Interview de Norman Finkelstein par
Jamie Stern-Weiner
La fin de la Palestine ?
Norman
Finkelstein
Norman
Finkelstein - Photo: D.R.
Lundi 13 janvier 2014
Le Secrétaire d’Etat américain John
Kerry était à nouveau au Moyen-Orient
cette semaine, menant des entretiens
intensifs avec des responsables
Israéliens et Palestiniens et d’autres
acteurs régionaux. Il a été largement
rapporté que son objectif est de
parvenir à un « accord-cadre » comme
prélude à un règlement définitif du
conflit israélo-palestinien.
Norman Finkelstein est le co-auteur,
avec Mouin Rabbani, de Comment résoudre
le conflit israélo-palestinien (OR
Books Editions, à paraître). J’ai
parlé avec lui de la portée des
négociations, au moment où nous entrons
dans ce qui pourrait être une étape
décisive dans la longue lutte des
Palestiniens pour l’autodétermination.
Vous avez
formulé des mises en garde depuis un
certain temps maintenant, selon
lesquelles les pourparlers
israélo-palestiniens actuellement menés
sous l’égide du secrétaire d’État Kerry
pourraient, contrairement à beaucoup de
précédents cycles de négociations,
véritablement déboucher sur un accord
pour mettre fin au conflit. Son contenu
équivaudrait aux conditions posées de
longue date par Israël pour toute
résolution du conflit. Comment
évaluez-vous la situation actuelle du
processus diplomatique ?
Un « accord-cadre » sera bientôt
conclu, et un règlement final du conflit
sera probablement signé à peu près dans
les six derniers mois du mandat du
Président Obama. Au départ, lorsque le
processus de paix de Kerry a été
annoncé, j’étais pratiquement le seul
à prédire qu’il déboucherait
effectivement sur quelque chose, et
maintenant, cela est largement admis.
Beaucoup de commentateurs israéliens
respectés considèrent désormais comme
acquis que parvenir à un accord n’est
qu’une question de temps.
Au cours des dernières semaines, les
pourparlers coordonnés par Kerry ont
apparemment essentiellement porté sur
les exigences d’Israël pour (i) une
présence militaire durable dans la
Vallée du Jourdain et (ii) la
reconnaissance palestinienne d’Israël
comme d’un « Etat juif ». Les
Palestiniens négocieront un accord pour
sauver la face sur la vallée du
Jourdain, impliquant une présence
conjointe américano-israélienne pour un
certain temps. La question de la vallée
du Jourdain a déjà été résolue pour
l’essentiel lors des négociations
d’Annapolis en 2008. Le Premier ministre
israélien Netanyahu ne la soulève
maintenant qu’afin de pouvoir plus tard
prétendre faire une « concession
déchirante » – Israël est maître dans
l’art de « concéder » des choses
auxquelles il n’a jamais eu aucun droit
– en permettant seulement une présence
américano-israélienne temporaire le long
de la frontière. Depuis des années, il
est généralement reconnu – même par
l’écrivaillon pro-israélien Dennis Ross
dans The Missing Peace – que la
vallée du Jourdain n’a aucune valeur
stratégique.
Sur la question de l’ « Etat juif »,
l’accord sera probablement conclu sur la
formule : Israël comme l’Etat du
peuple Juif et de ses citoyens, la
Palestine comme l’Etat du peuple
Palestinien et de ses citoyens. Il
offrira une protection (juridique) aux
citoyens Palestiniens d’Israël, mais
niera le droit au retour des réfugiés
Palestiniens, la question qui importe
véritablement pour Israël. Le Président
Palestinien Mahmoud Abbas pourra alors
revendiquer cela comme une victoire, car
il aura garanti les droits des
Palestiniens en Israël.
Tout cela est diabolique. Les
Israéliens – avec, bien sûr, la
complicité active et cruciale des
Etats-Unis – ont réussi à réorienter
complètement le débat et à façonner
l’agenda. Les seules questions en cours
de discussion sont l’Etat juif et
la vallée du Jourdain, questions
qui, au niveau du consensus
international pour la résolution du
conflit, n’ont absolument jamais été
soulevées. (Même dans des négociations
bilatérales antérieures présidées par
les États-Unis, comme à Annapolis,
celles-ci étaient tout au plus des
questions périphériques.) La question
clé (outre le problème des réfugiés), au
niveau du consensus international et des
négociations bilatérales antérieures, a
été l’ampleur de l’échange de
territoires le long de la frontière :
Israël sera-t-il autorisé à annexer les
grands blocs de colonies et par
conséquent à faire avorter un Etat
palestinien ? Mais le débat a été
complètement réorienté, parce que
l’annexion des blocs de colonies est
désormais une affaire conclue.
L’accord-cadre ne parlera
probablement que d’échanges de
territoires en termes de pourcentages,
et insinuera simplement – tout comme les
Paramètres Clinton – l’annexion par
Israël des grands blocs de colonies sans
divulguer les détails précis. Mais il
est frappant de constater que dans
l’ensemble des discussions au cours des
dernières semaines, Ma’ale Adumim
– c’est-à-dire le plus grand bloc de
colonies qui divise effectivement la
Cisjordanie en deux – n’a même pas été
évoqué. Parce que cela a déjà été
résolu, en faveur d’Israël.
Et un accord final
s’ensuivra ?
Il faudra encore beaucoup de
politique politicienne, beaucoup de
marketing, beaucoup d’hystérie en Israël
– leur numéro habituel digne d’être
récompensé aux Oscars. Cela prendra la
totalité des trois années qui restent à
la présidence d’Obama, culminant dans un
sommet du genre « Camp David » (Obama
adore lui aussi le théâtre, il a une
prédilection pour les beaux discours et
il médite sûrement déjà quelle veste
courte en cuir noir il portera pour
l’occasion), avant que l’accord final
soit scellé.
A ce stade, à mon avis, l’un des
principaux obstacles avant de parvenir à
un accord n’est pas les détails, parce
que ceux-ci sont essentiellement
connus : l’annexion des blocs de
colonies par Israël et l’annulation du
droit au retour. L’une des grandes
pierres d’achoppement, assez
curieusement, est l’inertie.
Si on considère que l’origine
politique du conflit remonte à la
déclaration Balfour de 1917 (avant cette
date, le sionisme était essentiellement
une opération d’entraide), il est
question d’un conflit qui dure depuis un
siècle. Quand un conflit s’étend sur une
période de temps aussi longue, un très
grand nombre d’individus et
d’institutions développent un intérêt
direct non pas à sa résolution, mais
plutôt à sa perpétuation ; ce qui est
maintenant appelé, et ce n’est une
plaisanterie qu’à moitié, « l’Industrie
de la Paix ». Beaucoup de personnes sont
maintenant envahies de crainte à la
perspective terrible que, après un
siècle entier, ce conflit pourrait
effectivement prendre fin. Cela fait
vraiment froid dans le dos : le
conflit israélo-palestinien pourrait
prendre fin. Toutes ces sessions
spéciales et comités spéciaux des
Nations unies ; toutes ces ONG basées à
Ramallah, ces organisations israéliennes
et palestiniennes de défense des droits
de l’homme, et ces villégiatures de
résolution du conflit ; tous ces
rapports du FMI, de la Banque mondiale,
de Crisis Group ; tous ces programmes
académiques – Etudes sur Israël, Etudes
sur l’Holocauste – qui ont surgi pour
justifier la politique israélienne
(aucun de ces programmes ne peut
prétendre à un contenu intellectuel, et
la plupart ont été subventionnées par de
riches Juifs de droite) ; tous ces
festivals de cinéma, ces études
universitaires, ces mémoires et ces
« poésies » ; tous ces « groupes de
‘réflexion’ » (‘think’-tanks) israéliens
basés à Washington ; tous ces militants,
groupes, sites internet, chercheurs et
analystes, solidaires avec la Palestine
(dont votre interlocuteur)... Une
superstructure énorme et tentaculaire a
été construite sur le conflit
israélo-palestinien, et par conséquent,
un obstacle majeur à un accord est
maintenant la crainte et le tremblement
suscités à travers les différentes
couleurs politiques à l’idée qu’il
pourrait en fait arriver à un
dénouement. C’est assez inconcevable,
n’est-ce-pas ?
Mais a priori, l’inertie par
elle-même ne peut que retarder, elle ne
peut pas empêcher.
Je suis d’accord.
Que fait Kerry pour rallier
des soutiens à cet accord ?
Comme l’analyste politique
palestinien (et mon co-auteur) Mouin
Rabbani l’a observé, la grande
différence entre le Président Clinton et
le secrétaire d’Etat Kerry est que
Clinton a ignoré tout le monde en-dehors
des États-Unis ; il a imaginé qu’à lui
seul, sans aucune aide extérieure, il
pourrait être le faiseur de rois. Kerry,
en revanche, a entrepris de manière très
délibérée de mettre tous les pions en
place. Les Saoudiens, la Ligue arabe,
l’Union européenne – les Palestiniens
sont encerclés et assiégés. Il en va de
même pour les Israéliens, mais dans une
bien moindre mesure, parce que ce sont
essentiellement les conditions
israéliennes de résolution du conflit
qui sont imposées.
Les Européens en particulier
resserrent les vis. Chaque jour, il y a
une nouvelle information au sujet d’une
initiative européenne individuelle ou
collective qui rompt les liens avec des
entités israéliennes liées aux colonies
de peuplement illégales. Je pense que
les menaces émanant actuellement de
l’Europe sont coordonnées avec Kerry,
afin de transmettre l’idée, non pas tant
au gouvernement israélien (malgré toute
sa frénésie, Netanyahu est partant),
mais aux Israéliens récalcitrants, que
le projet de colonisation en dehors
du Mur n’a aucune perspective d’avenir.
Dans la politique intérieure
israélienne, ceux qui soutiennent le
processus de Kerry – voilà une ironie
méritant d’être savourée ! – ont
exploité le mouvement Boycott,
Désinvestissement et Sanctions (BDS) en
vue de la même fin : « Si nous ne
réglons pas le conflit maintenant, BDS
nous guette à nos portes. »
Et les différents Etats
arabes ?
La question palestinienne, du moins
de manière temporaire, est morte en tant
que facteur de mobilisation dans le
monde arabo-musulman. Il est maintenant
assez facile pour les États-Unis
d’obtenir l’accord de l’Arabie Saoudite,
de la Turquie, de l’Egypte et de l’Iran,
ou de mettre de côté la Palestine.
L’Iran n’a rien dit à propos des
négociations de Kerry jusqu’à présent,
et ne s’en préoccupe probablement pas
beaucoup. La Syrie est un facteur nul.
L’Egypte joue un rôle vraiment néfaste,
essayant (de mèche avec les États-Unis,
Israël et l’Autorité Palestinienne) de
renverser le Hamas en tourmentant les
habitants de Gaza. L’Arabie Saoudite
pense qu’en marchant avec les États-Unis
sur la Palestine, elle peut marquer des
points avec eux sur la Syrie et l’Iran.
La Turquie a son propre agenda qui
incluait la Palestine pendant un certain
temps (par exemple, au moment du Mavi
Marmara), mais ce n’est plus le cas.
Elle est préoccupée par l’erreur d’Erdogan
sur la Syrie et sa crainte que, dans le
cas d’un rapprochement américain avec
l’Iran, la Turquie baisse d’un cran sur
le totem régional, alors qu’elle a
nourri des visions d’un Empire ottoman
renaissant.
La question palestinienne avait de la
résonance politique dans le monde
arabo-musulman surtout parce qu’elle
était populaire dans la prétendue
« rue ». Mais maintenant, les gens ne
s’en préoccupent pas tant que ça. Leur
attention est rivée, à tort ou à raison,
sur d’autres tragédies comme la Syrie.
Dans des endroits comme la Libye, où les
gens avaient au moins l’habitude de
soutenir la Palestine par des paroles,
ils ont bien évidemment d’autres choses
à l’esprit en ce moment. Kerry n’est pas
un génie, mais il est certain qu’il a
évalué astucieusement la configuration
du terrain quand il a conclu que c’était
le moment idéal pour imposer un
règlement du conflit aux Palestiniens.
Il a été intéressant de voir
tout le monde courtiser le ministre des
Affaires étrangères d’Israël, Avigdor
Lieberman. Soudain, il est la coqueluche
de la ville à Washington, le ministre
britannique des Affaires étrangères le
rencontre, etc.
Cela va dans les deux sens, parce que
Lieberman veut être le prochain Premier
ministre d’Israël. Donc il est temps
pour lui d’abandonner le personnage de
videur de discothèque (le New York Times
a récemment rapporté que Lieberman lit
d’épais volumes historiques ; oui, bien
sûr, et le week-end je fais des
pirouettes au [théâtre] Bolchoï...) au
profit de celui d’un homme d’Etat
responsable. Et il va donc accepter
l’accord de Kerry. Il a déjà manifesté
son assentiment, et même son
enthousiasme, la semaine passée. Il a
également marmonné des propos évoquant
le transfert des citoyens Palestiniens
d’Israël vers un nouvel Etat
Palestinien, mais ils n’auront aucune
suite. Cela violerait les normes
fondamentales du droit international en
établissant le droit des États établis à
redessiner les frontières intérieures
afin de dénationaliser des minorités
indésirables. Personne ne va accepter
ça.
Les
mesures récentes prises par le Hamas
et le Fatah en vue d’une réconciliation
sont-elles sérieuses ?
Une possibilité est que l’Autorité
Palestinienne joue au jeu stupide de
menacer les Etats-Unis et Israël, « Si
vous n’êtes pas plus accommodants, nous
allons nous réconcilier avec le Hamas et
ne plus traiter avec vous. » La deuxième
possibilité est que le Hamas veut une
part du gâteau, et formera par
conséquent un gouvernement d’unité
nationale qui lui garantira quelque
chose dans l’accord final. La troisième
et, selon Mouin Rabbani, la possibilité
la plus plausible est que Abbas veut
neutraliser le Hamas en le faisant
monter à bord, ce qui ravive également
ses prétentions à représenter tous les
Palestiniens, alors que le Hamas est en
faveur d’une réconciliation pour sortir
de la tempête après les développements
désastreux en Egypte.
A quel point un accord-cadre
sera-t-il contraignant sur les
négociations à venir ?
Rien n’est inexorable, mais il y aura
beaucoup d’élan derrière cet accord. Le
rouleau compresseur sera difficile à
arrêter. Pour que toutes les pièces du
puzzle soient mises en place, une
nouvelle coalition israélienne devra
probablement être formée, un
gouvernement d’unité nationale dirigé
par Netanyahu. Les sondages de l’opinion
publique israélienne montrent que la
majorité des Israéliens seraient
favorable à la proposition probable de
Kerry. La ville d’Hébron devra être
évacuée. Bien sûr, il y aura l’angoisse
israélienne habituelle, mais elle ne
sera pas difficile à calmer. L’armée
israélienne peut tout simplement se
retirer et dire aux quatre cents colons
juifs fanatiques, « Vous voulez rester ?
Vous pouvez rester – tous seuls, au
milieu des 150 000 musulmans d’Hébron. »
Est-ce que la direction
palestinienne a la capacité de
résister ?
Je n’arrive absolument pas à voir
comment les Palestiniens peuvent s’en
sortir à ce stade. Il y a un éventail
tellement large de forces politiques
derrière le processus de Kerry que les
Palestiniens sont piégés. Abbas et son
imbécile d’acolyte Saeb Erekat jouent au
gentil et au méchant. Abbas dit « oui,
cet accord pourrait fonctionner »,
tandis qu’Erekat chuchote aux médias –
vous savez, le « négociateur palestinien
haut placé qui ne veut pas être
identifié » – que « oh, cet accord est
horrible, il est terrible, il est
affreux, ils peuvent le fumer dans leur
pipe. » Erekat pense que c’est une
manœuvre intelligente, qui met la
pression sur les Américains, comme si
quiconque ici-bas accordait la moindre
importance à ce qu’Erekat a à dire à
propos de quoi que ce soit.
Les Palestiniens sont acculés, ils
sont isolés. Lorsque vous êtes désespéré
et aux abois, bien sûr, vous devez jouer
vos cartes les plus fortes. En premier
lieu, d’authentiques dirigeants
s’adresseraient franchement au peuple
palestinien, « Nous sommes dans une
impasse, sous un rouleau compresseur,
piétinés. Nous avons besoin de vous,
nous devons faire appel à toutes nos
ressources collectives et à toutes nos
réserves pour résister » ; et,
deuxièmement, ils feraient appel aux
pro-Palestiniens à l’étranger : « Nous
sommes sur le point d’être écrasés, nous
avons besoin de votre aide. » Je ne peux
pas dire que cela inverserait la
tendance, bien que, comme vous le savez,
la cause palestinienne a une résonance
suffisante à l’étranger pour que si les
Palestiniens disaient : « Nous sommes
maintenant face à l’heure de vérité,
nous pourrions être éradiqués », cela
pourrait peut-être, conjointement avec
une révolte civile de masse au sein des
Palestiniens eux-mêmes, faire quelque
chose. Cela pourrait devenir un facteur.
Mais la direction palestinienne est
irrémédiablement corrompue, incompétente
et stupide (insignifiant et mégalomane,
Abbas a perdu tout intérêt pour la
Palestine depuis longtemps – il veut
juste le prix Nobel), tandis que les
pro-Palestiniens à l’étranger, pour le
dire poliment, n’agissent pas
intelligemment. Ils pensent que la
grande question aujourd’hui est le vote
de
American Studies Association
(l’Association des études américaines)
pour un boycott universitaire d’Israël,
et le débat sur les vertus de la liberté
académique dans une conférence de
Modern Languages Association
(l’Association des langues vivantes).
(Observez ce qui se passe si et lorsque
les partisans de BDS essaient
d’introduire le boycott universitaire
dans une discipline académique solide et
établie comme l’Histoire, la
Philosophie, ou l’une des Sciences
naturelles, où, parmi de nombreux autres
facteurs, les Juifs occupent une place
importante. Ce ne sera pas beau à voir.)
Mais c’est l’état actuel de la
solidarité avec la Palestine. Ils font
comme si le processus de Kerry n’était
qu’un numéro de scène secondaire sans
importance, quelque chose qui peut être
ignoré en toute sécurité. Mais cela fait
une très grande différence, comme Mouin
Rabbani et moi-même l’avons souligné,
que le Mur soit illégal ou qu’il
s’agisse d’une frontière légale.
Pourquoi ? Cela transformerait ce qui
constitue actuellement des colonies
juives illégales en des villes
israéliennes ordinaires ; Israël
pourrait légalement confisquer des
terres palestiniennes et expulser les
Palestiniens de leurs maisons. En Inde
ou en Chine, lorsque le gouvernement
veut construire un grand barrage
hydroélectrique, il déplace 100 000
personnes d’un seul coup. Ils expulsent
des masses de gens de leurs maisons, et
la communauté internationale garde le
silence. C’est le droit souverain d’un
pays – son droit d’exproprier.
Au moment où le Mur est rebaptisé
« frontière », les colonies derrière
elle deviennent un problème clos. Elles
sont le territoire souverain d’Israël.
Et bien sûr, la plus grande partie du
monde sera heureuse d’être débarrassée
du conflit israélo-palestinien. Ils
seront heureux lorsque l’accord sera
signé. Que ferez-vous alors ? Un boycott
du monde par l’Association des études
américaines ?
Une fois que l’accord-cadre
est signé, ne sera-t-il pas tout de même
très difficile de le mettre en œuvre ?
Par exemple, qu’Abbas accepte une
formule qui annule effectivement la
question des réfugiés – ça sera très
difficile à vendre aux Palestiniens.
Que peuvent faire les Palestiniens ?
Israël veut juste que la question des
réfugiés soit excisée de l’agenda
international ; ils veulent un document
stipulant, « Ce n’est plus la
responsabilité d’Israël. » Si Kerry
réussit, ils l’obtiendront. Surtout
s’ils obtiennent « Israël comme un Etat
juif plus ses citoyens » dans
l’accord-cadre, ce qui annule la
question des réfugiés. Comment les
Palestiniens peuvent-ils l’arrêter ? En
ce moment, ils sont totalement sous
l’emprise de l’argent européen et
américain. Yasser Arafat a signé
l’accord d’Oslo de 1993 parce que l’OLP
avait de graves problèmes financiers
après s’être aligné avec Saddam Hussein
pendant la première guerre du Golfe.
(Les pays du Golfe ont riposté en
réduisant drastiquement leurs
subventions à l’OLP.) C’était soit
accepter Oslo ou – comme cela a été dit
à l’époque – « bye, bye OLP ».
Maintenant, l’histoire se répète. Celui
qui paie le musicien choisit la mélodie.
Mais au niveau populaire, les
Palestiniens ont une influence sur leurs
propres dirigeants.
Les Palestiniens n’ont pas
d’influence sur l’Autorité
palestinienne. Le peuple est
politiquement inerte alors que la police
palestinienne est maintenant très
efficace pour étouffer toute dissidence
isolée. Il est possible qu’Abbas prenne
une balle dans la tête, ce qui
ralentirait probablement les choses, car
il n’y a pas de successeur évident
immédiat. Mais cette possibilité mise à
part, je ne vois pas où les Palestiniens
peuvent faire pression. Ce n’est pas
comme si les réfugiés au Liban ou en
Jordanie pouvaient faire grand-chose.
Ils n’ont pas été en mesure de réaliser
quoi que ce soit depuis Oslo, à part
languir dans les camps.
Qu’en est-il des Palestiniens
dans les Territoires occupés ? Ils ne
vont pas accepter une renonciation au
droit au retour.
Ce scénario ressemble plus à une
théorie romantique qu’à la réalité
actuelle. L’endroit est désespérément
fragmenté. Gaza elle-même est maintenant
étrangère à la Cisjordanie. Qu’ont fait
les habitants de Cisjordanie pendant que
les habitants de Gaza se faisaient
massacrer en 2008-09 ? Y a-t-il eu de
grandes manifestations ? Nous devons
être réalistes à propos de la situation
actuelle. Il n’y a pas de volonté
concertée parmi les Palestiniens. Ce
sont des personnes réelles, vivantes,
pas un mythe. À l’heure actuelle, les
esprits des gens sont brisés. Bien sûr,
une petite étincelle peut changer les
choses. J’ai remarqué un article de
Haaretz par Amira Hass il y a quelques
semaines faisant allusion à la
possibilité qu’une véritable résistance
populaire puisse encore émerger. Il est
inutile de spéculer, mais jusqu’à
présent, il n’y a pas de signes visibles
indiquant que les Palestiniens sont
prêts, capables ou désireux de résister
à une solution imposée. Bien au
contraire, si l’accord final est
suffisamment nébuleux pour l’œil non
initié (comme l’accord d’Oslo de 1993),
et qu’il est édulcoré avec un énorme
programme « d’aide », les Palestiniens
pourraient, quoique à contrecœur,
l’accepter. Les États-Unis et l’Union
Européenne auront trois ans pour adoucir
les Palestiniens, serrant bien fort les
vis économiques, mais pas au point de
provoquer l’effondrement de tout
l’édifice.
Si un accord final aux
conditions d’Israël est signé, à quel
point ce recul impactera-t-il la lutte
pour l’autodétermination des
Palestiniens ?
Ce serait presque irréversible.
Beaucoup de militants ne veulent pas le
reconnaître, mais ces sortes d’accords
et de codifications peuvent avoir des
conséquences réelles. La Résolution de
partition de 1947, soutenue par les
ressources et la volonté d’Israël,
n’a-t-elle pas déjà prouvé cela ? Il n’y
a pas de raison évidente qui empêche la
conclusion d’un accord par lequel une
nouvelle frontière est dessinée entre
Israël et les Territoires palestiniens,
surtout si un tel accord est ratifié par
le Conseil de sécurité des Nations
Unies, ce qui sera presque certainement
le cas. Israël a les moyens et la
volonté d’imposer cette nouvelle
frontière. En effet, elle est déjà un
fait, sauf sur le plan juridique. Un
règlement politique couronnerait les
faits déjà existants sur le terrain du
joyau de la légalité. Il s’agit d’une
étape importante, à savoir la
transformation d’un Mur illégal en une
frontière permanente internationalement
reconnue ; et ce n’est pas hors de la
portée d’Israël. A partir de là, quelles
revendications pourront avoir les
Palestiniens au-delà de cette
frontière ? Aucune.
Dans votre prochain livre
avec Mouin Rabbani, vous énoncez les
étapes que les Palestiniens, les
militants pro-Palestiniens et d’autres
acteurs devraient prendre pour résoudre
le conflit israélo-palestinien d’une
manière juste et durable. Est-ce que ces
étapes, alors, doivent se produire dans
les trois prochaines années ? Après
cela, sera-t-il trop tard ?
Pour que quelque chose se produise,
tout doit commencer parmi les
Palestiniens dans les Territoires
occupés. Cela obtiendrait l’attention
internationale – quoiqu’encore une fois,
nous devons être réalistes à propos de
la configuration politique actuelle du
terrain. L’attention du monde est rivée
sur la Syrie et l’Iran. Il va y avoir la
rencontre de Genève. Il sera très
difficile pour les Palestiniens de
s’emparer de l’attention politique à ce
moment. Mais c’est la seule chose qui
peut arrêter ou ralentir le rouleau
compresseur. Tout le reste n’a pas de
sens, c’est Néron jouant de la lyre
pendant que Rome brûle.
Jamie Stern-Weiner coédite
New Left Project (Nouveau projet de
gauche)
Traduction : Salah pour Le Grand
Soir
Article original :
http://normanfinkelstein.com/2014/the-end-of-palestine-an-interview-wi...
Première publication : 11 Janvier
2014
© LE GRAND SOIR - Diffusion
non-commerciale autorisée et même
encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 14 janvier 2014
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