Cuba
“L’administration Obama a rejeté
toutes les propositions de dialogue avec
La Havane”
Salim
Lamrani
Salim
Lamrani
Lundi 19 septembre
2011
Interview Radio Monaco
http://www.radio-monaco.com/
Le 13 septembre 2011
Le pays vit en ce moment dans une ère de
modernisation sans précédent….
En effet, deux mesures sont à souligner.
La première constitue une révolution
structurelle de la force du travail. Les
autorités ont décidé de procéder à la
suppression à moyen terme de près d’un
demi-million de postes de
fonctionnaires, soit 10% du total, et
d’un million d’ici cinq ans.
La seconde mesure est également sans
précédent par son envergure. Il s’agit
d’une ouverture de l’économie étatique
au secteur privé, destinée, entre
autres, à légaliser une économie
informelle croissante, et à récolter des
impôts dans un pays peu habitué à la
culture fiscale. L’Etat, qui contrôle
près de 90% de l’économie, a décidé de
déléguer une partie de ses activités
économiques à des personnes privées.
Près de 178 nouvelles activités ont
ainsi été ouvertes au domaine privé. Il
faut savoir que dans 83 secteurs, les
nouveaux entrepreneurs pourront
désormais embaucher du personnel,
prérogative qui a été jusque là une
exclusivité de l’Etat, des sociétés
mixtes et des entreprises étrangères.
La récente arrivée de la publicité
commerciale est un signe de ce
changement ?
Il ne s’agit pas à
proprement parler de publicité
commerciale comme on l’entend en
occident, mais simplement de la
multiplication des enseignes
commerciales indiquant la présence d’un
restaurant ou autre commerce en raison
de l’accroissement du secteur privé ces
derniers mois. Il faut savoir qu’il est
passé de 150 000 personnes à plus de
320 000. Il devrait d’ailleurs se
stabiliser autour d’un demi-million de
micro-entrepreneurs.
Raul Castro est-il bien différent de son
parent Fidel ?
D’un point de vue
idéologique ou sur les principes
fondamentaux, il n’y a aucune différence
entre les deux. Néanmoins, il y a une
différence notable de style. Raúl Castro
est un militaire qui a la réputation
d’être très pragmatique. Il a dirigé
pendant près d’un demi-siècle l’une des
institutions les plus efficaces du pays
qui est l’armée. Par ailleurs, Raúl
Castro s’est personnellement occupé du
développement du tourisme à Cuba, qui
est désormais l’un des fleurons de
l’économie nationale et la seconde
source de revenus du pays. Il a en
charge la réforme actuelle du modèle
économique cubain et le défi est de
taille car les obstacles sont nombreux.
Après le capitalisme, quel est le nouvel
ennemi de Cuba ? La corruption ?
Au niveau externe,
le principal ennemi reste les Etats-Unis
qui imposent des sanctions économiques
au caractère cruel et anachronique
depuis plus d’un demi-siècle. Elles
affectent toutes les catégories de la
population cubaine. Il convient de
rappeler que ces sanctions revêtent un
caractère rétroactif et
extraterritorial. J’en parle d’ailleurs
en détail dans mon dernier ouvrage
Etat de siège qui traite de ce
sujet*. Par exemple, tout constructeur
automobile, quelle que soit sa
nationalité, doit démontrer au
Département du Trésor que ses produits
ne contiennent pas un seul gramme de
nickel cubain pour pouvoir les vendre
sur le marché américain. Il en est de
même pour toutes les entreprises
agroalimentaires souhaitant investir le
marché américain. Danone, par exemple,
doit démontrer que ses produits ne
contiennent aucune matière première
cubaine. Donc Cuba non seulement ne peut
rien vendre aux Etats-Unis mais se voit
également fortement limité dans son
commerce. Ces mesures privent l’économie
cubaine de nombreux capitaux et les
exportations cubaines de nombreux
marchés à travers le monde. Pour ces
raisons, les sanctions sont rejetées par
l’ensemble de la communauté
internationale.
Au niveau interne,
Cuba doit lutter contre la bureaucratie
qui gangrène la société cubaine. La
corruption est également un phénomène
endémique à Cuba qui affecte parfois les
plus hauts niveaux de l’Etat. Le marché
noir s’est développé à Cuba depuis la
chute de l’Union soviétique. Cuba doit
également renforcer la culture du débat
et accorder un espace plus large aux
opinions hétérodoxes. De la même
manière, l’île doit mettre fin à
certaines pratiques sectaires encore
persistantes. Un gros effort doit être
réalisé en termes de productivité et
enfin Cuba doit réduire son secteur
public qui est hypertrophié.
Des relations « réchauffées » et
d’échange avec les États-Unis voire
l’Europe sont-elles envisageables dans
un avenir proche ?
A vrai dire, la
normalisation des relations entre La
Havane et Washington dépend moins de
Cuba que des Etats-Unis. Le président
Raúl Castro a fait montre à plusieurs
reprises de sa disposition à dialoguer
avec le Voisin de Nord à partir d’une
base de respect mutuel, de réciprocité
et de non-ingérence dans les affaires
internes. A ce jour, ces propositions
ont toutes été rejetées par
l’administration Obama.
Il faut savoir que
la rhétorique diplomatique américaine
pour justifier l’imposition de sanctions
économiques à Cuba n’a cessé de changer
au fil des décennies. Dans un premier,
il s’agissait des nationalisations, puis
ensuite de l’Alliance avec l’Union
soviétique, après de l’intervention
cubaine en Afrique contre aider les
mouvements de libération nationale en
Angola et Namibie et pour lutter contre
l’Apartheid. En 1991, à la chute de
l’Union soviétique, au lieu de
normaliser les relations avec Cuba, les
Etats-Unis ont renforcé leur état de
siège économique sur la population
cubaine et ont cette fois brandi
l’argument des droits de l’homme et des
prisonniers politiques. Or depuis
novembre 2010 et l’accord signé entre le
gouvernement cubain et l’Eglise
catholique, tous les prisonniers dits
politiques ont été libérés. Selon
Amnesty International, il n’y a à ce
jour aucun prisonnier politique à Cuba.
Pourtant, l’administration Obama refuse
de lever les sanctions économiques.
Pour ce qui est de
l’Union européenne, en dépit de sa
puissance économique, elle reste un nain
politique incapable d’adopter une
politique indépendance de celle de
Washington vis-à-vis de Cuba.
Officiellement, la Position Commune qui
est le pilier de la politique étrangère
de Bruxelles vis-à-vis de La Havane
depuis 1996 et qui limite fortement les
relations se justifie en raison de la
situation des droits de l’homme. De tout
le continent américain, seule Cuba se
voit infliger une position commune. Or,
il suffit de jeter un œil aux rapports
d’Amnesty International sur les droits
de l’homme pour se rendre compte que
Cuba est loin d’être le plus mauvais
élève du continent en la matière. Il
s’agit donc là d’une politique
discriminatoire et infondée de la part
de l’Union européenne vis-à-vis de Cuba
et il lui revient d’y mettre un terme.
* Etat de siège. Les sanctions
économiques des Etats-Unis contre Cuba
Prologue de Wayne S. Smith
Préface de Paul Estrade
Paris, Editions Estrella, 2011
15€
Disponible en librairie et sur
www.amazon.fr
Pour toute commande dédicacée, veuillez
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lamranisalim@yahoo.fr
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