Interview
Lahouari Addi : “Gaïd Salah obéissait à
un système
qu’il essayait de sauver face au Hirak”
Par la rédaction d’Oumma
Vendredi 27 décembre 2019
Au lendemain des obsèques nationales
du général Ahmed Gaïd Salah, Oumma a
sollicité l’éclairage de l’un des plus
éminents spécialistes de la politique
algérienne et des arcanes d’un pouvoir
toujours aussi opaque.
Professeur
émérite de sociologie à Sciences Po
Lyon, titulaire de la chaire Ressources
naturelles AUF-IMéRA, à Aix-Maseille,
Lahouari Addi a accepté de répondre à
nos questions. Auteur prolifique de
nombreux ouvrages sur l’Algérie, le
Maghreb et le monde arabe, son dernier
livre «
La crise du discours religieux musulman.
Le nécessaire passage de Platon à Kant »
est paru aux Presses Universitaires
de Louvain, en octobre 2019.
Lahouari
Addi
Dans l’immédiat, il
n’y aura aucune incidence parce que Gaïd
Salah obéissait à un système qu’il
essayait de sauver face à la
mobilisation populaire depuis le 22
février 2019. Son successeur fera de
même avec peut-être une autre forme. La
méthode de Gaïd Salah a été de
sanctionner la façade civile du régime
pour apaiser la population. Son
successeur maintiendra-t-il ce cap ? Je
ne sais pas. Si la protestation
populaire continue au-delà du 22 février
2020, l’Etat-Major sera obligé de
prendre des décisions importantes. Soit
d’accepter les revendications du hirak,
soit d’accentuer la répression, ce qui
risque de radicaliser le mouvement.
Après février 2020, il y a un risque
sérieux de recours à la violence.
Quel regard
portez-vous sur l’homme et son parcours
?
Gaïd Salah a
rejoint très jeune l’ALN, et quelques
mois après il y a eu l’indépendance. Il
est issu d’une famille pauvre et n’a eu
aucune instruction comme beaucoup
d’enfants algériens de sa génération. Il
a bénéficié d’une ascension sociale par
le biais de l’armée qui a fait de lui un
officier supérieur. Il a dirigé la
première opération Amgala, en 1975, où
son unité a été neutralisée par l’armée
marocaine. Avec le temps, il a fait
oublier cette mésaventure et dans les
années 1990 il est nommé chef de l’armée
terrestre. C’était les années de sang.
En 2004, il est
nommé chef d’Etat-Major en remplacement
de Mohamed Lamari qui défait ouvertement
le président en exercice, ce que les
généraux n’acceptent pas. Ils veulent
donner l’image qu’ils sont sous les
ordres du président. Gaïd Salah s’est
montré fidèle à Bouteflika, parce que
l’armée est attachée aux présidents qui
lui obéissent. Après avoir soutenu le
5ème mandat, il change de position et
exige que Bouteflika démissionne, ce que
ce dernier fait quelques heures après.
La ligne de conduite de Gaïd Salah est
de sauver le régime en envoyant en
prison les civils qui avaient été
désignés pour diriger l’administration
gouvernementale. Il n’a pas compris que
le pays était en révolution et que
l’ancien système dont il est le produit
est discrédité, délégitimé et épuisé.
Est-ce que le
nouveau président algérien Tebboune
était le candidat de prédilection de
Gaïd Salah ?
Abdelmajid Tebboune
est le président de Gaïd Salah et aussi
des généraux de l’Etat-Major. Il est
apolitique et n’a pas de forte
personnalité. Il a le profil d’un
sous-préfet d’une petite ville de
province. Il obéira aux généraux au
doigt et à l’oeil. Ces derniers ne
veulent pas d’un leader qui aurait une
légitimité électorale et qui
s’imposerait à eux. Beaucoup de généraux
sont impliqués dans des affaires de
corruption et dans des affaires de
violation de droits de l’homme, et ils
craignent de rendre des comptes devant
un tribunal civil ou militaire. Tebboune
est la façade légale qui les protègera,
tant que le système est debout.
Gaïd Salah était
dans le collimateur des manifestants du
Hirak. Comment, d’après vous,
réagiront-ils à l’annonce de sa mort ?
Les étudiants qui
ont manifesté le mardi 24 décembre n’ont
pas évoqué Gaïd Salah. Ils avaient la
haine du symbole qu’il était, mais ils
n’avaient pas la haine de l’individu.
Certains disaient Allah yerhmah, mais
nous n’oublions pas qu’il a ordonné
l’arrestation de plusieurs dizaines de
jeunes manifestants pacifiques. Je crois
que les Algériens font la différence
entre la fonction et l’individu. Je
pense que celui qui va cristalliser le
mécontentement prochainement, c’est le
nouveau chef d’Etat-Major, le général
Saïd Chengriha.
Le changement de
régime est une nécessité historique et
les généraux pensent l’éviter par la
ruse et par la force. Ils finiront par
partir, parce que la société algérienne
a changé depuis l’indépendance et les
nouvelles générations ne veulent plus
que les généraux désignent le président,
les ministres et donnent des quotas aux
partis dans les assemblées élues.
Propos
recueillis par la rédaction d’Oumma
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