Interview de
Mikhaïl Gamandiy-Egorov
La Voix de la Russie
De nouvelles révolutions de couleur
en Afrique et ailleurs à l’horizon
Luc Michel

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fournie par l'auteur
Jeudi 25 décembre 2014
Entretien
avec Luc Michel. Partie 2. Suite de la première
partie de l’entretien
LVdlR : Vous avez
affirmé aussi dans l’une de vos
interventions que « l’ombre de la
marionnette française cache la réalité
du marionnettiste étasunien ».
Expliquez-nous.
Luc Michel
: Je suis aussi, comme vous le
savez, au terme d‘un parcours commencé
en Jamahiriya libyenne il y a 20 ans,
devenu un leader panafricaniste écouté.
Mon jugement n’est donc pas ici celui
d’un observateur externe. Beaucoup de
panafricanistes ont une vision du passé,
un logiciel bloqué il y a 10, 20 ou 50
ans. La haine justifiée de la
Françafrique leur occulte la réalité de
la recolonisation de l’Afrique par les
USA. Le retour de la France dans l’OTAN
organisé par Sarkozy en 2007, la
création de l’Africom, le commandement
unifié de l’US Army pour l’Afrique par
Bush en 2007-2008, sont les marques de
naissance d’une nouvelle donne
géopolitique en Afrique. Lors du «
sommet USA-African Leaders » de
Washington début août 2014, Obama a
annoncé une vague de changements de
régime sur le continent. Les cibles
principales annoncées sont toutes, à
part Mugabe et Kagame, des présidents
des pays de l’ex « pré carré français »
: Obiang Nguema Mbasogo, Kabila, Biya,
Idriss Déby Itno … Le Gabon est la
première tentative d’imposer ce
changement de régime par les méthodes
habituelles des USA : révolution de
couleur ou soi-disant « printemps arabe
». Et le livre de Péan est le
détonateur, volontaire ou involontaire
il est encore trop tôt pour le dire,
d’une opération de déstabilisation
politique
LVdlR : On a
suivi les événements du Burkina-Faso.
Après les cris de joie qui ont suivi la
chute du dictateur Blaise Compaoré,
marionnette néocoloniale, responsable
par ailleurs de l’assassinat de l’un des
plus grands leaders du pays et
d’Afrique, Thomas Sankara, le père de la
révolution burkinabè. Responsable aussi
de déstabilisation et d’organisation de
rébellion en Côte d’Ivoire voisine.
Pourtant aujourd’hui, de plus en plus de
voix s’élèvent pour dénoncer les
tentatives de voler cette révolution. Un
commentaire là-dessus ?
Luc Michel
: Dans les prémisses de la
révolution burkinabè on retrouve
incontestablement les réseaux Soros,
notamment l’ICG (au conseil duquel le
financier siège).
Dès les premières heures de
la Révolution Burkinabé, j’avais exprimé
sur les plateaux d’AFRIQUE MEDIA TV mes
inquiétudes sur la récupération du
soulèvement par les hommes des
Occidentaux, l’armée en tête.
J'affirmais que ce seraient les agendas
de Washington et Paris – qui ne sont pas
identiques – qui domineraient in fine.
La suite des événements a confirmé mes
craintes. La transition civile, imposée
par Washington sous peine de sanctions,
et contre le plan français initial
(intervention des troupes françaises), à
peine entamée au Burkina Faso, le
lieutenant-colonel Isaac Zida, qui avait
pris le pouvoir fin octobre à la chute
de Blaise Compaoré, a été nommé Premier
ministre, signe que l'armée va conserver
toute son influence dans le jeu
politique.
Le colonel Zida, devenu
général, est surtout l’homme des
Occidentaux, aussi bien de Paris que de
Washington : « Dans les heures qui
avaient suivi la chute de Compaoré, les
hauts gradés de l'armée avaient préféré
Zida au chef d'état-major des armées, le
général Nabéré Honoré Traoré, qui
s'était déclaré mais que beaucoup
considéraient comme trop proche de
l'ancien président. Le
lieutenant-colonel est, lui, connu pour
être un proche du général Gilbert
Diendéré, le chef d'état-major
particulier de l'ex-chef de l'Etat. Zida
a exercé entre 2008 et 2009 comme Casque
bleu au sein de la Mission onusienne en
République démocratique du Congo ».
Durant la crise ivoirienne (2002-2011),
il fut un officier de liaison dans le
cadre de la médiation menée par Blaise
Compaoré. Et plus grave encore, il a
suivi en 2012 une formation
antiterroriste en Floride (Etats-Unis),
c’est-à-dire sous le contrôle des
grandes agences US, dont la CIA, à la
tristement célèbre « Ecole des USA », la
fabrique des tortionnaires made in
USA.
LVdlR : Autre
cas intéressant, le Cameroun. Paul Biya
qui était longtemps considéré, à tort ou
à raison, comme étant l’un des favoris
du système néocolonial français,
s’éloigne aujourd’hui de plus en plus de
ce système. On le voit notamment avec la
Chine qui est devenue le partenaire
privilégié du Cameroun et le
rapprochement récent avec la Russie.
Parallèlement, on assiste à des
tentatives de déstabilisation de plus en
plus visibles et évidentes contre ce
pays, notamment via ladite organisation
terroriste islamiste « Boko Haram ». Le
Cameroun doit-il s’attendre selon vous à
une déstabilisation agressive dans un
avenir plus ou moins proche bien que et
il faut le noter beaucoup de Camerounais
comprennent aujourd’hui la réalité de la
déstabilisation extérieure qui vise leur
pays, y compris au sein de l’opposition
au gouvernement ?
Luc Michel
: Une première remarque. Le
Cameroun a vu aussi l’intervention des
réseaux Soros et de son ICG, qui a
publié un rapport sur le Cameroun.
Le mode politique et la
presse camerounaise ont pris aujourd’hui
conscience de ce qui est une politique
néocoloniale agressive des USA au
Cameroun et ailleurs. Par exemple,
Orientations Hebdo expliquait en octobre
dernier qu’ « Obama somme Biya de
quitter le pouvoir en 2015 s'il ne veut
pas connaître une fin tragique par
assassinat comme Kadhafi ou la CPI comme
Gbagbo ». Pourtant du point de vue
légal, les prochaines échéances
électorales pour la présidentielle au
Cameroun sont prévues seulement en 2018.
Ce qui revient à dire que Barack Obama
demande à Paul Biya de laisser son siège
à quelqu'un de son choix. « Alors dans
ce cas Obama prône t-il la démocratie ou
la dictature ? » interrogeait l’hebdo
camerounais…
Cette semaine encore c’est
un média d’influence occidentale,
l’hebdo parisien Jeune Afrique qui lance
une grande offensive contre le régime de
Paul Biya…
LVdlR : Et
en République démocratique du Congo,
Kabila est aussi ciblé ?
Luc Michel
: Le président de la
République démocratique du Congo, Joseph
Kabila, qui a été un des tous premiers
ciblés par Washington et tancé par John
Kerry lors du sommet de Washington début
août dernier, a déclaré il y a dix jours
à Kinshasa qu'il n'acceptait pas les «
injonctions » de l'étranger relatives à
la tenue des prochaines élections dans
son pays. « De nos partenaires, et
pourvu que cela soit fait dans le
respect de notre souveraineté, nous
sommes toujours prêts à recevoir des
avis, conseils et suggestions, mais
jamais des injonctions », a déclaré M.
Kabila dans un discours devant les deux
chambres du Parlement réunies en
Congrès.
C’est un NON définitif à
Obama. Et cela laisse augurer d’une
future tentative de « révolution de
couleur » à l’africaine contre le régime
Kabila. Depuis la Conférence Afrique de
la NED, les 5-6 août dernier, un
appareil de presse anti-Kabila
s’organise en tout cas très rapidement.
LVdlR : Le
Burundi est aussi dans le collimateur de
Washington ?
Luc Michel
: John Kerry s'est
entretenu dès l’ouverture du Sommet de
Washington avec le président burundais
Pierre Nkurunziza devant qui il a plaidé
pour le « respect de la loi, de
l'appareil judiciaire, de l'armée et
d'institutions qui protègent les
citoyens ». Le chef de l'Etat burundais
lui a répondu, en français, que son pays
était en « post-conflit » et qu'il «
savourait aujourd'hui les dividendes de
la paix ».
Depuis de nombreux mois,
les capitales occidentales et des
organisations occidentales des droits de
l'homme, toujours les mêmes, «
s'inquiètent d'une montée des tensions
sur fond de violence politique et
d'entraves aux libertés au Burundi », à
l'approche du scrutin de 2015 dans ce
pays des Grands Lacs sorti en 2006 de 13
ans de guerre civile.
LVdlR : Pour
en terminer avec l’Afrique, ce Sommet de
Washington en août dernier, qui revient
sans cesse, a donc été un véritable
piège pour les dirigeants africains ?
Luc Michel
: Indubitablement ! Au premier
jour des discussions, le vice-président
Joe Biden a d'abord appelé les leaders
africains à lutter contre « le cancer de
la corruption » tandis que le secrétaire
d'Etat américain John Kerry insistait
sur la nécessité d' « une société civile
forte, le respect pour la démocratie,
l'Etat de droit et les droits de l'homme
». Un thème cher à Soros avec son Open
Society. Au fur et à mesure que la
grand-messe du sommet battait son plein
à Washington, de plus en plus la cible
américaine apparaissait en pleine
lumière : implication US en Afrique,
contre la Chine mais aussi l’UE, et
surtout les changements de régime.
Le 5 août, Kabila
rencontrait John Kerry. Et le président
de la RDC a du se faire sonner les
cloches sans aucun doute. La RDC est,
avec le Rwanda, le centre de la nouvelle
implication des USA dans la région des
Grands Lacs. Et Washington ne veut pas
d’un troisième mandat de Kabila et le
fait savoir inlassablement. Le 5 août,
Obama, lui, dans une journée pourtant
consacrée à l’économie, a réussi à
insister lourdement sur les changements
de régime. Obama a insisté sur « la
responsabilité des dirigeants africains
dans la mise en place d'un environnement
politique propice au développement
économique ».
La grande messe américaine
sur l’Afrique s’est terminée le 6 août.
Les chefs d’Etat
africains, mêlés à une multitude
d’intervenants américains et africains,
ONG, intellectuels, militants
pro-américains, tous qualifiés
indistinctement de « leaders africains
», ont assisté aux trois sessions du
Sommet proprement dit : « investir dans
l’avenir de l’Afrique », « paix et
stabilité régionale » et « bonne
gouvernance ». Un grand show de
communication de l’administration Obama.
Certains diront de propagande.
LVdlR :
Passons maintenant sur deux autres
continents, en Asie et en Amérique du
Sud. La récente tentative d’une
révolution de couleur à Hong-Kong et les
maintes tentatives de renversement de
gouvernements légitimes en Amérique
latine, notamment au Venezuela, nous
annoncent-elles dans un avenir proche
des déstabilisations au niveau global
contre tous ceux qui refusent le diktat
étasunien ? Et après le putsch
anticonstitutionnel en Ukraine, et donc
aux frontières russes, doit-on
s’attendre à une tentative de scénario
semblable chez notre allié chinois ?
Luc Michel
: C’est déjà fait avec la «
révolution des parapluies » à Hong-Kong
! C’est la version chinoise des «
révolutions de couleur » qui a démarré
avec « Occupy Honk-Kong » et la
soi-disant « révolution des parapluies
». Une déstabilisation qui vise Pékin et
fait la Une de l’actualité depuis
septembre dernier. On en est très
conscient en Chine. J’ai aussi consacré
une émission duGrand Jeu à
Hong-Kong. J’y ai diffusé un document
qui fait le buzz sur les réseaux sociaux
: « THE FALSE FLAG », les « révolutions
de couleur » décryptées par une TV
chinoise. Car en Chine comme en Russie,
on a appris à identifier la subversion
made in USA.
Quant au Venezuela,
tentatives de révolutions de couleur sur
tentatives s’enchaînent depuis plus de
dix ans. Après Hugo Chavez, que l’oppositionmade
in USA appelait « la bête »,
c’est Nicolás Maduro qui est visé. OTPOR
a une section au Venezuela, la JAVU…
LVdlR : Les
adversaires des USA sont souvent taxés
de « complotisme ». Vous êtes connu pour
être un adversaire des théories du
complot. Mais confirmez-vous que ce sont
les mêmes réseaux, les mêmes financiers,
que l’on retrouve derrière toutes ces
vagues de changements de régime depuis
le début du siècle ?
Luc Michel
: Ces changements de régime,
orchestrés par des spécialistes de la
subversion au bénéfice des USA, sont nés
dans la Yougoslavie du président
Milosevic en 2000. Depuis elles ont
essaimé dans toutes l’Europe de l’Est,
notamment en Géorgie et en Ukraine.
Elles ont échoué au Belarus contre
Loukachenko et en Russie contre Poutine.
Elles ont aussi gagné l’Amérique latine
contre Chavez et puis Maduro. Et elles
ont connu une version moyen-orientale
avec le soi-disant « printemps arabe ».
Sans oublier les divers « Occupy » aux
USA (Occupy Wall Street) et en Union
Européenne (Occupy Madrid, Occupy
Brussels), organisés par le sinistre
Soros, l’un des financiers de ces «
révolutions » avec son « Open Society »,
pour des raisons liées à des
confrontations internes au sein des
oligarchies financières internationales.
Il y a bien incontestablement un « deus
ex machina » américain derrière tous ces
changements de régime.
LVdlR : Pour
finir, quelles sont selon vous les
solutions afin de contrer toutes ces
déstabilisations macabres, aussi bien au
niveau de l’Afrique que du reste du
monde ? Quelles actions devraient
entreprendre les panafricanistes pour
pouvoir enfin libérer leur continent si
longtemps martyrisé ?
Luc Michel
: Il faut tout d’abord un travail
d’information. Car le succès des
révolutions de couleur repose sur
l’ignorance par les masses des
manipulations dont elles sont victimes.
Comme le démontre la récupération de la
révolution burkinabè. Il faut cibler,
identifier, dévoiler les réseaux, les
organisations et les hommes de la 5e
colonne US en Afrique. C’est la première
étape.
La seconde étape c’est un
travail de lobbying pour faire adopter
des législations interdisant le
financement des campagnes de
déstabilisation US par l’argent sale
américain. Et l’obligation d’un statut
public d’ « agent de l’étranger » pour
la 5ecolonne US en Afrique. Il faut que
l’Afrique s’inspire de ce qui s’est déjà
fait en Russie, au Belarus et ailleurs
pour contrer les révolutions de couleur
et leurs agents.
LVdlR : Ne
pensez-vous pas que la Russie, la Chine,
les autres nations BRICS et nos alliés
en général devraient en réponse aux
déstabilisations qui nous visent,
soutenir les mouvements de contestation
dans les pays dont les gouvernements
veulent nous forcer à retourner à l’ère
unipolaire ? Je pense notamment à la
mobilisation actuelle contre les crimes
racistes aux USA. Ou bien notre approche
serait trop différente de celle de nos
ennemis ?
Luc Michel
: Vous prêchez un convaincu. Nous
ne sommes pas différents. Simplement
l’ennemi est organisé, expérimenté,
financé. Mais les capitales des BRICS,
Russie en tête, subissent depuis 15 ans.
C’est partout la défensive alors que la
meilleure défense c’est l’attaque. En
particulier il faudrait un véritable
programme de soutien à l’opposition
véritable et aux médias alternatifs dans
les métropoles occidentales, à commencer
par les pays de l’UE. L’ennemi
américain, car il faut désigner l’ennemi
sans hésitations, n’est fort que de
notre manque de moyens. C’est l’un des
soucis permanents depuis 30 ans de mon
organisation transnationale.
LVdlR :
Merci pour vos commentaires !
Luc Michel
: Je vous remercie de m’avoir
permis de m’exprimer sur ce sujet
capital, qui nous concerne tous. Vous
savez que mon action s’exerce en Eurasie
et en Afrique. Mon point de vue est
celui d’un acteur engagé sur tous les
fronts. Je pense qu’un Front uni
quadricontinental reste la solution
efficace contre cette volonté US de
domination mondiale, dont les
révolutions de couleur ne sont qu’un des
instruments.
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