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Interview
Minuit moins cinq en Côte d'Ivoire
Olivier Mukuna
Olivier Mukuna
Mercredi 29 décembre 2010
A la veille d’une très probable intervention
militaire contre la Côte d’Ivoire, Afiavimag a interrogé deux
représentants des deux camps qui, depuis un mois, revendiquent
violemment le pouvoir présidentiel. Toussaint Alain, Conseiller
UE de Laurent Gbagbo et Mamadou Ouattara, Délégué général du RDR
pour le Benelux. Deux visions de la démocratie et de la
souveraineté qui s’affrontent. Au nom du devenir de la Côte
d’Ivoire et de l’Afrique tout entière ...
« Pour la
Côte d’Ivoire, Gbagbo doit se retirer ! »
Mamadou Ouattara
Délégué général du RDR pour le Benelux
Afiavimag : Une intervention militaire de la
Communauté internationale ramènera-t-elle la Côte d’Ivoire sur
le chemin de la stabilité politique et démocratique ?
Mamadou Ouattara : Ce n’est pas de gaieté de
coeur que nous en appelons à l’usage de la force. Mais il nous
faut être réalistes. Si le vote de l’électeur ne peut être
respecté autrement qu’en passant par l’épreuve de force
militaire, il faudra y s’y résoudre.
Comment jugez-vous la main tendue de Laurent Gbagbo à
Alassane Ouattara via sa proposition de créer un « comité
d’évaluation international » pour sortir de la crise ?
Comment voulez-vous que je prenne cela si ce n’est comme une
énième ruse devant laquelle plus personne ne peut être dupe ? En
outre, comment le perdant d’une élection démocratique peut-il
« tendre la main » au vainqueur ? Il est temps qu’en Afrique on
ait le courage de se dire à soi-même la vérité et de prendre des
chemins qui nous permettront d’espérer des lendemains meilleurs.
Nous l’avons vu par le passé au Zimbabwe et au Kenya : toutes
les compromissions s’inscrivant hors de la vérité démocratique
produisent des résultats insatisfaisants qui ne sont pas à la
hauteur des attentes. Pour nous, cette proposition de Gbagbo est
nulle et non avenue ! Il n’y a d’ailleurs pas dialogue ou de
négociation possible. Pour l’intérêt de la Côte d’Ivoire, de
l’Afrique et de la démocratie, Laurent Gbagbo doit se retirer !
Si l’on veut que demain le peuple ivoirien ait le courage de
retourner aux urnes, il faut respecter son verdict !
Y a-t-il eu des fraudes dans la Nord du pays lors du
second tour de l’élection présidentielle ?
Je ne le crois pas. Dans la mesure où la Commission
Électorale Indépendante (CEI) et les différents acteurs chargés
de cette élection n’ont pas soulevé de fraudes susceptibles
d’entacher le bon déroulement de ce scrutin. De façon globale,
je vous réponds par la négative, même si, par ailleurs, ici où
là, il a pu se produire des situations regrettables, tels des
tentatives de fraudes, des menaces et des assassinats. Il y en a
eu sur l’ensemble du territoire et c’est regrettable.
Votre parti n’a donc pas déposé plainte pour fraudes
électorales ?
Non. Les irrégularités constatées n’ont pas été de nature à
entacher les résultats du scrutin.
Le Conseil Constitutionnel ivoirien (CC) a estimé
qu’il y avait eu fraudes au Nord du pays et a annulé ces
résultats partiels tout en proclamant la victoire de Laurent
Gbagbo. Or, selon l’article 64 nouveau du Code électoral, dans
le cas où le CC constate des fraudes, celui-ci doit invalider
l’ensemble du scrutin pour le réorganiser dans un délai de 45
jours. Comment expliquez-vous que le CC n’ait pas pris cette
décision ?
Vous rentrez dans le vif du problème ! Nos textes sont très
clairs. Le Conseil Constitutionnel n’a pas le droit d’annuler
une partie des élections. Cette instance peut éventuellement
annuler l’ensemble du scrutin, mais cette décision doit être le
résultat d’une demande faite par la CEI. Ceci se trouve
notamment défini dans l’article 59 du Code électoral : « Dans
les 3 jours qui suivent le scrutin, la Commission Électorale
Indépendante communique au Conseil Constitutionnel, au
représentant du Secrétaire général des Nations-Unies en Côte
d’Ivoire et au représentant des facilitateurs, un exemplaire des
procès-verbaux accompagné des pièces justificatives ». Cela
signifie que si le travail de la CEI est estimé nul, le travail
du Conseil Constitutionnel ne peut avoir lieu. En clair, le
Conseil Constitutionnel ivoirien n’a pas fait preuve
d’indépendance mais sert d’instrument à la conservation
antidémocratique du pouvoir par Laurent Gbagbo.
D’un côté, le président du Conseil Constitutionnel
serait inféodé à Laurent Gbagbo ; de l’autre, c’est le président
de la CEI qui serait manipulé par Alassane Ouattara. Ces deux
institutions ivoiriennes sont-elles réellement indépendantes ?
Il suffit d’observer la manière dont chacune d’elle a été
mise en place. Le Conseil Constitutionnel est une émanation
créée par le seul Laurent Gbagbo. Au contraire, la CEI a été
mise en place par l’ensemble des partis politiques, signataires
des accords de Marcoussis. Au sein de la CEI, la répartition de
représentants a été entérinée avec l’accord de tous et les uns
et les autres sont représentés de manière égalitaire (2 par
formation politique). Aujourd’hui, ils voudraient faire croire
que la CEI est à la botte de l’opposition ? Non ! Il y a un mode
opératoire qui est clair. Étant donné l’engagement de la
Communauté internationale dans l’organisation de ces élections
et l’exacerbation des esprits en Côte d’Ivoire, il a été décidé,
de façon unanime, de mettre en place des systèmes qui ne
devaient souffrir d’aucune suspicion. Aujourd’hui, les faits
nous prouvent que le Conseil Constitutionnel a été créé par
Laurent Gbagbo dans le seul objectif de contourner la CEI.
Vos adversaires vous accusent de participer à un
complot franco-américain contre la souveraineté de la Côte
d’Ivoire. Alassane Ouattara a travaillé pour le FMI et a été
marié par l’ex-maire de Neuilly, Nicolas Sarkozy. M. Ouattara
est-il l’homme des Américains ?
Alassane Ouattara n’est à la botte de personne ! Que ce soit
de la France ou des États-Unis. C’est un homme qui estime qu’il
détient des qualités et des compétences à mettre au service de
son pays. Raison pour laquelle il abandonné ses fonctions au FMI
pour apporter sa contribution au développement à la Côte
d’Ivoire. C’est ni la France ni les USA qui l’ont poussé à
quitter le FMI pour se présenter aux élections. Pour la Côte
d’Ivoire, l’accession légitime de M. Ouattara au pouvoir, c’est
la garantie de lendemains meilleurs pour tous les Ivoiriens. Non
seulement la souveraineté du pays sera garantie mais je vous
assure que, contrairement à d’autres, M. Ouattara ne brigue pas
la tête de l’État pour des questions d’argent. S’il cherchait à
se remplir les poches, il aurait mieux à faire ailleurs que dans
la situation qu’il affronte actuellement ... Franchement, les
accusations de nos adversaires sont celles de personnes
dépourvues d’arguments démocratiques et pertinents.
Compte tenu de la présence de 900 soldats français en
Côte d’Ivoire, du passé colonial de la France et de la morve
paternaliste du Président Sarkozy, (qui déclarait, en 2007 à
Dakar, que « L’homme africain n’est pas entré dans
l’Histoire »), la France est-elle bien placée pour jouer les
arbitres dans la crise ivoirienne ?
Il est tout à fait humain de vouloir aborder le problème sous
cet angle-là. Moi-même, je ne partage pas tous les points de vue
de M. Sarkozy. Néanmoins, dans le cas d’espèce, j’estime que
Nicolas Sarkozy est plutôt animé par le souci de faire respecter
la démocratie. Je ne nie pas la présence militaire française en
Côte d’ivoire ni les liens historiques entre nos deux pays,
mais, malgré cela, il est important d’envisager le problème
actuel sous plusieurs angles. Et l’angle que vous citez ne
prédomine pas tout, à tout instant. L’intervention de Nicolas
Sarkozy s’inscrit davantage dans une volonté de faire respecter
les règles démocratiques que dans une volonté paternaliste. Bien
sûr, on peut discuter de l’emploi des termes et de la forme
choisie. Mais cela reste secondaire par rapport au fond.
Vu l’engagement franco-américain, vu le passé de
l’Afrique et le rôle prédateur des grandes puissances
occidentales sur le continent, à qui l’issue de cette crise
va-t-elle profiter ? A la société ivoirienne ou à la défense des
intérêts occidentaux sur place ?
Je comprends le raisonnement de certains eu égard à
l’histoire africaine. Toutefois, il est temps, pour nous
Africains, de sortir de cela. Vous savez, il y a cinquante ans,
le niveau de vie moyen de l’Afrique était supérieur à celui de
l’Asie. Aujourd’hui, le monde n’a d’yeux que pour l’Asie.
Pourquoi cette différence de développement ? Parce que les
Asiatiques sont parvenus à se sortir de l’infantilisation qui
consiste à toujours accuser l’extérieur. Lorsqu’on est confronté
à des difficultés, il faut s’asseoir et réfléchir d’abord à sa
part de responsabilité. Avant même de chercher à identifier
celle des autres. C’est évidemment plus facile d’accuser les
autres, mais cela ne résoudra pas nos problèmes. Nous devons
nous prendre en charge et cela ne signifie pas rejeter
systématiquement ce que les autres pensent. J’ai parfois
l’impression que beaucoup d’Africains se sont débarrassés d’un
complexe pour tomber dans un autre. Après s’être libérés du
complexe d’infériorité, la plupart tombent aujourd’hui dans un
complexe réactionnaire. Ni l’un, ni l’autre ne font avancer la
cause africaine ! Il nous faut prendre conscience de nos valeurs
et de nos limites pour trouver les meilleurs voies et moyens qui
feront avancer l’Afrique.
Une guerre en Côte d’Ivoire pourrait déboucher sur
une « situation somalienne » et peut-être conduire cette
puissance d’Afrique de l’Ouest à devenir un autre foyer du
terrorisme ...
Personnellement, je ne crois pas à une guerre civile telle
que vous l’esquissez. Les Ivoiriens sont fatigués et ne veulent
pas d’une guerre ! Ceux qui prétendent soutenir Gbagbo le font
parce qu’ils sont manipulés ou n’ont pas le choix. Le moteur de
la crise actuelle est le fait d’une minorité instrumentalisée
par le pouvoir sortant. La majorité des Ivoiriens veulent vivre
en paix.
Au-delà des partis-pris, en appelant une intervention
militaire extérieure, vous posez aussi la question de la
finalité de l’ONU : facteur de paix mondiale ou garant d’un
ordre planétaire au profit de l’Occident ?
L’ONU constitue un moyen visant à ce que le
monde aille mieux. J’ose croire que c’est la raison même de son
existence. Ce qui lui confère un rôle de premier plan dans la
résolution des conflits. Malgré les erreurs commises ici ou là,
je ne crois pas au postulat selon lequel les interventions
onusiennes relèvent toujours du choix sélectif. Et je me réjouis
que, dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’ONU, l’UE et la CEDEAO
ont compris que la seule solution viable pour une stabilité
souveraine de mon pays réside dans le respect des résultats
électoraux. C’est ce que les populations nous demandent et c’est
la stricte définition de la démocratie.
« S’ils s’engagent dans une aventure
militaire, ils perdront ! »
Toussaint Alain
Conseiller UE de Laurent Gbabbo
afiavimag : Au sujet de la Côte d’Ivoire, vous avez
déclaré à Bruxelles : « Le coup d’État a échoué ! ».
Qu’entendez-vous par là ?
Toussaint Alain : M. Alassane Ouattara est
l’auteur du plus long coup d’État de l’histoire du monde. En
septembre 2002, avec une bande armée, il a tenté de renverser le
pouvoir du président Gbagbo. Ce coup d’état s’est mué en
rébellion armée qui a provoqué la partition entre le nord et le
sud du Pays. D’accord de paix en accord de paix, de gouvernement
de réconciliation nationale en gouvernement de réconciliation
nationale, nous sommes arrivés aux élections présidentielles de
2010. Aujourd’hui, nous estimons que M. Ouattara, par sa posture
et son comportement, menace la stabilité de la Côte d’Ivoire
déjà précaire et l’ensemble de la sous-région Ouest-africaine.
Il faut que l’opinion publique européenne comprenne qu’Alassane
Ouattara est loin d’être un démocrate. Il est l’opérateur, le
sponsor, le bénéficiaire d’une rébellion armée qui a déjà fait
plus de 5000 victimes en Côte d’Ivoire. Il faudra qu’un jour ce
Monsieur et ses co-acteurs répondent de leurs crimes devant le
tribunaux ivoiriens ou internationaux.
La Côte d’Ivoire se prépare-t-elle à affronter une
intervention militaire extérieure ?
Je pense qu’il s’agirait d’une initiative totalement
suicidaire. Il ne faut pas oublier que la Côte d’Ivoire compte
22 millions d’habitants dont plus de 40 % de ressortissants
étrangers, principalement originaires d’Afrique de l’Ouest
(Burkina-Faso, Sénégal, Mali, Nigeria, Ghana). S’ils voulaient
mettre leurs ressortissants en danger, ces pays africains, qui
soutiennent une intervention militaire contre la Côte d’ivoire,
ne s’y prendraient pas autrement. Or, il faut choisir la voie de
la raison qui est celle de la négociation et de la discussion.
La Côte d’ivoire n’a pas engagé une action de belligérance
contre ses voisins ou un État étranger. Il s’agit d’un
contentieux post-électoral ! S’il fallait faire la guerre à tous
les pouvoirs qui se retrouvent dans la même situation que la
nôtre, c’est l’Afrique toute entière qui s’embraserait. Le
risque d’une guerre déclenchée de l’extérieur n’est pas à
exclure, mais nous ne le souhaitons pas.
L’ONU, l’UE, la France, les USA, la CEDEAO et le
Nigeria se montrent chaque jour plus décidés à recourir à
l’option militaire pour « déloger Laurent Gbabgo » ...
S’ils sont décidés, eux, à faire la guerre, nous, nous sommes
décidés à faire la paix. Et s’ils s’engagent dans une aventure
militaire, ils perdront ! Nous avons aujourd’hui la capacité et
les moyens de faire face à ce type de danger. Néanmoins, une
aventure militaire aurait de très lourdes conséquences pour tous
les acteurs engagés dans un tel processus. C’est l’une des
raisons pour lesquelles nous privilégions le dialogue. Par
ailleurs, regardons la situation du Nigeria. Ce pays est
confronté à de graves troubles intérieurs, des rivalités et
affrontements inter-ethniques, des enlèvements de ressortissants
européens et américains. Le Nigeria ferait mieux de balayer
devant sa porte avant de se lancer dans une aventure guerrière.
En conclusion, nous voulons la paix mais si nous sommes
contraints à la guerre, nous ne serons pas les perdants ...
A la veille d’une éventuelle attaque, la Côte
d’Ivoire est-elle soutenue par un ou plusieurs pays dits
« émergents » (Chine, Inde, Brésil, etc.) ?
Il suffit d’observer la réunion spéciale portant sur la Côte
d’Ivoire qui s’est tenue à la Commission des droits de l’homme à
Genève (23 décembre 2010). Et d’examiner ensuite le communiqué
final qui en est sorti. Ce qui avait été initialement proposé a
été recalé par un certain nombre de pays ... C’est tout ce que
je peux vous dire. Aux uns et aux autres d’en tirer les
interprétations qui conviennent. J’ajouterais que la Côte
d’Ivoire est loin d’être seule, en Afrique de l’Ouest, centrale,
du Nord et du Sud comme en Europe, également. Nous comptons
aussi des alliés en Amérique latine et en Asie. La Côte d’Ivoire
a des partenaires raisonnables qui ne sont pas aveuglés par la
haine anti-Gbagbo. Cela fait dix ans que l’instabilité perdure
dans notre pays ! Et la « Communauté internationale » n’a jamais
songé à une intervention militaire ou même à des sanctions
contre la rébellion armée afin de faire cesser la partition
territoriale. Aujourd’hui, à la faveur d’un contentieux
électoral, il s’agirait d’attaquer notre pays avec des troupes
étrangères pour, comme vous dites, « déloger Laurent Gbagbo » ?
Il serait temps que les grandes puissances se prennent un peu
plus au sérieux ...
Le dernier rapport de l’ONU sur les violences
commises en Côte d’Ivoire fait état de 173 morts, crimes dont
les auteurs seraient principalement les partisans de Laurent
Gbagbo ...
Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage ... Je
ramène les auteurs de ce rapport à l’ensemble des évènements et
violences qui ont eu lieu en Côte d’ Ivoire depuis septembre
2002. Il ne faut pas faire de distinguo entre les morts ;
compter les victimes qui seraient le fait d’un camp et oublier
celles qui seraient le fait de l’autre camp. Il faut que toutes
les violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire soient
prises en considération ! Dans cette perspective, ce n’est pas
celui qu’on croit qui se retrouvera devant la CPI (Cour Pénale
Internationale). M. Ouattara et M. Soro (Premier ministre
désigné par Alassane Ouattara, ndlr), les patrons de la
rébellion, savent pertinemment qu’ils portent la responsabilité
de milliers de crimes dans la zone du Nord qu’ils occupent. S’il
y a eu une enquête de l’ONU sur les récents évènements, cela ne
peut que nous réjouir. Mais les morts de 2010 ne doivent pas
faire oublier ceux des années précédentes. Ceux-ci sont
essentiellement le fait d’Alassane Ouattara qui a fait
assassiner des milliers de femmes et d’enfants en Côte d’Ivoire
...
Vous estimez la Côte d’Ivoire victime d’un « complot
international » piloté par la France de Sarkozy. Comment Sarkozy
a-t-il pu convaincre Obama, une majorité de dirigeants de l’UE,
de l’ONU et de la CEDEAO de se faire « les complices d’un coup
d’État » ?
Depuis septembre 2002, date du déclenchement de la rébellion,
la France a toujours été à l’initiative de toutes les
résolutions concernant la Côte d’Ivoire. Aux Nations-unies,
c’est à l’initiative de la France que se tiennent les réunions
sur la crise ivoirienne. La France a choisi de soutenir d’autres
dirigeants que Laurent Gbagbo. C’est cette logique qui continue,
année après année. Aussi longtemps que Gbagbo sera au pouvoir,
la France se dressera contre lui. Désormais, par on ne sait quel
tour de passe-passe, le pouvoir français est parvenu à embarquer
M. Obama dans une aventure guerrière. Il s’agit de protéger des
intérêts occidentaux au moment où la Chine, et plus largement
l’Asie, fait une percée économique extraordinaire sur le
continent africain. Ce qui intéresse la France et les
États-Unis, c’est moins la promotion de la démocratie que les
ressources pétrolières, minéralogiques de la Côte d’Ivoire et du
Golfe de Guinée. Aujourd’hui, pour transporter le pétrole du
Golf arabo-persique aux États-Unis, il faut compter trois mois,
avec toutes les menaces terroristes qui pèsent sur les tankers.
A partir du Golfe de Guinée, le même transport ne prend que
trois semaines jusqu’à la Côte Est américaine. Il s’agit
d’enjeux géopolitiques et géostratégique. Il y a également la
menace d’AQMI (Al-Quaeda Maghreb Islamique) en Afrique du Nord.
Compte tenu de cette donnée, les USA ont aussi besoin d’alliés
en Afrique de l’Ouest. Mais le président Gbabgo n’a jamais mené
d’actions contre les intérêts français et américains. Bien au
contraire puisqu’il a permis aux 600 entreprises françaises de
renforcer leurs parts de marché sur le territoire ivoirien.
Vos adversaires ivoiriens ont jugé nulle et non
avenue la proposition de Laurent Gbagbo visant à créer un
« comité d’évaluation international » pour sortir de la crise.
Quelle carte vous reste-t-il pour rétablir le dialogue avec le
parti d’Alassane Ouattara ?
Je sais que la raison finira par l’emporter. M. Ouattara se
retrouvera à une table de négociation avec le Président Gbagbo.
Parce qu’il faudra qu’on en revienne à la dimension nationale de
la crise. On a créé une crise internationale de façon
artificielle avec un substitution d’acteurs. Désormais, les
premiers concernés doivent se retrouver. Le président Gbagbo et
son épouse, M. Ouattara, M. Soro et M. Bédié doivent se
retrouver pour discuter. Je pense que nous arriverons à cela
dans une dizaine de jours. Parce que la situation de blocage
n’arrange personne ! Ni le Président Gbagbo, ni M. Ouattara, ni
ses parrains.
Revenons au « contentieux post-électoral ». Le
Conseil Constitutionnel ivoirien (CC) a constaté des fraudes au
Nord du pays et a annulé ces résultats partiels tout en
proclamant la victoire de Gbagbo. Or, selon l’article 64 nouveau
du Code électoral, en cas de fraudes, le CC doit invalider
l’ensemble du scrutin pour le réorganiser. Pourquoi le CC
n’a-t-il pas pris cette décision ?
C’est un article parmi d’autres. Le Conseil Constitutionnel,
la Constitution et le Code électoral ivoiriens prévoient que le
candidat qui souhaite introduire un recours, doit le transmettre
au CC. Cette instance doit alors se prononcer dans un délai de
un à sept jours. Après l’examen des éventuels recours, le CC
proclame les résultats définitifs. Dans les deux textes, il y a
plus de 70 articles. Chacun fait donc son marché, s’arrête à
l’article qui l’arrange de manière opportuniste et ignore les
autres articles. En ce qui concerne le traitement et l’annonce
des résultats, le CC est saisi de recours dans les délais. C’est
ce qui s’est passé à l’issue du second tour. Lorsque le CC a
constaté qu’il y avait 2200 P-V trafiqués, il les a écarté, puis
a proclamé les résultats ...
La CC avait-t-il le droit d’annuler des résultats
partiels ?
Parfaitement ! La même décision a d’ailleurs été prise en
France lors de l’élection présidentielle opposant Mme Royal et à
M. Sarkozy. A l’issue du second tour, il y a eu une ou deux
circonscriptions françaises pour lesquels les votes ont été
annulés. Annulation qui a conduit à recalculer avant
proclamation des résultats. Les règles constitutionnelles sont
les mêmes entre les deux Républiques. La différence, c’est que
l’irrégularité constatée chez nous ne concerne pas une ou deux
circonscription mais se retrouve à l’échelle du département, de
la ville et de la Région. Il y a eu industrialisation de la
fraude. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’opposition a
refusé le comptage électronique. Les ordinateurs sont
paramétrés : si vous avez, par exemple, plus de votants que
d’inscrits dans une circonscription, la machine rejette
automatiquement les résultats. Or, sur les P-V litigieux de
M. Ouattara, c’est ce type d’anomalies qui a été constatée ...
Pour résumer : la fraude est bizarrement concentrée au Nord du
pays et profite M. Ouattara. Ce dernier, qui a pourtant
l’habitude de se plaindre, n’a pas introduit de recours au CC. Y
compris contre les résultats exprimés au Sud qui lui sont
défavorables. Cela signifie au moins une chose : au Sud du pays,
(favorable à Laurent Gbagbo, ndlr), le vote s’est déroulé d’une
manière globalement satisfaisante.
Vos adversaires affirment que M. Ouattara n’est pas
l’homme des USA. Si vous deviez donner un exemple du contraire,
quel serait-il ?
D’abord, la rébellion a été montée et financée depuis
Ouagadougou (Burkina-Faso). La Côte d’Ivoire a été coupée en
deux et le nord du pays est contrôlé par le Burkina-Faso,
puissance étrangère aussi petite soit-elle qui a soutenu le
candidat Ouattara. Entre les deux tours du scrutin, M. Ouattara
se rend au Sénégal à la convocation du Président Wade ; c’est
une preuve supplémentaire. Le président du Nigeria, Jonathan
Goodluck, a financé à hauteur d’un milliard de FCFA la campagne
électorale de M. Ouattara L’agitation, l’excitation de l’ONU,
des États-Unis et de la France montre bien qu’Alassane Ouattara
est le candidat de l’extérieur. C’est un pantin, un instrument
dont ils ont besoin pour s’accaparer la Côte d’Ivoire. Il y a
tellement de problèmes plus graves dans le monde que le
contentieux post-électoral ivoirien qu’il y a de quoi s’étonner
de cette subite agitation. La Somalie, le Soudan, le Liban, Gaza
et Israël/Palestine n’ont toujours pas trouvé de solutions mais
L’ONU n’a rien d’autre à faire que de s’occuper des problèmes
post-électoraux en Côte d’Ivoire ? Cette Institution invente des
charniers, crée la psychose, communique autour d’une future
guerre civile ... Soyons sérieux : Alassane Ouattara est un
agent américain au service d’intérêts étrangers !
Au-delà des partis-pris, la crise ivoirienne réactive
une question centrale : après le cinquantenaire des
indépendances africaines, ce continent est-il réellement libre
et indépendant ?
Tout le monde sait qu’aujourd’hui l’Afrique n’est pas libre
... La plupart des pays africains ont à leur tête des dirigeants
cornaqués par les capitales occidentales. Ce sont des présidents
aux ordres ; leur politique est essentiellement menée dans le
but d’appauvrir les africains et d’enrichir les grandes
puissances occidentales. Cette question des indépendances est
effectivement centrale et ce qui se passe en Côte d’Ivoire, sans
doute déterminant pour le futur de l’Afrique. C’est pour cela
que nous souhaitons que ce conflit se résolve dans la paix.
L’époque des Africains qui vendaient d’autres africains à des
puissances négrières ne doit pas se renouveler. Lorsqu’on évoque
la possibilité que le Nigeria, aidé de mercenaires burkinabé,
sénégalais et togolais, attaque la Côte d’Ivoire pour rétablir
je ne sais quel « président élu », on en revient aux souvenirs
des temps anciens, de la trahison africaine dans la Traite
négrière. Cette lutte pour une véritable indépendance doit
s’amplifier et s’intensifier. De manière pacifique, par le débat
d’idées et la confrontation des concepts. Kwamé N’Krumah,
Patrice Lumumba, Sekou Touré et d’autres n’ont pas vécu et lutté
en vain ! Le Président Gbagbo est dans la lignée de ces pères
fondateurs de l’Afrique. A la lumière de ce que nous vivons
aujourd’hui, nous comprenons mieux ce que l’Occident a appelé
« la sagesse de Félix-Houphouët Boigny » (premier Président de
la Cote d’Ivoire, décédé en 1993, ndlr). Houphouët était
prisonnier du système de la Françafrique. Il avait le choix
entre vivre et diriger son pays sans déplaire ou être assassiné
et provoquer une guerre civile. Cette « sagesse », c’est d’être
soumis et docile. Lorsqu’on ne choisit pas cette option,
souhaitée par le maître blanc, on devient un « xénophobe », un
« va-t-en guerre » et un « fraudeur d’élections ». Laurent
Gbagbo est un patriote et un panafricain authentique qui a
choisi la liberté contre l’asservissement. A Abidjan, la France
aurait voulu un petit-commis de Paris, au service de ses
ambitions. Le Président Gbagbo, lui, est un chef d’État, fût-il
d’un pays qui n’a pas voix au chapitre concernant les
résolutions prises au Conseil de sécurité des Nations-Unies.
Propos recueillis par Olivier Mukuna
(Source :
http://afiavi.free.fr/e_magazine/spip.php?article1411
)
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