Cuba
Etat de siège
Les sanctions économiques des Etats-Unis
contre Cuba
Salim
Lamrani
Samedi 22 octobre
2011
Cuba Si France
CSF :
Vous venez de publier un nouvel ouvrage
sous le titre Etat de siège. De quoi
traite-t-il exactement.
SL : Comme son sous-titre l’indique, ce
livre traite des sanctions économiques
unilatérales que les Etats-Unis imposent
à Cuba depuis 1960. Elles ont été
établies en pleine Guerre Froide dans le
but de renverser le gouvernement
révolutionnaire de Fidel Castro dont les
réformes économiques et sociales
n’étaient guère appréciées par
l’administration Eisenhower de l’époque.
Plus d’un demi-siècle plus tard, alors
que l’Union Soviétique a disparu et que
la Guerre Froide n’est plus qu’un vieux
souvenir, Washington persiste à
maintenir un état de siège économique
qui asphyxie toutes les catégories de la
population cubaine et qui affecte en
premier lieu les secteurs les plus
vulnérables à savoir les femmes, les
personnes âgées et les enfants.
Il faut savoir que la rhétorique
diplomatique
pour justifier l’hostilité étasunienne
vis-à-vis de Cuba a fluctué selon les
époques. Dans un premier temps, Il
s’agissait des nationalisations et leurs
indemnisations. Par la suite, Washington
a évoqué l’alliance avec l’Union
soviétique comme principal obstacle à la
normalisation des relations entre les
deux pays. Puis, dans les années 1970 et
1980, l’intervention cubaine en Afrique,
plus précisément en Angola et en
Namibie, pour aider les mouvements de
libération nationale à obtenir leur
indépendance et pour lutter contre
l’Apartheid en Afrique du Sud, a été
pointée du doigt pour expliquer le
maintien des sanctions économiques.
Enfin, depuis l’effondrement de l’Union
soviétique, Washington brandit
l’argument de la démocratie et des
droits de l’homme pour maintenir
l’étranglement économique sur la nation
cubaine.
CSF : Quel est justement l’impact
de ces sanctions sur la population
cubaine ?
SL : Les sanctions économiques
constituent le principal obstacle au
développement du pays et tous les
secteurs de la société en sont affectés.
Il faut savoir les Etats-Unis ont
toujours été le marché naturel de Cuba
pour des raisons historiques et
géographiques évidentes. La distance qui
sépare les deux nations ne dépasse pas
les 150 km. En 1959, 73% des
exportations cubaines étaient destinées
au marché étasunien et que 70% des
importations en étaient issues. Il y
avait donc une forte dépendance à
l’égard du Voisin du Nord. Entre 1960 et
1991, les relations avec l’URSS avaient
permis d’atténuer l’impact des sanctions
mais ce n’est plus le cas désormais.
Concrètement Cuba ne peut rien
vendre aux Etats-Unis, qui reste le
premier marché du monde, et ne peut rien
acheter hormis quelques matières
premières alimentaires depuis l’année
2000, mais à des conditions drastiques
tels que le paiement des marchandises à
l’avance, dans une autre monnaie que le
dollar – donc Cuba doit assumer les
frais de taux de change – et sans
possibilité de contracter un prêt. Cela
limite donc énormément les possibilités
commerciales de l’île, qui doit se
fournir auprès de pays tiers à un coût
bien supérieur.
CSF : Vous soulignez également le
caractère extraterritorial des sanctions
économiques.
SL : En effet, depuis 1992 et l’adoption
de la loi Torricelli, les sanctions
s’appliquent également aux pays tiers
qui feraient du commerce avec Cuba, ce
qui constitue une grave violation du
droit international qui prohibe à toute
législation nationale d’être
extraterritoriale– c’est-à-dire de
s’appliquer au-delà du territoire
national. En effet, la loi française ne
peut pas s’appliquer en Espagne tout
comme la loi italienne ne peut pas
s’appliquer en France. Néanmoins, la loi
étasunienne sur les sanctions
économiques s’applique à tous les pays
qui font du commerce avec Cuba.
Ainsi toute embarcation étrangère qui
accosterait à un port cubain se voit
interdire l’entrée aux Etats-Unis
pendant six mois. Cuba étant une île,
elle est fortement tributaire du
transport maritime. La plupart des
flottes commerciales opérant dans le
détroit de Floride réalisent logiquement
la plus grande partie de leurs activités
avec les Etats-Unis au vu de
l’importance du marché. Donc, elles ne
prennent pas le risque de transporter
des marchandises à Cuba et lorsqu’elles
le font, elles exigent un tarif bien
supérieur à celui appliqué aux pays
voisins tels qu’Haïti ou la République
dominicaine, afin de pallier au manque à
gagner découlant de l’interdiction
d’accoster à un port étasunien. Ainsi,
si le prix habituel du transport de
marchandises est de 100 pour la
République Dominicaine, il passe à 600
ou 700 lorsqu’il s’agit de Cuba.
CSF : Vous revenez également sur le
caractère rétroactif des sanctions
économiques.
SL : Depuis l’adoption de la loi Helms-Burton
en 1996, tout entrepreneur étranger qui
souhaiterait investir à Cuba sur des
terres nationalisées en 1959, se voit
menacé de poursuites judiciaires aux
Etats-Unis et ses avoirs risquent d’être
gelés. Cette loi est une aberration
juridique dans la mesure où elle est à
la fois extraterritoriale et rétroactive
– c’est-à-dire qu’elle s’applique pour
des faits survenus avant l’adoption de
la loi – ce qui est contraire au droit
international. Prenons le cas de loi
anti-tabac en France. La loi est entrée
en vigueur le 1er janvier
2008. Mais si on a fumé dans un
restaurant le 31 décembre 2007, on ne
peut pas être condamné pour cela car la
loi ne peut pas être rétroactive. Or la
loi Helms-Burton s’applique pour des
faits survenus dans les années 1960, ce
qui est illégal.
CSF : Les Etats-Unis affirment que les
sanctions économiques sont une simple
question bilatérale et qu’elles ne
concernent pas le reste du monde.
SL : Les exemples que j’ai cités
précédemment démontrent le contraire. Je
vais en citer un autre. Un constructeur
automobile allemand, coréen ou japonais
– peu importe sa nationalité en réalité
– doit démontrer au Département du
Trésor que ses produits ne contiennent
pas un seul gramme de nickel cubain pour
pouvoir les vendre sur le marché
étasunien. Il en est de même pour toutes
les entreprises agroalimentaires
souhaitant investir le marché étasunien.
Danone, par exemple, devra démontrer que
ses produits ne contiennent aucune
matière première cubaine. Donc, Cuba ne
peut pas vendre ses ressources et ses
produits aux Etats-Unis mais dans ces
cas précis, elle ne pourra pas les
vendre à l’Allemagne, la Corée ou le
Japon. Ces mesures extraterritoriales
privent ainsi l’économie cubaine de
nombreux capitaux et les exportations
cubaines de nombreux marchés à travers
le monde.
CSF : les sanctions économiques ont
également un impact dans le domaine de
la santé.
SL :
En effet, près de 80% des brevets
déposés dans le secteur médical sont du
fait des multinationales pharmaceutiques
étasuniennes et de leurs filiales, ce
qui les place dans une situation de
quasi monopole. Cuba ne peut y avoir
accès en raison des restrictions
imposées par le gouvernement des
États-Unis. Or il faut savoir que le
droit international humanitaire interdit
tout type de restriction à la
libre-circulation d’aliments et de
médicaments, y compris en temps de
guerre. Et officiellement, les
Etats-Unis ne sont même pas en guerre
contre Cuba.
Un exemple précis : Les enfants cubains
ne peuvent bénéficier du dispositif
Amplatzer fabriqué aux Etats-Unis qui
permet d’éviter une chirurgie à cœur
ouvert. Des dizaines d’enfants sont en
attente de cette intervention. Rien que
pour l’année 2010, quatre enfants ont
intégré cette liste. :
María Fernanda Vidal, âgée de 5 ans,
Cyntia Soto Aponte, âgée de 3 ans,
Mayuli Pérez Ulboa, âgée de 8 ans et
Lianet D. Alvarez, âgée de 5 ans.
Ces enfants sont-ils responsables
du différend qui oppose La Havane à
Washington ? Non ! Pourtant ils en
payent le prix !
CSF : Dans votre livre, vous revenez
également sur le caractère irrationnel
de certaines restrictions.
SL : En effet, il faut savoir que depuis
2004 et l’application stricte des règles
du Bureau de Contrôle des Biens
Etrangers (OFAC),
tout touriste étasunien qui consommerait
un cigare cubain ou un verre de rhum
Havana Club lors d’un voyage à
l’étranger risque une amende d’un
million de dollars et dix années de
prison. Autre exemple : un Cubain vivant
en France ne peut théoriquement pas
manger un hamburger à Mc Donald’s. Ces
mesures sont irrationnelles car elles
sont inapplicables. Les Etats-Unis ne
disposent pas des ressources matérielles
et humaines pour mettre un fonctionnaire
étasunien derrière chaque touriste.
Néanmoins, elles illustrent l’obsession
des Etats-Unis à étouffer économiquement
les Cubains.
CSF : Votre ouvrage contient un prologue
de Wayne S. Smith et une préface de Paul
Estrade, qui sont connus des
spécialistes, mais sans doute moins du
grand public. Rappelez-nous qui
sont-ils ?
SL : Wayne S. Smith est un ancien diplomate
étasunien, et actuellement professeur à
l’Université Johns Hopkins de
Washington. Il a été le dernier
diplomate étasunien en poste à Cuba avec
le rang d’ambassadeur entre 1979 et
1982. Il s’est distingué par sa
politique de dialogue et de
rapprochement avec La Havane sous le
gouvernement de James Carter. C’est un
partisan d’une normalisation des
relations entre Cuba et les Etats-Unis
et il dresse dans le prologue un constat
lucide sur le caractère anachronique,
cruel et inefficace des sanctions
économiques.
Quant à Paul Estrade, il est professeur
émérite à l’Université Paris VIII et il
s’agit sans doute du meilleur
spécialiste de Cuba en France. Ses
travaux sur la question sont une
référence dans le monde universitaire.
Dans sa préface, il rappelle la manière
dont l’état de siège contre Cuba est le
plus souvent occulté par les médias
lorsqu’ils abordent les difficultés
économiques de ce pays.
Etat de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba
Prologue de Wayne S. Smith
Préface de Paul Estrade
Paris, Editions Estrella, 2011
15€
Disponible en librairie et sur
http://www.amazon.fr/Siege-Sanctions-Economiques-Etats-Unis-Contre/dp/2953128425/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1317400645&sr=8-1
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