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Syrie

Entretien avec Pierre Piccinin:
« le régime baathiste n'est pas près de devoir céder »


Intifada à Hama, 30 décembre 2011 © photo Pierre PICCININ

Sud Presse, 18 janvier 2012

Syrie - Entretien avec Pierre Piccinin : « la situation est très loin d’être aussi catastrophique que le disent la plupart des commentateurs et le régime baathiste n’est pas près de devoir céder » - Texte intégral

propos recueillis par Émilie STEVANONI

Vous rentrez de Syrie. Quelle y est la situation actuellement ?

De manière générale, le pays est assez calme et je n’ai pas noté de grandes différences par rapport à la situation que j’avais constatée en juillet. Exception faite de Hama et de Homs, les deux principaux lieux de la contestation.

À Homs, en effet, j’ai pu rencontrer l’opposition, qui est de mieux en mieux organisée et réussit à présent à contrôler deux quartiers de la ville ; en juillet, il ne s’agissait encore que de quelques bandes de jeunes, peu et mal armés, qui s’attaquaient ça et là aux symboles de l’autorité.

J’ai eu la chance d’y rencontrer Fadwa Suleiman, cette actrice célèbre en Syrie, qui est devenue la porte-parole de l’opposition à Homs.

Les rebelles de Homs –il convient de les appeler ainsi, car il s’agit désormais bel et bien d’une rébellion- agissent en pelotons d’une douzaine d’hommes chacun. Je n’en ai rencontré qu’une partie, mais, dans la seule cache dans laquelle j’ai passé deux jours avec eux, j’ai vu se succéder plusieurs groupes, ce qui me laisse supposer que leur nombre n’est pas négligeable. Mais pas suffisant, cependant, pour réellement inquiéter le gouvernement, d’autant moins que leur armement reste léger : kalachnikovs et grenades à main. Toutefois, en pratiquant ainsi une forme de guérilla et en se fondant dans la population, dont ils sont issus, ils tiennent en respect l’armée régulière, qui cerne ces deux quartiers et semble avoir pour le moment renoncé à y faire le coup de force.

À Hama, la situation est très différente. Elle a également évolué, mais pas à l’avantage des contestataires.

Pas plus cette fois-ci qu’en juillet, je n’ai vu de manifestant armé à Hama. J’ai là aussi été introduit au sein de l’organisation de l’opposition. J’ai notamment pu accéder à un des dispensaires clandestins dans lesquels les manifestants soignent leurs blessés et à une cache où se réunissent les organisateurs de la contestation. Je n’ai nulle part constaté le moindre élément d’armement.

En juillet, l’armée cernait la ville, qui était aux mains des manifestants, lesquels réussissaient à mobiliser plusieurs milliers de personnes pour remplir la place Assidi, à la fin de la principale prière du vendredi. Depuis que l’armée a repris le contrôle des rues, début août, les forces de l’ordre, policiers et militaires, occupent les principaux boulevards et places ; et ils maîtrisent complètement le terrain. Les manifestants sont donc contraints de se réunir par groupes de quelques centaines seulement, dans les ruelles latérales. Leurs seuls armes sont des pierres, qu’ils lancent sur les policiers, lesquels répliquent par des jets de gaz lacrymogène et, quand la pression des manifestants devient trop forte, par des tirs de plombs de chasse, parfois par quelques tirs de balles, mais c’est exceptionnel ; aussi, ayant assisté à une de ces manifestations, le vendredi 30 décembre, je déduirais de l’attitude de la troupe que ses ordres sont certes de tenir le terrain, mais en évitant au maximum les effusions de sang et les morts.

Hama n’est donc pas à feu et à sang ; la ville n’est pas non plus le terrain d’une rébellion armée, mais celui d’une poignante intifada…

Ailleurs, dans le pays, il n’y a pas à proprement parler de lieu de révolte comparable à Homs ou de contestation permanente, comme à Hama.

Mais des groupes de combattants agissent néanmoins, ici et là, attaquent les patrouilles militaires, lors d’embuscades souvent meurtrières, et commettent parfois des atrocités (décapitations, mutilations…) contre des soldats et des policiers, mais aussi contre des civils qui soutiennent le gouvernement ou, tout simplement, qui refusent de supporter et d’aider ces rebelles-là.

Je n’ai pas eu de contact avec cette frange-là de l’opposition, mais les témoignages que j’ai recueillis sont nombreux. Et les corps mutilés sont visibles dans les morgues. La question est de savoir si ces protagonistes sont réellement syriens ou s’il s’agit d’éléments étrangers, infiltrés, qui agissent pour le compte d’acteurs régionaux hostiles au gouvernement baathiste, comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, dont l’implication en Syrie est bien établie. Il s’agit aussi de groupes salafistes, d’islamistes radicaux, qui sont également actifs en Syrie.

J’ai pu comprendre que ces groupes d’opposants n’ont pas de contacts entre eux. Les rebelles, à Homs, comme je l’ai dit, sont essentiellement issus de la population locale : il s’agit de simples citoyens (ni islamistes radicaux, ni factieux d’un quelconque extrémisme politique). Des citoyens qui ont cru le moment arrivé de s’insurger et se retrouvent à présent enfermés dans le conflit que cela a généré. Il y a très peu d’apport extérieur dans leurs rangs (j’entends : venant d’autres villes de Syrie). Idem à Hama. Ils n’ont pas non plus de contact avec les islamistes radicaux, qui constituent donc un autre mouvement d’opposants (voire plusieurs autres mouvements différents) ; et ils entretiennent très peu de relations avec le Conseil national syrien (CNS), cette organisation basée en Turquie qui rassemble plusieurs courants de la contestation politique, dont celui des Frères musulmans, et voudrait être reconnue comme le gouvernement légitime de la Syrie, à l’instar de ce qu’il en avait été du Conseil national de transition en Libye.

Et il faut encore parler de cette fameuse « Armée syrienne libre », qui prétend rassembler 15.000 déserteurs de l’armée gouvernementale et mène des opérations en Syrie contre l’armée régulière. Non seulement, ces désertions ne sont pas avérées –en tout cas, le chiffre annoncé n’a aucun sens : l’armée syrienne constitue l’un des piliers du régime, qu’une telle hémorragie mettrait en grande difficulté, ce qui n’est pas le cas-, mais, surtout, il apparaît de plus en plus clairement que cette Armée syrienne libre est composée aussi –si non majoritairement- de combattants étrangers qui prennent l’uniforme syrien et reçoivent des armes du Qatar et de la faction libanaise pro-Hariri, c’est-à-dire des sunnites libanais opposés au Hezbollah qui est soutenu par le gouvernement de Bashar al-Assad. Le CNS se méfie d’ailleurs de l’Armée syrienne libre, qui essaie de se faire reconnaître par les autres composantes de l’opposition, mais en vain.

C’est donc à dire que, sur le terrain comme à l’extérieur (je parle du CNS, par exemple), l’opposition (« les » oppositions, pour parler plus justement) est très hétérogène et très divisée, tant sur les méthodes que les objectifs, et mal coordonnée, voire pas du tout. Sur le terrain, elle est locale et géographiquement disparate.

La question est même de savoir si ces différentes factions pourraient parvenir à s’accorder entre elles : les rebelles, à Homs, m’ont affirmé sans la moindre ambiguïté qu’il était hors de question pour eux de pactiser avec les salafistes, par exemple. Et, à Hama, les leaders des manifestants, des pacifistes, condamnent la militarisation de la contestation qui s’est faite à Homs.

Quant à Damas et aux grandes villes de Syrie, la situation est très calme et la population vaque normalement à ses activités, en dépit des deux attentats-suicides qui ont durement frappé la capitale, le 23 décembre et le 6 janvier, que l’opposition attribue au régime, qui voudrait, selon elle, susciter la haine de la population envers les contestataires, mais dont le gouvernement accuse Al-Qaïda et les islamistes radicaux.

En somme, même si une tension existe désormais, plus sensible et perceptible dans la population, notamment à cause de la menace d’attentats et des atrocités commises par des groupes d’une extrême violence, le gouvernement continue de maîtriser la situation face à une opposition qui demeure minoritaire et ne parvient pas à entraîner dans une révolution une population très divisée, dont certaines communautés, les Chrétiens, les Alaouites bien sûr, les Druzes, etc., craignent l’islamisme radical et soutiennent, fût-ce par défaut, le gouvernement de Bashar al-Assad.

Autrement dit, la Syrie n’est certainement pas en proie à une conjoncture semblable à ce que l’on a pu connaître en Tunisie, en Égypte ou, dans d’autres circonstances, en Libye.


photo : avec les manifestants à Hama

Les opposants ont-ils de réelles raisons de contester le régime en place ?

Il est certain que le régime baathiste, en Syrie, s’est transformé très rapidement, sous la présidence d’Hafez al-Assad déjà, le père de l’actuel président, en une féroce dictature.

Le baathisme, à l’origine, a deux objectifs principaux : c’est, d’une part, une forme de socialisme, qui ambitionne d’améliorer les conditions de vie des couches sociales les plus défavorisées ; et, d’autre part, le baathisme présente une dimension nationaliste panarabe, qui combat l’hégémonie occidentale et promeut l’unité des Arabes.

Cependant, partout où il s’est imposé, en Égypte sous Nasser, en Irak, le parti Baath s’est mué en parti unique et son leader, en dictateur : en Syrie, Hafez al-Assad et sa communauté, les Alaouites, ont instrumentalisé le parti pour s’accaparer tous les pouvoirs au sein de l’État et mettre la main sur l’ensemble du secteur économique.

Toute opposition à ce système a toujours été durement réprimée : disparitions, tortures, pressions sur les familles, emprisonnements… Les différents services de police syriens sont pléthoriques et omniprésents.

Lorsqu’il avait succédé à son père, en 2000, Bashar al-Assad avait suscité un fort espoir en Syrie : jeune, très occidentalisé, médecin de formation, il n’était en outre pas destiné à gouverner, mais avait dû s’y résoudre suite au décès accidentel et soudain de son frère aîné. Dès lors, les démocrates syriens avaient espéré un rapide changement de régime, à la faveur de cette présidence particulière. Et, au début de sa présidence, Bashar al-Assad a semblé vouloir répondre à cet espoir : il a réalisé de nombreuses réformes économiques, qui ont satisfait la bourgeoisie sunnite ; il a libéré de nombreux prisonniers d’opinion ; il a appelé les exilés à rentrer pour entamer un dialogue ; il a autorisé un début de liberté de presse… C’est ce qu’on a appelé le « Printemps de Damas ».

Mais Bashar al-Assad n’est pas seul à la tête de la Syrie. Il est entouré de tout cet appareil politico-financier qui profite largement de l’état actuel de choses. Aussi, lorsque, très rapidement, l’opposition a commencé à réclamer des changements trop substantiels, le système a mis le holà et l’ouverture a pris fin, ce qui fut une grande déception pour ceux qui avaient cru à une démocratisation des institutions.

Ont peut donc comprendre que des pans entiers de la société civile aient espéré se libérer de cette chape de plomb, à la faveur du « Printemps arabe ».

Mais la société syrienne ressemble à un véritable patchwork confessionnel et communautaire. Les événements ont ravivé les oppositions et les craintes des uns et des autres, face à l’islamisme, surtout, au salafisme, le courant islamiste radical, et aux Frères musulmans, que d’aucuns croyaient anéantis depuis leur révolte en 1982 et l’interdiction de leur organisation, mais qui ont survécu dans la clandestinité et se révèlent aujourd’hui, à la tête du CNS notamment.

Une majorité de la population a ainsi pris peur face à la tournure des événements et a préféré se rallier à l’ordre établi, enrayant dès lors la « révolution » en Syrie.

Les médias nous informent sur le nombre de morts. Ces chiffres sont-ils fiables ? La situation est-elle aussi extrême ?

Je dirais plutôt, en toute franchise, que les médias, en Occident (ce n’est pas le cas en Russie ou en Chine par exemple : il faut lire la presse étrangère !), nous « désinforment ».

Attention : je ne suis pas en train de dénoncer un vaste complot médiatique contre la Syrie ; pas de la part des médias occidentaux, en tout cas (c’est différent en ce qui concerne certains médias arabes, à commencer par Al-Jazeera, instrument médiatique du Qatar qui a été très actif en Tunisie, en Libye et, à présent, intervient en Syrie).

Certes, il est bien évident que la plupart des grands médias ont une ligne éditoriale déterminée par les intérêts de ceux qui les possèdent, leurs principaux actionnaires, des groupes financiers ou industriels qui utilisent leurs médias pour influencer l’opinion. Mais, en ce qui concerne la Syrie, personne, en Occident, n’a d’intérêt à faire chuter le gouvernement de Bashar al-Assad.

Dans ce cas, dès lors, le facteur qui explique cette « désinformation » est d’ordre strictement structurel. Ce que j’ai fait en Syrie, par exemple, ou en Libye*, cela aurait dû être fait par des reporters, comme me l’ont d’ailleurs dit plusieurs amis journalistes. Or, en Syrie, j’étais pour ainsi dire le seul à avoir parcouru le pays à la recherche d’informations. Et on pourrait compter sur les doigts d’une main les journalistes qui ont pris le risque de faire de même (je pense à François Janne d’Othée, ou à Gaëtan Vannay, de la Radio suisse romande).

Aujourd’hui, les rédactions ont été dégraissées et ne disposent plus d’assez de personnel, ni de moyens. Les journalistes n’ont plus la possibilité de se rendre sur le terrain, de vérifier l’information, ni le temps de recouper leurs sources. Ils se contentent donc de faire du « desk-journalisme », de répercuter des « informations » qui proviennent de quelques grandes agences de presse, elles-mêmes bien souvent informées par des réseaux qu’elles ont constitués, généralement dans le milieu des ONG, dont certaines, derrière des étiquettes apparemment honorables, cachent en réalité des groupes d’intérêt ayant partie prenante dans les événements.

Je prendrai pour exemple un cas bien concret : le 20 novembre, à la suite d’Al-Jazeera, toute la presse internationale a annoncé une attaque de roquettes contre le siège du parti Baath à Damas ; et d’aucuns en ont immédiatement tiré des conclusions catastrophistes. Un de me contacts à Damas m’a spontanément téléphoné, le jour-même, pour m’informer que le bâtiment était intact et que cette histoire était une pure invention. Il ne m’a pas fallu plus de deux coups de fil pour vérifier l’information et démonter l’affaire : le lendemain, j’ai publié un court article, avec une photographie du siège du Baath à Damas intact, qu’une amie sur place m’a envoyée, avec, en avant-plan, la une du Figaro du lendemain de la prétendue attaque. Si j’ai pu procéder à cette vérification, qu’est-ce qui empêchait tout journaliste d’en faire autant ? C’est normalement le be-a-ba de leur métier, non ?

Et il faut aussi tenir compte d’un autre phénomène : la presse se nourrit d’elle-même et, en même temps, cherche le scoop vendeur, ce qui génère une spirale vicieuse dont il devient rapidement impossible de s’extraire ; pire : dans des cas similaires à celui que je viens de décrire, les médias ne démentent même pas après coup, par crainte du discrédit. Et ça passe comme ça.

Ainsi, concernant la Syrie, les grands médias restent sur leur ligne éditoriale, malgré les témoignages, dont le mien, des quelques journalistes et chercheurs qui se sont rendus sur place.

Pourtant, de plus en plus de preuves sont fournies de ce que l’opposition organise une formidable désinformation de la presse occidentale. La source principale –et presqu’unique en fait- qui revient systématiquement dans les médias, à propos de la Syrie, c’est l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (OSDH). Or, il a été établi à maintes reprises déjà que cette organisation dépend des Frères musulmans et intoxique les médias : les roquettes sur le siège du parti Baath à Damas, c’était l’OSDH, en collaboration avec Al-Jazeera.

Le vendredi 15 juillet, j’étais à Hama. J’ai assisté à une manifestation qui avait rassemblé entre 3.000 et 10.000 personnes. Le soir même, j’ai été stupéfait par les bulletins de France 24, d’Euronews et du journal Le Monde, qui annonçaient 500.000 manifestants ! Leur source : à l’époque déjà, l’OSDH… La ville de Hama ne compte même pas 400.000 habitants ! J’ai immédiatement écrit à ces médias et publié plusieurs articles, en plusieurs langues, sur cet épisode qui restera probablement un cas d’école en matière de critique journalistique. Et pourtant, ces grands médias continuent à utiliser cette source et à répercuter les « informations » qu’elle leur propose.

Autre exemple, tout récent : ce 27 décembre, j’étais à Damas lorsqu’on a annoncé une fusillade à l’université. Je me suis immédiatement rendu sur les lieux, puis à l’hôpital où les blessés étaient transportés. J’ai pu rencontrer, à chaud, les condisciples des étudiants concernés, des témoins directs qui connaissaient les victimes, et aussi la mère et la tante d’un des étudiants blessés, lequel est décédé quelques heures plus tard. Un opposant au gouvernement, un étudiant, était entré dans une salle d’examen et avait tiré sur plusieurs de ses condisciples, en choisissant ses cibles, qui étaient tous membres d’organisations étudiantes qui soutiennent le président al-Assad. Il y a eu deux morts et trois blessés graves. Des témoins et des proches m’ont expliqué que l’auteur de la fusillade avait participé à un débat avec ses victimes et s’était sévèrement disputé avec elles. Dans les heures qui ont suivi, l’OSDH a publié un communiqué de presse, affirmant que plusieurs tireurs pro-régime avaient ouvert le feu sur le campus de l’université de Damas, tuant et blessant des étudiants qui manifestaient contre le gouvernement… Une « information » immédiatement reprise, en premier, par Le Figaro, puis par l’ensemble des sites de presse.

Bref, il est bien clair que les chiffres et les « informations » avancés dans la presse depuis des mois sont tout à fait farfelus et ne correspondent absolument pas à la réalité du terrain.

C’est pourquoi mon analyse est très différente de celles d’autres politologues, qui ignorent tout de la réalité du terrain et construisent des raisonnements aberrants ce qu’ils glanent dans la presse…

Non, la situation est très loin d’être aussi catastrophique que ce qu’en disent la plupart des commentateurs et le régime baathiste n’est pas près de devoir céder.

Que pensez-vous des images des manifestations que nous montrent les médias ?

Des images qu’ils nous montrent, et de celles qu’ils ne nous montrent pas !

Comme tout le matériel médiatique relatif à la Syrie, ces images nous sont envoyées par l’opposition et sont du même tonneau que les chiffres que nous avons évoqués.

La plupart des images qui nous arrivent des manifestations en Syrie sont constituées de plans rapprochés, qui ne montrent en réalité que quelques centaines de personnes au plus. Et pour cause : c’est bien ainsi que les choses se passent sur le terrain ; les manifestations de l’opposition que j’ai pu observer ne rassemblent pas plus de personnes. Elles ont généralement lieu dans les banlieues pauvres, à la sortie des mosquées et sous influence islamiste prégnante.

          Ce que je ne peux comprendre, c’est que les médias osent utiliser ces images pour illustrer les chiffres absurdes qu’ils avancent, parlant de manifestations de centaines de milliers de personne. Cela confine au surréalisme ; et je crois que, quand les événements seront passés, les archives des médias concernant la Syrie constitueront une inépuisable banque d’exemples pour des cours de critique historique, plus encore que le sont déjà celles de la Guerre du Golfe.

Quant aux images qu’on ne nous montre pas, ce sont celles des immenses manifestations de soutien au régime baathiste. Elles rassemblent, elles, des centaines de milliers de manifestants. Certes, elles sont dans la plupart des cas organisées par les autorités et, celles-là, les forces de l’ordre ne les répriment pas. Mais, pour y avoir assisté, je peux témoigner que la majorité des personnes qui y participent sont tout à fait sincères et soutiennent le président al-Assad, avec une ferveur non feinte, tout aussi ardente que celle des manifestants de l’opposition.

Mais, ces immenses rassemblements, aucune chaîne de télévision n’en fait la promotion, laissant croire à leurs auditeurs que le régime est face à une révolte de masse et est sur le point de s’effondrer, ce qui n’est absolument pas le cas.

Pourquoi l'Occident n'intervient-il pas, comme il l'a fait en Libye ?

Avant tout, la question est de savoir s’il y a matière à intervenir : les chiffres invérifiables –et invérifiés- avancés de part et d’autre, dans le cadre de cette guerre médiatique que se livrent le gouvernement et certains courants de l’opposition, ne permettent pas de justifier une intervention.

Vous me répondrez, cela dit, que, en Libye, personne ne s’est embarrassé d’une quelconque enquête sur la réalité des chiffres avancés. La résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a autorisé l’intervention (et ouvert le champ à toutes les dérives qu’on a ensuite connues –je pense notamment à la destruction de la ville de Syrte, qui n’était certainement pas prévue par la résolution dont l’objectif officiel –ne l’oublions pas- était la protection des populations civiles), a été votée sur base d’un rapport de la Ligue des droits de l’homme libyenne, qui affirmait que le gouvernement avait massacré six mille personnes. On sait aujourd’hui que ce fut là un énorme bobard. En somme, rien n’empêcherait d’en faire autant dans le dossier syrien...

Il faut aussi s’interroger sur la faisabilité d’une telle intervention. Une intervention est-elle possible ? Le gouvernement syrien a le soutien de l’Iran, puissance régionale dont l’entrée en scène dans un conflit en Syrie pourrait entraîner la déstabilisation, voire l’embrasement de toute la région, y compris des pétromonarchies du Golfe, ce que personne ne souhaite pour des raisons bien évidentes. Une implication de l’Iran pourrait en outre entraîner une réaction israélienne, avec les conséquences que l’on peut imaginer dans la géopolitique du monde arabe.

La Syrie a également le soutien de la Chine, grand consommateur de pétrole qui s’approvisionne en Iran, et de la Russie : Moscou, depuis les accords de Camp David, en 1978, c’est-à-dire le rapprochement entre l’Égypte et les Etats-Unis et la paix entre le Caire et Tel-Aviv, a progressivement perdu la bataille du Moyen-Orient où il ne lui reste plus comme allié, aujourd’hui, que la Syrie. Or, Vladimir Poutine, depuis qu’il a repris les rênes de la Russie, essaie de réparer la catastrophe des années Eltsine et de maintenir la Russie au rang de puissance mondiale, de puissance régionale à tout le moins. Ainsi, dès que Français et Turcs, en novembre, avaient évoqué la possibilité d’une intervention commune en Syrie, la Russie avait envoyé des bateaux de guerre dans les ports syriens, pour marquer son territoire ; le message a été bien clair. La Chine et la Russie sont toutes les deux membres permanents du Conseil de sécurité et utiliseront certainement leur veto à toute velléité d’ingérence en Syrie. Et on peut même s’attendre à ce que la Russie montre les dents si une intervention devait néanmoins se produire (comme il s’en est produit sans accord onusien, en 2003, par exemple, en Irak, ou dans le cas de la soi-disant « indépendance » du Kosovo).

Mais, au-delà de ces considérations, la réponse à votre question est en fait assez simple : parce qu’aucun État occidental n’a d’intérêt à faire chuter le régime baathiste en Syrie, pas même Israël.

En Libye, les motivations de la spectaculaire intervention atlantique ont été claires et limpides : Mouammar Kadhafi avait imposé aux sociétés pétrolières et gazières des contrats d’exploitation drastiques, qui réservaient à l’État libyen une part non négligeable des dividendes, lesquelles étaient en grande partie redistribuées à la population sous forme d’aide sociale (médecine gratuite, scolarisation, énergie aussi, etc.). À l’occasion du « Printemps arabe » et des troubles qui ont surgi dans une partie du pays, il a été possible pour les États intéressés de s’ingérer en Libye et de renverser son gouvernement pour le remplacer par une équipe beaucoup plus docile et favorable au libéralisme économique pur et dur. Il n’y a pas de secret : avant même la chute de Kadhafi, la France, qui fut le fer de lance de l’opération, avait déjà négocié ses parts d’exploitation pétrolière avec le Conseil national de Transition, le nouveau gouvernement désormais en place à Tripoli.

Rien de tel ne préoccupe les Occidentaux en Syrie. Tout au contraire.

La Syrie n’est pas un pays très riche. Il vend à l’Europe 98% du pétrole qu’il produit et les États européens ont toujours eu d’excellents rapports avec Damas.

Dans le cadre de la politique états-unienne, la Syrie baathiste n’est plus un ennemi depuis longtemps : après les attentats du 11 septembre 2001, des accords ont été passés entre les Etats-Unis et la Syrie, qui s’étaient découvert un adversaire commun, les islamistes radicaux. Ainsi, des prisonniers détenus à Guantanamo ont été expédiés en Syrie pour y être interrogés, torturés. Les services secrets de ces deux États ont activement collaboré. Ensuite, à partir de 2005, la France sarkozienne, grande alliée des Etats-Unis, a fait pression sur la Syrie en utilisant le Tribunal spécial pour le Liban, chargé d’enquêter sur l’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri : le gouvernement syrien en a été accusé. Parallèlement, les Etats-Unis ont poussé leur principal allié arabe, l’Arabie saoudite, à proposer des accords diplomatiques et économiques à la Syrie. Cette politique de la carotte et du bâton a été bien comprise par Damas, qui a accepté de se rapprocher d’avantage encore de Washington. L’enquête du Tribunal spécial a alors immédiatement été réorientée vers le Hezbollah au Liban.

Les troubles qui ébranlent la Syrie viennent ainsi mettre en péril près de dix ans de diplomatie états-unienne de normalisation des rapports avec Damas.

Enfin, Israël considère Bashar al-Assad comme un allié de fait : si le discours, à Damas, demeure très antisioniste, la Syrie, dans les faits, ne mène aucune action concrète et garantit à Israël une parfaite sécurité sur leur frontière commune, le Golan. Cette frontière est strictement surveillée par les syriens, pour empêcher que des Palestiniens, parmi les 500.000 réfugiés qui vivent en Syrie, ne tentent des attaques contre Israël à partir du sol syrien. Tel-Aviv ne souhaitent certainement pas voir une guerre civile ou les islamistes plonger un aussi bon voisin dans le chaos.

Dès lors, l’Occident attend, sans prendre de mesures réellement contraignantes contre le régime, dans l’espoir cynique que la situation se stabilisera et que l’ordre reviendra en Syrie.

© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en mentionner la source.

 

 

   

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Source : Pierre Piccinin
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