Entretien
Andre
Vltchek : «Les dogmes chrétiens ont
causé de terribles dommages»
Entretien réalisé par
Mohsen Abdelmoumen
Andre
Vltchek. D.R.
Dimanche 14 septembre 2014
Mohsen
Abdelmoumen : Vous avez récemment
envoyé une lettre ouverte à votre ami le
président Nicolas Maduro, rendue
publique dans la presse, où vous
mentionnez la nécessité de prendre les
armes si nécessaire pour combattre le
plan occidental qui vise à recoloniser
le monde. Croyez-vous en la nécessité
d’une résistance globale à
l’impérialisme et au néo-colonialisme
qui intensifient leur agression ?
Andre Vltchek : L’impérialisme
ne disparaît jamais volontairement et il
ne laisse jamais en paix. Tout au long
de ces siècles, les gens ont dû lutter
pour leur liberté et pour une véritable
indépendance. Ils ont dû se battre.La
même chose se passe maintenant envers
les pays qui ne veulent pas se soumettre
à la terreur et au contrôle du monde
occidental, des pays debout et fiers,
défendant leur patrie au péril de leur
existence : le Venezuela et Cuba,
l’Equateur et la Bolivie, la Chine et la
Russie, l’Iran et l’Erythrée, le
Zimbabwe et beaucoup d’autres, sur tous
les continents.
En tant
qu’intervenant dont l’expérience est
internationalement reconnue et qui est
invité dans les plus prestigieuses
universités du monde, pensez-vous que
l’Occident est destiné à continuer sa
politique d’incendier la planète ? Le
fait-il, comme il l’affirme par exemple
en Ukraine et au Venezuela, pour
propager les valeurs de la démocratie et
des droits de l’Homme ou seulement pour
ses propres intérêts économiques ?
Je n’ai absolument
aucun doute que l’Occident est prêt,
comme vous dites, à «incendier la
planète» et à la réduire en cendres, si
celle-ci résiste à ses plans de contrôle
total et même si elle ne résiste pas. Le
grand psychanalyste suisse Carl Gustav
Jung utilisait les termes «maladie» et
«pathologie» pour décrire la culture
occidentale. Elle a infligé des
souffrances indicibles aux peuples du
monde sur tous les continents. Les
formes d’oppression varient, mais les
résultats sont les mêmes : la peur,
l’oppression, l’humiliation et un
quasi-esclavage. Le christianisme a
toujours été à l’avant-garde de la
propagation de la terreur. En son nom,
des centaines de millions, voire des
milliards d’hommes, de femmes et
d’enfants ont disparu, ont été violés et
réduits en esclavage. Aucune autre
religion ou idéologie que le
christianisme n’a apporté de telles
souffrances à la population de notre
planète. Et si vous examinez de plus
près, la terreur chrétienne – ses
mécanismes de propagation de
l’ignorance, le nihilisme, le pessimisme
et la peur consécutive – est toujours
mise en œuvre par les centres de pouvoir
occidentaux, à travers la manière dont
tant les USA que l’Union européenne
gouvernent le monde. Les dogmes
chrétiens ont causé de terribles
dommages au monde : de l’obscurité de
l’Inquisition catholique et du
calvinisme protestant, où les prêtres et
les prédicateurs sexuellement frustrés
violaient et torturaient à mort toutes
les femmes innocentes qu’ils désiraient,
en les diabolisant pour les posséder (et
les assassiner brutalement après, pour
laver leur propre culpabilité… cette
culpabilité chrétienne constante !), des
Croisades menées pour piller et asservir
le monde, jusqu’à aujourd’hui, avec
cette propagande protestante qui est
maintenant largement diffusée dans
presque tous les médias de masse qui
rayonnent dans et par l’Occident.
Dans votre livre
coécrit avec Noam Chomsky, Sur le
terrorisme occidental, vous décrivez
une situation catastrophique.
Pensez-vous que le terrorisme soit vital
pour l’Occident ?
Oui, bien sûr qu’il
l’est. Et il l’est depuis bien des
siècles. C’est justement parce que
l’Ouest a été si brutal et si
militairement puissant qu’il a réussi à
envahir et asservir presque toutes les
parties de la planète pour ensuite
écrire sa propre interprétation de
l’histoire du monde, une histoire
totalement tordue et qui présente la
culture occidentale et le système
politico-économique comme
«démocratiques», «libres» et
«humanistes».
Pouvez-vous nous
parler de votre article de presse
«L’Occident fabrique des mouvements
d’opposition» ? N’est-ce pas ce qui est
en train de se passer au Venezuela, en
Ukraine et auparavant en Syrie ?
Bien sûr que c’est
ce qui se passe ! Je rentre juste
d’Ukraine et j’ai travaillé à la
frontière turco-syrienne, au Venezuela,
au Bahreïn, à Cuba, au Zimbabwe, en
Thaïlande, et presque partout où
l’Occident sort de son chemin pour
«fabriquer une opposition politique»
contre les Etats et les régions du monde
qui sont déterminés à défendre les
intérêts de leur propre peuple. Tout
cela parce que les pays en dehors de
l’Europe, de l’Amérique du Nord ou
encore l’Australie, le Japon et la
Nouvelle-Zélande s’attendent et sont en
réalité conditionnés à se sacrifier pour
les intérêts de ceux qui dirigent la
planète. S’ils ne le font pas, ils sont
battus, détruits, affaiblis, leurs rêves
sont brisés et ils finissent dans
quelque cachot physique ou
psychologique. C’est comme un enfant
élevé dans une famille très
conservatrice et tyrannique pour
«satisfaire» ses parents et les rendre
«fiers». Les parents peuvent être de
quelconques personnages assoiffés
d’argent, ayant subi un lavage de
cerveau, de dangereux bandits et de faux
prédicateurs, l’enfant est toujours prêt
à mourir pour les servir. Si le père
sourit, sa fille se sent fière, même si
elle a sacrifié sa vie pour une totale
idiotie, pour rien. C’est ce que les
pays et les nations subordonnées sont
censés ressentir. Ils sont traités comme
des chiens, comme des esclaves, bien
pire que ce que subissent les animaux à
Londres ou à Paris – oui, bien pire –,
mais ils acceptent pleinement leur sort
et ne permettent même pas à une idée de
rébellion de traverser leur esprit. Vous
voyez, la «rébellion» dans des sociétés
fascistes et d’oppression, est
considérée comme «le mal». Si l’enfant
se rebelle dans une quelconque famille
tyrannique, il reçoit une gifle. Si un
pays se rebelle, il finit comme
l’Indonésie après le coup d’Etat de 1965
parrainé par les Etats-Unis, ou comme la
Syrie maintenant. Si l’enfant grandit à
la fois dans une famille despotique et
lobotomisée et dans un pays comme
l’Indonésie, vous pouvez imaginer ce
qu’il devient. Seul l’esclavage est
accepté, considéré comme juste. C’est un
système bien conçu qui répond uniquement
aux besoins de ceux qui gouvernent le
monde. C’est la raison pour laquelle ils
soutiennent des régimes et des cultures
despotiques. Cette façon maladive,
folle, d’agencer le monde est
heureusement en train de changer.
Plusieurs nations se tiennent debout et
gardent la tête haute en accusant leurs
oppresseurs de terrorisme et en
défendant les intérêts de leurs peuples.
Cela se fait ouvertement. Hugo Chavez a
critiqué le président Bush et la
politique étrangère des Etats-Unis
depuis la tribune de l’ONU. Beaucoup au
Venezuela croient que l’Empire l’a
assassiné. Pourtant, la révolution
continue. Elle ne s’arrêtera pas. Nous
ne permettrons pas qu’elle s’arrête ! En
Ukraine, l’Occident a essayé de saisir
les mines et les aciéries et a décidé de
ne rien donner en retour. Le
gouvernement centriste ukrainien a
refusé de signer, ce qui a poussé
l’Occident à déployer des fascistes, des
extrémistes de droite et des voyous pour
déstabiliser le pays, pour à la fin
parrainer le coup d’Etat. La Crimée
historiquement russe, et horrifiée de ce
qui a été fait en Ukraine, a
démocratiquement voté pour rejoindre la
Russie, et la Russie l’a reprise
tranquillement. Ensuite, la propagande
occidentale a été déclenchée, et depuis
lors le monde a été commandé pour
discuter du «rapt de la Crimée par la
Russie», pas du tout du putsch clair et
évident exécuté par l’Occident ! Vous le
voyez, seul ce qui convient à l’Occident
est appelé démocratique. Même un
référendum avec plus de 90% de la
population qui exprime sa décision est
illégitime, si Londres, Washington ou
Paris le déclarent tel. Il en a été de
même en Syrie. L’Occident a fabriqué la
plupart de l’opposition locale.
Heureusement, plusieurs d’entre nous ont
tenu bon en présentant des faits clairs
et l’opinion mondiale est en train de
changer significativement. Bien sûr,
nous avons travaillé jour et nuit pour
avoir un impact. Espérons que cette
fois, nous avons réussi, au moins dans
une certaine mesure !
Edward Snowden a
révélé les écoutes téléphoniques de la
NSA à l’échelle mondiale. Pensez-vous
que les Etats occidentaux peuvent encore
prétendre être démocratiques et vouloir
diffuser leur modèle autour du monde ?
Oui, Snowden,
Assange, Perkins… Ils ont tous révélé ce
qui est derrière la façade de la
soi-disant démocratie occidentale.
Malheureusement, la plupart des
personnes vivant en Europe et en
Amérique du Nord sont tellement
lobotomisées, tellement endoctrinées,
que même des faits évidents ne les
incitent plus à bouger, du moins pas
immédiatement. Pour les désintoxiquer,
les désendoctriner, cela prendra du
temps, ce sera un très long processus,
bien que je croie que le processus a
déjà commencé.
Vous avez
travaillé dans plusieurs pays africains,
notamment au Congo. Quel constat
faites-vous du pillage qui sévit en
Afrique ?
J’ai travaillé au
Congo à plusieurs reprises, réalisant un
film documentaire Rwanda Gambit (la
Tactique du Rwanda, ndlr) qui montre
comment l’Occident pille cette nation
immense et potentiellement riche,
laquelle est à présent dans le bas de
l’échelle de toutes les statistiques
internationales – y compris l’Index de
Développement humain (HDI). La RDC a été
détruite par deux nations africaines :
le Rwanda et l’Ouganda – mais cela a été
fait clairement et strictement pour le
compte des intérêts géopolitiques et
économiques occidentaux. Entre 6 et 10
millions de personnes sont mortes. Bien
sûr le public européen et nord-américain
ne sait rien, et il semble qu’il ne
veuille rien savoir.
Notre pays,
l’Algérie, est la cible potentielle de
l’impérialisme et du néocolonialisme qui
veulent s’approprier nos ressources
naturelles, et dont certains de leurs
agents sont déjà sur place. Comment
pouvons-nous combattre l’ennemi
intérieur, surtout s’il opte pour une
politique d’entrisme déterminée qui
touche toutes les sphères de décision ?
Que pouvez-vous dire au peuple algérien
dont la souveraineté territoriale est
menacée avec ce qui se passe au Sahel et
en Afrique en général ?
Je crois que pour
combattre le néocolonialisme et
l’impérialisme, il faut être bien
conscient de ce qu’il apporte, quel est
le danger qu’il représente. Il faut être
capable de comparer, d’analyser. A Cuba
et au Venezuela, les gens sont éduqués
jour et nuit. Il y a des écoles et un
enseignement gratuit, des livres
subventionnés et des millions de livres
gratuits, une radio et des chaînes de
télévision éducatives, autant dans la
culture générale que dans la culture
engagée. La meilleure arme contre la
propagande et l’obscurité est toujours
la connaissance. La meilleure arme
contre la haine ignorante est l’amour.
On ne peut pas se battre pour son pays
si on ne l’aime pas. On ne peut pas
l’aimer si on ne le connaît pas et si on
ne le comprend pas. On ne peut pas aimer
efficacement notre planète et combattre
pour la défendre, si l’on ne voit pas
clairement où elle se dirige et comment
elle tourne. En conséquence, aucun
appareil d’Etat, aucune force de défense
vigilante ne peuvent être efficaces, si
la population elle-même n’est pas
éduquée, enthousiaste et déterminée à
construire une société meilleure, un
monde meilleur. Seule une nation
optimiste, de bonne volonté, décente et
bien éduquée peut vaincre l’agression,
le despotisme et le mal. Car en fin de
compte, c’est toujours l’amour, la
connaissance et la bonté, trois muses
qui conduisent de grandes nations à ces
batailles épiques pour une vie
meilleure, pour des lendemains sans
peur, et pour la survie de notre belle
planète !
Interview
réalisé par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Andre
Vltchek ?
Né à Leningrad en
1963, Andre Vltchek est romancier,
cinéaste et journaliste d’investigation.
Il a couvert des guerres et des conflits
dans des dizaines de pays. Depuis les
années 1980, il a travaillé comme
correspondant de guerre et photographe
dans une douzaine de zones de guerre :
Bosnie, Pérou, Sri Lanka, RDC et Timor
oriental, etc. Il est l’auteur d’un
ouvrage coécrit avec Noam Chomsky On
Western Terrorism, et son roman
politique Point of No Return a
été acclamé par la critique. Son livre Oceaniatraite
de l’impérialisme occidental dans le Sud
Pacifique. Il a aussi critiqué
l’Indonésie post-Suharto et le modèle de
marché fondamentaliste dans Indonesia
– The Archipelago of Fear. En 2004,
il a réalisé un long métrage sur les
massacres indonésiens de 1965, intitulé Terlena
: Breaking of The Nation. Il vient
de terminer le documentaireRwanda
Gambit qui développe l’histoire du
Rwanda et le pillage de la RDC. D’autres
documentaires sont à son actif, comme Tumaini sur
le sida au Kenya, One Fiew Over
Dadaab, décrivant les camps de
réfugiés somaliens dans le nord du
Kenya, Chili Between Two Earthquakes.
Il est aussi producteur indépendant de
Telesur. Après avoir vécu plusieurs
années en Amérique latine et en Océanie,
Andre Vltchek réside et travaille à
présent en Asie et en Afrique. Il tient
un blog consultable sur ce lien : http://andrevltchek.weebly.com/
Publié le 15 septembre 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Les dernières mises à jour
|