|
IRIS
Entretien avec Olivier Da Lage :
« Bahreïn a une riche histoire de luttes sociales et politiques
»
Vendredi 18 février 2011
Journaliste RFI et auteur de nombreux ouvrages sur les
pays du Golfe, Olivier Da Lage revient pour le site Affaires
Stratégiques, sur les manifestations qui ont lieu actuellement
au Bahreïn.
Q : Le Bahreïn n’est pas un Etat très connu du grand
public. Comment le présenteriez-vous en terme économique et
sociétal ?
C’est un tout petit pays, un archipel essentiellement composé
d’une grande île, d’une autre un peu moins importante ainsi que
de quelques îles non habitées. Curieusement, ce n’est non pas
une ville-Etat comme dans les autres pays du Golfe, mais un
petit pays avec une structure villageoise, avec des campagnes et
des villages, même si les récentes constructions l’ont rendu un
peu moins « villageois ». C’est toutefois un réseau social très
dense. Bahreïn est le premier pays arabe du Golfe à avoir foré
du pétrole, en 1932, et c’est aussi le premier à ne plus avoir
de pétrole aujourd’hui. Par conséquent, Bahreïn vit
essentiellement de l’aide financière de l’Arabie Saoudite, qui
extrait du pétrole pour son compte. Depuis le milieu des années
1970, Bahreïn a tenté de devenir un centre bancaire, une société
de services avec une cale-sèche, des assurances et toute une
série d’industries mondialisées, mais a rencontré la concurrence
de Dubaï, qui était un peu plus performante dans tous ces
secteurs. Donc, finalement, Bahreïn n’est pas une monarchie
pétrolière riche comme ses voisins.
Dans un papier récent sur votre blog (www.dalage.fr),
vous expliquez que « le feu couvait déjà sous la cendre » dans
cette monarchie. Pourquoi est-il logique que la contestation des
populations du Moyen-Orient atteigne cette petite monarchie ?
Quelles sont les revendications ?
La contestation était déjà là. D’abord, Bahreïn a une riche
histoire de luttes sociales et politiques qui remontent aux
années 1930. Il y a eu à cette époque des pétitions de pêcheurs
de perles, puis dans les années 1950 des ouvriers de l’industrie
pétrolière et du raffinage se sont mis en grève. Bahreïn était
aussi très sensibilisé à l’appel nationaliste venu d’Egypte sous
Nasser, et après la révolution islamique le pays s’est encore
enflammé : la population, majoritairement Chiite, voyait, dans
les premiers temps de la révolution iranienne, un espoir de
libération, parce que ce pays où les Chiites représentent entre
65% et 70% de la population est dirigé depuis la fin du XVIIIe
siècle par une monarchie Sunnite, très autoritaire, venue de la
péninsule.
Il n’y a donc jamais eu de véritable réconciliation entre les
deux communautés. Il y a une opposition communautaire, une
opposition sociale, et une opposition politique parce que le
pouvoir a supprimé la Constitution en 1975. Elle avait été
rétablie en 2001, mais depuis deux ans le régime a à nouveau
suivi une pente autoritaire ce qui a mené à une reprise de la
contestation.
Quelle peut être la sortie de crise la plus probable
selon vous ?
Je ne vois que deux possibilités. La première serait que le
régime continue de choisir la voie répressive. Il est
effectivement poussé dans ce sens par les autres monarchies du
Golfe, et notamment l’Arabie Saoudite. La position exprimée par
le Premier ministre, l’oncle du Roi, qui est à ce poste depuis
l’indépendance en 1971, et la répression brutale qui a déjà fait
plusieurs morts en quelques jours alors que les manifestations
étaient encore pacifiques sont de très mauvais indicateurs de ce
que les autorités veulent faire. Si tel était le cas, nous nous
dirigerions vers des tensions qui pourraient être extrêmement
graves, et vers un regain de ce qu’on a appelé l’« intifada
chiite », qui s’était produite entre 1995 et 1998, et qui
n’avait pris fin qu’avec la mort de l’Emir.
L’autre possibilité, c’est que voyant que l’opposition se
concentre sur la personne du Premier ministre, le Roi lâche son
oncle et le contraigne à la démission. C’est une possibilité,
mais il faut bien comprendre que l’homme fort du pouvoir reste
le Premier ministre, qui tient notamment tout l’appareil de
sécurité.
La contestation au Bahreïn peut-elle atteindre
d’autres pays de la zone ?
La situation à Bahreïn est vraiment spécifique. Je ne crois pas
à une contestation significative ni aux Emirats ni au Qatar. Au
Koweït, il y a aussi une tradition politique ancienne, et on
sait que l’opposition a souvent manifesté contre le pouvoir.
Cependant, il existe dans ce pays une expression politique à
travers le Parlement, ce qui est une soupape de sécurité.
En Oman, on sait qu’il y a des contestations politiques et
sociales, mais on ne sait pas grand-chose sur leur ampleur. Il y
a un pays dans lequel les choses pourraient également bouger,
l’Arabie Saoudite, et notamment la province orientale du pays,
où est concentré l’essentiel de la population chiite, qui
appartient finalement au même ensemble que Bahreïn.
Effectivement, autrefois, Bahreïn était aussi composé de la
province orientale de l’Arabie Saoudite, et les Chiites d’Arabie
Saoudite se sentent eux aussi soumis à des discriminations. Ils
sont moins bien lotis socialement et politiquement, et sont
l’objet de discriminations de la part de la majorité Wahhabite,
au pouvoir en Arabie. Cela pourrait donc gagner la communauté
Chiite d’Arabie. Cette probabilité inquiète d’un point de vue
stratégique, la province orientale étant le lieu où se trouve
l’essentiel des richesses pétrolières d’Arabie.
Le dossier
Bahreïn
Les dernières mises à
jour
Tous les droits des auteurs des Œuvres
protégées reproduites et communiquées sur ce site, sont
réservés.
Publié le 18 février 2011 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
|