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Contre l’apartheid à Deux États
Omar
Barghouti : Aucun État n’a le droit d’exister comme État
raciste
Entretien de Silvia Cattori
6 décembre 2007 Omar
Barghouti appartient à cette nouvelle génération
d’intellectuels Palestiniens qui n’ont jamais adhéré à la
solution « Deux peuples, deux États » et qui
appellent au boycott, au désinvestissement, et à des sanctions
à l’égard d’Israël. Partisan d’un État laïque et démocratique,
où Palestiniens et Israéliens partageraient des droits égaux
après que les injustices historiques aient été corrigées et
que les droits des réfugiés aient été respectés, il a accordé
un entretien au Réseau Voltaire dans lequel il exprime le décalage
entre son peuple et ses dirigeants internationalement reconnus.
Dans cet entretien, il a notamment
répondu aux questions suivantes. Peut-on établir un dialogue et
promouvoir une « normalisation » entre occupants et
occupés, s’il n’y a pas de rapports d’égalité ? La
solidarité doit-elle continuer de travailler avec les représentants
de l’Autorité palestinienne, une minorité de privilégiés qui
collaborent avec l’occupant ? Doit-elle continuer de
calquer ses orientations sur celles du « camp de la paix
israélien », dont le désir d’en finir avec
l’occupation est bien réel, mais dont la préoccupation,
consciente ou inconsciente, est avant tout de préserver Israël
en tant qu’État juif ?
Omar Barghouti
Silvia
Cattori : J’ai eu le privilège
d’entendre la conférence que vous avez donnée à Milan le 8
octobre 2007 [1].
Votre analyse de la situation en Palestine rompt avec les
orientations qui sont généralement véhiculées, y compris au
sein du mouvement de solidarité. Avez-vous eu le sentiment que le
public italien est réceptif à vos positions ?
Omar
Barghouti : Je suis venu en Italie, en mars 2007,
pour une tournée au cours de laquelle j’ai parlé sur différents
sujets. Art et répression est l’un d’entre eux. J’ai également
parlé de la solution « un seul État », ainsi que du
boycott d’Israël [2].
Un mouvement est en train de se développer en Italie, qui
comprend qu’il est nécessaire d’exercer une pression efficace
sur Israël et qu’il n’est plus acceptable de continuer à se
limiter à des actions de solidarité traditionnelles telles que
manifestations, rédaction de lettres, etc. À l’évidence, de
telles manifestations traditionnelles de solidarité ne pourront
pas, à elles seules, faire bouger Israël, car elles
n’aggravent en rien le prix politique à payer par Israël pour
son occupation et son oppression des Palestiniens. Les Européens
peuvent bien manifester autant qu’ils le veulent, Israël s’en
moque. Je pense que de plus en plus d’Italiens s’en rendent
compte.
Faire progresser cette prise de
conscience est assurément une chose importante qui devrait se
poursuivre, aussi longtemps que le conflit colonial continue. Mais
cela n’est plus suffisant.
Après le 11 septembre 2001, Israël
est devenu beaucoup plus belliqueux qu’auparavant.
Aujourd’hui, il se préoccupe vraiment très peu de l’opinion
publique internationale, alors qu’il était très sensible à
l’opinion publique occidentale durant les années soixante-dix,
quatre-vingt, et même quatre vingt-dix. En ce vingt et unième siècle,
Israël devient de moins en moins sensible à l’opinion publique
à cause de son immense pouvoir et de son influence sans égale
sur Washington, qui reste, politiquement, le maître des Européens.
Voici comment il voit les choses : « Puisque Washington
est à nos côtés, pourquoi nous préoccuper des Européens ? »
Pour donner un exemple :
lorsque la Belgique a voulu mettre
Ariel Sharon en jugement pour son rôle dans les massacres de
Sabra et Chatila à Beyrouth en 1982, Mme Condoleezza
Rice a menacé, en réponse, le Ministre belge des Affaires étrangères
de retirer du pays le siège de l’OTAN, parmi d’autres mesures
drastiques. Dans les jours qui ont suivi, le jugement a été
renversé et le tribunal n’a jamais convoqué Ariel Sharon. Il y
a eu des pressions du même genre sur l’Allemagne et la France
à la suite du conflit avec l’Europe touchant la guerre en Irak
en 2003.
Israël a compris que sa vaste
influence sur le Congrès se traduit en une influence
substantielle, quoiqu’indirecte, sur l’Europe. De ce fait,
Israël ne se préoccupe pas particulièrement de l’opinion
publique européenne.
De plus en plus d’Italiens se
rendent compte qu’il est maintenant temps d’exercer une
pression efficace sur Israël ; que l’on ne peut plus se
contenter de dire « méchants garçons, vous faites de
vilaines choses ».
Silvia
Cattori : Le Wall Street Journal a
écrit récemment : « Le rêve qu’était la Palestine
est finalement mort » [3].
Comment réagissez-vous à cette affirmation ?
Omar
Barghouti : Je pense que c’est là, prendre ses désirs
pour des réalités. Les néoconservateurs qui contrôlent le Wall
Street Journal sont en passe de finir dans les poubelles de l’Histoire
après tous leurs échecs en Irak et en Afghanistan. Ils
voudraient bien croire que les « Palestiniens sont finis ».
Je pense, que ce sont eux qui sont finis. Cela va prendre sans
doute un peu de temps, mais je crois honnêtement que leur
croisade s’est révélée criminelle et futile et que leurs
arguments ont été réfutés.
Leur grand dessein idéologique
qui était censé commencer en Irak —déployer son effet domino
tout au travers des régions pétrolières arabes et leur
permettre de contrôler le monde— s’est fracassé. Leur vision
a été dénoncée comme fondamentalement raciste, dogmatique et
profondément erronée. Grâce principalement à la résistance en
Irak, au Liban et en Palestine, cette vision néoconservatrice de
l’empire est en voie d’être définitivement défaite.
Silvia
Cattori : Comment jugez-vous ceux de
vos dirigeants qui collaborent avec l’occupant ?
Omar
Barghouti : Ceux qui, parmi les leaders palestiniens
collaborent avec l’occupation font assurément partie du problème,
et pas de la solution. Je les condamne dans les termes les plus
vigoureux. J’ai exprimé publiquement ma position à ce sujet
lorsque le Hamas a pris le contrôle de Gaza [4].
Bien que je sois très critique à l’égard du Hamas pour différentes
raisons, je reconnais que la majorité des Palestiniens sous
occupation l’ont démocratiquement élu pour les gouverner et
mener la lutte pour la liberté et l’autodétermination. Le
monde doit respecter ce choix palestinien démocratique, bien
qu’un tiers seulement des Palestiniens aient participé à ces
élections. Les deux autres tiers incluant les réfugiés
palestiniens dispersés dans le monde et les Palestiniens de
citoyenneté israélienne, n’ont même pas été considérés.
Ce serait aux Palestiniens de
demander des comptes au Hamas s’il manque à gouverner
convenablement ou a réaliser les droits des Palestiniens, pas à
l’Amérique, pas à l’Europe, et certainement pas à Israël.
Certains dirigeants politiques
palestiniens se font les complices du pouvoir colonial et raciste
d’Israël d’une façon insidieuse. Au lieu d’une approbation
ouverte de l’occupation, leur rôle est de donner au monde la
fausse impression qu’il s’agit essentiellement d’une dispute ;
et que l’on peut s’asseoir pour la négocier gentiment, en
Suisse ou ailleurs. Ils masquent de ce fait la réalité, à
savoir qu’il s’agit d’un conflit colonial nécessitant une
lutte massive sur le terrain et l’appui d’une pression
internationale soutenue pour en venir à bout.
L’utilisation de ce terme
« dispute » est un vrai désastre qui nous a affligés
depuis les Accords
d’Oslo [5].
En fait, tout cela a commencé avec les pourparlers de Madrid,
avant Oslo ; mais le « processus d’Oslo » a été
le coup le plus dévastateur pour la lutte palestinienne d’autodétermination,
parce qu’il a conduit à un glissement de paradigme :
d’une lutte d’un peuple opprimé contre ses occupants et
colonisateurs, à une dispute entre deux groupes nationaux avec
des droits et des revendications morales conflictuels mais symétriques.
Silvia
Cattori : Dès lors, comment
expliquer que, en dépit du fait que toutes les négociations avec
Israël n’ont apporté que plus de malheurs aux Palestiniens,
des personnalités comme MM. Erekat, Abbas, Rabbo [6],
poursuivent ce « processus de paix » et poursuivent
obstinément dans cette même voie ? Quel espoir les
Palestiniens peuvent-ils avoir face à cette situation ?
Omar
Barghouti : Si vous prenez l’exemple de l’Afrique
du Sud, les années les plus répressives de l’apartheid furent
les années qui ont précédé sa fin ; non pas les années
60 ou 70, mais la fin des années 80 et le début des années 90.
L’apartheid a atteint le sommet de son pouvoir, le sommet de la
répression, juste avant de s’effondrer. Ainsi, en ce moment où
le mouvement sioniste a tant d’influence dans le monde, je ne
vois pas cela comme la fin de la question palestinienne.
Au contraire, je le vois comme le
début de la fin du sionisme. Israël et le sionisme ont perdu
tout le respect et l’admiration dont ils ont joui autrefois au
niveau international. Ils sont en train de devenir rapidement des
parias. Israël, un Etat dont les incessantes actions de
purification ethnique et de déshumanisation criminelle des
Palestiniens se font de façon plus ou moins ouvertes, n’a plus
recours aujourd’hui qu’à la brutalité, au terrorisme
intellectuel, et à l’intimidation vis-à-vis de la communauté
internationale et des autorités élues de l’Ouest, pour
atteindre ses objectifs. Les peuples du monde n’aiment pas et ne
soutiennent pas le sionisme, comme l’ont montré plusieurs
sondages récents ; ils ont simplement peur du sionisme, et
cela fait une énorme différence.
Dans les années cinquante et
soixante du siècle dernier, les Européens aimaient Israël
–pays du « Kibboutz » présenté sous des couleurs
romantiques- comme le ferment de la « démocratie libérale »
dans une région affligée par l’autocratie et « l’arriération ».
Les Européens, après tout, ont aidé à construire Israël de
plus d’une façon ; et ils le voyaient, dès lors, comme
leur « enfant » au milieu de cette « mer barbare
d’Arabes ». Israël était perçu comme l’entité
blanche, éclairée, civilisée, au sein d’une « jungle
peuplée d’indigènes du Sud, de couleur et indisciplinés ».
Et, alors que beaucoup d’Européens
doivent encore se libérer de cette attitude coloniale et raciste
à l’égard des Arabes, Israël ne jouit plus aujourd’hui que
de très peu de sympathie, en Europe ou n’importe où dans le
monde. Israël a des protégés qui sont très bien payés et des
groupe de pression politiques extrêmement efficaces qui sont très
bien rodés. Avec de tels outils, il a réussi à imposer son
discours, sa ligne politique, dans les médias européens
dominants, les parlements et les milieux de pouvoir.
Comme leurs homologues états-uniens,
les responsables politiques européens sont aujourd’hui confrontés
au dur choix de suivre la ligne dictée par Israël, ou de briser
leur carrière, et souvent aussi leur réputation. La complicité
des Européens dans le maintien de l’occupation et de
l’oppression israélienne est obtenue par la menace,
l’intimidation, la brutalité, et pas par la persuasion. C’est
là, sur le plan historique, la perte la plus significative du
sionisme. Il a gaspillé la sympathie dont il jouissait autrefois,
et complètement perdu sa capacité de toucher les cœurs et les
esprits, même en Occident. Le sionisme maintenant obtient ce
qu’il veut seulement par la trique.
Mais combien de temps les gens
resteront-ils effrayés et intimidés ? À la fin, ils se révoltent
—si ce n’est pour notre intérêt, au moins pour sauvegarder
leur liberté, leur dignité, et leur sens de la justice—. Je
parle ici des citoyens européens et états-uniens qui jouissent
de droits démocratiques établis, et pas des peuples appauvris du
Sud qui manquent de moyens pour effectuer des changements.
Vous les Européens, êtes des
peuples qui vivent dans une relative démocratie –et elle est très
relative ; vous vivez dans le bien être sur le plan économique ;
vous pouvez faire valoir votre voix dans des élections régulières
et vous pouvez l’utiliser pour provoquer un changement, mais il
va falloir, pour vous réveiller, un bruyant appel du Sud néo-colonisé
qui réaffirmera sa volonté et sa demande de justice, de développement
durable, et de réparation pour des siècles de domination
coloniale. Les citoyens européens peuvent être résolument
convaincus de rejeter leur héritage colonial et de reprendre le
contrôle de leurs destinées des mains de leurs élites
dirigeantes défaillantes qui les ont pris en otage et trahissent
de plus en plus leurs intérêts. Mais cela va demander un grand
travail de conscientisation, et beaucoup de campagnes de
persuasion, à petite échelle, mais soutenues et susceptibles de
s’amplifier graduellement. Ce travail de fond est crucial et
indispensable pour combler le fossé Nord-Sud, pas seulement sur
le plan économique, mais également sur le plan conceptuel et
culturel.
Silvia
Cattori : Vous, les Palestiniens,
savez mieux que quiconque que les États-Unis et Israël se sont
servis des attentats du 11 septembre 2001 pour qualifier toute résistance
de « terrorisme ». Aujourd’hui, vos autorités aussi
s’engagent à suivre cette même voie. M. Abbas proclame
qu’il va combattre les « terroristes du Hamas », au
nom des « musulmans modérés ». Le but réel
n’est-il pas de combattre la seule résistance anticoloniale qui
existe encore en Palestine ?
Omar
Barghouti : Oui, mais le mouvement sioniste a joué
un rôle clé pour promouvoir frénétiquement cette théorie du
« choc des civilisations », fondée sur la fausse prémisse
que le 11 septembre était un combat entre les musulmans et le
reste du monde, entre l’Islam et la —ainsi nommée—
civilisation « judéo-chrétienne ». Ce concept néoconservateur
adopté par le sionisme a conquis une place prééminente à l’Ouest,
malheureusement, et a influencé beaucoup d’Européens.
Vous ouvrez n’importe quel
journal européen de grande diffusion et vous y trouvez toujours
quelque chose qui renforce le portrait des musulmans comme celui
de « l’autre » diabolique. Les musulmans sont
nonchalamment qualifiés de « terroristes ». On ne
vous parle jamais de quoi que ce soit touchant la civilisation
islamique. Ce dont on vous bombarde par l’image et le son, ce
sont des musulmans en colère, hurlant, brûlant des drapeaux et
soutenant Ben Laden. Sans aucun contexte. Et vous n’entendez
jamais ces gens parler par eux-mêmes. Il y a toujours quelque
sage expert occidental pour les interpréter, les expliquer,
parler à leur place, les recréer.
Bien sûr, certains de nos
« leaders », affligés d’une mentalité d’esclave
et dépourvus de vision et de principes, ont interiorisé ces
concepts au point qu’ils en ont oublié que la vie existe
en-dehors de cette misérable réduction. De leur point de vue,
comme l’avait autrefois écrit le pédagogue brésilien Paulo
Freire : être, c’est être comme l’oppresseur,
Silvia
Cattori : Mais cela n’est-il pas
d’une redoutable efficacité pour amener l’opinion à craindre
ces Arabes et musulmans contre lesquels Israël et les États-Unis
mènent une guerre sans fin, et la conditionner de façon à ce
qu’elle ne s’émeuve pas quand on les massacre ?
Omar
Barghouti : Dans ce « clash », tel
qu’il est perçu, cet aspect religieux reste de surface. En
profondeur, le conflit n’a rien à voir avec la religion. Il a
à voir seulement avec le racisme, l’exploitation économique,
et l’hégémonie. Bien sûr, en convaincre les Européens sera
un long processus, parce que le 11 septembre a été pour eux un
choc très traumatisant. Quels que soient ceux qui ont commis ces
attentats, ils savaient ce qu’ils faisaient. C’était presque
une prophétie qui se réalise elle-même pour créer la base de
cette théorie du « choc des civilisations » de façon
dramatique et criminelle. Mais je ne crois pas au « choc des
civilisations ». Je crois que les peuples et les nations,
dans leur riche diversité, ont beaucoup de choses qui les
unissent, ont beaucoup en commun.
Oui, ce racisme européen anti
musulman, qui se développe —la véritable nouvelle forme de
l’« antisémitisme » si vous voulez— est
certainement un phénomène très dangereux. Les musulmans sont même
considérés comme moins humains que les Juifs européens ne
l’ont été dans le passé. Je vous donne un exemple avec les
caricatures danoises, ces caricatures racistes contre l’Islam et
le Prophète. J’ai écrit à ce sujet un article [7]
où j’ai dit : imaginez qu’un caricaturiste danois fasse
la même chose contre le judaïsme, que se passerait-il en Europe ?
Hélas, beaucoup d’Européens ne voient pas les choses comme
cela parce que, pour eux, c’est une chose tolérable
aujourd’hui d’être raciste à l’égard des musulmans.
Malgré tout, je ne vois pas cela
comme un phénomène durable à long terme, en particulier parce
que l’Holocauste a conduit les Européens à faire l’expérience
traumatisante de l’abîme moral et physique où le racisme les
avaient entraînés.
Silvia
Cattori : Comment avez-vous réagi
quand vous avez appris que la Suisse avait organisé durant deux
années des rencontres secrètes entre Palestiniens et Israéliens,
qui ont abouti à ce que l’on a appelé « Initiative de
Genève » ou « Accord de Genève » ? [8]
Omar
Barghouti : L’« Initiative de Genève »
est en contradiction avec les exigences de base d’une juste
paix. Elle ignore l’injustice fondamentale, le noyau de la cause
palestinienne, qui est le déni israélien du droit inaliénable
des réfugiés palestiniens à retourner, comme tout autre réfugié
dans le monde, sur les terres et dans les maisons dont ils ont été
chassés.
Il est donc très surprenant que
le gouvernement suisse, en particulier, qui est un défenseur conséquent
du droit humanitaire international, ait accepté un tel accord qui
viole ouvertement ce droit.
Silvia
Cattori : Ne pensez-vous pas que les
diplomates suisses ont pu être naïfs, induits en erreur par ceux
qui avaient un parti pris pro-israélien, comme M. Alexis
Keller par exemple [9],
et qui donnaient une orientation favorable à Israël ?
Sinon, comment expliquer que l’on ait choisi, du côté
palestinien, des négociateurs qui m’ont, dans l’ensemble,
paru de peu de probité et qui, comme M. Yasser Abed-Rabbo,
étaient prêts à appuyer tout ce qui plaisait à l’occupant ?
Omar
Barghouti : Je n’ai jamais défendu les
politiciens palestiniens corrompus qui placent leurs intérêts égoïstes
au-dessus de tout. Mais, indépendamment de cela, il s’agit ici
du droit international, et la Suisse n’a pas besoin de qui que
ce soit pour le lui enseigner. Elle est dépositaire des
Conventions de Genève. Son approbation de cette Initiative ne
peut donc pas être de la naïveté. Elle a voulu faire plaisir
aux États-Unis, à l’Union Européenne et à d’autres
pouvoirs. Et je pense que le calendrier lui non plus n’était
pas complètement innocent.
Ce n’est pas entièrement lié,
mais je pense qu’un des facteurs qui a poussé la Suisse à
promouvoir cette initiative a été le scandale bancaire lié aux
réparations de l’Holocauste soulevé par les États-Unis, et
l’énorme action judiciaire introduite contre d’importantes
banques suisses, portant sur des milliards de dollars de
compensations financières. L’image de la Suisse a été ternie
aux États-Unis et, naturellement, cela affecte les affaires. La
Suisse vit du secteur bancaire, plus que de toute autre chose. Dès
lors, quand la réputation de son secteur bancaire est ternie, en
Occident, aux États-Unis et dans le reste de l’Europe, cela est
très mauvais pour la Suisse. Connaissant bien la capacité à
calmer l’orage du lobby israélien aux États-Unis, la Suisse était
prête, à cette époque, à tout faire pour plaire à Israël, même
s’il fallait pour cela mettre de côté quelques principes.
Silvia
Cattori : Lorsque des crimes d’une
telle ampleur sont commis en Palestine, le temps presse, nul n’a
droit à l’erreur. C’est pourquoi il est fort regrettable que
durant ces longues années de liquidation de la Résistance
palestinienne on ait surtout donné la parole, dans le mouvement
de solidarité, à des intervenants qui, certes, condamnaient
l’occupation, mais qui par ailleurs soutenaient des solutions
racistes, inacceptables pour le peuple palestinien, alors qu’ils
auraient dû soutenir des mesures efficaces de lutte, comme le
boycott d’Israël.
N’avez-vous pas le droit aujourd’hui de blâmer ceux qui ont dénaturé
votre cause en n’insistant pas sur le droit inaliénable des réfugiés,
qui ont toujours apporté leur appui à l’Autorité
palestinienne issue d’Oslo en disant qu’elle représentait le
peuple « qui luttait contre l’occupant », et qui
continuent de prétendre que l’occupation commence en 1967 et
non pas dès 1948 ?
Omar
Barghouti : À quoi cela servirait-il de les accuser
de trahison ? Je dis ce que j’ai à dire, mais je ne veux
pas dénoncer ; je veux convaincre les gens d’aller de
l’avant, d’abandonner les vieux slogans inefficaces du
mouvement de solidarité et d’aller dans une nouvelle direction,
en accord avec ce à quoi appelle la société civile
palestinienne.
Ainsi, au lieu de condamner les
leaders de la solidarité, je veux juste leur dire : peut-être
que vous avez été mal informés, peut-être que vous avez été
trompés par la propagande israélienne parfois répétée par des
perroquets palestiniens, peut-être que vous vous êtes fixés sur
certains slogans que vous avez si souvent répétés qu’ils en
sont presque devenus constitutifs de votre perspective.
Le slogan « Deux États pour
deux peuples » est devenu un dogme. Et le mouvement de
solidarité est largement tombé dans ce dogme consolidé. Nous
devons donc mettre en cause cette doctrine et entraîner les gens
avec nous plutôt que de nous les aliéner. Et, selon mon expérience,
beaucoup de gens connaissent une transformation et une
radicalisation lorsqu’ils se trouvent confrontés à des faits,
à des arguments rationnels et à une vision morale imposant le
respect. Lorsque vous vous asseyez avec eux et que vous les gagnez
à votre cause, vous vous apercevez que beaucoup de gens sont
fondamentalement honnêtes. Ils sont sincères, ils nous aiment,
ils soutiennent la justice, ils veulent la paix, mais ils sont
simplement mal informés parce qu’ils ont entendu tant
d’orateurs, palestiniens aussi, qui sont venus leur dire :
« Deux États pour deux peuples, c’est ce que les
Palestiniens veulent ».
Silvia
Cattori : Dans cette situation
d’asymétrie, cela doit être réconfortant pour vous de voir
que de plus en plus de gens se dressent et n’ont pas peur
d’appeler par leur nom les violations des droits humains par
Israël, comme vient de le faire le Rapporteur Spécial auprès du
Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur la situation
des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés,
M. John Dugard [10].
Quel message auriez-vous à lui transmettre ?
Omar
Barghouti : Le Professeur Dugard est un juriste et
un homme de principes courageux qui nous inspire. J’ai quelque
chose de très clair à lui dire. Dans son dernier rapport sur les
« territoires occupés », il a utilisé pour la première
fois le mot d’« apartheid » pour décrire les
politiques d’Israël ; il a écrit : « Certaines
politiques de l’occupation israélienne ressemblent à
l’apartheid ».
Ce n’est pas un constat mineur
venant d’un homme de la stature de M. John Dugard. Ce que
je voudrais lui dire est ceci : s’il vous plaît, continuer
à pousser dans cette direction parce que l’ONU dispose déjà
des résolutions qui indiquent comment traiter l’apartheid, où
que ce soit dans le monde. L’apartheid est un crime de portée générale.
Il ne s’agissait pas que de l’Afrique du Sud. Maintenant, nous
avons un précédent, nous n’avons pas à réinventer la roue.
Tout ce dont nous avons besoin est de justifier et de populariser
ce diagnostic qui qualifie Israël d’Etat d’apartheid. Bien
qu’Israël soit, dans divers domaines, très différent de l’Afrique
du Sud de l’apartheid —bien pire selon Desmond Tutu et
quelques autres— ils ont suffisamment en commun pour justifier
la comparaison. Après tout, jamais deux patients ne développent
exactement les mêmes symptômes sous l’effet de la même
maladie. Si Israël est jugé coupable de pratiquer l’apartheid,
il y a des instruments du droit international, comme les
sanctions, qui peuvent être appliqués par les Nations Unies pour
le traiter.
Silvia
Cattori : N’auriez-vous pas
souhaité que M. Dugard dise carrément qu’il s’agit
« d’apartheid », et non de quelque chose qui
« ressemble » à de l’apartheid ?
Omar
Barghouti : M. Dugard est un diplomate. Nous
apprécions énormément qu’il ait eu le courage et la clarté
morale de mentionner le mot très lourd de sens qu’est le terme
« apartheid ».
Vous ne pouvez pas attendre d’un
fonctionnaire de l’ONU qu’il soit le premier à le dire de
cette façon. C’est à nous, les Palestiniens d’être les
premiers à le dire de cette manière, à le prouver, et à
l’imposer. Le mouvement de solidarité doit le dire. Et ensuite,
peut-être, l’ONU.
On ne peut pas attendre
grand-chose des Nations Unies en ce moment, particulièrement avec
le nouveau Secrétaire Général, un médiocre bureaucrate à mon
avis, qui se comporte comme s’il était un employé junior payé
par le Département d’Etat états-unien. Mais les Nations Unies
demeurent le seul forum où nous ayons quelque espoir de faire
valoir nos droits selon la loi internationale. Je ne soutiens pas
ceux qui disent qu’il nous faut passer par-dessus l’ONU, ou
l’ignorer. Qu’avons-nous d’autre ? Aussi partiale et
soumise aux intérêts états-uniens que l’ONU soit devenue, il
y a encore place pour des réformes, pour la rendre plus sensible
et la faire mieux répondre aux aspirations de l’humanité, et
particulièrement à celles des peuples opprimés du Sud, y
compris les Palestiniens. C’est toutefois une longue marche.
Silvia
Cattori : Les autorités israéliennes
ont systématiquement rejeté les rapports de M. Dugard. J’étais
présente aux Nations Unies, à Genève, quand l’Ambassadeur
israélien a exprimé devant un parterre de diplomates, en des
termes très humiliants, son désaccord officiel avec le
rapporteur. Il l’a accusé de dire des mensonges, de faire des déclarations
agressives et biaisées. Avez-vous été surpris par cette réaction ?
Omar
Barghouti : C’est la tactique à laquelle
recourent de plus en plus les officiels israéliens et ceux qui
les soutiennent ; ils ne se donnent plus la peine de
convaincre, ni d’argumenter. Voyez, maintenant, ce qu’ils font
aux États-Unis et en Grande-Bretagne : ils suppriment tout débat
sur la politique israélienne ; le débat est tout simplement
trop dangereux pour eux. Il ouvre l’esprit des gens. C’est précisément
pourquoi nous nous battons pour le débat.
Il ne devrait pas être
acceptable, dans des sociétés qui se définissent elles-mêmes
comme démocratiques, que le débat sur Israël – seulement sur
Israël - soit censuré ou délégitimé.
Silvia
Cattori : Après la publication de
son livre, qui dénonce l’apartheid pratiqué par Israël,
avez-vous pris contact avec l’ancien Président Jimmy Carter ? [11]
Omar
Barghouti : Beaucoup de gens ont envoyé des lettres
de soutien à Carter, mais les puissants groupes de pression
sionistes ont mobilisé contre lui tout l’establishment des États-Unis.
Maintenant, M. Carter, un ancien Président et également
lauréat du Prix Nobel de la Paix, n’est plus interviewé à la
télévision sur les grandes chaînes américaines ou dans les
grands journaux. M. Carter a besoin d’une aide bien plus
importante que celle de nos plus cordiaux remerciements.
Silvia
Cattori : Comment avez-vous réagi
quand M. Bush a proposé M. Tony Blair comme « homme
de paix » ?
Omar
Barghouti : M. Tony Blair ne fera rien pour
aider à instaurer la paix ou la justice. Beaucoup de citoyens
britanniques l’accusent, de façon convaincante, d’être un
opportuniste malhonnête et un laquais des États-Unis. Je
sympathise avec ces deux définitions. A mon avis, il n’a pas
non plus la vision et le courage requis pour faire quoi que ce
soit de significatif pour une juste paix.
Silvia
Cattori : Qu’avez-vous pensé de
la conférence d’Annapolis qui s’est tenue aux États-Unis en
novembre 2007 ?
Omar
Barghouti : En insistant sur le fait que les
« négociateurs » palestiniens doivent reconnaître
Israël comme « État Juif », Israël a vraiment donné
un coup de pied dans les côtes du lion endormi, pour reprendre la
métaphore utilisée par Uri Avnery – avec lequel, par ailleurs,
je suis en complet désaccord. L’insistance imprudente et entêtée
d’Ehud Barak au cours des discussions de Camp David II [12],
en 2000, pour amener Yasser Arafat à renoncer au droit au retour
des réfugiés palestiniens, avait provoqué un réel réveil de
la communauté des réfugiés qui avait conduit à une
mobilisation massive et à une pression concertée sur Arafat pour
qu’il ne cède pas. Et, en effet, il a été tué sans avoir
abandonné ce droit.
Cette fois, il y avait deux lions
auxquels Israël a donné un coup de pied dans les côtes en
demandant une acceptation palestinienne officielle de son droit à
exister comme État Juif : le même énorme lion représentant
les réfugiés, et un plus petit, d’ordinaire beaucoup moins féroce,
représentant la communauté palestinienne à l’intérieur d’Israël,
c’est-à-dire environ 1,5 million de Palestiniens indigènes de
citoyenneté israélienne qui ont été jusqu’ici complètement
marginalisés, et mis de côté dans toutes les « négociations »,
visant à mettre fin à ce conflit colonial.
Ehud Olmert et l’actuelle élite
politique israélienne se sont montrés, en préparant Annapolis,
aussi obtus que leurs prédécesseurs. C’est apparemment le prix
qu’Israël doit payer pour être le champion du monde dans le
recyclage des vieux dirigeants ! Tous les dirigeants israéliens
qui accèdent au pouvoir (à l’exception de ceux qui décèdent
ou qui sont assassinés par des colons israéliens d’extrême
droite) se trouvent rapidement discrédités et empêtrés dans
des scandales de toutes sortes : sexuels, financiers, crimes
de guerre, etc. Ils ne tombent dans l’oubli que pour être réincarnés
et réinventés quelques années plus tard en nouvel « espoir »
d’une nation égarée, et se voient miraculeusement réélus
avec un score respectable ! Les Israéliens ne souffrent pas
seulement d’amnésie sélective ; ils sont véritablement
en faillite au niveau du leadership.
Un autre point important au sujet
d’Annapolis est que Mahmoud Abbas n’a aucun mandat pour
abandonner quoi que ce soit de significatif. Il n’est pas
Arafat. Il est dépourvu de passé historique dans la lutte contre
Israël. Sa popularité, quoique plus grande que les pathétiques
3 % dont est crédité Olmert, est néanmoins bien triste. Il
manque dramatiquement de vision, à mon avis. Le Hamas contrôle
Gaza, ce qui l’affaiblit encore. En bref, il n’est pas un
leader capable de régler les « affaires » et de
fournir les « produits » exigés par Israël et les États-Unis.
Il va beaucoup parler, voyager encore plus, essayer d’apparaître
courageux, mais il va flancher. Avec la disparition d’Arafat,
Israël a perdu sa dernière occasion de pousser la solution des
deux États, qui est de toute façon une solution injuste et
immorale. Pas de regrets.
La solution « Un seul État »,
l’alternative morale, n’est plus vue comme une idée utopique ;
elle est de plus en plus étudiée et présentée comme une
possibilité sérieuse planant dans les airs au-dessus de tous ces
« négociateurs ». Voyez plutôt le récent
avertissement lancé par Olmert dans le journal Ha’aretz :
que, si le processus d’Annapolis échoue, Israël va se diriger
vers l’apartheid (comme si cela n’avait pas déjà commencé !)
Le processus d’Annapolis ne peut qu’échouer. Il ne
s’attaque pas aux racines du conflit et ne promet ni justice ni
égalité.
Silvia
Cattori : Que ressentez-vous quand
vous voyez vos représentants politiques, faire le même travail
que les occupants israéliens ?
Omar
Barghouti : Je les condamne absolument. C’est une
honte pour l’Autorité palestinienne (AP) de jouer le rôle de
sous-contractant des occupants en les déchargeant de certains de
leurs fardeaux coloniaux.
Silvia
Cattori : Est-ce là l’opinion de
la majorité des Palestiniens ?
Omar
Barghouti : Je suis certain que la majorité des
Palestiniens dénoncent la complicité de l’AP à un degré ou
à un autre. Presque tous ceux que je connais, universitaires,
intellectuels, travailleurs culturels, artistes, etc.., ne
pardonnent pas les arrestations illégales et arbitraires de
militants dissidents par les forces de l’AP, par exemple, ou le
rôle de l’AP pour disculper Israël.
Silvia
Cattori : Pour la majorité des
Palestiniens, les membres du Hamas ne sont donc pas des « terroristes »
mais des citoyens ordinaires ?
Omar
Barghouti : Ils ont été élus démocratiquement.
Arrêter des gens parce qu’ils résistent à l’occupation est
une honte. Ils n’ont pas violé les lois palestiniennes ;
ils résistent à l’occupation israélienne. En fait, Israël
veut que l’Autorité palestinienne lui serve de policier, fasse
le travail pour lui.
Silvia
Cattori : Hors de Palestine, les
choses ne sont pas simples non plus. Pendant longtemps, ceux qui
voulaient parler du « lobby pro-israélien », du
boycott, ou d’apartheid israélien, étaient écartés du débat,
vilipendés par les responsables de la solidarité. N’est-ce pas
là une manière de protéger Israël ? Si non, comment
expliquer que la gauche, la plupart des responsables de la
solidarité, n’aient jamais voulu que l’on mette Israël sur
le même plan que l’Afrique du Sud de l’apartheid, et se
soient toujours montrés si réticents à qualifier Israël d’État
d’apartheid [13] ?
Le peu d’écho donné à vos appels à boycotter Israël depuis
2004, vous a-t-il surpris ?
Omar
Barghouti : Dans le mouvement de solidarité,
certains « sionistes soft » font tout ce qu’ils
peuvent pour dire « non, Israël ne pratique pas
l’apartheid », parce qu’ils savent exactement ce qu’un
tel mot signifie. Il peut très bien conduire à des sanctions et
à un vaste éventail international de boycotts.
Punir l’apartheid, beaucoup de
gens dans le monde savent comment le faire. Et les « sionistes
soft » l’ont compris. Ils ont compris qu’il s’agit là
d’une arme bien plus puissante, bien plus efficace que toutes
les armes palestiniennes. Les Palestiniens peuvent bien développer
indéfiniment leurs « Quassam » (roquettes
artisanales), elles ne frapperont jamais Israël autant qu’une
campagne soutenue de boycott, une campagne non-violente de
boycott, de désinvestissement et de sanctions à la sud
africaine, en Europe, aux États-Unis, au Canada, etc.
Silvia
Cattori : Vous avez participé à
une tribune consacrée au thème “Ethnos et religion : le
cas d’Israël” [14].
N’avez-vous pas le sentiment que dans ce genre de rencontres on
évite soigneusement de débattre de ce qui est le cœur du problème :
le nationalisme sioniste, l’idéologie raciste ?
Omar
Barghouti : A la conférence du « Festival
Storia », il s’agit vraiment d’un débat ; ce
n’est pas destiné à être une tribune harmonieuse. C’est un
vrai débat entre différents points de vue.
Silvia
Cattori : Est-il difficile de vous
trouver à la tribune avec des intervenants qui peuvent, certes, dénoncer
les crimes d’Israël, mais qui ne remettent pas vraiment en
cause la nature de cet État, et qui ne partagent pas toujours vos
positions, au sujet du boycott, par exemple M. Michel
Warschawsky ?
Des Palestiniens de citoyenneté israélienne qui, eux, vivent
l’oppression coloniale et le racisme sioniste au sein même de
l’État d’Israël, ne seraient-ils pas mieux qualifiés pour
parler de ce qu’ils subissent dans leur chair à cause du
racisme israélien ?
Omar
Barghouti : Non, cela ne me dérange pas, parce que
M. Warschawsky se définit lui-même comme un « antisioniste »
et qu’il soutient la plupart des droits des Palestiniens. Nous
sommes en désaccord avec lui sur les tactiques ; nous sommes
en désaccord sur la façon de défendre certains droits. Mais il
n’y a pas d’inconvénients à partager une tribune avec lui
pour débattre des moyens de mettre fin à l’oppression israélienne.
Je ne partagerais pas une tribune
avec un représentant d’une institution israélienne qui ne
prend pas position sur l’occupation, par exemple, ou qui ne
soutient pas les droits des Palestiniens. Avec Michel Warschawsky,
c’est un débat. Je le respecte, mais nous sommes en très grand
désaccord sur le sujet du débat, à savoir le rôle de la
religion et de l’ethnicité dans le racisme israélien.
Nous avons besoin de rassembler
toutes les forces. Nous devons donc faire la distinction entre les
gens avec lesquels nous sommes en désaccord sur les tactiques, et
les gens qui sont de vrais ennemis avec lesquels nous sommes en désaccord
sur les principes essentiels de justice, de droit international,
et sur le principe suprême d’égalité.
Nous pouvons être en désaccord
avec des gens sur la manière de mettre fin à l’injustice, ou même
sur les formes d’injustice contre lesquelles nous devons nous
battre ; mais nous devrions maintenir ce désaccord dans son
contexte, comme un désaccord entre gens qui s’entendent sur un
objectif clé : mettre fin à l’injustice. Notre principal
combat est contre ceux qui soutiennent aveuglément Israël et
s’opposent même à la fin de l’occupation. Il faut donc faire
cette distinction. Cela ne signifie pas être naïfs et accepter
que certaines limites artificielles soient posées au débat.
Comme Palestinien, je ne peux
accepter que quiconque, dans le mouvement de solidarité, me dise
ce que je suis autorisé et ce que je ne suis pas autorisé à
proposer ou à défendre. C’est nous qui décidons ce qui est
autorisé. Même les gens qui ont des principes très solides dans
le mouvement de solidarité avec les Palestiniens sont nos
partenaires, nos camarades, mais ils ne sont pas « nous ».
Ils ne devraient pas parler à notre place comme si nous avions
cessé d’exister.
Silvia
Cattori : Mais c’est en grande
partie ce qui se passe ! La voix des Palestiniens qui ont une
vision comme la vôtre, est toute petite dans le débat. Les
positions du « camp de la paix israélien » représentent
une grande voix dans le débat en Europe. Une voix qui aime à dénoncer
l’occupation mais ne tolère pas que l’on puisse toucher à la
nature de l’« État juif » ». N’est-ce pas
cette voix qui définit, de facto, les limites du débat en
soutenant des solutions qui assurent à Israël la « suprématie
juive » en Palestine ? Votre voix à vous est presque
inaudible !
En France, par exemple, ce sont des organisations traditionnelles,
travaillant avec les représentants de l’Autorité
palestiniennes qui décident qui sont les « vrais amis »
de la Palestine et qui non. Leurs publications émanent en grande
majorité d’auteurs appartenant au « camp de la paix israélien »,
et de ceux qui, en Europe, travaillent avec eux [15].
C’est la même chose dans les meetings. Les Palestiniens qui
sont représentatifs de la résistance contre l’occupant, ne
devraient-ils pas avoir une plus grande place ?
Omar
Barghouti : On ne peut pas accepter cette situation
boiteuse, je suis d’accord. Le problème est que certains
Palestiniens « mous » ont permis à l’ainsi nommé
« camp de la paix israélien » de faire ce qu’il
fait. En réalité, il n’y a pas de camp de la paix en Israël,
dans le sens d’un mouvement soutenant une paix juste, la seule
paix qui mériterait ce nom. Mais, malheureusement, il y a un
certain nombre de Palestiniens qui sont dans ce « business ».
Oui, c’est un business ; ils voyagent avec leurs « partenaires »
israéliens ; ils parlent ensemble ; ils vont dans des hôtels
luxueux ; ils sont invités par les gouvernements suisse et
norvégien, dans des lieux de séjour, etc. Ils adorent ça ;
c’est une entreprise lucrative. Et le prix qu’ils payent est
de faire des compromis touchant les droits fondamentaux des
Palestiniens et, indirectement, de faire des compromis touchant
leur propre dignité. Ils cessent de parler pour eux-mêmes et
permettent à ces faux faiseurs de paix de parler au nom des
Palestiniens.
Silvia
Cattori : Vous attribuez donc la
responsabilité à ceux des Palestiniens qui acceptent de faire
partie de ce « business » de paix ?
Omar
Barghouti : Pas toute la responsabilité, mais une
part de la responsabilité incombe à ces Palestiniens qui
travaillent de façon telle qu’ils renoncent même à représenter
les Palestiniens.
Silvia
Cattori : Toujours est-il que ce
« business » de paix a sans doute était un facteur très
démobilisant, et dommageable pour les victimes de l’oppression
israélienne. En 2002, lors de la guerre lancée par Sharon, il y
avait un grand mouvement de protestation en Europe. Il y avait 30
000 personnes dans les rues de Paris. En 2005, quand les
prisonniers palestiniens en Israël ont fait une grève de la faim
et que les avions israéliens ont fait plus de cent morts à
Jabalyia, (un massacre de l’ampleur de Jenin) il n’y avait pas
plus qu’une centaine à Paris.
Tout cela devrait être pris très au sérieux car, en Palestine,
les gens souffrent et meurent de toutes les erreurs et
manipulations commises en leur nom. Il s’agit d’une guerre
sans merci, non pas d’un conflit entre deux forces égales comme
on le présente. S’il y a des intervenants dont l’objectif
caché est de contenir le mouvement dans un cadre acceptable pour
la survie d’Israël comme État juif, cela ne peut être que
fort démoralisant pour ceux qui veulent que les Palestiniens
obtiennent la reconnaissance de leurs droits.
Omar
Barghouti : Je pense que c’est bien qu’il y ait
des gens qui veulent travailler seulement pour mettre fin à
l’occupation ; tant qu’ils ne disent pas que ceux qui
travaillent sur tout l’éventail des droits des Palestiniens et
contre les injustices israéliennes ont tort. En d’autres
termes, si quelqu’un dit « voilà ma limite, je veux
travailler contre l’occupation et organiser un groupe qui développe
la prise de conscience sur ce sujet », il travaille pour les
droits des Palestiniens. Si nous ne pouvons pas travailler avec
ces gens là, nous allons nous en aliéner et en perdre beaucoup
dans le courant dominant.
Silvia
Cattori : Peut-on espérer que, grâce
à des voix comme celles d’Ilan Pappe, John Mearsheimer, Stephen
Walt [16],
Jimmy Carter, John Dugard, qui ont brisé certains tabous, et grâce
aux efforts d’anonymes qui aident ces voix à grandir, vous êtes
au début d’une nouvelle ère en ce qui concerne une
radicalisation vis-à-vis d’Israël ? Ces nouvelles voix
vont-elles apporter un rééquilibrage à des voix comme celle
d’Uri Avnery, certes utile, mais qui n’en soutient pas moins
des solutions injustes, inacceptables pour les Palestiniens ?
Omar
Barghouti : Des voix juives antisionistes s’élèvent
de plus en plus pour démasquer la tromperie des « sionistes
soft » comme Avnery. Être sioniste aujourd’hui, signifie
essentiellement croire que le nettoyage ethnique de la Palestine
était acceptable ou justifiable pour permettre l’établissement
de l’État Juif, et que l’on ne doit pas permettre aux réfugiés
palestiniens de revenir, afin de maintenir le « caractère
juif » —lire : la suprématie raciste- de l’État.
Cela, pour moi, est le test de
moralité pour quiconque travaille pour une paix juste. La
justification du nettoyage ethnique et le déni des droits des réfugiés
sur la base du besoin de maintenir la suprématie juive d’Israël,
c’est du racisme. Quiconque soutient de telles positions ne peut
être considéré comme une personne morale. Si quelqu’un dit :
« La Nakba, c’était horrible, c’était en effet un
crime de guerre, mais je pense que la solution de « deux États »
est la meilleure », alors nous pouvons parler, nous pouvons
débattre. En revanche, si elle, ou il, dit que le nettoyage
ethnique était acceptable, alors ce sont des racistes qui considèrent
les Palestiniens comme des « cafards ». Je ne puis
avoir aucun dialogue raisonnable avec de telles gens. C’est là
que je situe la limite.
Silvia
Cattori : Alors le mouvement
anti-guerre n’a pas complètement échoué comme le suggère le
journaliste Jeff Blankfort, entre autres [17] ?
Omar
Barghouti : Je ne pense pas qu’il a échoué. Il
n’a pas accompli autant qu’il aurait dû, compte tenu de l’élan
et du sens de la solidarité qui animent beaucoup de gens dans le
monde. Je suis d’accord qu’une des raisons – il y a beaucoup
de raisons – est que les leaders, ceux qui fixent les limites en
disant aux gens ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, et en
fixant les lignes rouges, n’ont pas des revendications assez
radicales. Leurs revendications sont trop faibles et trop timides
pour s’appliquer aux trois formes d’injustice commises par
Israël à l’égard des Palestiniens : le déni du droit au
retour des réfugiés palestiniens, l’occupation militaire et la
colonisation du territoire palestinien de 1967, et le système de
discrimination raciale ou ce que j’appelle « l’apartheid
intelligent » contre les citoyens palestiniens d’Israël.
Il y a, bien sûr, beaucoup de
raisons générales pour lesquelles il est maintenant beaucoup
plus difficile de mener un travail de solidarité avec la
Palestine, particulièrement depuis le 11 septembre 2001, où les
Palestiniens ont été diabolisés, déshumanisés, et dépeints
comme des « terroristes » par Israël et les
Etats-Unis. Même en Europe, ce phénomène se développe également.
Et, du fait de l’influence
sioniste dans les médias et au Congrès à Washington, tout
universitaire, tout intellectuel, tout artiste, tout homme
politique qui exprime son soutien à la Palestine court le risque
de se voir traîné dans la boue, ou de mettre un terme à sa
carrière. Ainsi, le prix que payent ceux qui, par conscience,
s’engagent à défendre les droits des Palestiniens et réclament
la fin de toutes les formes d’injustice israélienne et
sioniste, est aujourd’hui plus élevé que jamais. Et je salue
particulièrement tous ceux qui, en dépit de toutes les
intimidations, continuent à lutter pour les droits des
Palestiniens.
Silvia
Cattori : Quand je suis allée en
Israël, en 2002-2003, cela a été un choc pour moi de découvrir
que, alors que se déroulaient en Palestine des massacres et des
destructions d’une telle ampleur, il n’y avait, à côté des
internationaux et des Palestiniens de citoyenneté israélienne,
que quelques centaines d’Israéliens prêts à descendre dans la
rue, à Tel-Aviv ou à Jérusalem, pour protester contre les
crimes de leurs « réservistes ».
J’ai alors réalisé que le « mouvement de la paix »
israélien tel que nous l’imaginions en Europe, n’avait jamais
existé, et que certains se sont livrés à une sorte de
manipulation de l’opinion pour accréditer l’idée que les
militants en Israël étaient un élément moteur en faveur des
droits des Palestiniens. Alors que, en vérité, ces derniers
n’ont pas grande chose à attendre de ce mouvement. Quelle est
votre propre opinion à ce sujet ?
Omar
Barghouti : La « gauche » israélienne
est largement une mystification. C’est une grande tromperie. Il
n’y a pas de gauche israélienne, selon toute définition
internationale de ce terme, et je mets au défi quiconque de me démontrer
le contraire. Je me suis exprimé à ce sujet, à la conférence
de Bilin, en mai ; j’ai dit que, « avec son rejet des
droits des réfugiés palestiniens et son insistance sur la suprématie
juive et la discrimination raciale contre les citoyens
palestiniens d’Israël, la gauche israélienne fait apparaître,
en comparaison, la droite xénophobe européenne comme aussi
morale que Mère Teresa ».
Quelqu’un appartenant au groupe
Gush Shalom m’a défié. Il m’a lancé : « Cela dépend
de la façon dont vous définissez la gauche. Vous définissez la
gauche comme ceux qui acceptent le droit de retour des réfugiés
palestiniens. Je peux définir la gauche comme ceux qui sont
simplement opposés à l’occupation. Je ne suis donc pas
d’accord avec votre définition de la gauche ».
« Très bien - ai-je répondu
- laissons de côté les définitions relatives de la gauche.
Mettons nous d’accord sur une définition universelle de la
gauche. Sommes-nous d’accord que l’égalité est le principe
de base, le principe fondamental auquel tout homme de gauche qui mérite
ce nom devrait adhérer, à savoir que tous les êtres humains
sont égaux ? »
Il m’a dit « Oui ».
Et je lui ai répondu :
« Alors, les gens qui refusent d’accorder le droit de
retour aux réfugiés palestiniens, simplement parce qu’ils ne
sont pas juifs, pensent en fait que les Palestiniens —qu’ils
soient musulmans ou chrétiens— ne sont pas égaux aux Juifs,
sont moins que des humains. Cela fait d’eux des racistes, et
certainement pas des gens de gauche ».
Ce n’est pas ma définition,
c’est une définition universelle. Selon cette définition
universelle, la grande majorité de ceux qui, en Israël, se
proclament de gauche, sont en réalité des bigots de droite.
Parce qu’ils sont contre le droit de retour des réfugiés, ils
refusent de reconnaître la Nakba, le « nettoyage »
ethnique de 1948 ; la plupart d’entre eux sont même contre
une fin complète de l’occupation de Jérusalem et d’autres
parties de la Cisjordanie, condamnée par le droit international.
Les Israéliens ont inventé et
propagé le mythe selon lequel il existe un vaste camp de gauche ;
et, alors que nous commencions à engager notre action de
boycottage des institutions universitaires israéliennes, ces mêmes
« gens de gauche » se sont malhonnêtement écriés :
« Les universitaires israéliens sont au premier rang de la
lutte contre l’occupation. Comment donc pourriez-vous boycotter
nos universitaires ? »
Tout cela n’est qu’un mythe.
Selon des recherches sérieuses faites par des Israéliens, le
nombre total d’universitaires israéliens ayant signé une pétition
condamnant l’occupation —sans même parler d’une
participation à une manifestation publique— ne se monte qu’à
quelques centaines sur neuf mille universitaires. Si vous enquêtiez
sur leurs opinions touchant le droit inaliénable des réfugiés
palestiniens, ou sur la fin de la discrimination raciale contre
les « non-Juifs » en Israël, vous ne trouveriez
qu’une poignée d’universitaires juifs israéliens pour
soutenir de tels droits. Voilà la réelle dimension de la gauche
en Israël ; elle ne consiste qu’en un tout petit groupe
d’antisionistes courageux et moralement conséquents.
En dépit de cela, notre appel au
boycott est par nature institutionnel ; il ne vise pas
individuellement des universitaires pour eux-mêmes. Nous sommes
donc, à tous les niveaux, sur un terrain solide, en particulier
au vu de la complicité bien documentée de toutes les
institutions universitaires dans le maintien et la promotion des
divers aspects de l’oppression israélienne contre les
Palestiniens.
Silvia
Cattori : Ce groupe « de
gauche » qui a réussi, par divers stratagèmes, à avoir
une grande audience et à contenir le mouvement de solidarité
international dans certaines limites, ne ferait-il pas également
partie du problème ? En soutenant les « Accords d’Oslo »,
l’« Initiative de Genève », etc.., n’a-t-il pas
davantage fait avancer l’oppression ?
Omar
Barghouti : Les Palestiniens doivent mettre au
clair, vis-à-vis du mouvement de solidarité, et à travers le
mouvement de solidarité vis-à-vis du monde, que personne ne
devrait parler en notre nom. Nous sommes assez « mûrs »,
nous sommes assez « grands » pour parler en notre nom.
Nous n’avons besoin d’aucun patronage, que ce soit de la part
d’amis ou d’adversaires.
Beaucoup d’Israéliens « de
gauche », depuis des décennies d’occupation, ont pris
l’habitude de parler pour les Palestiniens, puis de dicter aux
Palestiniens ce qu’ils devraient penser et demander, le but
ultime étant d’aider la « gauche » israélienne
dans « sa » lutte ! Quand nous avons lancé le
mouvement de boycott, nous leur avons effectivement dit :
« Assez, c’est assez ».
Les appels palestiniens au boycott
ont clairement souligné à ceux qui se considèrent appartenir à
la gauche israélienne que leur attitude typiquement paternaliste
à notre égard était humiliante et coloniale, et que l’autodétermination
signifie, par-dessus tout, notre droit à décider de notre destin
et de formuler nos aspirations à la justice et à l’égalité.
Ils ont l’habitude de nous percevoir comme des indigènes stéréotypés,
presque comme des enfants immatures auxquels on doit dire ce
qu’ils doivent faire pour qu’ils sachent se conduire.
En 2005, la société civile
palestinienne a exprimé sa volonté en diffusant l’appel BDS
massivement approuvé. Personne, dans le mouvement de solidarité
avec les Palestiniens, ne peut plus ignorer cet appel en
poursuivant des formes de soutien traditionnelles et inefficaces.
BDS est simplement, aujourd’hui, la forme de solidarité avec la
Palestine la plus saine moralement et la plus efficace
politiquement.
Silvia
Cattori : Mais comme vous le savez,
ceux des politiques qui ont intérêt à freiner toute action
contre l’apartheid sont encore très influents dans le débat.
Partagez-vous l’opinion du politologue palestinien Abdel-Sattar
Qassem, qui dit que les « vrais Palestiniens » sont
absents du débat concernant la Palestine ? [18]
Omar
Barghouti : Les authentiques représentants de
l’opinion publique palestinienne ont en effet rarement
l’occasion de se faire entendre parce que les grands médias
occidentaux, les grandes conférences internationales, les
organisations de financement européennes et états-uniennes, ne
sont pas intéressées par toute position palestinienne de
principe qui plaide en faveur de l’application de la loi
internationale et des droits universels. Ils invitent des gens
dociles, des « modérés » qui vont tout de suite
renoncer au droit au retour et accepter « le droit d’Israël
à exister » en tant qu’état raciste fondé sur
l’apartheid, et cela en retour de droits palestiniens très
mineurs. Seuls ces « bons Arabes » sont recherchés
dans ce genre de forums internationaux.
Silvia
Cattori : Peut-on qualifier ces
Palestiniens qui n’ont pas correctement agi, de « traîtres » ?
Particulièrement depuis 2002 où la situation est devenue si
terrible pour les résistants frappés par des assassinats
extrajudiciaires israéliens.
Omar
Barghouti : Je ne qualifierais pas tous ces gens là
de traîtres parce que, je veux dire, il y a toutes sortes de traîtres.
C’est un terme relatif. Bien sûr, nous avons nos « Quislings »
qui collaborent ouvertement ou secrètement avec Israël. Mais la
plupart des Palestiniens impliqués dans l’industrie de la paix
sont confus, intéressés, ou les deux. Beaucoup d’entre eux
sont dans ce « business » pour de l’argent, pour des
privilèges personnels, et voudraient se persuader qu’ils
servent la cause à leur manière. La façon la plus rapide de
s’enrichir, aujourd’hui, est de créer un groupe conjoint
palestino-israélien pour s’occuper de n’importe quoi :
des droits des femmes, de football pour la paix, des droits des
enfants, de théâtre pour la coexistence, du film pour surmonter
les barrières psychologiques, d’environnement, de démocratie,
de récits historiques parallèles, de recherche académique et
scientifique, vraiment de n’importe quoi, excepté les luttes
communes pour mettre fin à l’occupation et à l’oppression !
Les projets conjoints
palestino-israéliens qui se proclament « apolitiques »
—et sont de ce fait politiquement biaisés et trompeurs—
attirent beaucoup d’argent européen. Et, malheureusement,
beaucoup de Palestiniens —vu l’environnement privé de
ressources dans lequel ils vivent sous occupation— et
naturellement beaucoup d’Israéliens, sont engagés dans ce
profitable business. Certaines élites politiques européennes
vont généreusement financer tout projet susceptible de soulager
leurs sentiments profonds de culpabilité au sujet de
l’Holocauste. Nos droits comptent vraiment très peu dans ce
programme manipulateur et mensonger.
Silvia
Cattori : Avant d’aller en
Palestine, j’étais comme tout le monde : je croyais
qu’il existait réellement de très mauvaises gens, des « antisémites ».
Mais soudain, après avoir écrit un ou deux articles, défendant
les droits des Palestiniens, j’ai eu la surprise de découvrir
que j’étais accusée d’être moi-même une « antisémite ».
Je sais maintenant que ce mot est une arme très efficace entre
les mains de ceux qui veulent faire taire les gens qui se mettent
à critiquer librement et honnêtement Israël.
L’antisémitisme est un mouvement qui a existé dans les années
1930. Mais aujourd’hui, je vois qu’il y a beaucoup de gens qui
haïssent les Arabes, à gauche aussi. En ce qui me concerne, je
n’ai jamais rencontré d’« antisémites »,
c’est-à-dire quelqu’un qui hait les juifs parce qu’ils sont
juifs. Par contre, je connais beaucoup de gens dont l’intérêt
est de faire croire au monde que « l’antisémitisme »
est un phénomène de grande ampleur, pour justifier l’existence
d’Israël en terre arabe. Quelle est votre position là-dessus ?
Omar
Barghouti : L’antisémitisme ne justifie pas Israël.
Je pense que l’antisémitisme existe encore, c’est-à-dire des
gens qui haïssent les juifs parce qu’ils sont juifs, particulièrement
aux États-Unis et en Europe. Mais ce phénomène est maintenant
plus marginal qu’il ne l’a jamais été ; il est loin
d’être influent dans aucun pays. L’islamophobie par contre
s’accroit dangereusement dans de larges milieux en Europe et aux
États-Unis. Comme l’a dit Noam Chomsky, la haine des Arabes et
des musulmans est vraiment aujourd’hui le nouvel « antisémitisme ».
Il est important, à ce sujet, de
faire très clairement une distinction : notre conflit est un
conflit avec le sionisme et avec Israël en tant qu’entité
coloniale. Je suis opposé à toute forme de racisme, y compris
l’antisémitisme et le sionisme. Moi-même, ainsi que la majorité
des Palestiniens, n’avons absolument rien contre le judaïsme ou
contre les juifs en tant que groupe religieux – absolument rien.
Nous sommes contre l’État d’Israël
pas parce qu’il est « juif », mais parce qu’il est
un oppresseur colonial qui nie nos droits. Si les juifs israéliens
renoncent à leur existence coloniale et à leurs privilèges
racistes et reconnaissent nos droits, nous n’avons aucun problème
à coexister avec eux dans une Palestine dé-sionisée, qui
inclurait nécessairement le droit de retour des réfugiés, et
une totale égalité pour tous, sans distinction de religion,
d’ethnie, de sexe ou d’origine nationale.
L’offre la plus généreuse que
nous, natifs Palestiniens, puissions faire aux colons juifs israéliens
est de les accepter comme des égaux vivant avec nous, pas
au-dessus de nous. Ni maître, ni esclave. Mais accepter Israël
comme « État juif » sur notre terre est impossible.
Aucun Palestinien rationnel, ayant quelque sens de la dignité ne
peut accepter un État raciste —qui l’exclut et le traite
comme un humain relatif— sur sa propre terre.
Silvia
Cattori : Il n’en demeure pas
moins, que l’usage du mot « antisémite » a un
impact beaucoup plus grand que l’usage du mot « raciste »,
et d’autres conséquences judiciaires pour ceux qui sont accusés
d’être « antisémites ».
Ne devrions-nous pas nous considérer comme égaux en droit, juifs
et non-juifs ? Pourquoi faudrait-il accepter cette façon
biaisée de rendre les gens coupables de quelque chose qui
n’existe plus, mais qui se révèle très utile pour un usage de
propagande de guerre ?
Omar
Barghouti : Oui nous devrions combattre cela aussi.
Je veux dire qu’il faut lutter pour rejeter de façon égale
toute forme de racisme et ne pas accepter ces actuelles lois européennes
qui traitent « l’antisémitisme » comme une catégorie
de crime particulière, bien pire que toutes les autres formes de
racisme, y inclus l’islamophobie ou le racisme anti-noir dont on
peut soutenir qu’il est aujourd’hui l’expression la plus répandue
du racisme blanc.
Ces lois sont elles-mêmes
discriminatoires ! L’antisémitisme n’est qu’une forme
de racisme, ni plus ni moins ; il devrait être traité comme
une branche du racisme, pas comme une super-branche du racisme.
Mais, quoi qu’il en soit, il ne justifie pas la nature raciste
d’Israël ; il ne justifie pas les crimes d’Israël. On
devrait découpler l’antisémitisme de l’antisionisme. Le
premier est du racisme ; le second est une position morale
contre le racisme.
Silvia
Cattori : Mais cela ne sera pas
possible aussi longtemps que les Palestiniens se trouvent en
situation de dissymétrie, et que, au-dehors, ce ne sont pas
principalement les opprimés qui nous racontent leur vécu, mais
ceux qui jouent le jeu de la « normalisation », qui
est une sorte de collaboration !
Omar
Barghouti : Je pense que ceux qui représentent les
Palestiniens devraient respecter notre appel BDS de la société
civile et s’unir derrière lui. Cet appel préconise une lutte
contre les trois principales formes d’injustice israélienne, et
pas seulement l’une d’entre elles ; l’occupation et la
colonisation territoriale de 1967 n’est qu’une de ces formes
d’injustice.
Le cœur de la question
palestinienne demeure la plus grande injustice que constitue le déni
des droits fondamentaux des réfugiés, lesquels représentent la
majorité du peuple palestinien.
Et il y a une troisième forme
d’injustice qui est souvent oubliée : le racisme
institutionnalisé à l’encontre des Palestiniens en Israël. Même
si Israël mettait fin demain à l’occupation, cela ne mettrait
pas fin à ce conflit colonial. Je pense que le mouvement de
solidarité, en Europe et dans le monde, doit respecter la voix de
la société civile palestinienne, au lieu de promouvoir ces
« Quisling » palestiniens, ou ces petits bureaucrates
qui voyagent dans le monde pour dire ce que vous voulez tant que
vous les payez bien. Ces gens là ne représentent pas les
Palestiniens ; ils ne parlent pas au nom des Palestiniens.
Silvia
Cattori : Je vous remercie
Traduit de l’anglais par JPH
[1]
Invité par ISM
Italia. Omar Barghouti, est membre fondateur de la Campagne
palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël
(PACBI :
Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of
Israel ), un chercheur indépendant dont les écrits
politiques et culturels sont publiés dans diverses médias. Il
est un militant des droits humains impliqué dans la lutte visant
à mettre fin à l’oppression et au conflit israélo-palestinien
par la résistance civile. Il est titulaire d’un Master en ingénierie
électrique de l’Université de Columbia et suit, en ce momentt,
un cursus d’études doctorales en philosophie (éthique) à l’Université
de Tel Aviv. Il a contribué au volume philosophique récemment
publié sous le titre Controverses et Subjectivité
(John Benjamins, 2005). Il a également contribué à l’ouvrage
intitulé La nouvelle Intifada : Résister à
l’Apartheid israélien (Verso Books, 2001). Il plaide en
faveur d’une vision éthique pour un seul État laïque et démocratique
sur le territoire de la Palestine historique. Il est chorégraphe
et enseigne la danse. Il s’est exprimé dans plusieurs conférences
sur les relations entre art et oppression.
[2]
En juillet 2004, 171
organisations et syndicats palestiniens ont appelé la communauté
internationale à soutenir le boycott, le désinvestissement, et
les sanctions (BDS) contre Israël, jusqu’à ce qu’il se
conforme pleinement au droit international et aux droits humains.
[3]
« Savoir s’il aurait pu y avoir une meilleure issue reste
une pure conjecture. Mais le rêve qu’était la Palestine est
finalement mort. » Citation tirée de l’article de Bret
Stephen « Qui a tué la Palestine ? Un échec qui a des
milliers de pères », The Wall Street
Journal, 26 juin 2007. (B. Stephen est membre de la rédaction
du Wall Street Journal. Il a été directeur
du Jerusalem Post)
[4]
« A
Secular, Democratic State Solution – the Light at the End of the
Gaza-Ramallah Tunnel » (« La solution d’un seul
État laïque et démocratique – La lumière au bout du tunnel
Gaza-Ramallah »), par Omar Barghouti, Counterpunch, 20 juin
2007.
[5]
Les Accords d’Oslo ont été signés en 1993 à Washington en présence
de Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, Yasser Arafat, Président
du comité exécutif de l’OLP, et Bill Clinton, Président des
États-Unis. Cependant les deux signataires sont Mahmoud Abbas et
Shimon Peres.
[6]
Conseillers du Président Yasser Arafat hier, aux commandes
aujourd’hui, accusés de servir avant tout leurs propres intérêts
matériels et de prestige.
[7]
« Secular
Arabs Detest Hypocrisy too » (« Les arabes laïques
aussi détestent l’hypocrisie »), par Omar Barghouti, ZNet,
6 février 2006.
[8]
L’Initiative de Genève, ou Accord de Genève, signé le 1er décembre
2003 à Genève, a été présenté comme une « bulle de
savon » par l’historien Illan Pappe, mais comme un réel
« espoir de paix » par Dominique Vidal (http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/geneve/voir
). Initiative « soutenue
sans réserve » par l’Union française juive de paix
(UFJP) , et saluée
avec émotion par le Mouvement de paix.
[9]
Alexis Keller, mandaté par la Suisse pour diriger les négociations
de l’« Initiative de Genève », a affirmé, lors
d’une conférence en 2003, que cette initiative « représente
le maximum de ce que les Israéliens peuvent concéder…Qu’il y
a des lignes rouges que les Israéliens ne peuvent traverser,
comme le droit au retour des réfugiés palestiniens chez eux.
Qu’Israël ne peut admettre ce retour parce qu’il doit rester
un État juif » (avec une majorité juive). Apparemment, le
concept discriminatoire d’« État juif » n’a pas
posé un problème à M. Keller.
[10]
Dans son rapport de février 2007, M. Dugard, affirme que
« certaines politiques de l’occupation israélienne
ressemblent à l’apartheid »
[11]
Palestine : la paix, pas l’apartheid,
par Jimmy Carter, L’Archipel. Paris, 2007.
[12]
Le sommet pour « mettre un terme au conflit israélo-palestinien »,
s’est tenu en juillet 2000 dans la résidence de Camp David en
présence de Bill Clinton, de Ehud Barak, Premier ministre de l’État
d’Israël, de Yasser Arafat, président de l’Autorité
palestinienne.
[13]
Jusqu’à très récemment, un mensuel progressiste comme Le
Monde diplomatique n’associait pas Israël à l’apartheid.
Au mieux, en 2004, M. Alain Gresh écrivait « ressemble
à l’apartheid ».
Selon le militant P-Y Salingue il y a deux groupes de gens, qui
pour des raisons très différentes, contestent l’usage du terme
apartheid dans le cas de l’État d’Israël :
- Ceux qui acceptent de parler de discrimination mais pas
d’apartheid, de dire qu’il y aurait des inégalités et des
injustices dont seraient victimes les Palestiniens vivant en Israël,
mais rien de comparable à la situation de la population noire
d’Afrique du sud. S’agissant des Palestiniens de Cisjordanie
et de Gaza ils parlent d’occupation militaire voire
d’occupation coloniale et dénoncent donc l’occupation
militaire et le comportement de l’armée d’occupation. Ici
aussi ils refusent toute assimilation avec l’apartheid d’Afrique
du sud.
- Ceux (très rares) qui refusent d’utiliser la notion
d’apartheid parce qu’elle ne leur parait pas permettre une
bonne analyse et n’est donc pas pertinente pour adopter une
ligne de conduite. Ils considèrent la politique sioniste comme
une politique de nettoyage ethnique visant à vider la terre d’Israël
de toute présence des arabes autochtone. Les arabes n’étant
pas considérés par le colonisateur comme une ressource qu’il
convient d’exploiter mais au contraire comme une menace qu’il
faut éliminer. Manière d’analyse qui conduit à émettre des réserve
quant au terme d’apartheid, selon le postulat que la
colonisation vise à maintenir les indigènes dans la même économie,
et donc aussi dans la "même société" que celle des
colons, mais sans les droits et de manière séparée, en évitant
le mélange des populations dans la vie sociale. Les blancs d’Afrique
du Sud ne voulaient pas chasser les noirs parce qu’ils avaient
besoin d’eux pour l’économie (leur force de travail
notamment). Si l’apartheid peut être renversé, c’est une
toute autre chose d’annuler les effets d’un nettoyage
ethnique, il ne faut pas se tromper sur la stratégie de
l’adversaire.
Dans le premier cas, dire qu’Israël n’exploite pas les
Palestiniens comme les noirs en Afrique du sud, c’est faire une
défense d’Israël, en concédant tout au plus une certaine
discrimination.
Dans le deuxième cas, dire la même chose a une toute autre conséquence :
c’est dire que parler d’apartheid est bien faible car Israël
ne veut pas d’abord opprimer les Palestiniens mais procéder à
leur élimination, par leur nettoyage ethnique.
[14]
Organisé par « FestivalStoria », le 13 ottobre à
Savigliano. Parmi les invités au débat : Omar Barghouti,
Gideon Levy, Catri Ormestad, Michel Warschawski.
[15]
Leur soutien va au « camp de la paix israélien » et
aux Palestiniens qui acceptent de renoncer à plus de 80 % de la
Palestine. En France les associations et les partis de gauches
sont regroupés dans le Collectif national « Pour une paix
juste entre Palestiniens et Israéliens ». À noter que les
deux parties sont mises sur le même plan, comme s’il
s’agissait d’une dispute « entre deux peuples »
pour la terre, de deux « nationalismes également légitimes ».
« Dispute » qui, selon eux, aurait commencé après
l’occupation de 1967, faisant ainsi passer à la trappe les 19
années d’occupation qui ont précédé, et pourrait « se
résoudre par la négociation et le dialogue », évitant de
parler de « résistance ». Tout se passe comme si,
lors de toute conférence, la voix des Palestiniens opprimés n’était
pas crédible si elle n’était pas accompagnée d’un orateur
israélien ou de confession juive. Ainsi, on a vu durant des années
Leila Shaid flanqué de Dominique Vidal et de Michel Warshawsky.
[16]
John Mearsheimer, Stephen Walt. http://mondialisation.ca/index.php ?context=va&aid=5466
[17]
www.voltairenet.org/article143147.html
www.voltairenet.org/article136002.html
http://ism-france.org/news/article.php ?id=3907
[18]
« Les
Palestiniens ne se rendront jamais », entretien d’Abdel-Sattar
Qassem avec Silvia Cattori.
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anglaise
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