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Interview

« Afrique: la Russie de retour ! »

Mikhaïl Gamandiy-Egorov

Jeudi 2 juillet 2015

Propos recueillis par Jean-Marc Soboth

Fondateur du projet BRICS Dream présenté comme la «première marque vestimentaire au monde pour les citoyens et partisans des BRICS», Mikhaïl Gamandiy-Egorov est un journaliste-chroniqueur russe travaillant pour le Service francophone de l’Agence internationale Rossiya Segodnya (Sputnik France). Il est un fervent activiste du partenariat Afrique-Russie et, de manière générale, de la souveraineté des Etats face au «néocolonialisme sous toutes ses formes». Il s’exprime ici sur la nouvelle place de la Russie dans la géopolitique internationale et africaine.

Jean-Marc Soboth: Dans la lutte des Africains contre la secte salafiste Boko Haram, les autorités nigérianes – et, plus tard, camerounaises – ont dû recourir in extremis à la diplomatie russe pour recevoir du matériel de guerre et de surveillance supplémentaires. Abuja avait déjà avoué publiquement s’être vu refuser tout achat d’armes de guerre parce que les Américains s’y opposaient. La Russie deviendra-t-elle, ainsi, progressivement, le recours le plus décisif des Africains en matière de lutte contre le terrorisme et de stabilité ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Je l’espère fortement. Mais cela va dépendre de la volonté de chacun. En effet, la situation autour de Boko Haram a montré un certain nombre de choses aux pays menant une lutte contre cette secte, dont le Cameroun et le Nigeria. Tout d’abord les liens obscurs qui existent entre ladite secte et l’Occident. D’autre part, les tentatives occidentales de profiter de la présence de cette secte pour jouer le rôle de « faiseurs de paix » et pouvoir s’installer militairement dans les deux pays. Un scénario qui ne date pas d’aujourd’hui. Et enfin, le refus des élites occidentales d’aider véritablement les pays dont les forces armées mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme ont fait comprendre qu’il faut peut-être se tourner vers ceux qui respectent votre souveraineté et pour qui la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme n’est pas liée à des plans d’intervention néocolonialistes.

Jean-Marc Soboth: Pendant que les attaques meurtrières de Boko Haram battent leur plein en début décembre 2014, un aéronef cargo Antonov 124 doté d’un équipage russe est arraisonné à l’aéroport international de Kano par les autorités nigérianes. Paradoxalement, l’appareil russe contient du matériel de guerre français dont un hélicoptère de guerre Gazelle. On ne sait toujours pas exactement ni la provenance ni la destination finale dudit matériel. Toujours est-il que l’affaire fait l’objet d’âpres négociations diplomatiques dans lesquelles aurait été impliquée la Maison-Blanche et, semble-t-il, le Kremlin puisque le président François Hollande s’oblige à cet effet une escale imprévue à Moscou quelques jours plus tard. Avez-vous appris ce que charriait cette affaire étrange ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: C’est une affaire assez étrange effectivement. Mais je pense que pour connaitre la provenance et la destination finale du matériel de guerre qui se trouvait dans l’avion Antonov, il faut aller voir du côté de la Maison-Blanche et de l’Élysée. Quant au fait que l’avion ait été russe, il faut savoir que les avions Antonov, qui sont de très grands avions, sont très utilisés en Afrique dans le cadre de différentes missions internationales, y compris celles de l’ONU. Mais il faut savoir que leur utilisation se fait bien souvent sans la participation de la Russie. Lesdits avions peuvent être sous leasing et donc dans ce cas précis, il faut demander à la partie à qui appartenait le matériel de guerre à qui tout cela était destiné. D’ailleurs le ministère russe des Affaires étrangères avait également bien précisé que l’utilisation des Antonov en Afrique est une affaire courante et que la coordination avec la Russie est bien souvent minime. Quant à l’escale de François Hollande à Moscou, je pense qu’il y avait un certain nombre de questions qui devaient alors être discutées. Notamment l’affaire des Mistral et, peut-être aussi, cette question liée au matériel de guerre français transporté vers un destinataire qui nous laisse perplexes. En tout cas, la Russie n’avait rien à cacher dans cette affaire. À la différence de la partie française dont on voyait beaucoup de zones d’ombre.

Jean-Marc Soboth: L’Arabie saoudite et le Qatar sont officiellement soupçonnés par tous de financer la secte Boko Haram; or, la secte fondamentaliste est une cible déclarée des alliés de l’OTAN. Le même Qatar ainsi que la monarchie saoudienne accompagnent pourtant l’OTAN dans toutes ses campagnes militaires. On n’a pas oublié l’implication massive de l’armée et des forces spéciales qataries en Libye dans le cadre de l’opération United Protectors de l’OTAN, laquelle a fait le lit au chaos islamiste qui en a découlé. Que faut-il comprendre de la complexité de ces alliances pro-islamiques à multiples vitesses de l’Occident ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: L’Occident, ou plutôt ses élites, jouent à un jeu très dangereux: celui de s’allier avec des pays qui financent des groupes terroristes. Plus encore, permettre à ces pays d’investir massivement dans les pays occidentaux. Prenez l’exemple du capital qatari en France, pour ne citer que celui-là. Il y a pire: utiliser carrément des groupes terroristes pour déstabiliser et faire chuter les pays dont les gouvernements n’arrangent pas leurs intérêts néocolonialistes. On l’a parfaitement vu en Libye. On l’a vu et on le voit encore en Syrie. Les USA sont les champions des alliances avec les terroristes. Il suffit d’ailleurs d’aller un peu plus loin dans l’histoire et se rappeler leur « alliance » avec le mouvement extrémiste des Talibans en Afghanistan. Ils étaient présentés par les médias étasuniens comme de véritables « combattants de la liberté » à l’époque où ces Talibans combattaient le pouvoir socialiste afghan soutenu par l’Union Soviétique. Ces mêmes « combattants de la liberté » selon le mainstream étasunien sont devenus les ennemis à éliminer à tout prix pour les mêmes USA. Voilà leur politique.

Pour reprendre l’expression d’un certain nombre d’experts russes dans le domaine de la Défense, avec qui on a plusieurs fois discuté, il s’agit de « Laisser le djinn sortir de la bouteille pour atteindre leurs objectifs à court terme. Le problème c’est qu’après être sorti et avoir réalisé les vœux de ses maîtres, le djinn ne veut pas revenir dans la bouteille. Il devient donc lui aussi un ennemi à éliminer ». C’est l’une des caractéristiques de la politique étasunienne. Quant aux Européens, je parle bien évidemment de l’Union européenne, ce ne sont que des suiveurs. Ils n’ont pas de politique extérieure souveraine et indépendante. Tout est décidé à Washington. Bruxelles, Londres, Berlin et Paris ne font qu’appliquer.

Peut-on dire aujourd’hui qu’il y a au Kremlin, en cette ère post-soviétique, l’émergence progressive d’une véritable politique africaine de la Russie, au moins dans une optique de contrepoids au diktat unipolaire des alliés de l’OTAN ? S’agit-il simplement d’une politique des besoins ponctuels des Africains comme on l’a vu avec Boko Haram ?

Je crois que oui. La politique africaine de la Russie commence à revoir le jour. Et vous savez que je suis l’un des plus grands partisans d’une véritable alliance entre l’Afrique et la Russie, de l’axe Afrique-Russie. Depuis déjà un certain temps, on a vu une volonté réciproque de récréer des relations privilégiées entre les deux parties, semblable au temps de l’Union Soviétique. Beaucoup de spécialistes soviétiques avaient été actifs à différents endroits du continent africain. Je connais personnellement un certain nombre de ces gens qui, aujourd’hui, sont de hauts cadres de la Russie post-soviétique, mais qui, au temps de leur jeunesse durant la période soviétique, avaient été présents aux côtés des principaux mouvements de libération en Afrique, notamment le MPLA en Angola, l’ANC en Afrique du Sud, la SWAPO en Namibie…

Durant la transition post-soviétique, nous avons effectivement perdu pratiquement toutes les positions que nous avions en Afrique. Il faut le dire, notre pays était bien mal en point à cette époque qui a suivi l’éclatement de l’Union Soviétique.

Aujourd’hui, c’est une autre Russie qui est née : forte, indépendante, souveraine, fière d’elle. Et il y a toutes les raisons de croire que nous allons, ensemble, retrouver le niveau des relations que nous avions dans un passé pas si lointain que cela. Il faut de la volonté des deux côtés: c’est cela même le sens des relations entre nations souveraines. Mais ce qui me rend particulièrement heureux, c’est que la Russie a enfin compris qu’il faut renforcer très largement nos relations extérieures et ne pas se limiter à la proximité géographique. Seulement ainsi, la Russie pourra aller de l’avant et renforcer définitivement la place qui est la sienne dans l’arène internationale.

Jean-Marc Soboth: La Russie fait l’objet de sanctions économiques et diplomatiques multiformes des alliés de l’OTAN depuis l’année dernière au moins. Elles se sont étendues à certains méandres de l’économie comme le mécanisme de crédit américain Visa et Mastercard. Chaque jour, on clame dans les médias occidentaux que l’économie russe subit, subséquemment, une crise sans précédent qui fragilise le pays. On ajoute que la Russie ne peut, toutefois, pas se passer des revenus provenant de la livraison du gaz en Europe. Suspendre la livraison serait signer le suicide. La Russie est-elle vraiment asphyxiée? Comment fait-elle pour se protéger d’une nouvelle implosion aux causes exogènes du type que nous avons vécue sous Mikhaïl Gorbatchev ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Vous savez, les Occidentaux aiment souvent prendre leurs désirs pour la réalité. Le problème c’est qu’aujourd’hui leur hystérie atteint tellement le summum que cela tourne au ridicule… Non, l’économie russe est loin de se porter mal. Au contraire et j’assume pleinement ce que je dis : ces sanctions occidentales visant la Russie sont une véritable bénédiction pour nous. Et je pèse mes mots.

Comme je l’ai déjà dit précédemment, la Russie a enfin lancé le renforcement des alliances et des partenariats stratégiques avec les pays qu’on peut véritablement appeler pays amis. Personnellement, je faisais ces appels depuis plusieurs années. Les pays de l’espace eurasiatique, la Chine, l’Inde et les autres pays BRICS, l’Amérique latine et plusieurs États du continent asiatique (en dehors de la Chine et l’Inde), comme par exemple le Vietnam et l’Iran ou encore certains pays du monde arabe, et bien évidemment l’Afrique aussi, voilà notre priorité aujourd’hui. Ce sont là des pays et groupes de pays avec lesquels on peut parler de relations sincères et non pas une relation de «donneur de leçons à élève».

Maintenant parlons des pseudos « grands problèmes économiques de la Russie ». La monnaie russe, le rouble, avait effectivement perdu une partie considérable de sa valeur.  Elle a récupéré une bonne partie de cette valeur perdue face aux devises étrangères. Même les élites financières occidentales avouent que le rouble a prouvé toute sa fiabilité (Bloomberg par exemple). Quant aux livraisons de gaz, il faut se poser la question: qui a plus besoin de l’autre? Je dirais plutôt que c’est l’Union Européenne qui ne pourra pas se passer des livraisons de gaz russe. C’est une évidence. Les tentatives de Bruxelles de trouver d’autres options depuis plusieurs années n’ont abouti à rien. Quant à la Russie, on commence déjà à réorienter les priorités de livraison de notre gaz. Cette priorité est connue et c’est le géant gazier russe Gazprom qui le dit: il s’agit de la République populaire de Chine qui, au fil des années, augmente considérablement ses besoins en gaz. Je crois que vous m’avez compris.

Et pour finir, je crois que c’est l’Europe qui est en train de se faire véritablement asphyxier. Les élites bruxelloises, en suivant les prérogatives des USA, ont créé une situation véritablement catastrophique pour leurs producteurs. Car comme vous le savez, la Russie, en réponse aux sanctions occidentales, a fermé son marché à un certain nombre de produits agroalimentaires en provenance des pays occidentaux.

Cette mesure a frappé de plein fouet l’Union Européenne. Juste quelques chiffres pour comprendre: si l’Union Européenne poursuit à terme sa politique de sanctions contre la Russie, elle risque de se retrouver avec deux millions d’emplois perdus et 100 milliards d’euros de pertes financières. À vous de juger si c’est peu ou pas. Quant à la Russie, elle poursuit d’une manière efficace la politique donnant la priorité aux producteurs nationaux (qui sont d’ailleurs très ravis de l’aubaine) et aux producteurs des pays amis que j’avais déjà cités plus haut. Et je dois vous avouer que même si dans un avenir proche l’Union Européenne retrouve la raison et annule les sanctions visant la Russie, les producteurs européens auront énormément de mal à retrouver leurs positions d’antan sur le marché russe. Je crois d’ailleurs qu’ils ne pourront jamais retrouver la plupart des positions. C’est bien dommage pour les PME européennes. Il faut qu’ils disent « merci » à leurs élites !

La Russie, elle, ne fait que défendre ses intérêts nationaux.

Jean-Marc Soboth: Le vote de la résolution 1973 de l’ONU, prétexte à l’action militaire historique de l’OTAN contre la Libye du colonel Mouammar el-Kadhafi, n’a fait l’objet que d’une simple abstention russe, à côté des Chinois, des Cubains, des Vénézuéliens... La résolution fut, on s’en souvient, soutenue par des homologues de l’Union Africaine: Gabon, Nigéria et Afrique du Sud... Cette dernière est l’unique pays africain votant à en avoir dénoncé l’usage militaire frauduleux par l’OTAN. Mais alors que la Libye sombre dans le chaos islamiste, les références aux origines de ce drame semblent plutôt inexistantes de toutes parts. Qu’est-ce qui explique ce processus dilatoire dont l’objectif à terme est d’oublier qui a détruit la Libye ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Il y avait également d’autres pays africains en plus de l’Afrique du Sud qui avaient dénoncé l’intervention armée de l’OTAN, notamment le Zimbabwe et la Guinée équatoriale. Si on parle de la Russie, je dois vous dire que personne n’a oublié l’histoire tragique de la Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi. Au contraire, en suivant les différents débats entre experts russes, ce rappel revient souvent. Ce qui est arrivé à la Libye de Kadhafi est une véritable tragédie. Aussi bien pour le pays lui-même, que pour toute la région et tout le continent.

Jean-Marc Soboth: La Russie de Vladimir Poutine continue d’être critiquée en Afrique pour n’être pas intervenue à temps afin d’arrêter le massacre des Libyens par l’OTAN et, ainsi, éviter le chaos actuel? Que répondez-vous à cette accusation récurrente lorsqu’on sait qu’au Venezuela de Hugo Chavez ou en Syrie de Bachar el-Assad, la réaction russe fut plus concrète ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: C’est une question que l’on m’a déjà souvent posée et je vais être franc avec vous. La Russie a mal géré la crise libyenne. De même que la Chine. Dans le même temps, cela a servi de leçon aussi bien à Moscou qu’à Pékin et à tous les autres pays qui ne veulent plus accepter le diktat unipolaire de l’Occident.

En ce qui concerne la Russie, j’aimerai quand même rappeler que le président Vladimir Poutine n’était pas au pouvoir au moment des faits. Il était Premier-ministre. Et c’est là toute la différence. D’ailleurs, les critiques sur la façon dont nous avons géré la crise en Libye durant l’intervention de l’OTAN étaient nombreuses au sein du leadership russe. L’ambassadeur russe de l’époque en Jamahiriya libyenne (aujourd’hui ambassadeur en Mauritanie), Vladimir Tchamov, avait vivement critiqué l’inaction de notre pays pour empêcher l’intervention de l’OTAN en Libye.

En tout cas, la Russie et ses alliés ont définitivement compris qu’on ne peut pas permettre aux Occidentaux de faire ce que bon leur semble. Vous avez mentionné à juste titre le Venezuela et la Syrie. Il y a également un exemple plus récent en date: le Burundi. La Russie et la Chine ont bloqué au Conseil de sécurité de l’ONU la proposition de résolution française qui voulait interférer dans les affaires souveraines de cet Etat africain. 

Jean-Marc Soboth: L’offensive militaire française aux côtés d’alliés onusiens et des rebelles FRCI en Côte d’Ivoire en 2011 s’est dénouée par le déferrement à la Cour pénale internationale du président Laurent Gbagbo accusé de «n’avoir pas accepté le verdict des urnes» établissant la victoire du «président reconnu par la communauté internationale» Alassane Dramane Ouattara. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire s’apprête à se remettre en campagne présidentielle en Octobre 2015. L’objectif sera de sceller l’ordre entrepris par les bombardements français de 2011. Quel est, à votre avis d’observateur russe, l’avenir d’une Côte d’Ivoire dont le leader sans doute le plus populaire se trouve exilé à la Haye avec le soutien des Occidentaux et dont les principales figures politiques ont été arrêtées et/ou lourdement condamnées à défaut de demeurer en exil ? 

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Je vais également être franc sur ce point. Seuls les citoyens de la Côte d’Ivoire pourront décider de l’avenir de leur pays. Mais si vous me posez la question en tant qu’observateur russe, je dirais que tant que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé seront emprisonnés à La Haye, il n’y aura pas de réconciliation véritable en Côte d’Ivoire. Tant que les partisans du président Gbagbo, dont beaucoup sont en exil, ne pourront pas rentrer chez eux et participer à la vie politique de leur pays, on verra toujours des tensions. Il n’y aura pas d’avenir stable tant que Laurent Gbagbo sera emprisonné et tant que les forces externes continueront de considérer la Côte d’Ivoire comme leur colonie.

Jean-Marc Soboth: Le président français François Hollande a entrepris ces jours-ci une tournée africaine au moment même où l’image de la France est écornée auprès d’un certain public africain du fait d’interventions colonialistes intempestives. Néanmoins Paris tient un discours du statu quo. Pas de repentance. On ne lâche rien… C’est la continuité des «affaires» avec quelques aménagements éventuels, devant permettre de mieux voiler le rôle d’une France toujours désireuse de maintenir sa prégnance militaire, politique, économique et monétaire en ex-colonies. Comment, à votre avis, la France entend-elle s’y prendre pour affiner cette mainmise en pré carré ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la France, tout comme les USA, vont s’appuyer sur leurs agents locaux. La cinquième colonne a toujours existé et c’est une réalité partout. Pas seulement en Afrique. C’est le cas en Russie, en Europe occidentale, en Amérique latine... Partout, il existe des agents de l’étranger travaillant pour des intérêts néocoloniaux. Mais l’avantage aujourd’hui c’est qu’une partie importante de l’opinion publique africaine commence à comprendre les véritables enjeux qui visent leurs pays et leur continent. On le voit aujourd’hui notamment au Cameroun où la société civile s’est parfaitement organisée en résistance face aux prédateurs voulant déstabiliser leur nation. C’est un très bon signe. Donc, les Occidentaux auront de plus en plus de mal à garder indéfiniment leur mainmise. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut relâcher les efforts. Tout au contraire. Les forces néocoloniales, étasuniennes comme européennes, feront tout le nécessaire pour ne pas perdre leurs positions en Afrique. Ils vont employer tous les moyens pour étendre et renforcer leur diktat. Aux Africains de dire leur mot.

Jean-Marc Soboth: La Russie est pointée du doigt par la diplomatie américaine pour «l’annexion de la Crimée». On l’accuse de vouloir s’adjuger, en surcroît, les provinces russophones de l’Ukraine, voire plus encore. Cette partie du monde est, donc, de plus en plus militarisée par les alliés de l’OTAN en prévision. Les Américains disent vouloir anticiper sur les visées militaristes de la Russie. La Russie a-t-elle, d’après vous, des visées militaires annexionnistes non avouées dans cette région ? 

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Pour commencer par la Crimée, l’écrasante majorité des habitants de la Crimée se considèrent Russes et ce depuis plusieurs siècles. Le fait que la Crimée, au moment de l’éclatement de l’Union Soviétique, s’est retrouvée au sein de l’Ukraine était une erreur historique. D’ailleurs, les Criméens avaient déjà, au début des années 1990, organisé un référendum pour rejoindre la Fédération de Russie. Mais à l’époque et comme je l’ai déjà dit, la Russie était tellement mal en point que cette demande n’a pas été entendue comme il le fallait par les autorités russes de l’époque, si on peut parler d’autorités.

Quant au ralliement de mars 2014, ou ce «retour à la Mère-Patrie» comme le disent aussi bien les Criméens que les autres Russes, la conjoncture géopolitique a joué son rôle. S’il n’y avait pas eu de putsch armé à Kiev organisé et soutenu par les élites occidentales, il se peut que la réparation historique n’aurait pas eu lieu. Mais l’histoire ne tolère pas le conditionnel. Il y a eu un putsch armé dans la capitale ukrainienne réalisé par des extrémistes néonazis et ultra-nationalistes applaudis par l’Occident. Les habitants de la Crimée ont alors refusé de continuer à vivre au sein d’un tel « État ». Ils ont pris l’initiative d’organiser un référendum durant lequel l’écrasante majorité des habitants de la presqu’île: Russes, Ukrainiens, Tatars de Crimée, Arméniens, Grecs, Biélorusses, Karaïmes, ont exprimé le désir d’un retour à la Russie. Le gouvernement russe a soutenu cette demande.

D’ailleurs si cela n’avait pas été fait, cela aurait tout simplement été un acte criminel. Les Occidentaux oublient souvent ou font semblant d’oublier le Kosovo, où une bande armée, sans aucun référendum, avait arraché le berceau historique de la Serbie, le tout sous les applaudissements des élites occidentales et de leurs valets.

En Crimée, c’est l’écrasante majorité de la population qui a exprimé son désir et son droit à l’autodétermination (un droit reconnu par l’ONU) à travers un référendum démocratique durant lequel même des observateurs internationaux étaient présents et ont pu témoigner de la volonté populaire des Criméens.

Quant au Donbass, il a également préféré quitter l’Ukraine actuelle pour se focaliser sur l’indépendance. On a alors vu apparaître les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, formant ensemble ce qui est appelé « Novorossia » (Nouvelle-Russie), et qui constituaient dans le passé le poumon économique et industriel de l’Ukraine.

Et que ce soit en Crimée ou dans le Donbass, l’initiative de quitter l’Ukraine pour rejoindre dans le premier cas la Russie et dans le second opter pour l’indépendance, est due aux seuls habitants concernés. Dans le cas de la Crimée, il n’y a jamais eu d’annexion. Les Occidentaux comme leurs marionnettes kiéviennes le savent parfaitement. Il suffit d’ailleurs d’aller aujourd’hui en Crimée et parler aux habitants pour comprendre leurs motivations et leurs sentiments actuels.

Non, la Russie n’a pas de visées annexionnistes! Aucune. Bien que l’on observe aujourd’hui un désir du vouloir revivre ensemble au sein de plusieurs peuples de l’ex-Union Soviétique. Mais cela n’est pas dû à la Russie mais bien aux différentes populations ayant composé l’Empire russe puis l’Union Soviétique, y compris nous, les nouvelles générations.

Jean-Marc Soboth: Pendant la guerre froide, la Russie s’investissait massivement en Afrique noire aux plans militaire, politique, diplomatique voire culturel – formation en socialisme scientifique, assistance technique, apprentissage gratuit de la langue russe-pushkine, etc. Tout ceci relève du passé. Avec la conjoncture actuelle, jusqu’où pensez-vous que la Russie puisse revenir en scène en Afrique au moins dans une optique de contrepoids à l’unilatéralisme proaméricain pour défendre les peuples ployant sous le joug du capitalisme néocolonialiste ? 

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Avec la volonté de tous les concernés, on y arrivera. Personnellement, je travaille avec un certain nombre de mes proches et amis dans ce sens. Je sais qu’un nombre important d’intellectuels africains, de panafricanistes, ainsi que de représentants de la société civile souhaitent une participation plus importante de la Russie en Afrique. Cette volonté est partagée par un nombre considérable de représentants russes, y compris au plus haut niveau. Donc on y arrivera, je suis optimiste. D’ailleurs, et vous l’avez bien noté en terme de contrepoids, la multipolarité c’est aussi cela face au diktat du néocolonialisme étasunien et plus largement occidental.

Jean-Marc Soboth: D’une manière générale, très peu de Russes suivent les informations sur les chaînes occidentales. À Moscou, à Saint-Pétersbourg et ailleurs, on s’exprime très peu en anglais. Comment est néanmoins perçue en Russie la campagne des médias mainstream ou l’activisme des démocraties occidentales à l’égard du régime du président Vladimir Poutine qui, du côté des peuples du tiers-monde, semble considéré comme un héros ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: Vous savez, je pense qu’un nombre non moindre de Russes suivent les chaînes occidentales. Prenez Euronews, pratiquement chaque foyer russe peut suivre cette chaine de télévision. Mais ce qui est certain, c’est que l’écrasante majorité des citoyens de Russie soutiennent aujourd’hui la politique de leur président. Ce n’est donc une surprise pour personne qu’aux tout derniers sondages, le niveau de soutien à Poutine approche désormais les 90% de citoyens russes. Un chiffre à l’opposé total des niveaux d’appréciation des Obama, Cameron, Hollande & Co. par leurs propres peuples.

Cela prouve donc que malgré toutes les campagnes occidentales menées contre Vladimir Poutine et la Russie en général, relayées par la cinquième colonne sur place, ils n’aboutissent pas. Cela ne mène à rien. La société russe, au contraire, se cimente. La popularité du président russe, elle, bat les records en Russie, et également dans beaucoup d’autres pays, notamment en Chine, en Amérique latine, en Afrique et même dans ces mêmes pays occidentaux dont les élites politiques et médiatiques font pourtant tout pour ternir son image.

Jean-Marc Soboth: Que vous suggère le rapprochement historique entre Cuba, pays symbolique pour les peuples dominés en lutte, et leur ennemi de toujours américain? Dans le change, les peuples dominés ne perdront-ils pas là un allié de taille suite au retrait définitif de l’homme qui a bâti le système anti-impérialiste: Fidel Castro ?

Mikhaïl Gamandiy-Egorov: On connaît bien Cuba et le peuple cubain. C’est un peuple digne et fier qui a d’ailleurs tellement fait de bonnes choses aussi bien en Amérique latine qu’en Afrique lors des luttes de libération nationale. J’en ai discuté avec mes amis et collègues cubains. On voit parfaitement qu’ils ne se font aucune illusion quant aux intentions des USA. Au contraire, les Cubains voient cette tentative de rapprochement initiée par les USA comme une victoire de leur dignité nationale, de leur révolution, face à l’impérialisme qui a fini par céder malgré l’énorme pression qui a été exercée sur Cuba.

Ce pays a dû vivre une période très difficile, non seulement après plus d’un demi-siècle d’embargo américain, mais également au moment de l’éclatement de l’Union Soviétique. Malgré tout cela, Cuba a réussi à rester ce qu’elle est. Et c’est aujourd’hui les USA qui finissent par céder tout en ayant des plans malsains vis-à-vis de Cuba. On peut en être certain.

Mais Cuba et le peuple cubain sont sur leurs gardes. Cuba est devenue une grande source d’inspiration pour la très grande majorité des pays d’Amérique latine qui, aujourd’hui, sont unis contre le diktat étasunien, ayant réussi à former ensemble un bloc à part entière dans notre monde multipolaire devenu réalité.

Jean-Marc Soboth, journaliste

 

 

   

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Source : Allain Jules
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