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Par Fériel Berraies Guigny. Paris

Philippe Hugon :
« En Afrique, il faut parvenir à la double révolution verte » !


Photo IRIS

La Banque mondiale et le FMI ont tiré la sonnette d’alarme en avril dernier, arguant que la crise alimentaire pourrait menacer durablement la stabilité mondiale.
Les manifestations contre la vie chère ont éclaté au Burkina Faso, au Cameroun, au Sénégal, en Côte d’ivoire, en Haïti et en Egypte. Les causes sont attribuées à l’augmentation du prix de l’énergie qui se répercute sur toute la chaine de la production agricole.
La flambée des prix des pesticides, des engrais, et le regain d’intérêt des biocarburants (utilisant des produits alimentaires) sont aussi à l’origine du problème. Selon les estimations des experts, les prix augmenteront encore en raison de l’accroissement du niveau de vie en Chine et en Inde et du changement climatique. Les prix des aliments de base ont augmenté de 80% en trois ans, le riz est plus cher qu’il ne l’a jamais été depuis vingt ans, le blé vaut le double de son prix moyen depuis vingt-cinq ans. Les coupables pour beaucoup d’experts, sont aussi les conditions des prêts financiers accordés par ces institutions aux pays du Tiers-Monde qui ont contraint les pays du Sud à se tourner vers des cultures spéculatives, provoquant à terme la crise alimentaire.
Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a affirmé pour sa part que la famine est beaucoup plus dangereuse que la crise financière survenue récemment aux Etats-Unis.
La pénurie de pain a éclaté dans de nombreux autres pays. Haïti, Egypte, Philippines, et en Afrique où, il y a pénurie de denrées alimentaires et des troubles et des révoltes sont encore à craindre.
Nous avons rencontré Philippe Hugon spécialiste de l’Afrique pour discuter des enjeux de cette crise alimentaire en Afrique.

Biographie :

Philippe Hugon est Professeur émérite, agrégé en sciences économiques, classe exceptionnelle Paris X Nanterre et Directeur du CERED/DET /FORUM (centre spécialisé en économie du développement et de la transition). Il dirige par ailleurs le DESS d'Analyse économique du développement à l'Université Paris X Nanterre et préside le CERNEA (centre d'études et de recherche pour une nouvelle économie appliquée).

Il est consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d'aide au développement (Banque mondiale, BIT, Commission européenne, OCDE, Ministère des Affaires étrangères, PNUD, UNESCO) et fut membre du HCCI (2000-2003).

Philippe Hugon est l'auteur de plus de 15 ouvrages sur le développement et l'économie politique internationale.

Entretien avec Philippe HUGON :

- Le président sénégalais Abdoulaye Wade a réclamé le 4 mai la suppression de la FAO, qu'il a qualifiée de "gouffre d'argent", et estimé que la crise alimentaire mondiale était « largement son échec » qu’en dites -vous ?

Je pense qu’il ne faut pas attribuer la crise alimentaire actuelle en Afrique, au mauvais fonctionnement de la FAO. Elle ne constitue pas un gouffre d’argent plus important qu’une autre organisation internationale ou régionale. La FAO a toujours lancé un appel extrêmement fort aux organisations internationales sur le risque de la malnutrition à l’échelle internationale, mais aussi sur les risques du sous investissement dans les domaines de la culture et de l’alimentation en Afrique. Je pense que la responsabilité elle est autant du côté sénégalais, car le Sénégal a préféré dans la tradition coloniale ancienne, nourrir sa population avec le riz importé de Thaïlande. C’est une solution qui a été choisie par les autorités sénégalaises dont le Président Wade. Il n’est pas possible pour le Sénégal, d’être autosuffisant en riz, cela serait ruineux pour son économie. Historiquement, il y a eu énormément d’investissements dans les moyennes vallées du Sénégal, qui ont été des échecs. Le Sénégal peut peut-être doubler sa production mais il ne pourra pas complètement sublimer sa dépendance. C’est encore plus vrai pour le pain qui est un aliment qui a le meilleur rapport prix calorie pour les populations. Il évite à la ménagère de travailler et de consommer du bois de feu. C’est un bien de complément indispensable.
Aujourd’hui, mis à part les pays d’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud, il n’est pas possible de faire du blé, il faut donc accepter d’être importateur de blé. Il faut simplement faire en sorte que le blé se complète davantage avec les produits locaux, comme le mil par exemple. Il faut gérer la complémentarité.

- Pourquoi un continent dont le climat est propice à l’agriculture vivrière n’arrive pas à nourrir ses populations ?

Le Sol africain est extraordinairement varié, il y a des zones arides, désertiques où les possibilités agricoles restent limitées. En second plan, il y aussi le fait qu’il y a des pays où la tradition agricole est inexistante. L’agriculture nécessite donc des investissements. Dans ces pays là, la tradition est aussi de cueillir des ignames, des tubercules sans véritablement investir dans l’agriculture. L’agriculture ayant connu peu de progrès en matière de productivité par ailleurs, elle demeure essentiellement extensive. Ceci explique en partie, le sous investissement agricole. Mais on peut toutefois avancer que les agricultures africaines, sauf pour les pays pétroliers, ont globalement été en mesure de répondre aux besoins des populations, y compris les populations urbaines. En terme d’importation céréalière par exemple, ce sont les prix qui ont augmenté et non pas le taux d’importation.

- L’Afrique est le seul continent où la production agricole par habitant a baissé au cours des vingt-cinq dernières années. C’est aussi le continent où l’agriculture a énormément souffert de politiques erronées ou inadaptées, aussi bien durant la période coloniale que dans un passé plus récent, quel est votre sentiment ?

On a toujours sous investi dans l’agriculture en Afrique, beaucoup de pays ont préféré assurer de la nourriture à la population notamment urbaine en important des produits bon marché, que ce soit des produits dumping ou des produits venant d’Asie, comme le riz de Thaïlande ou les produits de surplus alimentaire provenant des Etats-Unis et de l’Europe. Ce n’est donc pas une priorité des politiques africaines. Ceci étant, il faut aussi savoir que la crise actuelle n’est pas une crise agricole, mais une crise de la filière agroalimentaire ! C'est-à-dire tout ce qui concerne l’amont de l’agriculture et aussi l’aval dont le commerce, le stockage, la transformation des produits, la distribution finale. La crise actuelle n’est pas relative à la baisse de la production agricole, mais elle vise avant tout la flambée des prix en regard à des revenus peu élevés.

- La priorité à l’industrialisation dans certains pays et à la monoculture de rente a t-elle déséquilibré et fragilisé l’agriculture africaine ?

D’une part, la priorité à l’industrialisation, cela a été vrai dans les années 70.
Depuis les années 80 cela n’est plus le cas. En dehors de l’Afrique du Sud ou du Nord dont la Tunisie et le Maroc, l’Afrique a peu avancé dans ce domaine. On peut même dire que la plupart des pays africains se sont désindustrialisés. D’autre part, il y a un autre grand débat sur la question des cultures de rente. Ce que l’on peut dire, c’est que dans l’ensemble des pays africains, il y a une complémentarité des cultures de rente et des cultures vivrières. Par exemple, quand on fait la culture de coton, on fait la culture du mais, quand on fait du cacao on fait du tubercule également. Dans les zones où il y un encadrement agricole, ces deux cultures sont possibles.

- Le prix des aliments de base comme le pain, le riz, et le mais sont montés très hauts, le prix des carburants y est pour beaucoup ?

C’est un des grands facteurs spéculatifs. D’une part, les agricultures des grands pays industrialisés sont très consommatrices d’énergie et de pétrole. D’autre part, il faut savoir que la question des prix alimentaires ce n’est pas uniquement la question des prix de l’agriculture. C’est aussi la question des prix du transport, la question du surenchérissement et des coûts de stockage liés au pétrole. Ce sont les facteurs majeurs qui ont joué. Par ailleurs, la demande des pays émergents et notamment la Chine se fait de plus en plus sur des produits d’élevage, de viande qui consomment de la terre et qui vont à leur tour dépendre des cultures vivrières. Enfin, les produits agricoles sont devenus des valeurs pour les spéculateurs, spéculation qui a été favorisée parla baisse des stocks alimentaires.
C’est tout un ensemble de facteurs qui entre en jeu et le prix de l’énergie y compte pour beaucoup.

- De janvier à mars, le prix d’une tonne de froment exportée des Etats-Unis est passé de USD 375 à USD 440, durant la même période, le prix du riz exporté de Thaïlande est monté de USD 365 à USD 562 ?

Les prix agricoles sont à la fois des prix qui tendanciellement avaient baissé de 60% depuis le choc de 73-74. Depuis, on a eu une baisse permanente des prix agricoles avec cependant de très fortes fluctuations. Le prix du riz a doublé très récemment, du fait de raisons essentiellement spéculatives. Mais la tendance spéculative va se tasser à cour terme et on aura alors des productions suffisantes pour reconstituer les stocks agricoles. Ceci n’exclura pas une nouvelle tendance haussière des prix agricoles à long terme. Nous vivons de très fortes instabilités et elles sont d’autant plus fortes dans les pays pauvres, que ces derniers ont abandonné des moyens de régulation de stabilisation, ils ont abandonné les subventions aux produits agricoles aux producteurs et aux consommateurs.

- Le Directeur Général du FMI, M. Strauss Kahn a déclaré que notre main devait aller non pas vers notre porte monnaie mais vers notre bouche, dans la réalité que pensez-vous que sera l’attitude des Instances internationales face à la faim en Afrique ?

Il est un fait, que cette question n’a pas été suffisamment prioritaire pour les organisations internationales dont la Banque Mondiale. On était dans l’idée que la sécurité alimentaire pouvait être assurée par des marchés suffisamment ouverts pour que les pays pauvres aient accès à des produits alimentaires bons marchés. On voit bien qu’en fait, ils sont également dépendants de fortes instabilités alimentaires et qu’il faut aujourd’hui réorienter les investissements vers l’agriculture et l’agroalimentaire. M. Strauss Kahn a reconnu également, contre tous les principes du FMI que dans ces cas là, il fallait des subventions alimentaires pour que les catégories les plus pauvres ne soient pas exclues des produits alimentaires. Il y a également, un changement de position et de doctrine de la part du FMI et de la Banque Mondiale. Il faut se rappeler que la Banque Mondiale avait rédigé son dernier rapport sur l’agriculture comme étant une des priorités pour l’Afrique, notamment.

- Selon vous, le FMI est-il disposé à modifier ou à supprimer les conditions structurelles appliquées aux pays du Tiers-Monde ? C'est-à-dire, les conditions appliquées aux pays endettés du Tiers-Monde lorsqu’ils reçoivent des crédits ?

Les conditionnalités sont effectivement, en voie de réduction. Il y a eu renégociation de la dette multilatérale auprès des Institutions de Bretton Woods. Les pays africains se sont très largement désendettés aujourd’hui par rapport aux pays de l’OCDE. Les pays africains ont de plus en plus accès à des financements diversifiés de la part de nouveaux partenaires, ce qui fait qu’entre autre le FMI et la Banque Mondiale ont des problèmes de financement par rapport à leurs prêts, car aujourd’hui, il y a d’autres prêteurs au niveau international.

- Quelle est la part de responsabilité de l’Union européenne  s’agissant des méthodes de Dumping agricole? Quelle stratégie alimentaire peut-on proposer comme mesure alternative ?

Si l’on se situe dans le long terme et dans les problèmes structurels, les subventions américaines comme la politique agricole commune européenne, ont plutôt été défavorables aux agricultures des pays pauvres. Le fait que les agricultures soient subventionnées dans les pays industrialisés, le fait que l’on exporte le surplus des marchés internationaux, ont pesé sur la baisse des produits agricoles des pays pauvres. Ceci étant, on est dans un véritable paradoxe, où impérativement il faudra que les pays riches augmentent leur aide alimentaire, pour reconstituer les stocks et permettre de casser les spéculations par des abondances d’offre. Mais à terme, il faut éviter de recasser les économies des pays pauvres. On est dans des jeux contradictoires, d’urgence et de court terme. Car l’enjeu est de parvenir à la reconstruction à long terme, de l’agriculture des pays pauvres.
Mais on peut gérer la complémentarité.

- Comment contenir la crise de l’alimentaire à l’heure actuelle ? L’Afrique peut-elle compter sur une assistance équitable ? Quel en sera le prix à payer?

La priorité des priorités est d’arriver à casser les spéculations, elles sont externes, elles découlent des marchés internationaux. Mais il y a des moyens de combattre cela, il suffit de mettre sur les marchés de l’offre excédentaire et cela permet d’éviter les politiques de limite d’exportation des produits de la part des pays excédentaires. Cela a le mérite de contrôler les spéculations. Mais les spéculations commerçantes sont aussi à terme, car nous sommes dans des économies inflationnistes et de croissance. Il suffit de se promener en Afrique pour voir qu’il y a de l’inflation immobilière dans toutes les grandes villes, de très fortes inégalités de revenu qui apparaissent. Ceci explique les émeutes un peu partout, dont récemment en Afrique du Sud. Maîtriser l’inflation et casser les marges spéculatives sont certes une priorité mais il faut aussi que l’aide alimentaire soit suffisante pour répondre aux besoins urgents des populations mal nourries. L’assistance technique a aussi une part importante à jouer, elle peut venir de l’Europe ou des pays qui ont réalisé leur révolution verte, comme la Chine et l’Inde.
Ils y sont parvenus grâce à leur connaissance dans le domaine. En Afrique il faut que les différents acteurs, nationaux, et internationaux refassent de l’agriculture et de l’agroalimentaire une véritable priorité. Les populations africaines vont doubler d’ici 2050, il faut qu’au moins il y ait un triplement des rendements. D’autant qu’en Afrique, on est dans des écosystèmes extrêmement fragiles. Il faudra réorienter la recherche vers l’agriculture des pays pauvres,
Il faut parvenir ce que l’on appelle la double révolution verte. Une révolution qui à la fois augmente les rendements et respecte les écosystèmes.

- Le spectre d’une guerre alimentaire mondiale, pourrait-elle se profiler à l’avenir avec les aléas environnementaux? Les réfugiés climatiques constitueront-ils de nouvelles menaces pour le monde ?

Tout dépend des acteurs, il faut évidemment avoir un peu de vision prospective sur ces questions précises. Quels sont les grands défis ? En premier lieu, l’accroissement très sensible de la population mondiale et notamment en Afrique. En second plan, il y aura les effets des changements climatiques qui vont se répercuter notamment dans les pays les plus vulnérables, ceux dont les populations ont le moins de résilience. Pour ne prendre que l’Afrique, elle contribue à 4% des émissions de CO2 mais elle subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique. Avec les risques de réfugiés climatiques. Par rapport à ces questions, il est évident qu’il y a des risques de conflits. Actuellement en Afrique, beaucoup des conflits sont liés aux ressources pétrolières mais aussi aux enjeux fonciers. C’est le cas au Darfour, au Kenya, en Côte d’Ivoire, car les grands enjeux sont de savoir s’il y aura des possibilités de migration à l’intérieur de l’Afrique ? Les « Autochtones » vont-ils accepter les « Allogènes » ? Y aura-il des droits fonciers pour les populations migrantes ?
L’Afrique est de plus en plus surpeuplée ; de plus elle tend à se désertifier par ses sols, alors qu’il y a aussi une Afrique presque vide, en Namibie par exemple où les sols sont abondants. Mais l’on se heurte là à des problèmes de cohabitation avec les autochtones. On voit comme contrecoup, une montée des référents identitaires et des nationalismes. C’est ce qui s’est passé dernièrement en Afrique du Sud.

Merci Monsieur Hugon

Crédits :
NEW AFRICAN PROPRIETE EXCLUSIVE
Article de presse Courtesy of Fériel B.G Rédactrice en chef www.africasia.com
Publié le 8 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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