Interview
Norman Finkelstein : Les Etats-Unis
reconnaissent que les colonies
israéliennes constituent un crime de
guerre
Vendredi 13 janvier 2017
Norman Finkelstein sur la résolution
2334 du Conseil de sécurité des Nations
unies
Sources :
http://normanfinkelstein.com/2017/01/04/norman-finkelstein-on-the-un-security-council-resolution-2334,
http://mondoweiss.net/2017/01/breathtaking-settlements-finkelstein
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.fr
Durant un vote retentissant à l’ONU,
Obama a changé sa politique sur les
colonies israéliennes, les considérant
comme un crime de guerre – Finkelstein
Philip
Weiss, le 4 janvier 2017
Durant les fêtes de fin d’année, j’ai eu
deux conversations téléphoniques avec
Norman Finkelstein au sujet de la
résolution historique 2334 du Conseil de
sécurité des Nations Unies du 23
décembre, qui qualifiait les colonies
israéliennes de violations flagrantes du
droit international. La transcription
est légèrement raccourcie.
Philip Weiss :
Dites-moi ce que vous pensez de la
résolution.
Norman Finkelstein : Tout d’abord,
en parlant strictement du texte de la
résolution et non de sa résonance ou de
son importance politiques (sur
lesquelles je vais revenir), c’est une
assez bonne résolution et nous devrions
être clairs à ce sujet. Et
textuellement, je la compterais comme
une victoire. Pour les raisons
suivantes.
Premièrement, le texte commence par
réaffirmer explicitement le principe de
« l’inadmissibilité de l’acquisition de
territoire par la force ». C’est un fait
important pour la raison suivante.
Lorsque cette déclaration a été inscrite
dans le préambule de la résolution 242
des Nations Unies [en novembre 1967],
Israël a farouchement protesté contre
l’inclusion de ce principe,
reconnaissant qu’il anticipait une
révision territoriale, ce qui signifiait
qu’Israël allait devoir rendre chaque
pouce de territoire acquis par la force.
Israël a plus tard obtenu une sorte de
compensation avec la suppression de
l’article défini « les » devant
« territoires » dans le texte de la
résolution [la phrase « retrait des
forces armées israéliennes des
territoires occupés dans le récent
conflit » est devenue « retrait des
forces armées israéliennes de
territoires occupés dans le récent
conflit »]. Israël a réussi à déplacer
tout le débat pendant plusieurs
décennies, en se concentrant
exclusivement sur la suppression de
l’article défini. Et ce sont les États
arabes qui ont toujours insisté sur le
fait qu’il fallait également considérer
le préambule qui établissait
l’inadmissibilité de l’acquisition du
territoire par la force.
L’argument avancé par Israël était que
le paragraphe du préambule qui faisait
référence à l’inadmissibilité de
l’acquisition du territoire par la force
n’était pas aussi important que le
paragraphe contraignant [« le retrait
des forces armées israéliennes de
territoires… »]. Dans cette nouvelle
résolution, est déclarée, conformément
au droit international, «
l’inadmissibilité de l’acquisition de
territoire par la force », et c’est donc
une forte réaffirmation de ce principe.
Celle-ci vient directement en tête de la
résolution 2334. Fait intéressant, elle
n’est même pas balancée comme l’était la
résolution 242 originelle. La résolution
242 comporte deux déclarations en
préambule. L’une concernait
l’inadmissibilité de l’acquisition de
territoire par la force, et l’autre le
droit des États de vivre en paix avec
leurs voisins. Cela a été concédé pour
Israël. Ils ne l’ont pas mentionné cette
fois-ci. Ils ont simplement mentionné la
clause d’inadmissibilité.
Ce
texte est important pour une autre
raison. [L’ambassadeur israélien] Ron
Dermer a proclamé partout que « nous
savons qui a rédigé cette résolution,
cette résolution a clairement été écrite
par un Etat occidental », justifiant la
remarque [du Premier ministre israélien]
Netanyahu selon laquelle tout cela
aurait été concocté par les États-Unis.
Ce n’est clairement pas le cas. Les
États-Unis ne partent pas de la clause
d’inadmissibilité. Comme l’indique
clairement le discours de John Kerry, il
considère déjà que tout le territoire du
côté Est du mur appartient à Israël, ce
qui contredit manifestement la clause
d’inadmissibilité. Ce n’était donc pas
une résolution occidentale. Ce qui est
occidental dans la résolution est la
partie sur le terrorisme, l’os jeté aux
États-Unis pour les amener à s’abstenir.
Le quatrième paragraphe est également
très fort parce qu’il condamne non
seulement « toutes les mesures visant à
modifier la composition démographique,
le caractère et le statut du territoire
palestinien occupé depuis 1967, y
compris Jérusalem-Est », et il mentionne
également explicitement les colonies
[« y compris… la construction et
l’expansion de colonies, le transfert de
colons israéliens, la confiscation de
terres, la démolition de maisons et le
déplacement de civils palestiniens, en
violation du droit international
humanitaire et des résolutions
concernées »]. C’était important parce
que c’était le nœud de discorde dans
l’accord d’Oslo. L’accord d’Oslo
stipulait que vous ne pouviez pas
modifier le caractère démographique mais
il ne mentionnait pas explicitement la
construction de nouvelles colonies.
Donc
en termes légaux, c’est clairement une
amélioration par rapport à l’accord
d’Oslo. Vous vous souvenez peut-être
qu’à l’époque, des gens comme Haider
Abdel-Shafi ont refusé de soutenir Oslo
parce que cet accord ne disait rien au
sujet des colonies. Ici, vous n’avez pas
seulement le fait d’ « altérer la
composition démographique, le caractère
et le statut » [de la Palestine], mais
aussi la construction et l’expansion de
colonies. C’est donc selon moi une
victoire importante.
La
troisième raison pour laquelle cette
résolution est une victoire est qu’elle
déclare : « Réitérant sa vision d’une
région où deux États démocratiques,
Israël et la Palestine, vivent côte à
côte en paix, dans des frontières sûres
et reconnues ». C’est aussi d’une très
grande importance car dans son discours,
Kerry a parlé d’un Etat juif et
d’un Etat arabe. Ce qui est
techniquement correct parce que c’est ce
que la résolution 181 de l’ONU disait –
la résolution de partition originale en
1947. Mais la résolution 2334 était
différente. Il s’agit de deux États
démocratiques, Israël et la
Palestine. Donc, cette résolution a été
très prudente, veillant à ne pas donner
de cachet d’approbation à un Etat juif,
bien que John Kerry l’ait fait. C’était
aussi une grande victoire.
De
fait, ce sont là des choses que Kerry et
Samantha Power ont pris grand soin
d’ignorer. Kerry a affirmé qu’il n’y
avait là aucune politique qui contredise
la politique américaine. Mais cela
contredit bien évidemment la politique
américaine, la politique actuelle des
États-Unis, et Kerry a menti à ce sujet.
Kerry a dit que la politique américaine
a de longue date soutenu Israël en tant
qu’Etat juif. C’est complètement faux.
Cela n’a même jamais été évoqué. Lors
des négociations d’Annapolis, la
déclaration exceptionnelle du côté
israélien était le plan Olmert, qu’il a
présenté en privé à Abbas. Si vous
regardez le texte, il n’y avait aucune
mention de la reconnaissance d’un Etat
juif. C’est tout nouveau, c’est apparu
avec Netanyahu. Donc quand dans son
discours, Kerry essaie de justifier le
fait d’appeler Israël un État juif en se
basant sur la politique américaine de
longue date, ce n’est tout simplement
pas vrai.
La
déclaration de Samantha Power selon
laquelle le fait de considérer les
colonies comme illégales était une
politique américaine de longue date est
également complètement fausse. C’était
une politique de longue date jusqu’à ce
qu’Obama arrive au pouvoir. Ils ont
ensuite transformé le terme
« illégales » en « gênantes ». Le fait
qu’elles étaient considérées illégales
est très précisément ce que la politique
des États-Unis a nié durant les 8
dernières années. Durant les conférences
de presse, on leur a demandé plusieurs
fois de but en blanc si elles étaient
illégales. Ils répondaient : « Nous les
considérons gênantes ». C’est donc
quelque chose de nouveau.
Il est
intéressant de noter que j’ai été
surpris en lisant que cette résolution «
Réaffirme que l’établissement par Israël
de colonies dans le territoire
palestinien occupé depuis 1967, y
compris Jérusalem-Est, n’a aucune
validité juridique et constitue une
violation flagrante du droit
international. »
En
recourant à ce vocabulaire, ils
considèrent les colonies comme un crime
de guerre. S’ils avaient seulement dit
qu’il s’agissait d’une violation du
droit international, cela ne
constituerait pas nécessairement un
crime de guerre. Pour constituer un
crime de guerre, elles doivent être
qualifiées de violation grave ou
flagrante du droit international.
Cela
aussi était nouveau – ou plutôt, ce qui
est nouveau, c’est que les États-Unis
l’ont enfin reconnu, ce qu’ils dénient
obstinément en prétendant que c’est une
politique américaine de longue date. Ce
n’est absolument pas le cas. Ils ne
considéraient même pas les colonies
comme illégales sous Obama.
Et il
est vrai, étonnamment, qu’ils ont
recouru au vocabulaire international
standard et ont inclus Jérusalem comme
territoire occupé. Il est vrai que c’est
une politique de longue date, mais cela
ne faisait certainement pas partie de la
politique américaine au cours des 8
dernières années.
Le
cœur de la résolution est les colonies.
Nous ne devrions pas vilipender, à mon
avis, le fait qu’elle fasse référence
aux actes de terreur et d’incitation aux
paragraphes 6 et 7. Ils ont simplement
donné cela aux États-Unis pour leur
permettre de s’abstenir en sauvant la
face, afin que Kerry puisse essayer de
justifier l’abstention. La résolution de
2011 [à laquelle les États-Unis avaient
opposé leur veto] ne comportait pas ces
paragraphes. Il s’agissait évidemment de
permettre aux États-Unis de sauver la
face.
Donc
dans l’ensemble, textuellement – je ne
parle pas des ramifications politiques
–, textuellement, c’était une bonne
résolution, et elle était très distincte
de ce que Kerry disait dans son
discours : Kerry qui parlait d’Etats
juif et arabe, Kerry qui parlait
d’échanges de territoires, et ne cessait
de distinguer les territoires des côtés
Est et Ouest de ce qu’ils appellent la
barrière de séparation.
Il
faut être très reconnaissant pour le
fait que l’administration Obama n’appuie
pas le vote d’une nouvelle résolution de
l’ONU qui viserait à inscrire les
paramètres de Kerry dans une résolution.
Nous ne voulons pas d’une telle chose.
Il vaut bien mieux n’avoir que cette
résolution 2334.
En ce
qui concerne le discours de Samantha
Power, elle a dit : « Aujourd’hui, le
Conseil de sécurité a réaffirmé son
consensus établi selon lequel les
colonies n’ont aucune validité
juridique. »
Eh
bien, c’est exactement ce qu’ils ne
disaient pas depuis huit ans. Ils
disaient qu’elles étaient gênantes. Ils
ont refusé de recourir au vocable de la
validité juridique. C’est pourquoi je ne
crois pas que c’était une résolution
occidentale. Le vocabulaire utilisé dans
cette résolution a été le langage
constant des Nations Unies depuis au
moins 1967 et ils n’allaient certes pas
le remettre en question. Dans le cadre
de l’ONU, il n’y a pas la moindre
possibilité qu’on commence à utiliser
des mots comme « gênantes ». C’est
vraiment un point très important. C’est
le langage d’une maîtresse d’école.
« Johnny, quand tu jettes du papier à
Sally pendant l’heure du déjeuner, c’est
gênant. Il serait temps d’arrêter ! »
Quel genre de langage est-ce là ? C’est
vraiment infantile.
Le
langage que l’administration Obama a
développé est antithétique à la nature
entière de l’ONU et du droit
international. Il est extrêmement
important de comprendre ce que les
États-Unis ont fait. Les États-Unis
savent ce qu’est la loi et ils redoutent
la loi, et ils ont donc inventé et
conjuré un langage qui échappe à ce que
dit la loi. C’est pourquoi ils disent
« gênantes ».
Ensuite, si vous lisez attentivement le
discours de Kerry, il ne cesse de dire
qu’une résolution doit être basée sur
les « besoins » respectifs des deux
parties. Si vous entrez le mot « besoins
» dans une barre de recherche pour le
discours de Kerry, vous verrez qu’il
revient encore et encore et encore. Il
est absolument essentiel de savoir ce
qui se passe. La résolution devrait être
fondée sur la loi. Mais ils savent très
bien que si vous vous basez sur la loi,
Israël perd sur tous les points et les
Palestiniens gagnent sur tous les
points. Jérusalem, comme l’indique
clairement cette résolution,
Jérusalem-Est appartient aux
Palestiniens. Les colonies constituent
un crime de guerre selon le droit
international. Les frontières : toute la
Cisjordanie et Gaza sont un territoire
palestinien. Les réfugiés : la loi
impose le droit de retour ou à une
compensation basée sur la résolution
194. Ils savent qu’en se basant sur la
loi, Israël perd sur tous les points.
Ils
ont essayé de déplacer ou de
restructurer le langage, et ils parlent
maintenant de « besoins ». Comment une
résolution peut-elle être fondée sur les
besoins ? Si Israël dit : « Nous avons
besoin de Jérusalem-Est », et que les
Palestiniens disent « Nous avons besoin
de Jérusalem-Est », comment pouvez-vous
arbitrer sur la base des besoins ? Vous
ne pouvez arbitrer que sur la base de la
loi. Israël peut penser qu’il en a
besoin, mais la loi dit qu’il ne l’aura
pas.
Donc
toute cette refonte du conflit en termes
de « besoins » et de choses « gênantes »
ou non est une tentative délibérée
d’éluder la loi. Vous riez, mais il y a
une méthode derrière l’infantilisme du
vocabulaire. C’est pour échapper à ce
qu’impose la loi.
Philip Weiss : Donc Netanyahu
a-t-il raison de considérer que les
États-Unis se retournent contre lui ?
Norman Finkelstein : Je pense que
Netanyahu a raison de dire que la
résolution n’est pas cohérente avec la
politique américaine récente. Je pense
que c’est exact. L’abstention d’Obama ne
s’est pas conformée à la politique
américaine récente, qui atténue
clairement, voire ignore complètement le
fait que Jérusalem-Est est un territoire
palestinien occupé, point final. C’est
ce que chaque résolution réaffirme et
c’est la loi.
Deuxièmement, l’administration Obama a
très clairement occulté le fait que les
colonies sont illégales et constituent
même un crime de guerre en utilisant un
langage tel que les colonies sont «
gênantes ». Donc Netanyahu a raison de
souligner que cela n’est pas conforme à
la politique américaine, au moins pour
les huit dernières années.
C’est également vrai de dire que Kerry
ment quand il dit des choses comme « La
politique consistant à soutenir un Etat
juif a été la politique américaine de
longue date ». C’est un gros mensonge.
Cela n’a jamais été évoqué, la question
n’a jamais été soulevée, jusqu’à ce que
Netanyahu le fasse pour des raisons
transparentes, parce qu’il savait qu’il
n’obtiendrait jamais une reconnaissance
de ça par les Palestiniens.
Personnellement, j’ai l’impression que
la formule utilisée par Kerry dans son
discours n’était pas un désastre. Il a
utilisé la formulation « deux États pour
deux peuples, un juif et un arabe, avec
une reconnaissance mutuelle et des
droits pleinement égaux pour tous leurs
citoyens respectifs ». On pourrait dire
que les deux propositions sont
incohérentes : comment pourrait-il à la
fois s’agir d’un État juif, et que tous
les citoyens arabes y jouissent des
pleins droits ? C’est la formule de
[l’ancien ambassadeur] Dan Kurtzer, et
il est clair que Kerry se l’est
appropriée. À mon avis, c’est une
formulation qui est pleine de tensions,
de contradictions et de points de
friction, mais tant que vous incluez
cette deuxième clause de rééquilibre, ce
n’est pas un désastre. Cela remonte
évidemment à la résolution 181 de l’ONU
[la résolution de partition de 1947],
qui a appelé à un Etat juif et à un Etat
arabe, puis comportait toutes ces
dispositions selon lesquelles il devait
y avoir l’égalité absolue des droits
dans les deux Etats. Kerry a veillé
attentivement à inclure la clause
d’équilibrage. Tous les Arabes d’Israël
doivent jouir de droits égaux en tant
que citoyens. Mais il faut reconnaître
que la formulation de Kerry est
distincte de la résolution de l’ONU, qui
ne parle que de deux Etats
démocratiques, Israël et un Etat
palestinien [« Réitérant sa vision d’une
région où deux États démocratiques,
Israël et la Palestine, vivent côte à
côte en paix à l’intérieur de frontières
sûres et reconnues »]. Je préfère la
résolution de l’ONU, je pense que c’est
la loi. Mais d’un autre côté, je pense
que la formulation de Kerry – qu’il
s’est appropriée de Kurtzer – n’est pas
un désastre. Je pense qu’il l’a dit deux
fois, qu’il doit y avoir de pleins
droits égaux pour tous les citoyens
arabes d’Israël. Ce qui, venant des
États-Unis, est une grande concession.
Obama aurait dit « un Etat juif et un
Etat arabe », il n’a jamais abordé la
nature démocratique des États.
Kerry a ce que vous pourriez appeler un
motif rationnel, national à la promotion
de la solution à deux États, en termes
d’intérêt national, et, ce qui est
intéressant, cela vient à la toute fin
de son discours. Quand Kerry dit :
Avec la paix israélo-palestinienne, Israël, les
États-Unis, la Jordanie et l’Égypte –
avec les pays du Conseil de Coopération
du Golfe – seraient tout à fait prêts à
définir un nouveau partenariat de
sécurité pour la région qui serait
absolument révolutionnaire.
Puis il dit un peu plus loin :
En attendant, les défis
sécuritaires pourraient être résolus par
un accord de sécurité entièrement
nouveau, dans lequel Israël coopèrerait
ouvertement avec les principaux États
arabes.
Ainsi, Kerry reconnaît que même si les
Saoudiens coopèrent déjà avec Israël en
coulisses, afin d’en faire un accord
ouvert et plus efficace, ils doivent
résoudre ce conflit israélo-palestinien,
qui constitue un obstacle à la
collaboration ouverte entre Israël et
les Saoudiens. Donc quand il prononce ce
discours, il le fait aussi en direction
des Saoudiens, et il doit inclure
quelque chose sur l’égalité des droits
des Arabes en Israël, parce qu’ils ne
vont pas accepter et ne peuvent pas
vraiment accepter un « Etat juif » dans
cette seule formule.
C’était intéressant, parce que si vous
regardez le gros titre d’Haaretz
aujourd’hui, selon lequel les Etats
arabes ont approuvé le discours de
Kerry, Barak Ravid insiste largement
là-dessus, disant « Ils ont approuvé la
clause de l’Etat juif ». Je présume que
c’est ce que voulait Kerry, et pour
l’obtenir, il a dû inclure cette clause
d’équilibrage sur les droits pleins et
égaux pour les Arabes d’Israël.
Mais autrement, il n’y a pas d’intérêt
national des États-Unis à essayer de
résoudre le conflit. Si vous regardez le
discours de Kerry, il n’a cessé de
mentionner le fait que les États-Unis
ont un intérêt à cela. Mais ses
arguments sont assez faibles. Il demande
« Pourquoi suis-je impliqué, pourquoi
ai-je travaillé sur ce dossier avec tant
d’énergie ? » :
Pour une raison simple : parce que la solution à deux États
est le seul moyen de parvenir à une paix
juste et durable entre Israéliens et
Palestiniens.
D’accord, mais cela n’a rien à voir avec
les États-Unis.
C’est la seule façon d’assurer
l’avenir d’Israël en tant qu’État juif
et démocratique, vivant en paix et en
sécurité avec ses voisins.
Cela n’a rien à voir avec les
États-Unis.
C’est la seule façon d’assurer un avenir de liberté et de
dignité au peuple palestinien.
Quand les États-Unis se sont-ils souciés
de cela ?
Et c’est un moyen important de favoriser les intérêts des
États-Unis dans la région.
Le seul intérêt perceptible est que face
à l’Iran, les Etats-Unis ont besoin
d’une collaboration franche et ouverte
entre Israël et les Saoudiens. C’est ce
que j’en retiens. Je pense toujours que
c’est un intérêt national relativement
faible, mais ça reste un intérêt
national. Le discours a été en partie
conçu pour que les [Etats] Arabes
s’embarquent sur son plan de paix.
Philip Weiss : Mon
point de vue est le point de vue
conventionnel exprimé par [le Secrétaire
général de la Défense nominé par Trump,
le Général des Marines James] « Mad Dog
» Mattis, à savoir que nous payons un
prix dans tout le Moyen-Orient pour
notre soutien envers Israël. Un mot
anglais que tous les Arabes connaissent
est « justice », comme je l’ai
découvert quand j’ai pris un taxi à
Damas il y a 10 ans, et ils ne
considèrent pas notre politique comme
juste. Oussama Ben Laden a largement
fait référence à la cause palestinienne.
Pourquoi tout cela, contenu
implicitement dans le discours de Kerry
sur la paix au Proche-Orient, n’est-il
pas considéré comme un intérêt américain
?
Norman Finkelstein : Il faudrait
une longue discussion pour répondre à
cela. On peut avoir ce que vous pourriez
appeler un intérêt national théorique,
abstrait, général. Mais vous avez aussi
un intérêt national qui s’impose à une
administration qui, dans le cas des
États-Unis, est bombardée de crises
chaque jour. C’est la nature d’une
superpuissance. La question est celle-ci
: Qu’est-ce que vous mettez à votre
ordre du jour ? Le cas de Jimmy Carter
lorsqu’il a négocié l’accord de Camp
David en 1978 – il y avait là un intérêt
très pressant. L’intérêt était qu’Israël
occupait un territoire, et que Sadate
était déterminé à récupérer sa terre (le
Sinaï). Il y avait un énorme
mécontentement dans le monde
arabo-musulman à l’époque parce que les
États-Unis soutenaient Israël qui
occupait des terres arabes, et l’Union
soviétique capitalisait sur ce
mécontentement. Et il y avait des
régimes au Moyen-Orient qui
sympathisaient avec l’Union soviétique.
Il y avait tout un nombre de facteurs
qui pesaient si dur sur les États-Unis
que Carter a décidé d’en faire son
principal point à l’ordre du jour
lorsqu’il est entré en fonction, pour
résoudre le conflit israélo-palestinien.
Et je dois dire que j’ai lu récemment
les deux volumes d’archives américaines
consacrés à Camp David. Il s’agit
d’environ 3000 pages. Carter était
incroyable. Il était tout simplement
extraordinairement intelligent, pointu
et engagé. Je lui tire mon chapeau.
Carter a clairement établi que cela
n’avait rien à voir avec les droits de
l’homme, mais avec l’intérêt national
des États-Unis. Et il y a investi
énormément de temps. Parce qu’il y avait
un intérêt pressant, le pétrole, et que
la région était en effervescence en
raison de cette occupation.
Comparez cela avec les années Obama, où
il n’y a qu’un vague problème persistant
causé par le conflit
israélo-palestinien. Le fait est, et je
pense que vous serez d’accord, que
depuis le 11 septembre, certainement
durant les 8 dernières années, à cause
de ce qui s’est passé avec le printemps
arabe, la désintégration de l’Irak, le
Bahreïn et l’Afghanistan, la question
palestinienne n’était pas une question
urgente. Donc je pense que Netanyahu
avait tout à fait raison quand il a dit
que toute cette question palestinienne
était morte. Certes, elle a été
nettement reléguée par les événements en
Syrie. Laissant de côté la Libye, le
Yémen et d’autres endroits, il a demandé
: « Pourquoi diable faites-vous ça
maintenant, quel est le but ? »
Philip Weiss : Comment
répondez-vous à cela ?
Norman Finkelstein : Ma réponse est
simple. Obama le fait parce c’est
quelqu’un de narcissique, extrêmement
susceptible aux critiques et aux
insultes, et il veut rendre à Netanyahu
la monnaie de sa pièce pour ce qu’il a
fait non seulement pendant les
négociations sur le dossier iranien –
quand le racisme était transparent, la
manière raciste avec laquelle Netanyahu
se conduisait avec Obama. Obama n’a pas
supporté cela et il a certainement la
patience de Job ; il attendait
l’occasion et elle s’est présentée à la
fin de sa présidence. Je pense que c’est
un facteur. C’est le facteur de
susceptibilité.
Le facteur narcissique est que le bilan
d’Obama sur Israël et la Palestine est
horrible. Les pires massacres de
l’histoire du conflit depuis 1982 et
l’invasion du Liban – les massacres les
plus graves et les plus flagrants ont eu
lieu sous son mandat. L’opération Plomb
Durci commence le 27 décembre [2008]. Il
n’a pas dit un mot alors qu’il était
déjà le Président élu. L’opération Plomb
Durci se termine le 18 janvier, parce
qu’Obama fait signe à Israël : « Je ne
veux pas que l’attention soit détournée
de mon investiture. Donc vous feriez
mieux de mettre fin à l’opération
maintenant. » Elle se termine le 18. Il
est investi le 20. L’opération Bordure
Protectrice, en 2014, n’aurait pas pu se
produire sans Obama. Et tout au long de
l’opération, Obama ne cesse de répéter
qu’Israël a le droit de se défendre,
Israël a le droit à l’autodéfense. Il ne
l’a finalement condamné qu’après que
même Ban Ki-Moon ait condamné le
bombardement israélien, pour la septième
fois, de l’école de l’UNRWA convertie en
refuge – quand il a été abandonné par le
monde entier, y compris sa marionnette
comateuse, Ban Ki-Moon.
Son bilan sur Israël et la Palestine
était une abomination. En fait, c’était
drôle de voir Samantha Power et Kerry
s’en vanter. Ils ont répété maintes et
maintes fois que c’était la première
fois dans toute l’histoire moderne du
conflit qu’aucune résolution du Conseil
de sécurité de l’ONU hostile à Israël ou
opposée par Israël n’avait été adoptée
au cours d’une présidence américaine.
Pas une seule. Et ils se sont vantés de
cela encore et encore pour montrer
combien ils soutenaient Israël. C’était
un reflet de la servilité rampante de
leur soutien à Israël. Je sais que cela
semble mesquin, mais la politique est
aussi mesquine. Et Obama a voulu pouvoir
mettre quelque chose de rédempteur dans
ses mémoires sur le conflit
israélo-palestinien, alors il a accepté
de s’abstenir sur la résolution.
Philip Weiss : Et même
s’il le fait pour la pire des raisons,
on s’en moque, non ?
Norman Finkelstein : J’ai dit que
je pensais que c’était une bonne
résolution. La question est de savoir ce
que vous en faites. Il y a eu
littéralement des dizaines de
résolutions du Conseil de sécurité et de
l’Assemblée générale de l’ONU, ainsi que
d’avis de la Cour internationale de
Justice [CIJ] condamnant les colonies
comme illégales. Je suis d’accord – si
vous considérez strictement le texte,
c’est une bonne résolution et je suis
heureux qu’elle ait été adoptée. En
termes de potentiel politique, ce qui
est un autre sujet, elle ne vaut pas
grand-chose, et Obama ne l’a pas fait
pour des raisons politiques, il l’a fait
pour des raisons mesquines, narcissiques
et personnelles. Nous devons être clairs
: même si sa genèse est le narcissisme,
c’est toujours une bonne résolution. Je
ne vais pas contester cela.
Quant à savoir pourquoi Kerry a prononcé
son discours, c’était très clair pour
moi. Parce que Kerry a consacré neuf
mois – nous avons déjà oublié
l’initiative Kerry, mais il a consacré
neuf mois à ces pourparlers et si vous
vous souvenez de sa première conférence
de presse après l’échec des
négociations, et après qu’Israël ait
annoncé, qu’ils allaient construire de
nouvelles colonies, souvenez-vous qu’il
a dit que les pourparlers étaient
terminés. Il est donc fâché d’avoir
gaspillé autant de temps et d’énergie
dans une initiative à laquelle il a
attaché sa propre personne et sa
réputation, et qui n’a mené à rien à
cause des Israéliens.
Philip Weiss : Croyons
les gens sur parole une seconde.
Pourquoi ne pas considérer qu’une partie
de leur motivation, indépendamment de
leur ego personnel et de l’héritage
qu’ils veulent laisser, est qu’ils
voient la solution à deux États, que
vous soutenez, comme se trouvant sur son
lit de mort, et qu’ils veulent envoyer
un signal d’alarme au monde ?
Norman Finkelstein : Ce n’est pas
comme s’ils n’avaient pas pu le faire il
y a des mois, au moment où ils auraient
vraiment pu faire quelque chose de
politiquement efficace pour pousser les
événements dans un autre sens. Ils ne
peuvent pas sérieusement vouloir avoir
un impact politique durant leurs deux
dernières semaines et demie au pouvoir.
Cornel West a dit la semaine dernière,
j’ai oublié dans quel contexte, qu’Obama
est très bon pour les gestes
symboliques. Il ne s’agit que de
symbolisme. Ce n’est pas la politique.
Philip Weiss : Mais
comme Cornel West l’a observé l’été
dernier, Hillary Clinton ne voulait pas
qu’Obama fasse quoi que ce soit sur
cette question.
Norman Finkelstein : Je suis
entièrement d’accord avec cela. Si
Schumer avait été le chef de la majorité
au Sénat et qu’Hillary avait été élue,
ils auraient enterré cette résolution.
Bien sûr qu’ils l’auraient enterrée. Je
n’en doute pas.
Tout cela est tellement ridicule. Ils
prétendent que la résolution n’a rien à
voir avec les États-Unis. Elle venait du
côté adverse ; il n’y avait pas
d’initiative américaine. La (véritable)
question n’a jamais porté sur l’origine
de l’initiative, la question était de
savoir si les États-Unis allaient la
saboter, si les États-Unis allaient
l’arrêter, et le fait est que les
États-Unis ne l’ont pas sabotée. Hillary
Clinton était très fière d’avoir saboté
le rapport Goldstone. La question n’est
donc pas de savoir si les États-Unis
étaient à l’origine de cette initiative.
La question est pourquoi cette fois-ci,
ils ne l’ont pas sabotée. Pourquoi
est-ce que cette fois-ci, ils n’ont pas
empêché ce que Samantha Power et Kerry
ont fièrement proclamé avoir empêché
durant les 8 dernières années, à savoir
une résolution du Conseil de sécurité de
l’ONU. Pouvez-vous croire sérieusement
qu’ils ne pouvaient pas arrêter la
Nouvelle-Zélande, la Malaisie, le
Venezuela et le Sénégal, qu’ils ne
pouvaient pas les empêcher de mettre sur
pied une résolution du Conseil de
sécurité ? Barack Obama n’aurait-il pas
pu appeler le Premier ministre
néo-zélandais et lui dire : « Ne faites
pas cela ! » Allons ! Ils voulaient donc
clairement que cela se produise. La
question est de savoir pourquoi.
Dire qu’ils voulaient sauver la solution
à deux États – je trouve cela très
invraisemblable. Ils avaient huit ans
pour le faire. Les colons ont augmenté
de 100 000 sous Obama. Vous me dites
qu’il vient juste de le remarquer ? Cela
vient juste d’apparaitre sur son écran
radar ? Lorsque la présidence Obama a
commencé, il y avait 500 000 colons, et
maintenant, il y en a 600 000, donc ils
ont augmenté de 20 %. Il n’a pas
remarqué ça plus tôt ?
Je suis tout à fait d’accord pour dire
qu’il voulait la résolution.... Je suis
entièrement d’accord avec Netanyahu :
les États-Unis étaient, à leur façon,
derrière son adoption. Ils n’étaient pas
derrière elle au sens où ils en auraient
pris l’initiative, mais en au sens où
ils ont signalé aux Anglais que s’ils
mettaient sur la table une nouvelle
résolution, ils n’opposeraient pas leur
veto. Puis les Anglais ont négocié avec
la Nouvelle-Zélande.
Philip Weiss : Mais les
États-Unis ont approuvé une résolution
qui, selon vous, fournit une voie claire
pour agir contre les colonies. Pourquoi
ne l’ont-ils pas édulcorée ?
Norman Finkelstein : Ma réponse à
cela est que l’ONU, pour le meilleur ou
pour le pire, fonctionne sur la base du
précédent. Vous ne pouvez pas réviser
radicalement l’ensemble des résolutions.
La résolution commence par énumérer 1,
2, 3, 4..., 10 résolutions antérieures.
Vous ne pouvez pas simplement les saisir
toutes d’un coup et appuyer sur le
bouton de suppression. Ce n’est tout
simplement pas la façon dont l’ONU
fonctionne. Ils ne pouvaient pas
contourner ce mode de fonctionnement.
Tout ce que vous avez à faire est de
juxtaposer le discours de Kerry et la
résolution pour voir à quel point la
politique américaine est différente. Et
s’il a accepté la résolution, c’est
parce qu’il a reconnu que vous ne pouvez
tout simplement pas défaire cela. C’est
pourquoi j’ai systématiquement soutenu
dans mes interventions publiques et mes
livres que c’est la loi, il est très
difficile de la changer.
Philip Weiss : Autre chose ?
Norman Finkelstein : Je ne peux
pas être exhaustif, mais il y a beaucoup
de choses qu’on peut développer et
commenter. Comme ce que Samantha Power a
dit, par exemple, quand elle a
réprimandé le Conseil de sécurité de
l’ONU pour son inaction lorsque le
gouvernement syrien ciblait les
hôpitaux, les civils. Vous comprenez
l’idée : le même gouvernement américain
a bloqué toute action quand Israël
ciblait les hôpitaux et les civils à
Gaza.
Philip Weiss :
Parlez-moi donc des conséquences
politiques.
Norman Finkelstein : De toute
évidence, c’est la question la plus
importante, et tout cet exercice laisse
en suspens la question de – eh bien,
comme nous le savons, depuis 1980 déjà,
une résolution de l’ONU condamnant les
colonies et réclamant le démantèlement
des colonies existantes a été adoptée.
Et depuis, beaucoup d’eau a coulé sous
les ponts. Nous avons eu l’avis de la
Cour internationale de justice [CIJ] de
2004 qui a réaffirmé l’illégalité de
toutes les colonies. C’est-à-dire qu’il
y a déjà d’importantes archives de
résolutions et de déclarations au sein
de l’Assemblée générale de l’ONU, mais
aussi au sein du corps juridique le plus
respecté du monde, la CIJ, sans parler
du Comité international de la
Croix-Rouge et de toutes sortes
d’organisations de défense des droits de
l’homme, qui ont toutes déclaré les
colonies illégales. Un sceptique dirait,
« A quoi bon une autre résolution ?
Nous avons déjà tant de documents
respectés, y compris des résolutions du
Conseil de sécurité condamnant les
colonies. En quoi cela change-t-il quoi
que ce soit ? »
Ce type de scepticisme à l’égard de
cette résolution est justifié. Je
voudrais toutefois avancer le point
suivant. Je crois qu’il y a un très
grand malentendu sur le sens de ces
résolutions. Il est tout à fait clair
qu’elles ne seront pas appliquées, du
moins dans l’alignement ou la
configuration des forces d’aujourd’hui,
elles ne vont pas être appliquées
d’elles-mêmes, parce que les États-Unis
bloqueront une telle application. Selon
certaines spéculations, cette résolution
de l’ONU servira alors de munition pour
que la Cour Pénale Internationale (CPI)
poursuive l’enquête sur les crimes
israéliens. Imaginons que la CPI déclare
Israël coupable d’avoir commis des
crimes de guerre, ce qui est une
possibilité très lointaine selon moi,
mais pour notre argumentation, supposons
qu’ils le fassent. On resterait toujours
dans la même situation, avec un document
inapplicable, un verdict de culpabilité
de la part de la CPI, mais qu’il
faudrait encore appliquer.
La question clé est la question
politique. Comment faire pour que ces
documents soient appliqués ? Ici, mon
opinion est qu’il n’y a tout simplement
pas eu beaucoup de réflexion ou
d’analyse sur cette question, à savoir «
Quelle est la portée de ces documents ?
» En la matière, je pense que les leçons
les plus importantes à tirer proviennent
du mouvement sioniste, de la manière
dont ils ont pris des documents et des
déclarations, qu’il s’agisse de la
Déclaration Balfour il y a 100 ans ou de
la résolution de partition en 1947,
comment le mouvement sioniste s’en est
emparé et a transformé ces documents
anodins – Arthur Balfour était un
ministre des Affaires étrangères
insignifiant, et la résolution de
partition n’était même pas une
résolution du Conseil de sécurité,
c’était une résolution de l’Assemblée
générale, à ce stade une parmi des
milliers de résolutions adoptées par
l’Assemblée générale –, comment le
mouvement sioniste est-il parvenu, même
après 100 ans, à imprimer cette
Déclaration Balfour et la résolution de
partition de l’ONU dans l’esprit du
public ? Ou comme l’a alors dit Abba
Eban, l’Assemblée générale avait donné à
Israël un acte de naissance. Comment se
fait-il que nous connaissions tous cet
acte de naissance ?
La réponse est que le mouvement sioniste
a compris que les documents, bien que
non forcément appliqués, peuvent devenir
une force politique si vous savez
mobiliser un public en leur nom, et
faire en sorte d’avoir le pouvoir d’agir
seul, comme le mouvement sioniste l’a
fait en 1947 avec la légitimité accordée
par la résolution de partition ou en
1917 avec la Déclaration Balfour, et de
mobiliser assez l’opinion publique pour
que la Grande-Bretagne se sente obligée
de mettre en œuvre la Déclaration
jusqu’au bout. Il y a eu de nombreux
moments où les Britanniques ont voulu
abroger la Déclaration Balfour parce
qu’elle semblait entrer en conflit avec
leurs intérêts. Ils l’ont finalement
fait en 1939. Mais le mouvement sioniste
a su utiliser ces documents lui donnant
une légitimité. Même l’OLP disait après
les années 1970, le terme qu’ils ont
continué à utiliser, en particulier
Arafat et ses lieutenants, ils ont dit
que leur cause s’était vue marquée d’une
illégitimité internationale. En réalité,
sa légitimité avait été consacrée dans
diverses résolutions, en l’occurrence
des résolutions de l’Assemblée générale
de l’ONU au moment où Arafat
s’exprimait.
C’est ce que les résolutions, les avis
de la Haute cour, les avis de la CIJ,
même une décision de la CPI font. Dans
ce contexte, je considère la résolution
comme une victoire. Vous avez un nouveau
document. Il est vrai qu’il répète des
choses qui ont déjà été dites, mais il
utilise un langage assez – je dirais –
sévère et sans équivoque, disant en tant
de termes explicites qu’Israël commet
des crimes de guerre dans les
territoires occupés, son entreprise de
colonisation est maintenant un crime de
guerre colossal. Et alors, qu’est-ce que
vous en faites ? Comment rejouez-vous ce
que le mouvement sioniste a fait ? Parce
que le mouvement sioniste a compris – et
je le souligne, je l’encadre et je le
mets en gras – ils ont compris
la valeur de l’opinion publique. Ils ont
compris que si vous voulez gagner cette
cause, vous devez avoir l’opinion
publique de votre côté.
Venons-en aux détails. Si les
Palestiniens avaient d’authentiques
dirigeants, ce qu’ils n’ont pas en ce
moment, dès le lendemain de la
résolution, ils élaboreraient des
stratégies et mobiliseraient leurs
masses en Cisjordanie pour organiser une
sorte de marche sur les colonies,
bloquer les routes qui y mènent, rendre
la vie très misérable pour ces colonies
et proclamer « Nous ne faisons que faire
respecter le droit international. Le
Conseil de sécurité de l’ONU a déclaré
que ces colonies constituent un crime de
guerre, et nous essayons de manière
non-violente de démanteler ce crime de
guerre ou d’infliger des sanctions à
Israël pour avoir commis ce crime de
guerre. » Une fois que vous avez la
légitimité de cette résolution et, dans
ce cas tout à fait exceptionnel en fait,
l’abstention des États-Unis, ce qui
signifie qu’ils ne nient pas la
légitimité de la revendication
palestinienne et ne nient pas qu’Israël
commet des crimes de guerre, les
Palestiniens ont une vraie chance. Et je
sais que vous savez combien l’opinion
publique américaine et l’opinion
publique juive américaine sont hostiles
à ces colonies.
Et maintenant, vous avez un document.
Vous avez maintenant un certificat
d’illégitimité, vous avez un certificat
d’illégalité et vous avez un certificat
de criminalité, et les Palestiniens
peuvent d’eux-mêmes brandir ces
documents et aussi, de façon critique et
cruciale –conjuguée et coordonnée avec
le mouvement de solidarité
internationale –, ils peuvent tenter
d’appliquer cette résolution.
Nous devons garder à l’esprit que cela a
été vrai pour les 30 ou 40 dernières
années. C’est la tragédie du conflit.
Prenez le cas de l’avis de la CIJ de
2004 sur l’illégalité du mur. À ce
moment-là, il faut se rappeler qu’Israël
était en panique face à l’avis de la CIJ
alors qu’il était encore en phase
préliminaire, avant même qu’il ait été
validé par la cour. Ils débattaient sur
l’opportunité de s’absenter et de les
ignorer ou alors de présenter leur cas à
la cour, ils étaient très effrayés par
cet avis de la CIJ. Et ce qui était
tragique à ce propos est que c’était en
fait brillamment orchestré par Nassar
al-Qudwe, qui était à l’époque le
représentant de l’OLP à l’ONU. En tous
points de vue, il a fait un travail tout
à fait brillant, il a recruté les
meilleurs avocats internationaux dans le
monde, présentant clairement et
défendant le dossier palestinien, et ce
fut une victoire éclatante.
Mais que s’est-il passé ? Rien. Parce
qu’il n’y a pas de leadership
palestinien qui comprenne ce que vous
êtes censé faire avec ces victoires.
Le revers de la médaille est que si vous
ne faites rien, elles sont inutiles,
elles sont juste rangées dans un tiroir.
Qui se souvient même de l’avis de la CIJ
? Israël a perdu sur tous les points et
les Palestiniens ont tout gagné dans
l’avis de la CIJ. Israël a perdu sur
toute la ligne. La CIJ a déclaré
Jérusalem-Est comme faisant partie des
territoires palestiniens occupés, elle a
déclaré les colonies illégales,
l’inadmissibilité de l’acquisition de
territoire par la guerre. C’était un
grand chelem pour les Palestiniens. Et
cet avis disait : premièrement, le mur
est illégal ; deuxièmement Israël devait
démanteler le mur ; troisièmement,
Israël devait payer des compensations
pour les dommages causés par le mur. Et
surtout quatrièmement, si Israël ne
démantelait pas le mur, la communauté
internationale avait l’obligation de
faire quelque chose. C’était tout
simplement une énorme opportunité
d’organiser une marche sur le mur, une
marche du sel à la Gandhi,
brandissant l’avis de la CIJ dans une
main et une pioche ou un marteau dans
l’autre et proclamer « Nous allons
casser le mur ». Tout comme le
préconisait la CIJ. Rien ne s’est passé.
C’est le problème.
Il est exact de dire que cette
résolution est une autre consécration du
droit international. C’est vrai, il y a
un important portefeuille de documents
qui la précèdent, et c’est un motif de
cynisme. Mais d’un autre côté, ça ne
fait pas de mal d’avoir ces principes
inscrits dans un document. Il est
également vrai de dire que c’était une
résolution forte. Nous devons être
clairs à ce sujet, nous ne pouvons pas
être cyniques au point de ne pas voir
que c’était une résolution forte. Toute
résolution qui commence par « Nous
soulignons l’application du droit
international, par exemple,
l’inadmissibilité de l’acquisition de
territoire par la guerre – cela tue tout
simplement l’ensemble de l’occupation
israélienne. Point final. Nous ne
devrions donc pas être cyniques au point
de négliger le texte de cette résolution
et reconnaître que c’était une grande
victoire, parce que les États-Unis se
sont effectivement abstenus.
Maintenant, l’abstention des États-Unis
était totalement insincère parce qu’elle
prétendait qu’il n’y avait pas de
conflit entre cette résolution et la
politique américaine, ce qui était un
mensonge flagrant. Mais le revers de la
médaille est qu’il y a d’excellents
motifs de scepticisme, parce que sur la
base des antécédents, les dirigeants
palestiniens ne font rien avec ces
résolutions. Ils se contentent
simplement de les enregistrer, ils
prétendent que c’est une victoire. C’est
une victoire s’ils en font quelque
chose. Mais elles ne sont évidemment pas
auto-exécutoires, et cela inclut aussi
la CPI. Je suis exaspéré quand je vois
ces avocats parler de l’importance des
poursuites engagées par la CPI. Mais
vous avez déjà ces victoires sur papier.
Le problème n’est pas d’avoir les
documents. C’est d’en faire quelque
chose. Il y a infiniment plus de
documents qui consacrent les droits
palestiniens qu’il n’y en a jamais eu
pour le mouvement sioniste.
Philip Weiss : Quand vous parlez
du succès des sionistes, il est
difficile de parler de la Déclaration
Balfour ou de la partition sans parler
du problème juif en Europe. Cela devint
une question tragiquement urgente. Vous
avez parlé de la résolution 181 de l’ONU
comme ayant force de loi…
Norman Finkelstein : La
résolution 181 n’avait pas force de loi.
Cependant, le mouvement sioniste l’a
tellement diffusée et s’est tellement
appuyé sur elle que c’est devenu un
document ayant force de loi.
Philip Weiss : Le droit
est une forme d’opinion, et il y a eu
des occasions où vous avez dit qu’il y
avait un édifice d’opinion selon lequel
il devrait y avoir un État juif – un
consensus auquel ceux qui sont
antisionistes et ne veulent pas de
partition doivent faire face.
Norman Finkelstein : L’expression
« un État juif » est une très ambiguë et
elle peut recevoir de nombreux contenus
différents. Certes, la résolution de
partition de 1947 est remplie
d’ambiguïté voire de points de friction,
sinon de contradictions, car elle
appelle à deux Etats, un juif et un
arabe. Elle souligne également que dans
les deux États, il doit y avoir des
droits absolument complets et égaux pour
les deux peuples.
Philip Weiss : Vous avez dit que
ce consensus était consacré. Mais si
vous regardez un récent article du Los
Angeles Times, les Palestiniens
demandent « Eh bien, pourquoi pas un
seul Etat avec des droits égaux ? » Ou
Buzzfeed qui soulève également la
possibilité d’une solution à un Etat.
Cette résolution est-elle en quelque
sorte un coup porté au consensus
historique selon lequel il devrait y
avoir un État juif ?
Norman Finkelstein : Je crois bien
plutôt le contraire. Peut-être que nous
sommes sur des longueurs d’onde
différentes. L’ensemble de la résolution
est ancré dans la notion de deux Etats.
Parce que c’est ce qui rend les colonies
illégales. La résolution ne parle pas de
Tel Aviv ou de Haïfa ou de n’importe
quel endroit à l’intérieur de la Ligne
Verte comme des colonies illégales. Ce
qui rend une colonie illégale est sa
présence en territoire occupé, et la
Convention de Genève stipulant qu’il est
illégal pour un pouvoir d’occupation de
transférer la population. La résolution
est clairement ancrée comme elle le dit
à plusieurs reprises, ad nauseam, dans
la création de deux États démocratiques,
Israël et la Palestine, et elle cite
tous ces documents, y compris la Feuille
de route et Oslo. L’ensemble du texte,
son cadre ainsi que son esprit et sa
lettre sont solidement ancrés dans (la
solution à) deux États.
Philip Weiss : Certains
ont interprété le discours de Kerry
comme un éloge de la solution à deux
Etats. Yousef Munayyer a souligné que
Kerry avait jadis annoncé une date
limite pour la solution à deux États qui
a maintenant expiré. Kerry s’est référé
à une réalité à un Etat. Les discours au
Conseil de sécurité reflétaient le
désespoir de ne jamais créer un État
palestinien, après 70 ans de promesses.
Et oui, je vis dans un silo
d’antisionistes ; mais ce sentiment en
amène certains dans les médias dominants
à dire « Peut-être que cette solution
est morte. »
Norman Finkelstein : Je vois ce
que vous voulez dire. Mais il est
beaucoup trop tard ce soir pour que
j’essaye de marquer des points dans le
débat. Je parle maintenant comme une
personne qui ne s’intéresse pas
seulement aux théories, pas seulement à
l’exégèse textuelle, mais surtout à la
politique. Et l’idée maîtresse que nous
avons évoquée ce soir a été « Qu’est-ce
qu’on peut faire avec la résolution ».
Ma conviction est que ce qu’on pourrait
faire s’il y avait un mouvement, c’est
utiliser une résolution pour cibler les
colonies. Pouvez-vous utiliser la
résolution pour cibler la Ligne Verte ?
Non. Pouvez-vous utiliser la résolution
pour essayer d’implémenter une
résolution juste de la question des
réfugiés ? La réponse est non.
La raison pour laquelle vous m’avez
appelé et pour laquelle nous avons
entamé toute cette conversation a
commencé avec cette résolution, et je
crois effectivement que dans cette
résolution, tout comme dans la décision
de la CIJ, il existe des possibilités
réelles d’action politique. Rien dans la
résolution ne renforce la possibilité
d’une solution à un seul État. C’est
tout le contraire. L’ironie est que les
gens qui préconisent un seul Etat sont
les mêmes personnes qui rendent nulle et
vide cette dernière résolution.
Qu’est-ce que je veux dire ? En ouvrant
le livre d’Ali Abunimah sur un seul Etat
[Un pays : une proposition audacieuse
pour mettre fin à l’impasse
israélo-palestinienne, 2007], il dit
qu’il ne s’oppose pas aux colonies. Il
dit que les colonies peuvent rester dans
un seul Etat. Et Virginia Tilley dit la
même chose dans son livre [La solution à
un Etat, 2010]. Donc, si vous prenez le
cadre des partisans d’un seul État, ce
cadre empêche de faire porter l’accent
sur les colonies. Il dit que les
colonies ne posent pas de problème,
qu’ils ne sont pas un obstacle à la
résolution du conflit. L’ironie est que
les partisans d’un seul État sapent
l’importance des résolutions comme celle
qui vient d’être adoptée. Les colonies
ne sont qu’un problème, comme l’a dit
Kerry dans la seule partie de son
discours qui avait de la substance –
quand Kerry a dit que les colonies
détruisent l’Etat palestinien. Si vous
voulez plaider pour un seul Etat, alors
une résolution disant que les colonies
sont illégales est totalement sans
importance. Il faut vous décider. Vous
ne pouvez pas déclarer une victoire
lorsque l’ONU déclare les colonies
illégales et constituant des crimes de
guerre, puis d’autre part dire que vous
soutenez un seul Etat. Au moins, Ali
Abunimah et Virginia Tilley sont
cohérents.
Philip Weiss : Trump ?
Norman Finkelstein : Je suis
d’accord avec le professeur Chomsky,
lorsqu’il dit qu’une chose prévisible au
sujet de Donald Trump est qu’il est
imprévisible. Vous ne pouvez pas
vraiment dire où les choses vont aller
avec lui. Je suppose que pour le conflit
israélo-palestinien, à moins d’une
résurgence de la résistance populaire de
masse qui ne serait pas manifestement
stimulée ou orchestrée par les
dirigeants, qui pourrait être spontanée
– en l’absence de cela, le conflit
restera tranquille et Trump se
concentrera sur l’économie et sur des
actions déchaînées à l’échelle
internationale, mais Israël et la
Palestine ne seront pas sur son radar.
Philip Weiss :
Déplacera-t-il l’ambassade à Jérusalem ?
Norman Finkelstein : Je n’en ai
aucune idée. Je serais porté à en
douter, il ne veut pas être distrait. Ça
ne lui apporterait rien. Ça lui
causerait seulement des ennuis.
Philip Weiss :
Sommes-nous face à un conflit géré ?
Norman Finkelstein : Oui. Je suis
pessimiste maintenant. Je ne le crie pas
sur les toits parce que je ne veux pas
verser de l’eau froide sur les efforts
des gens. Mais en parlant à titre
strictement personnel, je viens de finir
un gros livre sur Gaza, environ 450
pages. Je dis essentiellement que
j’écris pour l’histoire. Je n’écris pas
pour la politique parce que je vois rien
de tel : les États-Unis, de mèche avec
les puissances européennes travaillant
avec les dirigeants palestiniens, ont
trouvé un moyen de stabiliser le
conflit. Et les Palestiniens eux-mêmes
ont été au moins pour le moment – je ne
veux pas prédire l’avenir – mais pour
l’instant, ils ont été vaincus. Mais je
ne crois pas, comme je l’ai dit 1 000
fois, je ne crois pas qu’ils n’ont pas
d’options. Je pense que c’est très
difficile maintenant. Parce qu’entre
autres choses, le conflit a été éclipsé
par d’autres catastrophes régionales. Et
une grande partie du monde arabe est
très près de s’aligner ouvertement avec
Israël, ce qui est sans précédent. Il
faut se rappeler, dans le cas de
l’Afrique du Sud, qu’il était
inconcevable que la lutte de résistance
au régime sud-africain aille bien loin
sans le soutien régional. Toute
l’Afrique considérait l’apartheid comme
un tel affront à tous les peuples
d’Afrique que l’ensemble du continent
était uni dans la lutte pour abattre
l’apartheid. Et pendant une longue
période, l’analogie avec le monde arabe
a fonctionné. La lutte palestinienne
avait une si profonde résonance dans le
monde arabo-musulman. Les régimes
arabes, si corrompus qu’ils fussent,
devaient au moins souscrire en paroles à
la cause palestinienne. Mais c’est fini.
Les Palestiniens ont perdu cette base
régionale pour la lutte. C’est un gros
revers.
D’un autre côté, le mouvement de
solidarité n’est pas mort. Et je pense
qu’il y a des raisons d’espérer. Le
mouvement de solidarité s’est maintenant
contracté. Mais il y a certainement des
possibilités et des potentiels pour
éveiller la pleine force du mouvement de
solidarité et avec de nouveaux alliés,
dans la communauté juive, en particulier
les jeunes juifs. Il y a de vraies
possibilités, mais c’est beaucoup plus
difficile maintenant à cause de
l’effondrement du soutien régional.
Si vous l’observez historiquement, ce
soutien était très frappant pendant, par
exemple, les années Carter. Même lorsque
Carter a exécuté le retrait israélien du
Sinaï égyptien, il était très inquiet du
fait que s’il ne parvenait pas à gagner
quelque chose pour les Palestiniens,
parce que la cause palestinienne avait
une telle résonance dans le monde arabe,
à moins qu’il ne gagne quelque chose
pour les Palestiniens, [le président
égyptien Anwar al-] Sadate serait très
isolé et les Etats-Unis seraient en
conséquence isolés dans la région.
Carter n’avait aucune préoccupation
humanitaire particulière, mais il
comprenait le pouvoir et la résonance de
la cause palestinienne dans le monde
arabe. A moins de leur gagner quelque
chose, les Etats-Unis seraient très
isolés dans la région, ayant détourné
l’Egypte du front arabe sans rien donner
aux Palestiniens. Littéralement jusqu’au
dernier jour de son régime, il se battit
bec et ongles avec [le Premier ministre
israélien Menahem] Begin pour donner
quelque chose – quoi que ce soit – à ce
régime d’autonomie palestinienne, pour
sauver la face de Sadate. En fait, la
vérité est que, c’est une chose dure à
dire, mais Carter fut singulièrement
responsable de l’assassinat de Sadate.
Parce qu’il ne pouvait rien obtenir avec
Sadate, ou qu’il n’était pas disposé à
exercer de pression politique pour
obtenir quelque chose d’Israël sur
l’autonomie palestinienne.
Je le mentionne parce que les temps ont
changé. Personne n’a l’impression que le
prestige ou le pouvoir des États-Unis au
Moyen-Orient dépend de l’obtention de
quelque chose pour les Palestiniens,
parce que la cause palestinienne est
morte. Les régimes arabes, l’Arabie
Saoudite, l’Égypte – ils se sont
ouvertement alignés avec Israël pendant
l’opération Bordure Protectrice. La
Ligue arabe ne s’est réunie qu’une seule
fois au cours de l’opération et elle a
soutenu Israël. La donne est très
différente. Est-ce sans espoir ? Non,
pas à mon avis. Ils ont obtenu un bon
document, ils ont obtenu une bonne
résolution, ils ont la légitimité
internationale de leur côté, il existe
un mouvement de solidarité, il existe
une conscience parmi des segments
importants de Juifs que ce qu’Israël
fait est mal. Il existe une possibilité
réelle de construire un véritable
mouvement. Je ne suis pas désespéré.
Mais le problème est que le leadership
est en faillite et que les gens ont
abandonné, c’est le grand obstacle.
Philip Weiss : Qu’en
est-il de l’opposition au sionisme dans
la diaspora juive, dynamisée par Trump ?
Quelle est l’importance de ce changement
?
Norman Finkelstein : C’est
révélateur de l’aliénation croissante
entre les Juifs américains, qui sont
massivement à l’extrémité libérale du
spectre (politique), et Israël, qui est
massivement à droite. Ce sont vraiment
des images en miroir. Regardez le
spectre israélien. Environ 20 % se
disent travaillistes ou sont des
libéraux de Tel-Aviv, puis il y a un
centre assez grand et il y a une très
forte aile droite, environ 40 %.
Regardez le spectre juif américain,
c’est encore environ 20 % de
Républicains, environ 50 % de modérés et
30 % de libéraux. Ce sont vraiment des
images en miroir. Et ces différences
deviennent de plus en plus marquées,
parce que le centre disparaît aux
États-Unis et en Israël. Il se
contracte. Je ne pense pas que beaucoup
de Juifs aient voté pour Trump, et
Netanyahu considère Trump comme une
aubaine. C’est donc de l’aliénation.
Netanyahu est tout simplement un
personnage révoltant, c’est un
suprématiste juif raciste, braillard et
odieux. Ce n’est pas du tout la façon
dont les Juifs aiment voir les Juifs se
comporter. Il est vraiment embarrassant.
Et vraiment, à moins que les choses
changent radicalement, ce que je ne vois
pas se produire, je pense que nous avons
dépassé le point de non-retour. Les
Juifs Américains, surtout avec le temps,
ne ressentiront plus bien longtemps ce
genre de sentiment pour Israël. C’est un
sujet d’embarras.
Philip Weiss : Votre prochain
livre ?
Norman Finkelstein : Le livre
doit sortir en octobre aux Presses de
l’Université de Californie. (Il est
intitulé) Gaza: Une enquête sur son
martyre. Le manuscrit est terminé. C’est
une analyse politique, légale et
historique de ce qui est arrivé à Gaza
au cours des 10 dernières années. Je
suis heureux qu’il sorte, parce que je
pense que la vérité doit être connue. Je
suis pessimiste sur les possibilités de
transformer cette vérité en une arme
politique, mais la vérité doit néanmoins
être connue.
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