Question :
Pressé par les
États-Unis, après le massacre en mer qui a coûté la vie à 9
citoyens turcs en mai 2010, Israël a annoncé qu’il allait
laisser entrer nombre de produits à Gaza. Comment cela s’est-il
traduit dans les faits ?
Réponse :
Le passage commercial de Kerem Shalom, par où les Israéliens
autorisent les camions à entrer à Gaza, n’est ouvert que de
manière épisodique. Ils l’ouvrent un jour ; ils le referment
d’autres jours. Et quand ils l’ouvrent, ils ne laissent passer
qu’un nombre limité de camions par jour. Du fait de ces
restrictions continues, les quantités que les camions peuvent
transporter sont insuffisantes [1].
Sur certains produits de base il y a pénurie, ce qui fait
flamber les prix. Les gens sans revenu n’ont pas de quoi les
payer. Les matériaux pour la reconstruction, comme le ciment,
sont toujours interdits.
Question :
Comment
réagissez-vous à ces restrictions ?
Réponse :
Nous attendons tout le temps qu’ils ouvrent les frontières, mais
cela n’arrive jamais. Sans aucune liberté de mouvement, nous ne
pouvons rien faire. Notre enfermement n’a pas commencé en 2007,
comme il est dit couramment. Nous n’avons jamais connu la
liberté. Nous [les Palestiniens ordinaires qui n’ont pas accès
aux permis VIP - ndr] vivons emprisonnés, à des degrés divers,
non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie. L’enfermement
s’est accentué considérablement depuis 2000. Il s’est aggravé en
2005 quand les colons sont partis de Gaza. Il est devenu total
en 2007, après la tentative de coup d’État par les forces du
Fatah fidèles à Mahmoud Abbas [ce coup d’État raté devait
renverser les autorités du Hamas - ndr).
Notre liberté de parole a
toujours été très limitée. À Gaza - mais aussi en Cisjordanie -
critiquer les autorités, peut conduire en prison. Aujourd’hui,
où les autorités du Hamas sont assiégées et sous la menace des
drones de l’armée israélienne, cela n’arrange pas les choses ;
celui qui critique leur politique peut se voir interpellé par
les agents de sécurité, soupçonné de travailler pour les gens
qui collaborent avec l’ennemi.
Question :
À Gaza, comme en
Cisjordanie sous l’Autorité Palestinienne de Ramallah, les gens
ne parlent pas librement ?
Réponse :
C’était déjà ainsi du temps de Yasser Arafat. La situation
serait sans doute moins étouffante aujourd’hui pour les
Palestiniens s’ils ne vivaient pas sous une double menace. La
menace d’Israël et la menace des éléments qui s’associent à
l’ennemi pour revenir au pouvoir. Mais si nous comprenons que
les autorités du Hamas doivent assurer la sécurité, je crois que
cela ne doit pas se faire en bâillonnant toute critique.
La propagande des Autorités
de Ramallah est très active. Récemment, elles ont accusé le
Hamas de pourchasser des membres du Fatah à Gaza ; elles ont
présenté l’arrestation d’un homme, au nom totalement inconnu à
Gaza, comme étant celle d’un chef du Fatah. Ce n’est pas la
première fois que l’arrestation d’un trafiquant d’armes ou de
drogue est présentée comme une affaire politique.
Question :
Toutes ces
restrictions doivent être terriblement frustrantes ?
Réponse :
Il y a ici mille occasions d’être frustrés. Elles viennent
parfois de ceux qui veulent nous aider. D’ONG qui prolifèrent et
lancent des programmes contre-productifs et qui heurtent nos
traditions, qui abusent de notre faiblesse, qui nous
maintiennent dans une situation d’infériorité. Je m’interroge
sur la valeur de nombre de projets dont l’objectif à long terme
semble être de nous façonner à une certaine idéologie. Il y a de
quoi se poser des questions sur des organismes humanitaires dont
l’activité se concentre sur des projets qui permettent de
pénétrer les foyers, partant, de mener un travail de fond sur
chaque individu. Je pense que cela échappe au contrôle du Hamas.
Question :
Une ONG peut
s’installer sans autres ? Quelle ONG chercherait en particulier,
à vous « façonner » ?
Réponse :
Après l’agression israélienne de 2008-2009, c’était un tel
désastre ! De nombreuses ONG se sont ruées sur Gaza.
Au départ les agences
arrivent en apportant des médicaments, de la nourriture ; puis
leur aide se transforme en programmes pour encadrer et orienter
psychologiquement et culturellement les jeunes et les femmes. Il
ya des groupes dont les membres, sous couvert d’aide
humanitaire, semblent faire du renseignement [2].
L’activité d’une ONG comme
Mercy Corps [3]
par exemple, s’est beaucoup développée depuis la Nakba de 2009.
Cette ONG avait commencé à s’implanter en 2005, l’année ou
Israël a retiré ses colons de Gaza. Mais depuis 2009, elle s’est
installée de manière plus massive, d’abord en apportant de la
nourriture et des médicaments.
Des grosses ONG d’aide
médicale financent, dans des hôtels, des séminaires qui sont
perçu comme de la simple distraction.
Il y a une tendance à nous
considérer comme des « sous développés ». On ne prend pas en
compte le fait que les gens ici sont bien formés, bien éduqués.
Nous n’avons pas besoin d’experts, d’expatriés ; nous sommes
capables de gérer des projets utiles pour notre peuple si on
nous donne les moyens matériels de les réaliser. On a vu passer
assez d’experts envoyés par les États, l’ONU, etc, et sans
résultat.
C’est quand il y a des
massacres, des centaines de corps déchiquetés, que les
humanitaires de ces ONG seraient attendus et utiles [4].
Nous pouvons fort heureusement compter sur le dévouement et le
courage de notre personnel médical.
Question :
Qu’en est-il de la
qualité de l’eau maintenant ?
Réponse :
L’eau contaminée demeure notre grande préoccupation. Elle est
toujours imbuvable, et nous devons malgré tout la boire. Les
gens qui n’ont pas les moyens d’acheter une eau potable, sont de
plus en plus effrayés de devoir boire et cuisiner avec cette
eau. Une eau saumâtre, très salée.
Question :
Les convois et
flottilles qui, depuis 2008, cherchent à aider la population de
Gaza vous aident-elles dans ce contexte cauchemardesque à garder
le moral et un peu d’espoir ?
Réponse :
Le soutien extérieur est très important. L’action de ces gens
qui se mobilisent pour Gaza signale à Israël que nous ne sommes
pas seuls et qu’il devra tôt ou tard rendre des comptes. Israël
fait tout pour torpiller l’aide matérielle. L’argent engagé est
à chaque fois perdu. J’aimerais dire aux gens qui veulent venir
ici, de venir sans rien apporter. Il y a eu des stocks de
médicaments et de nourriture bloqués sur la route, qui ont du
être jetés car ils étaient avariés. Au lieu de nous apporter des
choses inutiles, les gens peuvent apporter de l’argent, le
donner à des municipalités. Cela peut servir à financer des
projets utiles à toute la collectivité. Notamment pour rendre
l’eau potable.
(*) Nous préservons
l'anonymat de notre interlocuteur
[1]
Voir : « Israël
maintient volontairement les Gazaouis à un niveau proche de la
famine » , par l’International
Middle East Media Center (IMEMC) , 7 novembre 2010.
[2]
Le 5 octobre 2008, le ministre des Affaires étrangères Bernard
Kouchner a déclaré devant la presse israélienne : « Officiellement,
nous n’avons aucun contact avec le Hamas mais officieusement, il
y a des organisations internationales qui entrent dans la bande
de Gaza, en particulier des ONG françaises qui nous donnent des
informations. »
[3]
Mercy Corps dépend des financements fournis
par des gouvernements, comme l’USAID et d’autres fondations
liées à la CIA ainsi qu’a des donateurs liés au lobby
pro-israélien. Rares sont les ONG qui sont encore réellement
« non gouvernementales ». Le financement de la plupart d’entre
elles est devenu étatique, ce qui permet aux gouvernements
d’agir et orienter l’action des ONG.
[4]
Cela corrobore ce qui s’est passé en 2009. Durant les trois
semaines de bombardements qui ont fait de nombreuses victimes,
les organisations d’aide et les journalistes sont restés sur la
frontière. Seul deux médecins européens se sont rendus tout de
suite à Gaza : le Dr norvégien Mads Gilbert et le chirurgien
Gilbert Erik Fosse.
Voir la vidéo où le Dr Mads Gilbert
scandalisé s’écriait : « Je demande où est cette
grande organisation d’aide qui doit intervenir en cas de
désastre ? Nous sommes deux docteurs et nous devons opérer
…c’est le pire désastre fait par des hommes…les gens meurent
faute de matériel médical, c’est un désastre complet ».
« Nous
pataugeons dans le sang. L’Enfer ! Nous pataugeons dans la mort,
le sang, les amputés. Beaucoup d’enfants. Une femme enceinte. Je
n’ai jamais rien vécu d’aussi horrible. On entend les tanks
maintenant. Dites-le, transmettez-le, criez-le. FAITES QUELQUE
CHOSE ! FAITES DAVANTAGE ! Nous vivons dans le livre de
l’histoire maintenant, nous tous ! » s’écriait le Docteur
Mads Gilbert avec désespoir et incrédulité ; voir :
http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/middle_east/article5454671.ece