En point de mire -
Interview
«En à peine un an, la perception de la
Russie
a changé au Moyen-Orient»
René Naba
Jeudi 27 mars 2013
ENTRETIEN
RÉALISÉ PAR MARC DE MIRAMON
mdemiramon@humadimanche.fr
Ancien
responsable du monde arabo-musulman au
service diplomatique de l’AFP, René Naba
vient de publier un ouvrage sur l’Arabie
saoudite (1). Il y décrypte les enjeux
du prochain déplacement, prévu fin mars,
de Barack Obama au «royaume des
ténèbres», dans un contexte tendu par
les crises syrienne et ukrainienne.
HD. Dans quel
contexte Barack Obama effectue-t-il sa
visite en Arabie saoudite ?
RENÉ NABA. Ces dernières semaines, la
conjoncture internationale s’est
considérablement modifiée au détri¬ment
de ce que j’appelle «l’islamo¬atlantisme»,
c’est-à-dire l’alliance de l’islam
wahhabite et des pays de l’OTAN. La
rébellion syrienne, sou¬tenue par
l’Arabie saoudite, a subi d’importants
revers en perdant, par exemple, la ville
de Yabroud. Toute la région côtière va
être sécurisée au profit du gouvernement
syrien. S’y ajoutent le camouflet
diplomatique en Crimée et la guerre qui
couve entre les Saoudiens et les
Qataris.
HD. La Russie
joue-t-elle un rôle plus important au
Moyen-Orient ?
R.N. Mahmoud Abbas, président de
I’Autorité palestinienne, a déclaréré-cem
ment: «Ne faites jamais confiance aux
Américains. Si vous voulez récupérer vos
droits, adressez-¬vous aux Russes. En
moins d’un an, il y a eu une
modification de la per¬ception de la
Russie au Moyen-¬Orient. En Égypte, le
général Al Sis¬si renoue actuellement
avec Moscou, et les États-Unis n’y
peuvent rien. Souvenez-vous que les
Saoudiens, via l’ex-patron des services
de renseigne¬ments, Bandar Ben Sultan,
avaient proposé, entre autres et en
vain, 14 milliards de dollars (10,15
mil¬liards d’euros) d’achat d’armes
russes pour que Poutine lâche Bachar Al
Assad. Le soutien indéfectible que la
Russie a apporté à la Syrie porte en
quelque sorte ses fruits.
« EN ÉGYPTE, LE
GÉNÉRAL AL SISSI RENOUE ACTUELLEMENT
AVEC MOSCOU, ET LES ÉTATS-UNIS N’Y
PEUVENT RIEN. MIKHAIL METZEL / RIA
NOVOSTI / KREMLIN POOL / EPA / CORBIS »
HD. Cette visite
intervient dans un climat de grande
tension entre le Qatar et l’Arabie
saoudite…
R. N. L’Arabie saoudite n’a pas
sup-porté de voir des États arabes,
comme l’Égypte, porter au pouvoir par
les urnes des mouvements islamistes
comme les Frères musul-mans. C’est
contraire aux principes héréditaires qui
régissent la trans-mission du pouvoir à
Riyad. Vous avez eu le même phénomène en
Tur-quie, pays non arabe mais sunnite.
Le Qatar a encouragé partout ce
processus, que ce soit en Libye ou en
Tunisie. Ensuite, il y a un problème de
légitimité. Pour les Saoudiens, un
dirigeant arrivé au pouvoir par un coup
d’État, comme ce fut le cas de l’ex-émir
du Qatar, Hamad Al Tha¬ni, n’est pas
légitime. Pour Barack Obama, cette
guerre entre les deux monarchies est un
désastre absolu: de fait, la seule
instance régionale de coopération
interarabe (la Ligue arabe – NDLR) est
neutralisée.
HD. La question
énergétique est étrangement absente des
analyses des crises qui secouent la
région…
R. N. La guerre en Syrie a débuté en
partie pour des raisons énergétiques. En
prévision du bombardement de l’Iran,
initiative soutenue par l’Ara¬bie
saoudite, le Qatar avait tenté de
convaincreBachar Al Assad de lais-ser
passer un pipeline pour que le gaz
qatari puisse contourner le détroit d’Orrnuz,
contrôlé par l’Iran, et ali¬menter
l’Europe via la Turquie. La Syrie avait
refusé, entre autres parce que cela
allait à l’encontre des inté¬rêts de
deux de ses plus fidèles alliés,
l’Algérie et la Russie. Le grand
pro¬blème de l’Europe actuellement, et
la crise en Ukraine en fait la
démons-tration, c’est que son
ravitaillement en gaz dépend fortement
de l’Algérie et de la Russie, qui ne
sont pas dans la sphère d’influence de
l’OTAN.
HD. L’Arabie
saoudite se rapproche d’Israël. Les
États-Unis vont-ils demander aux
Saoudiens une reconnaissance officielle
de l’État hébreu ?
R. N. Les Saoudiens ne reconnaîtront pas
Israël dans l’immédiat, mais les signes
se multiplient. Ils ont, par exemple,
toléré que la protection des frontières
des Émirats arabes unis soit confiée à
une société israélienne. C’est aussi des
Israéliens qui s’occu¬pent de la
sécurité à l’aéroport de Djedda, via une
filiale de la société étrangère, G4S.
Potentiellement, les Israéliens peuvent
avoir accès aux empreintes digitales et
aux données biométriques de la plupart
des fidèles qui se rendent en pèlerinage
à La Mecque. Les Saoudiens vont vouloir
négocier leur éventuelle reconnais¬sance
d’Israël avec les États-Unis,
parexempleen trouvant une porte de
sortie honorable au conflit syrien et
des garanties à la suite du
rapproche-ment en cours avec l’Iran.
Edition du 27
mars 2014, Disponible en kiosque
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARC DE MIRAMON
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