce que les États-Unis, ou ce que les Etats-Unis et Israël, définissent unilatéralement comme leurs « intérêts vitaux ».

Une lecture du soi-disant Mémorandum Powell, écrit par l’avocat d’entreprise et futur juge de la Cour suprême des États-Unis, Lewis Powell, en 1971, offre un merveilleux aperçu des efforts concertés de l’élite, finalement très réussis, pour contrôler les paramètres de la « pensée pensable » – pour utiliser la merveilleuse phrase de Chomsky – dans la vie publique américaine.

Les attaques américaines sur Grenade (1983), Panama (1989) et en Irak (1991) ont été conçues, plus que toute autre chose, pour tester les techniques de contrôle des médias nouvellement développées de l’armée américaine, méthodes élaborées pour aseptiser la guerre et de cette façon, réhabituer la population américaine à la « beauté » et à « l’honneur » de détruire les cultures, les ressources et/ou les places géostratégiques de ceux qui n’acceptent pas les plans que nous avons préparés pour eux.

Le succès de ces efforts de « planification culturelle » dans la sphère militaire a fortement enhardi les élites financières. Elles raisonnaient – tout à fait correctement, je suis triste de le dire – que si elles et le Pentagone pouvaient réussir à vendre la guerre comme belle et noble seulement 15 ans après la campagne absolument insensée, brutale, et qui a finalement échoué au Vietnam, il serait assez facile de convaincre les gens de l’avantage de mettre en pièces les institutions et les programmes qui ont créé la première et vraiment seule période de croissance durable de la classe moyenne entre 1945 et 1970 en Amérique.

Depuis le début des années 90, Wall Street s’est mis à la tâche pour convaincre les gens ordinaires (la montée bien planifiée et bien financée du talk-show de Rush Limbaugh est très instructive ici) que le gouvernement dont les politiques avaient fait naître la classe moyenne sous Roosevelt et ses successeurs de l’après-guerre était, en fait, leur ennemi, et que par ailleurs, les seules philosophies que le pays ait jamais eues réellement étaient « le chien mange le chien » et « chacun pour soi », et qu’enfin, toute personne qui croit autrement n’est qu’un rêveur (une grosse insulte pour un Américain) désespérément naïf et « irréaliste ».

Aujourd’hui, les propositions ambitieuses de solutions collectives à beaucoup de nos problèmes graves ne sont même pas mentionnées dans les médias contrôlés par les entreprises.

Tout journaliste désireux de faire une bonne carrière sait que, comme dans le cas d’Israël, on ne peut pas se permettre de sortir des limites implicitement convenues de la pensée acceptable, normes qui, dans le domaine économique, excluent de force toute idée qui pourrait se rapprocher de suggérer que nous devrions taxer les ploutocrates lyriques obscènes du pays pour aider à rendre la vie de la grande masse des gens plus à l’aise et digne.

Le résultat est une population qui sait instinctivement qu’elle se fait avoir, mais à laquelle, en raison de l’application des paramètres idéologiques d’entreprise et militaires des médias, manque généralement la capacité de comprendre comment elle en est arrivée à ce stade inquiétant. Et à cause de ce manque de connaissance historique et analytique, la plupart des Américains en général sont également incapables d’imaginer un type de futur différent.

Pour quelle raison ? Parce qu’aucun nouvel avenir ne sort jamais d’un air raréfié. Au contraire, de nouveaux futurs sont envisageables lorsque les gens regardent dans le passé pour trouver des indices sur la façon dont leurs prédécesseurs avaient trouvé des solutions efficaces à des problèmes similaires. En raison de ce que Henry Giroux appelle « l’oubli organisé » du néo-libéralisme, un oubli essentiellement orchestré par les médias d’entreprise, la plupart des citoyens américains, y compris beaucoup de ceux supposément bien éduqués, ne savent plus que la classe moyenne qui a caractérisé la pays dans le milieu du 20e siècle n’est pas le fruit du hasard, mais a été construite par des décisions politiques conscientes.

Et à la suite de ce vide intellectuel quant aux facteurs structurels du changement social qui s’est produit, ils leur est tout aussi difficile de comprendre que la même classe moyenne n’a pas simplement disparu spontanément au cours des dernières décennies en raison de la force sans visage du « marché libre », mais plutôt grâce aux efforts soigneusement planifiés des riches et de leurs serviteurs politiques de plus en plus compromis.

La seule façon de sortir de cette situation est un programme d’éducation massive conçu pour aider les jeunes à comprendre comment leur environnement de l’information fonctionne vraiment, pour les aider à appréhender comment et par quels moyens les élites créent et transforment les grands récits à leur propre service dans un cybermonde qui apparaît encore pour la plupart d’entre eux comme étant un espace culturel en roue libre et largement sans restriction.

Mais qui va entreprendre un tel programme ? Certainement pas les riches élites qui profitent grassement des désorientations critiques et historiques générales des Américains.

Et certainement pas les écoles publiques qui, après trois décennies de sous-financement tout à fait délibéré, luttent pour a) juste enseigner les bases et b) repousser les tentatives des intérêts des entreprises pour transformer les écoles en centres de formation professionnelle – programme chaleureusement soutenu par la Maison Blanche d’Obama – dépourvus de tout examen sur le développement critique et /ou historique des réalités sociales. Pour ces raisons, je suis assez pessimiste quant à notre capacité collective à mettre de sitôt la démocratie et la poursuite de la justice sociale au centre de l’agenda social des États-Unis.

En 2016, les Démocrates peuvent-ils perdre les élections présidentielles à cause du rapprochement avec l’Iran et leur éloignement avec Israël, sachant le poids que représente le lobby sioniste aux USA, comme l’AIPAC, etc. ?

À ce stade, le résultat des élections 2016 sont largement sans rapport avec le développement de la politique étrangère des États-Unis, et d’ailleurs, avec la politique intérieure des États-Unis. Les deux parties sont complètement redevables aux mêmes intérêts. Les différences entre eux sont en grande partie une question de ton et une image de marque socioculturelle.

Si Hillary Clinton remporte la présidence, elle restaurera probablement l’un des moyens de pression sur la politique étrangère américaine qu’Israël pourrait avoir perdu (malgré tous les feux d’artifice verbaux et symboliques, je n’ai toujours pas vu une réduction significative du soutien des Etats-Unis à Israël) dans la confrontation récente entre Obama et Netanyahu. Sa campagne est très fortement tributaire des bailleurs de fonds sionistes et, depuis qu’elle place généralement le pouvoir au-dessus du principe, elle ne pourra probablement rien faire. Le Lobby veut lui faire « faire les choses » à nouveau. Et si les Républicains gagnent, comme nous le savons, ils seront encore plus pro-israéliens qu’auparavant.

Oui, Obama parviendra probablement à forger certains traités avec l’Iran, et ce sera bien. Mais une fois qu’il sera parti, la pression du lobby israélien sera énorme pour annuler efficacement (soit par action directe ou par négligence calculée et par subterfuge) cet important développement.

A votre avis, quels sont les desseins cachés des Etats-Unis à vouloir déstabiliser le Venezuela, l’Argentine et le Brésil ?

C’est très simple. Les Etats-Unis veulent déstabiliser ces pays parce que, chacun à leur façon, ils ont remis en question la logique et la morale du turbo-capitalisme conduit par les Américains qui se sont complètement moqués du monde au cours des trois dernières décades. A un certain niveau psychologique, les élites américaines sont tout à fait conscientes de la fragilité fondamentale du système de pillage organisé qui leur est confié actuellement.

Elles sont également conscientes que, pour diverses raisons historiques et culturelles (et non des moindres puisque ce sont les souvenirs encore très vivaces des dictatures brutales « made in Washington » qui ont été imposées à la région dans les années 70 et 80), les peuples latino-américains sont beaucoup moins sensibles aux campagnes de « gestion de la perception » qui, comme je l’ai expliqué plus tôt, ont effectivement castré la capacité de l’ensemble des citoyens des États-Unis à comprendre exactement ce que leurs maîtres corporatifs et militaires sont en train de faire pour eux.

Les élites américaines savent que si ces gouvernements penchant à gauche réussissent à générer un modèle plus humain et moins dégradant de progrès économique, il se répandra comme une traînée de poudre à travers le monde.

Et si cela devait arriver, cela signifierait la fin du système impérial américain. C’est la raison pour laquelle les États-Unis sont les pourfendeurs de ces pays et utilisent constamment la force institutionnelle pour « jeter du sable dans les rouages » des tentatives de créer de nouveaux modèles de progrès social.

Avec l’hégémonie US qui cherche à déstabiliser le Venezuela, le Brésil et l’Argentine d’un côté, et les mouvements de troupes US en Ukraine, peut-on éviter une guerre totale entre la Russie et les Etats-Unis ?

Je l’espère bien. Cela dit, je n’ai aucune raison de croire que ceux qui prennent les décisions politiques à Washington en ce moment ont quoi que ce soit qui ressemble vaguement à un sens adulte de prudence. Une prudence adulte est engendrée par une compréhension de la fragilité de la vie et la facilité avec laquelle tout faux mouvement peut conduire à des tragédies indicibles et irrémédiables. Les personnes aux États-Unis qui appellent aux coups de feu ont très peu, sinon aucune, de cette importante qualité et de soutien de la vie.

La meilleure comparaison concernant la vision du monde des gens comme Rice, Nuland, Power, McCain, Schumer et Graham, juste pour en nommer quelques-uns, est probablement celle d’un individu de dix-huit ans dans un état d’ébriété. Comme ces jeunes gens éméchés, ils se voient eux-mêmes, et par extension, le pays au nom duquel ils pratiquent la politique, comme essentiellement immortels, et donc éternellement à l’abri des conséquences de leurs propres actions.

Nous avons eu de la chance jusqu’à présent que M. Poutine – malgré ses points faibles largement commentés dans le domaine de la gouvernance démocratique – a démontré un sens beaucoup plus profond de l’histoire, et à partir de là une approche beaucoup plus mesurée et diplomatique en matière d’utilisation de la force militaire.

S’il avait été moins conscient de la gravité de la situation actuelle et avait agi comme les adolescents-adultes fanfarons qui élaborent actuellement la politique de l’autre côté de l’Atlantique, nous serions déjà engagés dans une guerre totale.

Une note finale. Dans un une coïncidence étrange du destin, je réponds à vos questions d’interview depuis Sarajevo en Bosnie.

Cet après-midi, je suis arrivé à l’endroit où Gavrilo Princep a tiré les coups de feu qui ont déclenché l’événement incroyablement horrible et inutile qui était la Première Guerre mondiale. Je suis alors monté sur la colline vers le cimetière où des milliers et des milliers de victimes de la guerre de Bosnie (1992-1995) reposent en silence.

Comme je me promenais en réfléchissant à la préciosité de la vie et, inversement, comment les idéologies désinvoltes peuvent nous éloigner de cette réalité essentielle (peut-être la seule réalité essentielle), je me demandais combien de ces personnes qui font la politique à Washington, comme celles que je mentionne ci-dessus, la plupart vivant dans les limites confortables du quartier riche au nord-ouest de la ville, sont jamais venues ici et, s’ils l’ont fait, ont-ils pu, juste pendant une minute, se mettre à la place des personnes qui ont été bombardées et abattues depuis les montagnes qui ceinturent la ville, jour après jour, mois après mois, et année après année?

Les réponses qui me son venues ne sont pas encourageantes. Oui, je suis sûr que plusieurs d’entre eux sont venus ici. Mais, je suis également sûr que tous ont trouvé le moyen de ne pas relier la douleur que cette ville vous supplie d’entendre, de reconnaître et de pleurer sur elle, à aucune des décisions politiques qu’ils prennent dans leur vie quotidienne.

Les ivrognes de dix-huit ans ne font pas d’introspection. Ils se contentent de pousser les limites jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque chose se brise. Ensuite, ils attendent généralement que quelqu’un d’autre nettoie leur gâchis.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Biographie :

Docteur en Etudes hispaniques à l’Université de Brown à Providence (Rhode Island), bénéficiaire de nombreuses subventions accordées pour sa recherche, Thomas Harrington est professeur agrégé au Département d’études du Trinity College de Hartford (Connecticut), dans la section d’études de la langue et de la culture hispaniques où il donne des cours d’histoire culturelle espagnole du 20 et 21siècle, de littérature et de cinéma. Ses domaines d’expertise et de recherche portent sur les mouvements nationalistes ibériques modernes, la Catalogne contemporaine, et l’histoire de la migration entre la « périphérie » de la péninsule (Catalogne, Galice, Portugal et Pays Basque) et les sociétés des Caraïbes et du Cône Sud (NDLR : partie de l’Amérique du Sud située sous le Tropique du Capricorne). Il a été deux fois bénéficiaire de la bourse de recherche Fulbrigt Scholar (à Barcelone en Espagne et à Montevideo en Uruguay). Il a également vécu et travaillé à Madrid, Lisbonne et Santiago de Compostelle en Galice. Il parle et écrit en espagnol, catalan, galicien et portugais. En plus de son travail en études hispaniques, Thomas Harrington est un commentateur fréquent sur les affaires politiques et culturelles aux États-Unis et à l’étranger. Il a publié plusieurs ouvrages, dont Livin’ la vida barroca: American Culture in an age of Imperial Orthodoxies (mars 2014) et Public Intellectuals and Nation Building in the Iberian Peninsula, 1900-1925: The Alchemy of Identity (décembre 2014).

Published in Oximity, May 2, 2015:https://www.oximity.com/article/Thomas-S.-Harrington-Un-nouvel-avenir-1?faid=651423

 

 

   

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Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/...

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