Syrie
Interview et appel au Pape François
Docteur Nabil Antaki
Photo:
D.R.
Vendredi 29 mai 2015
Docteur Nabil, sur la base de votre
expérience, que pensez-vous des rapports
de Amnesty international et Médecins
sans frontières qui parlent d’une Alep
détruite (et des hôpitaux) par les
Barrel Bombes de l’armée syrienne ?
Alep est divisée en 2
parties, la partie Est avec 300, 000
habitants, est aux mains des groupes
armés et la partie Ouest avec 2 millions
d'habitants est sous contrôle de l'état
syrien. Nous ne savons pas ce qui se
passe dans l'autre partie de la ville.
Donc je ne peux ni confirmer ni
démentir. Mais je sais 2 choses : 1- Nous sommes bombardés quotidiennement
par les rebelles et beaucoup d'hôpitaux
de notre côté de la ville ont été
détruits, brûlés ou endommagés par les
rebelles
2- Nous sommes dans une situation de
guerre et il est possible que des bombes
tirées par l'armée syrienne aient touché
un hôpital mais c'est sûrement pas
intentionnellement. Les américains et
les occidentaux avec leurs armes très
sophistiqués ont ratés souvent leurs
cibles et causé des "dommages
collatéraux".
Ce que je reproche à Médecins sans
frontières, c'est qu'ils ne rapportent
que les souffrances de l'autre côté de
la ville, côté rebelles et jamais les
souffrances de notre côté. Leurs
rapports sont biaisés.
Que pensez-vous de la
proposition de Sant ’Egidio et de
l’ancien ministre Riccardi, de faire
d’Alep une “ville ouverte”, et aussi
d’introduire une no-Fly zone ?
L'initiative de Sant
‘Egidio était bonne quand elle
avait été lancée en juillet 2014 quand
l'eau avait été coupée d'Alep (par les
groupes armés) pendant 70
jours consécutifs. Il fallait “sauver
Alep d'abord". Maintenant cette
initiative est dépassée.
Nous n'avons plus besoin qu'Alep soit
déclarée ville ouverte et que des
couloirs humanitaires soient ouverts.
Bien que la situation soit mauvaise,
Alep n'est plus soumise à un blocus
comme il y a un an et demi. Les
personnes et les produits entrent et
sortent par une route que le
gouvernement a percé il y a 17 mois. Les
vivres rentrent, personne ne meurt de
faim même si 80% de la population reçoit
une aide alimentaire. Oui, la ville est
encerclée mais il y a toujours cette
route qui nous relie à l'extérieur. La
ville est sinistrée mais les gens
continuent à vivre en s'adaptant à la
pénurie d'eau, d'électricité... Donc,
actuellement les avantages de la
proposition de Sant ‘Egidio sont moins
importants que le danger d'une no-Fly
zone et d’une force d’interposition qui
avantageraient les groupes armés et
mettraient la ville et ses habitants en
danger, à la merci de de Nosra.
Pourquoi même les groupes chrétiens sur
place hésitent à parler des causes de
leur souffrance ?
Vous avez raison
quand vous dites que nous parlons
seulement de la souffrance des Alépins
et non des causes. Nous le faisons pour
beaucoup de raisons :
1- pour être audible
de l'opinion publique occidentale qui a
été tellement désinformée que des
déclarations politiques disant la vérité
ne sont pas lues, écoutées ou prises en
compte. Donc, à partir des souffrances
des Alépins et des Syriens, on arrive à
faire passer le message que les rebelles
armés sont responsables de la souffrance
des syriens et ou, au moins,
co-responsables. Que d'amis intimes
occidentaux j'ai perdu au début des
évènements parce que je leur disais la
vérité sur les interférences ; ils me
répondaient : vous les arabes, vous
voyez des complots partout. J'utilise
maintenant une autre tactique : je ne
parle plus de complot ou de plan
préétabli mais je dis que ce qui s'est
passé et ce qui se passe actuellement en
Syrie n'était pas "spontané" et mon
discours est accepté. L'important est de
faire passer le message.
Puis les gens ont peur pour leurs vies
et donc parlent seulement des
souffrances et non des causes et des
responsables de nos malheurs. Ils ont
peur d'être tués. Il est plus facile de
parler quand on vit à l'extérieur de la
Syrie.
Que pensez-vous des
medias qui parlent d’Alep et de la
Syrie ? Pourquoi ils croient à des
sources non fiables ? Pourquoi par
exemple ils décrivent comme des anges
les “casques blancs” d’Al Nosra ?
Les journalistes qui
nous interviewent orientent toujours
l'interview vers l'humanitaire et
refusent qu'on parle d'autres
choses. Néanmoins, nous essayons de dire
la vérité. Dans tous mes écrits, je dis
que nous sommes bombardés par les
groupes armés rebelles qui nous envoient
des mortiers, des fusées et des
bonbonnes de gaz remplies d'explosifs et
de clous. Dès 2011, les syriens ont su
que ce qui se passait n’était pas une
révolution pour amener en Syrie plus de
démocratie, plus de respect des droits
de l’homme et moins de corruption. Les
Syriens savaient, dès le début, que « le
printemps arabe » était la nouvelle
appellation de « chaos constructif » de
ezza Rice et « du nouveau
Moyen-Orient » de l’administration Bush
et que ce « printemps » en Syrie allait
aboutir soit au chaos et à la
destruction du pays soit à un état
islamique. Malheureusement, les 2
alternatives vont peut-être réussir.
Pour revenir aux medias occidentaux. Ils
n’ont qu’une seule source d’information,
l’observatoire syrien des droits de
l’homme basé à Londres, qui cache, sous
un nom très crédible, une officine qui
diffuse de la désinformation.
Le
jour de prière pour la Syrie organisé
par le pape François en sept 2013 a été
très important, a contribué à éviter les
bombardements américains suite à la
désinformation sur les armes chimiques à
Ghouta. Que pensez-vous qu’il pourrait
faire maintenant ? Que lui dire ?
Je dirai au Pape
François : Dès le 1er
jour de votre Pontificat, les Syriens
vous ont aimé et vous ont adopté. Vos
différentes déclarations, homélies,
tweets sont beaucoup appréciées et
diffusées chez nous. On sent que, chez
vous, l’évangile est au centre de tout,
faisant fi de la bureaucratie et du
politiquement correct d’une fausse
diplomatie.
Vous
avez demandé plus d’une fois aux
chrétiens de Syrie (et du Moyen Orient)
de ne pas quitter la terre de leurs
ancêtres, de s’attacher à leurs racines
pour donner un sens à leur appartenance
et leur présence en Syrie. Ce, à quoi,
mon groupe et moi, nous nous efforçons
de faire depuis des décennies (cf. cette
vidéo d’un montage que nous avions
réalisé il y a 20 ans). Les différentes
organisations catholiques
internationales (et beaucoup d’ONG dont
la nôtre) font de leur mieux pour
soulager les souffrances des Syriens et
en particulier des chrétiens sur le plan
humanitaire.
Saint Père,
nous vous implorons de faire autre
chose. Les déclarations, le soulagement
des souffrances, l’incitation à rester
au pays n’ont pas empêché la moitié des
chrétiens d’Alep de quitter
définitivement. Les chrétiens de Syrie
ont peur doublement : peur physiquement
des fanatiques islamistes de Daech et
aussi peur de perdre leur ’avenir et
celui de leurs enfants à force de
patienter et d’attendre la fin du
conflit. Si vous voulez que l’autre
moitié des chrétiens reste, il faudrait
arrêter la guerre. Nous vous implorons
d’user de votre autorité morale, de
votre prestige incontestable pour faire
pression sur les différents
gouvernements afin qu’ils cessent
d’armer et de financer les groupes
armés, qu’ils luttent effectivement
contre Daech et qu’ils fassent arrêter
le passage des terroristes par notre
frontière nord. Pour qu’une solution
politique négociée puisse aboutir, il
faudrait que l’opposition accepte le
gouvernement actuel de la Syrie parce
qu’on ne peut pas négocier avec
quelqu’un dont on exige, au préalable,
le départ.
Saint Père,
seul, Vous, pouvez faire quelque chose
pour arrêter la destruction de notre
beau pays, pour arrêter la mort de
centaines de milliers d’êtres humains et
pour permettre aux chrétiens de Syrie de
rester, ou de retourner, dans leur pays.
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